Texte intégral
France 2 : Monsieur le Premier ministre, on vient d'entendre parler de la mondialisation, on vient de parler, avec les chefs d'État et de Gouvernement de ses aspects positifs. Mais pour les Français, l'essentiel de la mondialisation c'est d'abord le chômage parce que les productions sont délocalisées.
R. Barre : Vous avez raison de dire « l'essentiel de la mondialisation ». Ne dites pas que le chômage a pour cause la mondialisation. Si nous avons du chômage, si nous avons des difficultés, c'est notre responsabilité, parce que nous ne savons pas nous adapter au monde dans lequel nous vivons. Ce monde a changé. On ne peut pas continuer à vivre avec les règles, avec les comportements, avec les mentalités qui étaient ceux du passé. Il faut, aujourd'hui, relever le défi.
France 2 : Est-ce que ça veut dire que dans un pays comme la France, le chômage n'est pas la conséquence directe de cette lutte acharnée entre pays en voie de développement et pays industrialisés ? Est-ce que ça veut dire que nous avons nos propres lourdeurs ? Ou est-ce que ça veut dire encore que nous ne faisons pas assez en matière d'emplois ?
R. Barre : Nous avons nos propres lourdeurs. Nous n'avons pas la flexibilité suffisante pour nous adapter. Il est vrai que la concurrence s'accroît. Mais nous sommes dans un monde où la concurrence est devenue incontournable.
France 2 : Mais flexibilité cela veut dire précarité de l'emploi pour un bon nombre de nos concitoyens.
R. Barre : Précarité de l'emploi : entendons-nous sur le mot car les emplois ne seront plus éternels. Nous avons été habitués, en France, à avoir le statut de fonctionnaire, et on a voulu que dans le secteur privé, dans les entreprises, l'emploi soit aussi stable que dans la fonction publique. Or aujourd'hui on constate que ni dans les entreprises, ni dans la fonction publique, il n'est possible de maintenir ces règles qui remontent souvent à 50 ans, sinon plus !
France 2 : Est-ce que ça veut dire, Monsieur Barre, que lorsque qu'on a un contrat à durée déterminée en France aujourd'hui, on ne peut plus dire qu'on a un emploi précaire ?
R. Barre : Certainement. Les contrats à durée déterminée sont à mon avis les contrats...
France 2 : On doit changer de vocabulaire ?
R. Barre : Exactement., il faut changer de vocabulaire. Les contrats à durée déterminée seront une forme d'emplois dans les années à venir.
France 2 : Est-ce que cela veut dire pour autant, comme le Président de la République l'a dit cet après-midi au cours de sa conférence de presse, que nous devons faire comme les États-Unis à savoir créer des emplois à tous crins même s'ils sont limités en salaire et en garantie ?
R. Barre : Ce qui importe ce ne sont pas les salaires, les garanties mais le travail ! La question est : voulez-vous travailler ou ce que vous recherchez c'est uniquement un certain salaire, un certain niveau et un certain confort de vie ?
France 2 : Quelle est la conséquence ?
R. Barre : La conséquence est que nous aurons progressivement les autres qui l'emporteront sur nous. Cela signifie très simplement, la baisse du niveau de vie. Ne l'oublions pas ! Ce que nous sommes en train de jouer à l'heure actuelle dans la mondialisation, c'est notre niveau de vie. Ou bien nous le défendons par l'adaptation, la flexibilité, l'énergie au travail, l'investissement ou bien nous défendons, par tout moyen, les situations acquises et à ce moment-là, j'ai peur que nous n'ayons la baisse du niveau de vie ensuite.
France 2 : Vous avez été en 75 un de ses premiers préparateurs techniques de ces sommets. On a entendu aujourd'hui une multitude de déclarations ronflantes avec des mots extraordinaires. À quoi sert un sommet de ce type ?
R. Barre : C'est très important parce que les chefs d'État se rencontrent, discutent entre eux, peuvent envisager des solutions, pour faire mûrir des idées, peuvent encourager leur Gouvernement à prendre des décisions que ces Gouvernements ne veulent pas prendre. Si vous me demandez ce que je pense par rapport à il y a vingt ans, mais je ne voudrais pas faire l'ancien combattant, je trouve qu'il y a beaucoup de monde. Je trouve que c'est un grand show et que l'on pourrait peut-être arriver à des communiqués moins longs.
France 2 : En tous cas, c'est une bonne affaire pour la ville de Lyon ?
R. Barre : Je m'en réjouis. Je remercie le Président de la République d'avoir choisi Lyon pour le G7 parce que c'est un coup de projecteur sur la ville. Et ce qui me fait plaisir, c'est que les chefs d'État et de Gouvernement que je recevais, hier, m'ont tous dit qu'ils étaient heureux d'être dans cette ville, qu'ils ne connaissaient pas souvent mais qu'ils trouvaient très belle.