Interviews de M. Claude Goasguen, vice-président et porte-parole de Démocratie libérale, à RMC le 10 février 1999 et dans "Le Figaro" le 16, sur l'enjeu des élections européennes pour l'union de la droite RPR-DL et son désir de se démarquer de l'UDF centriste.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

RMC le 10/02/1999

P. Lapousterle
Je voudrais avoir votre sentiment, vous qui êtes parlementaire et ancien ministre, après la première journée de procès sur l’affaire du sang contaminé ?

Claude GOASGUEN
« J'ai vraiment ressenti à quel point les victimes devaient être insatisfaites devant la tenue de cette instance judiciaire d’exception. Je voudrais dire que, sans rentrer dans le débat sur la responsabilité précise – présomption d’innocence –, la cour est en train de se réunir, je n’ai pas à intervenir dans les débats de la cour. Simplement, je voudrais remarquer qu'on n'a pas tiré les leçons sans doute de ce Tchernobyl d’État qui s'est produit il y a quelques années. Au fond, nous sommes tout aussi démunis. Si demain, il y avait cette même erreur tragique, est-ce que l’État a changé ? Est-ce qu'on aurait le sentiment que l’État n'est plus irresponsable ? Car ce que les victimes ressentent, c'est cette espèce de sentiment de mur d'irresponsabilité de l’État qui fuit ses responsabilités. Moi je crois qu'il est temps de faire la réforme de l’État. Il est temps de donner un peu de transparence à la prise de décision. Parce qu’on ne sait pas, au fond, qui est le véritable responsable. Lorsque vous avez un problème avec un particulier privé, les sociétés d'assurance règlent les problèmes ; c'est toujours tragique, mais vous arrivez à une solution. Et là, on a le sentiment qu’au bout de quelques années, on ne sait toujours pas qui véritablement est responsable et que l’État fuit sur tous les aspects. C'est ce sentiment-là qui crée le malaise terrible des victimes, et le malaise terrible des citoyens français en ce moment. Nous n'avons pas tiré les leçons de cette malheureuse et scandaleuse affaire. »

P. Lapousterle
Vous voulez dire que l'affaire pourrait se répéter aujourd'hui dans les mêmes conditions ?

Claude GOASGUEN
« Parfaitement, parce que les mécanismes de transparence n’ont pas été initiés. Nous n'avons pas statué sur la responsabilité pénale ; la loi qui avait été programmée en 96 n'a pas été votée. Nous n'avons pas non plus statué sur l'indemnisation des victimes. Là, je crois, que l’État se conduit très mal à l’égard des victimes. Il faut des années pour indemniser. Enfin ! On aurait pu s'occuper de ces victimes, montrer de la chaleur, de l'affection, de la présence ! Faire ce qui se fait dans le privé. L’État a marqué par-là, pendant plusieurs années, une espèce de non-considération et je comprends aujourd'hui la vindicte des victimes. Je crains que ce procès déçoive. »

P. Lapousterle
C'est le libéral qui parle ? C'est la colère contre l’État ?

Claude GOASGUEN
« Non, ce n’est pas le problème ! C'est le bon sens, c'est la justice. La justice, ce n'est pas seulement le tribunal. La justice, c'est aussi prendre en considération les victimes. »

P. Lapousterle
Sur la procédure, qu'avez-vous pensé lorsque vous avez entendu le président du tribunal – ce n'est pas n'importe qui – parler du caractère un peu surréaliste de ce procès ?

Claude GOASGUEN
« Je laisse au président ses appréciations. Moi je ne suis pas très favorable aux tribunaux d'exception. En France, on abuse des tribunaux d'exception, parce que souvent on ne sait pas caler dans les cours normales de droit commun le droit. C’est regrettable. Laissons la justice dérouler son instance. »

P. Lapousterle
Je voudrais vous parler de l'état de l'opposition. Un parlementaire européen qui siège actuellement à Strasbourg avait écrit un livre, il y a quelques années, qui s'appelait : « La droite, année zéro. » Est-ce que vous pensez qu’elle a fait des progrès depuis, ou plutôt qu’elle s'est enfoncée depuis ces dernières années ?

