Déclaration de M. Charles Millon, ministre de la défense, sur les principales orientations de la neuvième loi de programmation militaire (1997-2002), et réponse à des questions à l'Assemblée nationale les 5 et 6 juin 1996 et déclaration au Sénat le 19.

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Circonstance : Examen du projet de loi relatif à la programmation militaire 1997-2002 à l'Assemblée nationale les 5 et 6 juin et au Sénat le 19 juin 1996

Texte intégral

Assemblée nationale - Mercredi 5 juin 1996

Monsieur le président,
Monsieur le président de la commission de la défense, 
Mesdames et Messieurs les députés,

Introduction

Le projet de loi de programmation militaire pour les années 1997-2002 que j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à votre approbation constitue la pierre angulaire d'une réforme sans équivalent de notre défense. Parce qu'elle est stratégique, cette programmation s'inscrit dans une planification 1997-2015. Parce qu'elle est politique, cette réforme est l'aboutissement d'un long processus de préparation, de concertation, de consultation.

Elle a été précédée par la décision du président de la République d'achever l'ultime campagne d'essais nucléaires destinés à garantir la crédibilité à long terme de notre force de dissuasion.

Elle a été préparée dès le mois de juillet 1995 par le comité stratégique mis en place au sein du ministère de la Défense.

Elle a été élaborée en Conseil de défense.

Elle a été exposée devant les Français, le 22 février dernier, par le président de la République.

Elle a donné lieu, dans les deux assemblées, à un débat d'orientation qui s'est déroulé à la fin du mois de mars.

La programmation 1997-2002 constitue le premier élément d'un vaste ensemble législatif qui comprendra :
    – un projet de loi sur le nouveau service national ;
    – un projet de loi d'organisation des réserves ;
    – des mesures législatives destinées à faciliter la professionnalisation de nos forces.

En moins de 18 mois, tous les aspects de notre politique de défense auront ainsi été réexaminés.

En sollicitant votre approbation sur une nouvelle loi de programmation, le Gouvernement ne vous demande pas, Mesdames et Messieurs les députés, de vous déjuger. Vous le savez, le présent projet de loi accomplit la démarche engagée à la suite du Livre blanc sur la Défense de février 1994.

En aucun cas nous ne vous demandons de remettre en cause ses analyses stratégiques et ses conclusions. En revanche, nous vous demandons de prendre en compte :
    – le contexte institutionnel issu de l'élection présidentielle ;
    – les exigences budgétaires.

La situation institutionnelle actuelle rend enfin possible la pleine adaptation de notre outil de défense au nouveau paysage stratégique.

L'élection présidentielle de mai 1995 a radicalement changé la donne. À la différence de la plupart de ses alliés, la France n'a pas immédiatement tiré toutes les conséquences du changement géostratégique intervenu en 1989. Malgré l'apport du Livre blanc, elle en a également été empêchée, entre 1993 et 1995, par le contexte institutionnel de la cohabitation.

C'est ainsi que des questions aussi essentielles que les modalités de la modernisation de notre force de dissuasion, l'avenir du service national ou la restructuration de notre industrie de défense n'ont pu être tranchées. Chacun en reconnaissait pourtant la nécessité.

À peine nommé, le président de la République, chef des armées a fait de la réforme de notre défense un des principaux axes de son action.

La deuxième exigence qui inspire cette programmation est d'ordre budgétaire : l'effort que la Nation consacre à sa défense doit être compatible avec les moyens dont elle dispose.

En juin 1994, le Parlement a adopté un projet prévoyant une augmentation régulière des crédits d'équipement alloués aux armées.

L'année même du vote de la loi, ce sont pourtant plus de 5 milliards de francs qui ont été gelés dans les écritures du ministère de la Défense. En 1995, le budget de l'État s'est trouvé confronté à de telles difficultés que 7 milliards ont été mis en réserve dès le début de l'année. Au total, près de 12 milliards ont été annulés l'année dernière sur le titre V des années.

Comme le président BOYON et Arthur PAECHT l'ont tout récemment souligné devant vos commissions de la défense et des finances et comme le débat d'orientation budgétaire pour 1997, qui s'est tenu dans cette enceinte, l'a bien montré, nous avons pris conscience, en deux ans, de la menace que représente, pour notre pays, la dégradation de ses comptes publics. Nous mesurons du même coup la nécessité de concevoir une programmation militaire qui résiste cette fois à l'épreuve du temps.

La Défense a donc ouvert la voie de la réduction des dépenses publiques. Avec 185 milliards de francs 1995, la programmation pour les années 1997-2002 sera en effet en retrait de près de 20 milliards de francs sur la précédente. Mais pour la première fois la programmation des ressources couvre la totalité des dépenses militaires. Mais ces ressources seront actualisées chaque année. Mais ces ressources sont garanties par un engagement personnel du président de la République.

