Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à Radio France internationale et Canal France international le 28 août 1997, sur la politique étrangère de la France, le rôle des Etats-Unis dans le monde et notamment en Afrique, la coopération franco-allemande, la mise en place de l'euro et la situation au Proche-Orient.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Questions RFI

Q. – Monsieur le Ministre, bonjour. La place de la France dans le monde semble menacée ces derniers temps, notamment par les Etats-Unis. La Conférence d’ambassadeurs de France est-elle le signal d’un ressaisissement, voire d’une contre-offensive ?

R. – Non, je ne verrais pas les choses comme cela. Nous sommes dans un monde global depuis l’effondrement du monde bipolaire Est-Ouest, donc depuis quelques années, depuis 1991 précisément. Dans ce monde, les influences s’exercent partout et ne sont pas compartimentées. Il faut donc avoir une politique étrangère très mobile, très réactive, sur tous les plans. Dans certains cas, cela peut remettre en cause des influences anciennes mais cela ouvre d’autres possibilités. De toute façon, il faut une diplomatie mobile. La question ne se pose pas spécialement entre les Etats-Unis et la France. C’est une question qui est posée à tous les grands pays et à tous les pays qui ont une diplomatie globale. Quant à la Conférence des ambassadeurs, cela n’a pas de rapport avec cela. Ce n’est pas une réaction brusque à cette situation. C’est un rendez-vous de travail très important. C’est le seul moment de l’année où tous les ambassadeurs de France sont réunis pour travailler ensemble sur leurs relations avec l’Administration centrale, sur des sujets régionaux, sur des sujets techniques. Nous allons travailler sur l’euro, par exemple. Nous allons étudier la politique étrangère américaine puisqu’à l’occasion de cette conférence, nous allons étudier la politique étrangère de tous les grands pays. C’est très intéressant.

Q. – Pourquoi celle-là précisément ? Il n’y a pas besoin d’un électrochoc côté français face à la force dominante… ?

R. – C’est très instructif et très utile, je crois, pour le corps diplomatique d’analyser la politique étrangère des autres grands partenaires de la France et c’est tout à fait logique de commencer par les Etats-Unis puisque la diplomatie américaine a de l’influence partout. Donc, c’est intéressant pour tous les ambassadeurs. Si vous preniez la diplomatie d’un autre pays, ce serait moins globalement significatif. Mais ce sera fait, cas après cas.

Q. – Mais n’y voyez-vous pas une volonté délibérée des Etats-Unis de réduire l’influence de la France dans le monde comme un certain nombre de Français le voient ?

R. – Je pense que cela ne se présente pas comme cela. Ce serait une lecture trop paranoïaque. Il se trouve que les Etats-Unis ont une influence globale mondiale sur plusieurs plans, d’ailleurs pas seulement diplomatiques, mais aussi sur le plan commercial et sur le plan culturel. Donc, ils ont un poids dominant. C’est la seule superpuissance dans le monde actuel, mais il ne faut pas se tromper non plus sur le poids de la France. Il ne faut pas passer, quand on est français, de la prétention à l’accablement. Il faut trouver la juste mesure. La juste mesure, c’est que, sur les 185 pays du monde, à part les Etats-Unis qui sont une superpuissance globale, la France fait partie d’un tout petit nombre de pays qui viennent juste après, - ils sont 6 ou 7 -, qui sont des pays d’influence mondiale, qui n’ont pas tous les instruments dont disposent les Etats-Unis mais qui en ont beaucoup. C’est une position très remarquable pour agir à la surface du monde. Ce qui est vrai, c’est que dans ce monde global, les relations sont plus concurrentielles, plus compétitives. A nous d’être mobiles et bons.

Q. – Quel est le principal enjeu de la rencontre Jospin/Kohl de ce jeudi ? C’est réussir l’euro ou réussir l’élargissement sans la dissolution de l’Europe ?

R. – Il s’agit de traiter toutes les questions qui relèvent des deux gouvernements et elles sont très nombreuses. Il y a des questions bilatérales, des questions de coopération industrielle, par exemple, entre la France et l’Allemagne, et il y a beaucoup de questions européennes. La France et l’Allemagne sont les éléments-clés de l’Union européenne. Cela concerne l’euro, et l’euro est très bien parti, l’euro est presque sur les rails. Il y a encore quelques mois avant la décision définitive. Cela concerne la mise en œuvre concrète de ce qui a été décidé à Amsterdam à la demande du nouveau Gouvernement français sur le volet économique et social qui complète les engagements monétaires. Quelle sera la consistance exacte de ce concept de coordination des politiques économiques sur la base de l’article 103 du Traité ? Cela concerne la perspective de l’élargissement dont la France affirme qu’il ne pourra pas se concrétiser sans qu’il y ait au préalable une réforme institutionnelle faisant en sorte que l’Europe ne se dissolve pas. Cela, pour nous, est un impératif.