Claude GOASGUEN
« Je crois que le livre très remarquable de notre ami Bourlanges avait un titre choc. Je dois dire, entre parenthèses, que M. Bourlanges aurait dû le relire, parce que sa position depuis quelques semaines montre qu’il a oublié son livre. En créant une liste séparée, il n'a pas amélioré l'image de l'opposition. Je regrette qu'effectivement on voie se multiplier des listes non pas dissidentes, mais marginales. »

P. Lapousterle
La liste UDF est une liste marginale ?

Claude GOASGUEN
« C’est une liste qui, paradoxalement, est une liste marginale, parce qu'elle n'a pas bien compris, et je crois que les dirigeants de l'UDF que je respecte et qui sont des amis, n'ont pas bien compris que le problème de la constructions européenne avait totalement changé depuis Maastricht-Amsterdam. On a senti une espèce de nostalgie de la période de la construction européenne et, paradoxalement, le discours de F. Bayrou retrouve en antagonisme pur celui de C. Pasqua. Je crois que ce débat est dépassé. Aujourd'hui, il faut construire l'Europe, et il faut la construire sur des sujets politiques tout à fait nouveaux. Aujourd'hui, vous avez treize pays qui sont socialistes en Europe, vous avez la constitution d'une Europe social-démocrate, avec un État européen, peut-être un impôt européen. Voilà des vrais débats qui opposent au fond, comme en France, l'opposition de droite libérale, conservatrice et démocrate-chrétienne à la conception social-démocrate. Est- ce qu’on veut un Etat européen socialiste ? C'est un vrai débat. Comprenez que c'est un débat à la fois intérieur et en même temps européen. D'ailleurs, je ne comprends pas ces divisions : politique européenne – politique intérieure. Elles sont factices. Par conséquent, il y a une liste de l'union de l'opposition derrière P. Séguin, avec, je l'espère, A. Madelin. Nous en parlerons jeudi dans notre comité directeur de Démocratie libérale, et puis, c’est cette liste de l'union qui fera le match essentiel contre le gouvernement socialiste. Après, il y aura des matchs dans le match, comme on dit au football. C'est-à-dire qu'il y aura un match entre C. Pasqua et F. Bayrou. Je regrette vraiment qu'on ait absolument perturbé une opposition qui était en train de se reconstruire. »

P. Lapousterle
Quand vous avez entendu – pour revenir à la journée de dimanche – l'UDF nouvelle présenter sa liste, cela a été une surprise, une colère ?

Claude GOASGUEN
« Non, une déception, parce que vraiment j’estime beaucoup les dirigeants de l'UDF. Ce sont nos amis, nous travaillons avec eux à mettre fin à un gouvernement socialiste dont on voit de plus en plus les limites. »

P. Lapousterle
Vous ne les suspectez pas de préparer une alliance avec les socialistes ?

Claude GOASGUEN
« Je ne suspecte pas. Je trouve que leur attitude est une attitude un peu inconséquente et que le thème européen qu'ils développent est un thème de nostalgiques, mais n'est pas un thème adapté à la situation ni européenne ni française du moment. »

P. Lapousterle
Un des responsables chez vos alliés du RPR a dit hier – il s'agit de M Devedjian : « Ce n'est pas grave, il ne faut pas en faire un drame. Finalement, au dernier jour, dans chacun des camps, on fera des additions.