La programmation militaire 1997-2002 que vous examinez aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, est la neuvième depuis 1958. Elles n'ont pas toutes eu la même dimension.

Il y a les lois d'ambition qui engagent une rénovation de la défense à travers une transformation des procédures et une réforme des structures.

Il y a les lois de gestion qui se limitent à prolonger l'existant.

La programmation 1997-2002 relève, à l'évidence, de la première catégorie. Elle engage notre appareil de défense dans une mutation aussi importante que celle qui marqua, sous l'impulsion du Général de Gaulle, les débuts de la Vème République. Elle est éminemment stratégique par l'analyse qu'elle traduit, la volonté qu'elle exprime, l'attitude qu'elle affirme.

L'analyse qui fonde la réforme actuelle, est celle du Livre blanc de 1994.

La volonté que traduit cette réforme, consiste à tirer toutes les conséquences du nouveau paysage stratégique pour organiser différemment les moyens de défense.

L'attitude qui guide le Gouvernement privilégie les nouvelles missions de notre défense par rapport aux habitudes et aux traditions. Vous connaissez notre ambition : doter la France, d'ici à 2002, d'une défense plus moderne, plus efficace, moins coûteuse. C'est pourquoi la loi de programmation va poursuivre quatre ambitions fondamentales :
    – réussir la professionnalisation et le changement de format de l'année française ;
    – poursuivre la modernisation de l'équipement de nos forces en les dotant d'une nouvelle génération de matériels ;
    – restructurer notre industrie de défense ;
    – approfondir l'ancrage européen de notre défense.

A. Les ambitions de cette programmation

I. – La professionnalisation des armées

Le premier objectif de cette programmation, c'est de relever l'immense défi humain du passage à l'armée professionnelle.

Quelles sont les raisons de la professionnalisation ? Dois-je rappeler que si nos frontières sont en paix, le monde, lui, ne l'est pas ? Dois-je rappeler le rôle nouveau des forces conventionnelles et la nécessité de la projection ? Face aux nouveaux défis de notre défense, la loi du nombre est caduque. La levée en masse n'est plus d'actualité.

Augmenter le nombre des engagés, réduire le nombre d'appelés, réviser les formats des armées : voilà donc le pari de la programmation. Pour le relever, nos armées doivent accomplir trois révolutions : une révolution opérationnelle, une révolution structurelle, une révolution culturelle.

Qu'est-ce que la révolution opérationnelle ? L'accent mis sur le métier, l'entraînement et le savoir-faire des hommes. Ils devront servir des systèmes d'armes de plus en plus complexes. Ils auront à former des forces cohérentes, disponibles, aptes à assurer la protection des intérêts vitaux de la France, capables de s'associer, pour la défense de l'Europe ou le règlement de crises internationales, avec des unités alliées. C'est pourquoi il sera entre autres indispensable d'adapter les moyens d'enseignement, de fondation et d'entraînement des hommes.

Qu'est-ce que la révolution structurelle ? C'est le resserrement général des formats à l'exception de celui de la gendarmerie ; c'est la priorité donnée à l'adaptation permanente des moyens aux besoins. La marine et l'armée de l'air étaient déjà engagées assez loin dans la voie de la professionnalisation : il faut la mener à son terme. Dans le même esprit, l'armée de terre, dont les effectifs passeront de 268 600 aujourd'hui à 172 600 en 2002 verra succéder à sa structure divisionnaire traditionnelle, quatre forces « robustes », une force blindée, une force mécanisée, une force d'intervention blindée rapide et une force d'infanterie d'assaut.

Qu'est-ce que la révolution culturelle ? C'est un véritable changement de « système d'hommes », avec la fin de la conscription militaire, la réforme du service national, la redéfinition de la mission de nos armées. La réussite de cette réforme sera due en grande partie à des personnels militaires et civils qui en mesurent l'enjeu à l'aune de l'intérêt national, de la sécurité, de l'indépendance et du rayonnement de la France. Saluons la capacité d'adaptation, qui va parfois jusqu'à l'abnégation, de ces personnels qui placent la pérennité de la défense avant même la poursuite de leur carrière.

II. – La modernisation des équipements

Le deuxième grand chantier de la programmation concerne la modernisation des équipements.

L'histoire de la défense est ponctuée de bouleversements politiques, rythmée par des évolutions stratégiques, jalonnée d'étapes technologiques. Aujourd'hui deux phénomènes se télescopent :
    – du fait des nouvelles techniques de communication, l'espace se rétrécit tandis que le temps s'accélère ;
    – la fin de la guerre froide dessine une nouvelle aire stratégique.

