Texte intégral
Le Figaro du 19 juin 1996
Le Figaro : Quels sont les points forts de votre projet de préparation du XXIXe congrès ?
Robert Hue : Je souhaite que cette préparation constitue une nouvelle étape de la vie démocratique du PCF et de son ouverture sur la société française pour mieux saisir ses mutations, ses blocages et surtout ses attentes. « La parole aux communistes », « À l’écoute de la société », voilà les deux orientations essentielles à mes yeux pour réussir ce XXIXe congrès.
Le Figaro : Comment allez-vous tenir compte des exigences réformistes des amis de Guy Hermier, de celles de Philippe Herzog, de celles de Georges Marchais et de celles du groupe ultra-orthodoxe de Rémy Auchedé ?
Robert Hue : S’imaginer le PC en proie à une bataille entre différents « groupes » ne correspond pas à la réalité. Des opinions différentes s’expriment. Trois de mes amis que vous citez sont membres du bureau national. Il s’est précisément réuni hier. Il a collectivement travaillé à la préparation du congrès sur la base d’un accord unanime quant à la façon de le préparer. Avec le souci de faire en sorte que les communistes aient à connaître de toutes les approches, de toutes les opinions exprimées et qu’ils en débattent sereinement et de façon constructive. Afin de prendre en toute souveraineté leurs décisions au terme du débat.
Le Figaro : Où est la patte de l’équipe Hue dans la préparation du XXIXe congrès ?
Robert Hue : Il y a une préparation très collective de ce congrès. Et il vient de se passer un événement très important : les communistes ont été consultés pour savoir comment ils souhaitaient préparer leur congrès. Quelle méthode ? Quel contenu ? Ils ont répondu massivement. Avec beaucoup d’esprit d’initiative et l’expression d’une forte volonté de débat permettant l’enrichissement de la réflexion collective par l’apport de tous dans la diversité. Si l’on veut bien reconnaître là la marque d’une conception qui m’est chère, j’en suis content.
Le Figaro : Il y a quelques mois, vous estimiez que la direction du PCF n’avait pas à peser sur les mouvements sociaux. À quelques mois du congrès, votre présence dans une manifestation sociale est-elle le signe d’une concession faite aux traditionnalistes communistes ?
Robert Hue : J’ai toujours dit qu’il appartient aux salariés et à leurs syndicats de décider de la forme et des mots d’ordre de leurs mouvements. Il se trouve que les dirigeants des trois grandes fédérations syndicales, CGT, CFDT, FO de l’énergie, m’ont invité à participer à leurs manifestations après une rencontre où nous avons constaté la convergence de nos points de vue et à l’issue de laquelle je me suis adressé au président de la République pour exprimer mon soutien à leur refus de démantèlement des services publics, qu’il s’agit au contraire de rénover et démocratiser. Voilà la signification de ma présence.
Le Figaro : Les réformateurs les plus déterminés, comme Guy Hermier, vous demandent, pour le XXIXe congrès, l’abandon de la conception d’un parti issue de la IIIe internationale. Êtes-vous prêt à vous lancer, comme ils le souhaitent, dans une formation dans laquelle le PCF se dissoudrait dans un ensemble politique plus large réunissant sous une même bannière les communistes, les contestataires, les ex-communistes et ceux qui partagent vos options fondamentales sur l’argent et la société ?
Robert Hue : Je me garde de coller des étiquettes sur qui que ce soit… Quant à la « forme-parti » issue de la IIIe internationale, après avoir rejeté la conception de la dictature du prolétariat, les dogmes du marxisme-léninisme, l’auto-proclamation du parti comme guide du peuple, le centralisme démocratique… il n’en reste strictement plus rien. Nous voulons aller de l’avant dans notre mutation, être un Parti communiste d’un nouveau type. Profondément communiste dans son opposition à la domination de l’argent pour l’argent et sa volonté de contribuer à changer la société, à changer le monde dans le sens que je viens d’indiquer. Un parti profondément démocratique dans la valorisation du rôle propre des hommes et des femmes qui le composent, proche des gens, ouvert, dynamique unitaire et rassembleur. Nous y travaillons.
Dans ce parti – et l’expérience le montre et le montrera encore au XXIXe Congrès – la diversité est reconnue et son expression garantie. Des communistes qui ne pensent pas comme la majorité y ont leur place, qu’ils y soient restés et qu’ils s’en soient trouvés écartés. Il nous faut créer les conditions du rassemblement de tous ceux qui, dans le parti ou proche de lui, sont des communistes de cœur. C’est indispensable pour que cette force communiste joue tout son rôle au service du changement.