Q. – Cela ne se limite pas aux grands puissances européennes ?

R. – Il y a un ensemble qui concerne la taille et le fonctionnement des commissions, la pondération des voix, le recours à la majorité qualifiée, peut-être d’autres dispositions encore. Et à Amsterdam, on a obtenu un résultat sur un point qui est celui qu’on appelle les « coopérations renforcées » permettant à quelques pays de travailler ensemble et d’aller plus loin même si les autres ne sont demandeurs tout de suite. Mais, c’est tout à fait insuffisant pour faire face à des censures. Cela est un point très important à clarifier, d’abord entre Français et Allemands. Et puis il y a tout ce que l’on appelle l’Agenda 2000, c’est-à-dire, les conditions du financement de l’Union européenne dans les années 2000/2005. Donc, beaucoup de sujets bilatéraux et européens qui relèvent du chancelier Kohl à Bonn et essentiellement du Gouvernement, donc du Premier ministre, à Paris.

Q. – La paix au Proche-Orient est en danger de mort. Quel rôle peut jouer la France dans une région où les Etats-Unis, là encore, ont une influence dominante ?

R. – Il ne faut pas partir de la question américaine mais du fait que le processus de paix qui avait été, laborieusement mais très courageusement, mis sur les rails par des Israéliens comme Rabbin et Pérès et par Arafat de l’autre côté et quelques responsables arabes, est malheureusement aujourd’hui arrêté. Il est stoppé, il n’y a plus de perspective. Il reste quelques contacts techniques de cohabitation, on peut dire, de voisinage et de sécurité, mais presque rien. Il n’y a plus de perspective politique. Donc, pour tous les pays qui considèrent que cette situation est tragique et qu’elle porte en elle le risque de drames plus grands encore et d’une nouvelle explosion de toute la région, il est urgent de rassembler nos efforts, que ce soit les Etats-Unis, que ce soit la France, que ce soit la Grande-Bretagne, que ce soit d’autres pays de la région, comme l’Egypte ou d’autres. Il faut rassembler nos efforts pour, à tout prix, redonner corps au processus de paix. Il n’y a pas de concurrence. Ce n’est pas le problème. L’enjeu, la paix au Proche-Orient, est trop grand pour qu’on puisse s’amuser à des concurrences entre diplomaties. De plus, l’objectif est le même. Donc, il s’agit par tous les moyens de faire converger les efforts. Entre la France et les Etats-Unis, notamment le président de la République l’a dit hier dans son allocution devant les ambassadeurs, et je dirais, avec tout autre qui est prêt à aller dans cette direction.

Q. – Ne vaut-il mieux pas attendre un changement de majorité en Israël ?

R. – Cela aura lieu éventuellement dans plusieurs années et on ne peut pas se dire que l’on va assister comme cela sans rien faire, sans rien dire, à la destruction du processus de paix. Cela a des conséquences très concrètes. D’abord, il y a eu toute une série d’avanies, de mesures vexatoires qui font vivre les populations palestiniennes des territoires occupés dans des conditions, jour après jour, plus insupportables et ces gens-là sont portés au désespoir parce qu’il n’y a pas de perspective. C’est la perspective politique qui redonne la possibilité de faire face aux tensions immédiates et de les surmonter et qui donne l’espoir d’arriver un jour à un arrangement politique stable qui engendrera la sécurité. La sécurité, les Israéliens la désirent ardemment. On les comprend naturellement. Les Palestiniens aussi désirent ardemment la sécurité. C’est un accord politique qui donnera la vraie sécurité. Donc nous ne pouvons pas attendre.

Q. – Aujourd’hui, à Paris, il y a un ambassadeur de France qui n’est pas là. C’est Raymond Césaire et pour cause. Il est à Brazzaville au milieu des combats. Avec la bataille de rues, il y a aussi la bataille des médiateurs : Bongo contre Kabila. La France, l’a dit, elle préfère la médiation Bongo. Du coup, elle est accusée d’une position partisane par les partisans du président Lissouba. Est-ce que la France peut encore rester neutre dans une telle affaire ?