L'électronique et l'information sont donc les nouveaux instruments de la guerre.

La France ne peut pas manquer ce rendez-vous stratégique et technologique. La programmation permettra l'arrivée d'une nouvelle génération d'équipements. Livrée à un rythme moins rapide que dans la programmation précédente, elle confortera les capacités opérationnelles des forces et modèlera une défense plus efficace.

Une défense plus efficace pour le combat classique. Priorité va à l'arrivée de nouveaux systèmes d'armes, comme le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, le Leclerc, le Rafale, le Tigre, la frégate Horizon, associés à des années intelligentes comme les antichars longue portée de troisième génération, les missiles de croisière de précision de la famille Apache et SCALP, les armements guidés laser…

Une défense plus efficace pour dissuader. La France disposera, dans six ans, de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins dont trois de nouvelle génération. Un quatrième sous-marin de nouvelle génération sera commandé en 2000. En outre, notre dissuasion conservera, grâce au missile balistique M51 et au missile aérobie ASMP amélioré, toute la souplesse et la diversité qui lui permettront de rester pertinente et crédible en toutes circonstances.

Une défense plus efficace pour prévenir les crises. Priorité est donnée aux systèmes stratégiques de renseignement. Le deuxième satellite Helios I B sera lancé au cours de la programmation. HELIOS II, qui sera lancé en 2001, disposera d'une résolution optique améliorée et d'une capacité infrarouge. La génération des satellites­radars tout temps HORUS sera développée pour un lancement en 2005.

Une défense plus efficace pour agir si nécessaire en coalition avec nos alliés. Un effort particulier sera consenti en faveur des systèmes de commandement interarmées, comme le SICA. La capacité de projeter les éléments d'un quartier général interarmées de théâtre sera également acquise en 2000. Cet état-major opérationnel donnera à la France des capacités de commandement nouvelles. Elle lui permettra de participer à la constitution des GFIM dans le cadre d'une Alliance atlantique rénovée.

Certes, une modernisation de cette ampleur ne se fait pas en un jour. Pour la mener à bien, les chercheurs ont besoin de temps, les industriels d'une assurance financière, les états-majors d'une régularité dans les commandes et les livraisons. C'est pourquoi il est si important que le président de la République se soit engagé personnellement sur le montant des crédits d'équipement.

Mais sans une industrie de défense capable de répondre à nos besoins, l'argent et la volonté politique demeureraient sans effet. Fidèles à l'enseignement du général de Gaulle, nous savons qu'une politique d'indépendance s'appuie nécessairement sur une industrie forte, autonome, performante.

Ill. – La restructuration de l’industrie de Défense

Quelle est l'ambition industrielle de cette programmation ?

C'est d'accompagner l'émergence de groupes industriels dont la vocation est triple :
    – fournir à l'année française les équipements les plus adaptés et les plus modernes ;
    – développer les exportations sur le marché mondial ;
    – contribuer de façon essentielle à l'autonomie stratégique et à la dimension politique de l'Europe.

Fournir à notre armée les équipements les plus adaptés et les plus modernes, voilà la première vocation de l'industrie de défense.

Nous disposons, aujourd'hui, de scientifiques, d'ingénieurs, d'ouvriers qui comptent parmi les meilleurs du monde. Les performances de nos équipements font de notre pays une puissance militaire et technologique de premier rang.

Si nous réorganisons GIAT industries, ce n'est donc pas dans l’unique perspective d'un apurement financier, mais pour permettre à cette entreprise qui réalise un char sans équivalent dans le monde, le LECLERC, de retrouver la voie de la viabilité et de la rentabilité.

Si nous rationalisons les structures de la DCN et préparons une adaptation de ses effectifs, c'est pour maintenir le fleuron de la construction navale militaire ; je rappelle simplement les contrats conclus ou en cours de négociation, avec des pays fort divers, sur le programme de la frégate HORIZON.

Notre industrie a ensuite une vocation naturelle à être exportatrice.

Pour maintenir notre capital industriel, technologique et humain, il faut des structures viables du point de vue de la concurrence et fiables du point de vue du marché. Or la baisse des budgets militaires au niveau mondial, l'offensive d'une industrie américaine restructurée ont conduit les États-Unis à conquérir des marchés chez des clients traditionnels de la France. Il est donc indispensable de réagir par une politique d'exportation volontaire, novatrice et responsable. Ce sera l'une des suites de cette loi de programmation.

Notre industrie de défense a enfin vocation à contribuer à l'autonomie stratégique et à la dimension politique de l'Europe.