Claude GOASGUEN
« C'est une manière aimable de présenter les choses, mais ce n'est pas une manière je dirais politique réelle. Je ne voudrais pas que les Français pensent qu'au fond ils ont le choix. Le vrai combat, le vrai débat, c'est celui qui va opposer l'opposition de droite, RPR-DL, et ceux qui voudront la rejoindre, cette opposition unie, et puis le gouvernement socialiste. C'est cela le vrai débat. C’est le même débat à l'intérieur et en Europe. Alors, faire des additions, bien sûr, on fera des additions. Il ne s'agit pas de faire une campagne d'anathèmes les uns contre les autres. Mais il faut être réaliste. Il faut voir l'efficacité des choses, et je ne voudrais pas qu'au fond, le PS qui était en difficulté, perçoive la multiplication des listes de droite comme un cadeau. Voilà le regret. Vous me posiez la question tout à l'heure : le regret que j'ai, .c'est que dimanche soir, j'ai eu l'impression que pour M. Hollande, qui était tout sourire, la liste UDF lui avait fait un beau cadeau. Il était presque sûr – je souhaite d'ailleurs qu'il n'en soit rien, car nous le rattraperons – il était sûr que le PS sera en tête. »

P. Lapousterle
C’est une défaite pour le Président de la République, la création de cette liste UDF ?

Claude GOASGUEN
« Je crois que le Président de la République n'avait pas caché son souhait de voir une liste unie et je pense qu'il avait raison. Ce n'est pas une défaite. Le Président de la République en a vu d'autres. Les élections présidentielles sont loin. On réparera sans doute les modestes dégâts qui seront commis, j'espère, dans cette campagne européenne. Ce que je souhaite, c'est que la liste d’union soit vraiment celle de l'ensemble de l'opposition. »

P. Lapousterle
Je vous dis cela, parce que l’UDF nouvelle prétend qu’elle défend finalement mieux le Président de la République que vous, sur la position vis-à-vis du FN, sur l'intégration des soucis sociaux, sur l'Europe ?

Claude GOASGUEN
« En général, quand on est en difficulté et qu'on crée une situation qui n'est pas bonne, on manie le paradoxe et je trouve que la position de l'UDF est un peu paradoxale. Ils se sont mis en position de marginalité, c'est leur droit le plus absolu, mais qu'ils ne, viennent pas nous accuser de tous les péchés par la suite. »

P. Lapousterle
Est-ce que M. Madelin sera ou non numéro 2 de la liste ?

Claude GOASGUEN
« C’est le comité directeur de Démocratie libérale qui le lui proposera, qui le lui demandera, je le souhaite en tout cas, puisque c’est le vote... »

P. Lapousterle
Ce n'est pas acquis ?

Claude GOASGUEN
« C'est le vote des responsables. Je souhaite vraiment qu’il y ait un tandem qui montre l'union de l'opposition : A. Madelin-P. Séguin. »

P. Lapousterle
Un mot sur M. Allègre. Tous les jours, des manifestations contre le ministre de l’Éducation nationale ?

Claude GOASGUEN
« Oui, c'est un vrai grave problème dont on ne parle pas assez : c'est qu'il  y a une déliquescence de la situation au sein de l’Éducation nationale : la violence, les professeurs, les manifestations. On sent que le ministre, si j'ose dire, est entre les pattes du mammouth. Et maintenant, cela devient le problème du Premier ministre. Moi, ce que je souhaite, c'est que le Premier ministre choisisse : ou bien il soutient son ministre de l’Éducation dans ses réformes, il lui en donne les moyens, il le dit ; ou biens il a cette position attentiste qui permet tous les excès et qui empêche aujourd'hui cette grande maison de l’Éducation nationale de fonctionner. On a l'impression qu’à l’Éducation nationale, depuis quelques semaines, il n'y a plus de pilote dans l'avion et ce n'est pas la personne de M. Allègre qui est en cause, c'est véritablement aujourd'hui l'homme politique de l'opposition qui interpelle le Gouvernement. L’Éducation nationale a besoin d'être gérée convenablement, avec un ministre qui n’est pas contesté. Que le Premier ministre nous dise si, oui ou non, il soutient son ministre de l’Éducation nationale. »

Le Figaro, le 16 février 1999

Le FIGARO. – La campagne européenne démarre et tout le monde à droite semble se disputer le parrainage de Jacques Chirac. Est-ce vraiment lui rendre service ?

