Article de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, dans "Droit de l'environnement" de juin 1996, intitulé "Le Code de l'environnement : une consécration".

Prononcé le 1er juin 1996

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Média : Droit de l'environnement

Texte intégral

Le code de l'environnement : une consécration

C’est une joie particulière, pour la juriste que j'ai toujours été, presqu'autant que pour le ministre de l'Environnement que je suis devenue, d'avoir pu porter sur les fonts baptismaux le Code de l'environnement qui a été mis en chantier depuis plusieurs années, en le présentant devant le Conseil des ministres en février dernier.

En ce vingt-cinquième anniversaire du ministère, la codification du droit de l'environnement est un signe de maturité pour la place qu'occupent désormais les questions environnementales dans notre pays et plus généralement au niveau planétaire.

On sait que différentes lois, touchant à la santé, au droit rural, à l'urbanisme, ont peu à peu fixé des concepts qui font, depuis lors, figure de piliers du droit de l'environnement. Il fallait mettre à la disposition de tous ceux qui en ont besoin quotidiennement dans leur vie professionnelle, praticiens du droit et décideurs publics et privés aussi bien qu'à celle des associations et de l'ensemble des citoyens un outil rassemblant l'essentiel de dispositions jusque-là éparses.

Il a fallu un énorme travail, pour parvenir à rassembler, dans la partie législative du nouveau Code de l'environnement, quelque quarante lois en 858 articles, et d'affirmer ainsi ces concepts en consacrant le champ au droit de l'environnement et en juxtaposant des dispositions jusque-là ignorantes les unes des autres et qui trouvent dans leur réunion une clarification et une cohérence.

La codification à droit constant a, certes, des inconvénients. Il n'en demeure pas moins qu'elle permet de dresser un état initial des textes. Le champ du droit de l'environnement est destiné à évoluer :

La protection de milieux naturels particuliers finira à terme par rejoindre, dans le Code de l'environnement, les dispositions générales consacrées à la protection de tous les milieux naturels. Et l'incohérence inévitable de certaines dispositions à droit constant sera progressivement résorbée, d'une part, par une loi d'harmonisation qui devrait intervenir prochainement, d'autre part, grâce à l'existence même de ce Code, les dispositions communes à l'ensemble du champ de l'environnement ayant désormais un facteur commun et je pense notamment au dispositif pénal et de procédure pénale.

De simple discipline, parce qu'il est un objet saisi par le droit, l'environnement deviendra-t-il pour autant une branche du droit, un objet qui saisit le droit, qui le construit et le remodèle, selon la distinction formulée par Gilles Martin ? Je crois pouvoir répondre positivement à cette question. Le droit de l'environnement est en train d'acquérir une autonomie et la naissance d'un Code de l'environnement en est sans doute à la fois le signe et le facteur déclenchant. Car, ce droit interpelle les grands principes juridiques, afin qu'ils s'adaptent à la matière qu'il traite.

Après une première période pendant laquelle des techniques juridiques propres et d'autres branches du droit ont été « plaquées » sur les sujets environnementaux, sans recherche de vision d'ensemble, ni a fortiori d'éthique juridique originale, nous avons franchi une nouvelle étape. L'objet environnement a trop longtemps été approché, comme la salubrité publique l'a été avant lui, sans qu'on identifie sa spécificité, sans qu'on le perçoive comme un système, voire un enchevêtrement de systèmes. Mais ce temps est révolu.

Il n'est qu'à prendre pour exemple l'application de la notion de patrimoine à l'ensemble des biens appropriés transmissibles, qui est raisonnable en matière de biens culturels mobiliers et immobiliers, mais qui est plus délicate dès lors qu'il s'agit de patrimoine naturel. Les lois en vigueur prévoient que les richesses naturelles font partie d'un « patrimoine commun de la Nation ». La notion civiliste du patrimoine ne peut alors s'appliquer rigoureusement. Le remodelage de la notion de patrimoine comme un héritage légué par les générations précédentes, que nous devons transmettre aux générations futures, est bien un nouveau concept auquel le droit doit s'adapter, en trouvant une nouvelle logique, saisi qu'il est par l'objet environnement.

La nécessité d'associer de nouveaux électeurs et d'organiser de nouveaux rapports, conduit à celle d'imaginer de nouvelles procédures et d'intégrer dans les procédures existantes ces nouveaux concepts. L'inscription du principe : pollueur-payeur dans le Code de l'environnement entraînera ainsi inévitablement la mise en place d'une nouvelle fiscalité des pollutions. D'une façon plus générale, il s'agit bien de faire émerger une nouvelle éthique juridique. À côté de l'évolution de concepts anciens, comme celui du patrimoine, on constate la naissance de concepts nouveaux, comme celui d'irréversibilité. Ce terme, employé par les écologistes depuis une dizaine d'années et apparu dans la loi du 31 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, figure aujourd'hui dans les premières phrases du Code de l'environnement. De simple terme, devenu concept juridique, il intègre peu à peu le droit de l'environnement.

Bien entendu, les concepts nouveaux entrent parfois en conflit avec des concepts anciens, remettant en cause certains fondements du droit civil, comme la responsabilité, le patrimoine, les droits et obligations d leur source. L'évolution, là comme ailleurs, aura lieu au prix de confrontations nécessaires et de décisions délicates. Mais définitivement consacré par l'élaboration d'un Code de l'environnement et nanti de ce bel acte de naissance, le droit de l'envi­ronnement ne pourra désormais que grandir !