R. – La France, depuis le début, ne s’est pas ingérer directement dans les problèmes qui se présentent au Congo-Brazzaville à propos de cette échéance présidentielle, même si les deux camps n’étaient pas tout à fait sur le même plan au début, puisqu’il y avait un président en exercice sortant et un ancien président. L’idée de la France a été de faire tout ce qu’elle peut pour soutenir les médiations ayant une chance quelconque d’aboutir. Mais, il n’y a pas une position française particulière sur ce sujet. La médiation du président Bongo dont vous parlez est une médiation qui a été depuis le début encouragée par les Nations unies. Donc, ce n’est pas une sorte de tactique française. Le Conseil de sécurité des Nations unies a soutenu le président Bongo. Il a, auprès de lui, un envoyé spécial des Nations unies qui est l’ambassadeur algérien Sahnoun et qui concourt à tous ces efforts. Ce n’est pas purement français, ce n’est pas purement Bongo. Donc, il y a d’autre part une caution de l’OUA. Alors, ce n’est pas parce qu’il y a eu une initiative différente récemment de M. Kabila, qui a proposé une médiation dont je ne connais pas très bien la nature, peut-être d’un type différent, que cela remet en cause l’effort tenté par toute la communauté internationale, spécialement par la France et par le quai d’Orsay, mais avec la caution de toute la communauté internationale. Ce n’est pas pour cela que c’est remis en cause. Et ce n’est pas pour cela que cela doit changer la lecture que l’on fait des efforts de la France, qui ne souhaite qu’une chose : que les Congolais trouvent une façon de régler leurs problèmes sur un terrain politique et non pas à travers des affrontements. Donc, nous souhaitons la pacification, sur un terrain légal, que l’on retrouve la possibilité de fixer un calendrier électoral, même si celui-ci a été décalé et que les problèmes inévitables se passent selon les règles d’affrontements politiques et non pas d’affrontements armés. Nous n’avons pas d’autre idée et je ne vois pas qui peut voir, dans cette approche, un parti pris quelconque.

Q. – Dernière question. Vous avez parlé d’entente parfaite entre le président et le Premier ministre. Est-ce que le rôle principal d’un ministre des Affaires étrangères en période de cohabitation n’est pas justement de rapprocher les points de vues entre un président et un Premier ministre qui ne sont pas toujours d’accord ?

R. – Cela peut-être, disons, un des rôles s’il y avait des divergences graves. Mais, vous relèverez que, dès que ce Gouvernement a été formé, il se trouve par le hasard du calendrier diplomatique, en juin et juillet, qu’il y a eu un très grand nombre de sommets et presque tous les grands sujets du moment ont été abordés, que ce soit au Sommet des Sept, à l’ONU, ou à l’Union européenne, à l’OTAN, etc. Sur aucun des sujets qui se sont présentés en juin et en juillet, nous n’avons trouvé des difficultés pour faire converger les vues du président et celles du Gouvernement. Chacun peut avoir son style, des priorités différentes, des nuances, mais l’important est de savoir s’il peut y avoir aisément une position française. Cela a été le cas. Donc, en conclusion pratique, le ministre des Affaires étrangères n’est pas obligé de consacrer ses journées à faire rapprocher les points de vues puisqu’ils ne sont pas divergents. Mon activité porte sur la mise en œuvre de cette politique étrangère française sur tous les fronts, sur tous les terrains. L’avantage de ce calendrier très serré de juin-juillet, c’est que j’ai pu en très peu de temps rencontrer déjà une quarantaine de mes homologues et me saisis d’emblée de tous les grands dossiers du moment. Je n’ai pas de souci de cohabitation. Je m’occupe des problèmes réels qui se présentent. Nous avons parlé de quelques-uns : l’Afrique, l’Europe, le Proche-Orient et autres.

Monsieur le Ministre, je vous remercie.


Questions CFI

Q. – Monsieur le Ministre, l’année dernière lors de la 4e Conférence des ambassadeurs, l’accent était mis sur l’économie Est-ce que la promotion des exportations est toujours une priorité de la diplomatie française ?

R. – Naturellement, la diplomatie française est capable, je crois, de poursuivre plusieurs objectifs de premier plan, dont celui-là. Mais, la règle de cette conférence est que l’on étudie chaque année des problèmes nouveaux pour être méthodiques et complets. En quelques années, on a fait le tour des sujets. Donc, cela reste un des objectifs importants. Il est même demandé aux ambassadeurs d’être les « managers polyvalents » de l’influence française dans les pays où ils se trouvent, aussi bien sur le plan économique que commercial, culturel ou diplomatique.