Le Figaro : Comment concevez-vous votre fonction tribunicienne et d’encadrement des mécontents de la gauche ?
Robert Hue : Nous ne cherchons pas à encadrer mais à contribuer au développement de la prise de parole et de l’intervention des salariés, des citoyens. Nous accordons beaucoup d’importance à ce que vous appelez notre fonction tribunicienne. Mais notre identité ne s’y réduit pas. Nous voulons être et toujours mieux le parti de la contestation de l’ordre établi, d’opposition à la droite et à l’extrême droite, de proposition, de construction pour trouver des solutions aux problèmes de notre société pour la changer
Le Figaro : La participation à un gouvernement en cas de victoire de la gauche en 1998 est-elle votre priorité ?
Robert Hue : Nous souhaitons un changement profond de politique et nous sommes, bien sûr, pour que des ministres communistes contribuent à la mise en œuvre de cette politique nouvelle. Je le répète : la question, c’est des ministres communistes pour quoi faire ? Pour quelle politique ?
Le Figaro : Croyez-vous que la PS est aujourd’hui encore un parti qui, au gré de ses projets et des événements, vire inéluctablement à droite ?
Robert Hue : La gauche est pluraliste. À l’évidence, le PS et le PC, ce n’est pas la même chose. Et l’expérience de la décennie 80 est encore dans les mémoires du peuple de gauche. Comment éviter de nouvelles déceptions dont les conséquences seraient cette fois catastrophiques ? À celles et ceux qui se posent cette question, je veux soumettre deux réflexions. Contre le retour aux errements du passé, pour qu’une politique nouvelle soit cette fois bien conçue et mise en œuvre, la principale garantie n’est-elle pas leur propre intervention pour que l’union ne soit pas seulement et principalement affaire d’états-majors mais, avant tout, leur affaire à eux ? L’affaiblissement du PCF n’a-t-il pas été aussi un handicap important pour celles et ceux qui auraient voulu que les engagements pris soient tenus ? Il faut que le PC compte davantage. Je le vois, moi, comme le cœur de la gauche.
Le Figaro : Votre stratégie cherchant à peser sur le PS ira-t-elle en 1998 jusqu’à faire battre les candidats socialistes et ceux de la gauche non socialiste ne partageant pas votre analyse sur l’influence de l’argent dans la société ?
Robert Hue : L’adversaire des communistes, c’est la droite et l’extrême droite. En 1998, nous appellerons des millions de Françaises et de Français au vote utile, avec le bulletin de votre communiste pour s’opposer à la droite et exiger de réels changements dans la politique du pays.
TF1 : vendredi 21 juin 1996
TF1 : Cet accord de Florence vous satisfait ?
R. Hue : Non, ça ne va pas. Il faut faire beaucoup plus. Il faut indemniser – vous parlez naturellement des éleveurs –, il me semble qu’il faut indemniser en totalité les éleveurs qui ont été touchés. Il faut également bien prendre en compte que des gens ont fait des profits en important de farines contaminées. Eh bien, eux, ils doivent payer, aujourd’hui, naturellement. Et puis, il ne faut pas lever l’embargo tant que les mesures ne sont pas prises – et j’ai bien entendu ce qu’a dit le président Chirac tout à l’heure –, je ne pense pas qu’il faille s’orienter vers cette politique-là.
TF1 : Vous pensez qu’à l’époque, le Gouvernement aurait dû bloquer ces importations ?
R. Hue : Absolument. Ce Gouvernement aurait dû bloquer les choses. Et puis, depuis des années, les gouvernements qui se sont succédés auraient dû prendre des mesures, ainsi que la Commission de Bruxelles en son temps. Je l’ai dit, d’ailleurs.
TF1 : Le SMIC ne va être revalorisé que du strict minimum. On l’a vu, les éleveurs sont dans la rue, mais on a tout de même le sentiment que ça se calme un peu par rapport aux grandes grèves de l’hiver dernier.
R. Hue : Je ne crois pas qu’il y ait, dans les mesures politiques prises par A. Juppé quelque chose de nature à calmer l’angoisse et les difficultés des salariés de ce pays, des citoyens de ce pays. Je pense que la politique que mène A. Juppé actuellement conduit la France au désastre, et je pèse mes mots. Il faut bien voir que cette société est écrasée par les profits financiers, par les marchés financiers. A. Juppé se plie aux marchés financiers. Permettez-moi deux exemples.
TF1 : Il ne le fait pas moins ou plus que son ancien prédécesseur P. Bérégovoy, par exemple.