Claude GOASGUEN. – sans vouloir être ironique, je dirais qu’il est plutôt réconfortant de voir beaucoup de listes se revendiquer aujourd’hui du Président de la République ! Il n’est pas sûr cependant que cette situation le satisfasse puisqu’il a toujours voulu une liste d’union.

Le FIGARO. – Vous dites incarner l’union mais l’Élysée a décidé de ne pas favoriser la liste RPR-DL par rapport celle de l’UDF.

Claude GOASGUEN. – La stratégie présidentielle est compréhensible. Elle ne doit pas cacher le fait que le ticket Séguin-Madelin mènera le combat essentiel de la campagne contre les socialistes. Un intérêt trop exclusif à ménager la démarche des centristes peut avoir pour conséquence de dissuader à terme beaucoup d’électeurs de droite.
La reconstitution du tandem Séguin-Madelin rend la liste RPR-DL très proche du Président de la République. Ces deux hommes représentent le symbole politique du rassemblement libéral-gaulliste gagnant de 1995. La victoire de liste d’union de l’opposition qu’ils vont mener sera un moment important de reconstruction de l’alternance ; D’autant plus que les autres listes, ces listes marginales conduites par Bayrou ou Pasqua, jouent un match dans le match.
Clins d’œil
Elles se ressemblent d’ailleurs malgré leurs antagonismes. Ce sont avant tout des listes de nostalgiques. Pasqua est nostalgique de l’avant-Maastricht et Bayrou du début de la construction européenne. De plus, tous deux font de temps en temps quelques clins d’œil appuyés à la gauche. Charles Pasqua, quand il s’est prononcé pour la régularisation des sans-papiers et François Bayrou, quand il a soutenu la candidature d’Anne-Marie Comparini à la présidence de Rhône-Alpes.

Le FIGARO. – Vous plaidez pour une « droitisation » de la droite ?

Claude GOASGUEN. – je plaide pour une droite authentique et libérale. Une droite qui n’a pas vocation à ressembler à tout prix à la gauche et assume sa différence. Une droite qui ne soit pas caricaturale, qui ne soit pas frileuse sous la dictature de la pensée unique et des médias. Une droite différente de la gauche. Or, dans la notion de centre, il y a souvent, à tort ou à raison, la volonté de chercher des ressemblances. La modernité de cette droite serait d’être en rupture avec le conformisme du passé et de travailler à une vraie alternance.
Transhumance

Le FIGARO. – Vous espérez au passage profiter de l’éclatement du FN ?

Claude GOASGUEN. – Beaucoup d’électeurs de droite sont aujourd’hui en déshérence. La crise du Front national se traduit par un phénomène de transhumance politique à prendre en compte. Ce moment politique fort a été occulté par les disputes sinistres entre Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret. Or quelque chose de très profond est probablement en train de se produire et cela ne doit pas laisser indifférents les reconstructeurs de la droite.

Le FIGARO. – Selon vous, l’enjeu des européennes serait avant tout de politique intérieure ?

Claude GOASGUEN. – Lorsqu’on voit qu’après avoir gouverné ensemble et approuvé la politique menée par Edouard Balladur puis par Jacques Chirac, les centristes éprouvent le besoin de mener une liste pour les européennes, il n’y a pas de doute. Ils sont entièrement tournés vers la volonté d’exister sur la scène intérieure.

Le FIGARO. – Décidément, les centristes sont au cœur de vos préoccupations. On est loin du code de bonne conduite de l’opposition souhaité par certains…

Claude GOASGUEN. – Le combat politique n’implique pas que l’on s’envoie des anathèmes mais il ne signifie pas non plus de jouer les hypocrites.