Q. – Mais, les ambassadeurs sont-ils formés pour cet objectif ?

R. – De plus en plus. D’ailleurs, ils sont de plus en plus convaincus que cela fait partie de leur responsabilité. Ils sont de plus en plus formés. Ils ont une relation de plus en plus utile et étroite avec les responsables des grandes entreprises. Il faut les amener petit à petit à s’occuper aussi bien des petites et moyennes entreprises, - il y a des conseillers commerciaux -, et nous progressons vers une meilleure synergie de nos responsables dans chaque pays. Cela va dans le bon sens.

Q. – Je vais passer à l’Union européenne. Quel moyen à la France de mettre en place une véritable politique extérieure commune ?

R. – Vous parlez en général ou d’une zone géographique en particulier ?

Q. – En général. Plus tard, je parlerai de l’Afrique.

R. – A l’époque du Traité de Maastricht, les Européens avaient l’audace et la volonté d’élaborer une politique étrangère commune. Ils l’on fait en sachant à quel point c’était compliqué. Les pays européens sont très différents, leur histoire, leurs traditions, leur culture, leur langue, tout cela est différent. Leurs relations avec le reste du monde ne sont pas les mêmes. Donc, pour élaborer une politique étrangère commune, il faut savoir que cela ne se fait pas comme s’il l’on abaisse un commutateur pour mettre de la lumière dans une pièce. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. C’est un processus, c’est un grand objectif qui va occuper l’Europe pendant des années et des années. Il s’agit de partir de dénominateurs communs pour essayer d’élargir progressivement une vision plus générale. Cela suppose beaucoup de discussions entre les pays d’Europe. Mais il y a déjà des domaines où il y a des actions européennes communes qui pèsent lourd, comme les Accords de Lomé avec l’Afrique par exemple. Il faut retenir cette idée. Vous savez c’est un processus progressif méthodique.

Q. – Est-ce que dans certain cas précis il ne devrait pas y avoir plus de concertation entre les diplomaties européennes ? Je pense notamment à ce qui s’est passé au Kenya où l’ambassadeur français ne s’est pas associé aux autres ambassadeurs occidentaux parce qu’il n’y avait pas eu cette concertation !

R. – Peut-être qu’il faut retourner les choses, peut-être que l’ambassadeur de France n’est pas le seul à s’être associé à une initiative lancée par je ne sais qui sans concertation préalable. Je ne sais pas très bien dans ce cas d’espèce. Mais ce qu’il faut avoir à l’esprit c’est que la concertation est très poussée. Dans la plupart des pays du monde, les ambassadeurs de l’Union européenne se concertent entre eux. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il y ait automatiquement une position commune. Il ne faut pas entraver la possibilité d’un ambassadeur français, anglais ou allemand, d’exprimer des points de vues qui relèvent de la diplomatie de chacun des pays tant qu’il n’y pas une position commune strictement arrêtée. Donc, la concertation est une chose, nous sommes dans une phase de transition en quelque sorte. Nous nous tenons au courant, nous nous informons. Les ambassadeurs de l’Union européenne se réunissent fréquemment, mais la diplomatie de chaque pays doit garder sa liberté de mouvement. Donc, il n’y a pas eu expressément une décision commune. Vous parliez de l’Afrique, mais je peux vous dire la même chose sur l’Amérique latine. Tel ou tel pays est mieux placé pour être leader pour faire une déclaration. C’est tout l’intérêt des politiques communes européennes à terme quand elles seront constituées. Si vous regardez le potentiel français au Maghreb, au Proche-Orient, en Afrique, le potentiel espagnol en Amérique latine, le potentiel anglais dans une grande partie du Commonwealth encore aujourd’hui, le potentiel allemand en Europe orientale, si on additionnait cela, au lieu de penser en terme de concurrence, nous arriverions à une capacité potentielle de l’Europe en matière de diplomatie mondiale extraordinaire. Mais, il faut travailler. Cela ne s’improvise pas. Il y a des réalités nationales différentes. Donc, il faut les faire acheminer vers des objectifs communs. Les ministres des Affaires étrangères se voient au moins tous les mois dans le Conseil Affaires générale et passent en revue toute une série de questions et, années après années, il est en train de se créer un corpus. C’est une grande partie de l’activité de l’Union européenne.

Q. – Vous soulignez, au cours de votre discours, la suprématie américaine actuelle. En ce qui concerne l’Afrique, est-ce que la France n’est pas en train de perdre des positions économiques, géopolitiques, culturelles, face à cette superpuissance ?