R. Hue : Écoutez, la politique se poursuit, s’aggrave. Regardez Moulinex, quand même, franchement ! On annonce 2 600 licenciements à Moulinex, alors qu’il y a des millions de profits qui ont été faits dans cette entreprise. C’est terrible, cette annonce, parce que ça va entraîner des souffrances, des difficultés pour les gens. Le lendemain même, à la Bourse, les actions de Moulinex montent de 21 %. C’est-à-dire qu’il y en a qui, avec le malheur des gens, font en fait monter les choses à la Bourse. Roussel-Uclaf – je prends un deuxième exemple parce qu’il faut être précis –, les chercheurs viennent de trouver une molécule qui est capable de mieux soigner le cancer du sein. La société, le patron de la société décide qu’on ne fabriquera pas le médicament. Pourquoi ? Parce que ça ne rapporte pas d’argent. Une société qui est basée sur ce fric à tout va, cet argent qui écrase tout, qui pollue tout, c’est une société qu’il faut changer. C’est pour ça qu’il faut absolument une alternative à cette politique que mène le pouvoir actuel, que mène A. Juppé et qui va complètement dans le sens de ce soutien aux marchés financiers.
TF1 : Justement, en parlant d'alternative, il y a les élections législatives de 98. Comment voyez-vous le climat politique ? Et est-ce vous allez les mener, ces législatives, avec le Parti socialiste ?
R. Hue : Nous en avons beaucoup discuté, puisque nous avons réuni nos instances pour évoquer le congrès, on en parlera peut-être tout à l'heure. Mais je crois qu'il faut changer les choses dans ce pays, je viens de le dire à l'instant. Il me semble vraiment, délibérément, pour changer vite les choses.
TF1 : C'est-à-dire pour gouverner, pour être au pouvoir ?
R. Hue : Y compris pour participer au gouvernement de la France. Mais j'ai dit l'autre jour, pour quelle politique ? Pour quoi faire ? Des ministres communistes : pour faire quelle politique ? Les communistes vont en discuter dans les mois qui viennent, nous définissons ce que doit être une politique de gauche parce qu'il ne faut pas aller au pouvoir pour occuper un poste ministériel. Il faut aller au pouvoir pour changer les choses. Les Français ont besoin que l'on change les choses dans ce pays, profondément. Donc, il y a un certain nombre d'éléments de base à prendre en compte pour une politique de gauche. Il faut des mesures qui s'attaquent aux inégalités ; il faut utiliser l'argent autrement ; il faut des droits nouveaux pour les salariés et les citoyens de ce pays ; et puis il faut complètement reconsidérer ce qu'est la politique européenne aujourd'hui, qui va dans le sens de la libre-circulation du capital, des marchés financiers. Il y a là des éléments concrets qui sont de nature à apporter des réponses de gauche dans ce pays. Là, pour une politique de gauche, nous sommes pour. Ça ne dépend pas seulement de nous, ça dépend aussi de l'intervention des Françaises et des Français, des citoyens qui veulent cette politique de gauche.
TF1 : Et sur cette ligne, est-ce que votre parti va vous suivre, entre les « refondateurs », les « orthodoxes » ?
R. Hue : Écoutez, le congrès qui est convoqué depuis aujourd'hui, le congrès du Parti communiste qui se tiendra en décembre, a été l'objet, là, pendant 3 jours, de travaux très sérieux, très importants de notre comité national. Je crois qu'il s'est passé quelque chose de très important au Parti communiste. La mutation qui a été engagée va se poursuivre. D'ailleurs, les communistes qui ont été consultés pendant un mois sur la façon dont il fallait préparer le congrès ont dit : il faut continuer cette mutation. Il y a des innovations importantes. Vous parlez d'orthodoxes, de refondateurs. Je ne veux pas faire des petites tâches.
TF1 : Il y a G. Marchais et il y a G. Hermier.
R. Hue : La diversité, aujourd'hui, au Parti communiste est une vraie richesse. Mais ce qui est certain c'est que, effectivement, à l'occasion de ces débats, nous avons vu s'exprimer des sensibilités. Eh bien, les communistes, avant – il faut dire les choses –, il y avait un texte ficelé, officiel dès le début que les communistes pouvaient amender. Aujourd'hui, nous voulons aborder le congrès complètement différemment, ouvert sur la société française. Et cette préparation de congrès va se faire, les communistes auront là la réflexion du comité national où figure l'opinion de la majorité, mais aussi l'opinion de ceux qui ne partagent pas cette opinion majoritaire. Je crois que c'est très, très important. C'est une avancée démocratique très importante.