Texte intégral
Les Échos : Vous n’êtes pas en général, parmi les plus prompts à descendre dans la rue. Quel est le sens de votre participation à la manifestation d’aujourd’hui ?
Alain Deleu : Nous répondons à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES) dont nous sommes membres depuis 1990. Il est important qu’avant le sommet d’Amsterdam, l’ensemble des syndicats européens se mobilisent pour que l’emploi reprenne toute sa place dans la politique européenne. En ce sens, je regrette l’absence de FO pour cette journée d’action.
Les Échos : Mais à quoi peut servir ce genre de manifestation, dix jours après les défilés au demeurant peu nombreux dans les autres capitales européennes ?
Alain Deleu : Il était difficile de maintenir en France la date du 28 mai en raison des élections législatives. Ce qui est certain, c’est que si les organisations restent silencieuses au moment où se prennent les décisions majeures, la conception libérale de l’économie va s’amplifier.
Les Échos : Entendez-vous aussi délivrer un message au nouveau Premier ministre ?
Alain Deleu : En réalité, les questions sociales ont des dimensions autant nationales qu’européennes. En demandant à la CIG de retenir des critères humains, et non plus seulement économiques, nous demandons aussi au gouvernement français de mettre en pratique cet impératif dans sa propre politique.
Les Échos : Au nom de votre « apolitisme », vous avez fini par apparaître en retrait pendant la campagne, pour ne pas dire silencieux. Si les autres confédérations ne donnent pas plus de consignes de vote, elles tentent, dans une telle période, de faire passer leurs idées. N’auriez-vous pas davantage à gagner à adopter une telle attitude ?
Alain Deleu : Nous ne sommes pas favorables à ce que les syndicats pèsent sur le choix des électeurs. C’est néfaste à la démocratie. En effet, soit on parle pour ne rien dire, soit on prend des positions susceptibles d’être interprétées en termes politiques : ce n’est pas respecter les citoyens que de mélanger ainsi les genres.
Les Échos : L’un des principaux clivages de cette campagne s’est fait sur le temps de travail. Que pensez-vous des 35 heures sans perte de salaire du programme socialiste ?
Alain Deleu : La réduction du temps de travail permettra d’accélérer le redressement de l’emploi. Mais à deux conditions : il faut qu’il y ait négociation avec les partenaires sociaux et que les aides publiques aillent réellement à l’emploi. C’est pour cela que nous avons approuvé la loi Robien. Si, pour des raisons politiques, le gouvernement souhaite faire une nouvelle loi qui porte son nom, cela peut se comprendre, mais il faut que cet esprit soit sauvegardé.
Les Échos : Le dispositif d’incitation à la réduction du temps de travail par des allègements de charges, imaginé par Michel Rocard, irait-il dans le bon sens ?
Alain Deleu : Oui. Mais il faut que ces allègements portent sur les charges salariales, pour favoriser au mieux la création d’emplois.
Les Échos : Les salaires doivent-ils être intégralement maintenus ?
Alain Deleu : Pour que la baisse de la durée du travail ait un impact, il faut qu’elle touche beaucoup de monde, et notamment les plus mal payés. Or comment imaginer réduire encore des salaires qui tournent autour du SMIC ? En revanche, pour les salaires les plus élevés, une négociation est possible.
Les Échos : Sur le SMIC, vous vous retrouvez dans le camp de la CGT, contre la CFDT et FO, pour demander un fort coup de pouce…
Alain Deleu : Nous avons davantage marqué une orientation qu’un chiffre. Il faut, à terme, obtenir une cohérence entre l’évolution du SMIC et celle du plafond de la Sécurité sociale, afin de traiter de la même façon salariés et retraités. Pour que le SMIC atteigne la moitié du plafond de la Sécurité sociale, il faudrait qu’il augmente de 7%. Cela peut être progressif.
Les Échos : Et vos autres priorités ?
Alain Deleu : Le premier impératif, c’est l’emploi. Il est aussi indispensable que le gouvernement relance la politique familiale. Pour ce qui concerne l’éducation, il faudrait introduire de la souplesse pédagogique au niveau des collèges afin de tenir compte de la diversité des élèves et continuer à développer la coopération école-entreprise.
Les Échos : De manière générale, quelles sont vos grandes options économiques ? La CGT et FO optent résolument pour une politique de relance. La CFTC veut introduire une dose de réalisme afin de réussir le passage à l’euro. Votre positionnement est moins clair.
Alain Deleu : Dépassons le débat entre une politique keynésienne et davantage de rigueur. Il faut faire l’euro en le mettant au service de la croissance. Il faut que l’organisation de l’économie soit conçue pour que les salariés et les entreprises puissent développer leur potentiel et réussir. D’où la nécessité d’un nouveau statut du travailleur qui concilie trois impératifs : favoriser son développement professionnel (formation…) ; lui donner des garanties sociales qui lui permettent de prendre des risques et d’être mobile ; et trouver une articulation harmonieuse entre vie professionnelle, associative et familiale.