R. – Non, je ne pense pas. Les Etats-Unis sont une superpuissance dans le monde actuel et, depuis la fin de l’URSS, ils sont la seule superpuissance. C’est un fait. On disait avant il y avait deux superpuissances et tout le monde s’accommodait de ce constat. Donc, aujourd’hui il n’y a plus qu’une superpuissance. Je ne vois pas ce qui doit choquer. Il s’agit simplement de savoir comment se déterminer face à cette superpuissance dont nous sommes l’ami, l’allié. Il y a de nombreuses raisons politiques et historiques. Et par rapport à laquelle on n’a pas de raison de s’aligner parce qu’on peut être d’accord à certains moments, en désaccord à d’autres, et dans les deux cas, il faut savoir le dire sans complexe. Dans le cas de l’Afrique, c’est un peu différent. L’Afrique à cette époque de la mondialisation s’ouvre à toutes les influences. Et c’est vrai dans les deux sens. Beaucoup de gens ont été frappés par la question du Zaïre, mais au Zaïre, la France a toujours eu des positions économiques absolument marginales. Qui a eu de l’influence au Zaïre depuis toujours ? Ce sont les Anglo-saxons, les grandes entreprises anglo-saxonnes. Et politiquement, les Etats-Unis, pour l’essentiel. Il y a une sorte d’illusion d’optique. En revanche, l’influence française n’est pas cantonnée dans la zone très importante des pays africains liés à la France depuis toujours. L’Afrique du Sud, par exemple : il y a quelques années, la France était inexistante en Afrique du Sud. Aujourd’hui, la France y a des positions économiques et politiques significatives. Il faut avoir une vision globale parce que cela bouge dans les deux sens.

Q. – Donc, la théorie des dominos telle qu’elle était avancée, je crois par certains militaires français en Afrique, n’est pas valable ?

R. – Non, je ne pense pas qu’ils faisaient allusion aux Etats-Unis. Si c’était appliqué à l’influence américaine par rapport à l’influence française, ce serait une explication simplette. Et je ne crois pas que cela portait là-dessus. Je crois que cela portait sur des faits beaucoup plus localisés, les prises du pouvoir dans 2 ou 3 pays d’Afrique centrale par contagion, les uns par rapport aux autres. De toute façon, cela ne rend pas compte de la situation globale en Afrique.

Q. – Dernière question. Un des rôles de la diplomatie française c’est de contribuer à résoudre les conflits. Je pense au Congo et aux difficultés des négociations d’Omar Bongo. La France ne pourrait-elle pas faire mieux dans sa propre zone d’influence ?

R. – La France fait déjà beaucoup dans l’affaire du Congo-Brazzaville où il y a très malheureusement des affrontements violents entre les partisans du président sortant, dont le mandat expire le 31 août et les partisans de l’ancien président et malheureusement ces affrontements, au lieu de se limiter sur le terrain politique, ont été portés sur le terrain de l’affrontement armé. Et la France fait tout ce qu’elle peut, mais pas seule. Et l’action française prémonitoire de soutien à la médiation du président Bongo, qui est lui-même secondé par un envoyé spécial de l’ONU qui est l’ambassadeur Sahnoun, est une action de la communauté internationale. Ce n’est pas une action spécifiquement française. Je ne veux pas diminuer les mérites de la France, mais elle est très active dans ce cadre. Malheureusement, la communauté internationale n’arrive pas encore à régler le problème. Ce n’est pas une question purement française. Cela dit, l’essentiel est d’arriver à convaincre les parties qui s’affrontent au Congo-Brazzaville de renoncer à l’affrontement armé et de revenir à l’affrontement politique, à l’affrontement démocratique normal. C’est tout l’enjeu de la modernisation politique de l’Afrique, de cette période de transition. Le sens politique est très clair. Pas d’ingérence et un soutien systématique à tous les efforts de médiation et à tous les efforts politiques.

Q. – Que pensez-vous d’autres propositions de médiations, telles que celles de M. Kabila ?

R. – Je ne sais pas très bien en quoi elles consistent. Ce que j’ai noté c’est que les acteurs de la médiation qui étaient encouragés par l’ONU et l’OUA, le président Bongo et l’ambassadeur Sahnoun, sont un peu embarrassés avec cette médiation. Si elle est dans le bon sens, dans le sens de la pacification entre les parties en présence, pourquoi pas, mais il est difficile aujourd’hui d’en apercevoir l’inspiration, la réalité et le contenu concret. A priori, on ne peut être contre aucune médiation mais l’essentiel est de faire en sorte que la médiation entreprise, non par la France mais par le président Bongo, le responsable des Nations unies et avec le soutien du Conseil de sécurité et avec l’accord de l’OUA puissent enfin déboucher.

Je vous remercie.