Pour équilibrer la puissance américaine, nous aurons besoin d'ensembles industriels européens qui structureront du même coup la défense européenne.

Si nous privatisons Thomson, si nous rapprochons Aérospatiale et Dassault, c'est pour rassembler nos activités électroniques et aéronautiques autour de pôles d'excellence. Leur vocation est, d'emblée, de s'unir à d'autres groupes européens.

Si nous avons entrepris une démarche originale en ce qui concerne l'ATF, c'est que nous voulons organiser à la fois l'offre (avec la constitution d'un consortium européen) et la demande (avec des commandes harmonisées de tous les pays européens) autour du pôle aéronautique dans la perspective d'un grand marché européen de l'armement. Je souhaite vivement que cet exemple soit suivi, pour d'autres équipements, par les autres secteurs de l'industrie de défense.

La France et l'Allemagne, je puis vous l'annoncer, viennent de se mettre d'accord pour proposer à leurs partenaires européens une approche commerciale pour la fabrication, la vente et le développement de l'ATF.

Si nous donnons, malgré une forte contrainte budgétaire, la priorité aux programmes européens, c'est que les solidarités techniques doivent avoir la même intensité que les solidarités politiques. Je citerai les programmes d'hélicoptères Tigre et NH90, la frégate Horizon, le système de missiles antiaériens FSAF, le véhicule blindé de combat d'infanterie… L'industrie de défense n'est, bien sûr, qu'un élément de l'ancrage européen de notre défense.

IV. – L’ancrage européen de notre défense

Au terme de cette programmation, notre défense aura affirmé sa dimension européenne dans tous les domaines.

Vous le savez bien, Mesdames et Messieurs les députés : la construction de l'identité européenne de défense fait partie de l'ambition de la France.

Car l'identité européenne de défense confèrera à l'Union européenne sa pleine capacité politique.

Car l'identité européenne de défense permettra la rénovation de l'Alliance atlantique.

Car l'identité européenne de défense contribuera de façon essentielle à assurer la protection des intérêts vitaux de la France.

C'est donc à travers les quatre fonctions essentielles de dissuasion, de projection, de prévention et sa protection que cette identité européenne de défense pourra s'enraciner.

C'est pourquoi le Premier ministre a proposé à nos partenaires l'idée de dissuasion concertée. Notre dissuasion doit contribuer à la dissuasion globale des menaces qui peuvent nous viser, nous et nos alliés. La dissuasion nucléaire pourrait revêtir, si nos partenaires le souhaitent, une dimension européenne plus marquée.

C'est pourquoi l'ensemble de nos forces de projection de puissance sera disponible pour assurer le respect de nos engagements européens et atlantiques. La professionnalisation de nos forces accroîtra la capacité et la disponibilité du Corps européen, de l'Eurofor et de l'Euromarfor. La mise au point de nouvelles structures de commandement prévue par la programmation prouve à quel point la réforme de la défense française, la construction de l'identité européenne de défense et la rénovation de l'Alliance sont liées.

C'est pourquoi nous appelons à une intensification des coopérations avec nos partenaires européens en matière de prévention, de renseignement et d'observation spatiale. La valeur des programmes HELIOS et HORUS est non seulement industrielle et technologique, mais aussi opérationnelle : ces satellites constituent l'une des clés de l'autonomie stratégique de l'Europe.

C'est pourquoi la protection de notre territoire doit s'inscrire dans une dimension européenne. Parce que de nombreuses menaces se jouent des frontières, parce que la libre circulation est un principe essentiel de l'Union européenne, la coopération doit se renforcer entre nos moyens de sécurité intérieure et ceux de nos voisins et alliés.

Je ne peux conclure sur ce point, sans dire un mot des résultats de Berlin et de Dijon.

Le Conseil atlantique de Berlin constitue pour l'Europe et pour l'Alliance un vrai succès. Ses décisions répondent aux objectifs et aux principes que la France a fait valoir ces derniers mois. C'est tout le mérite de notre diplomatie et le résultat des relations de confiance établies avec les États-Unis. Ces décisions font de la prise en compte de l'identité européenne de défense l'élément central de la rénovation des structures de l'OTAN. C'est à tous égards un événement historique.

Ainsi, les décisions de Berlin constituent un premier pas décisif vers l'harmonisation des perspectives européennes en matière de défense et la pérennisation d'une Alliance à laquelle nous demeurons fondamentalement attachés. Un travail important reste à accomplir jusqu'aux prochaines rencontres de la fin de l'année. Il s'engagera dès la semaine prochaine, lorsque je siègerai moi-même, pour la première fois, au Conseil atlantique avec mes collègues de la Défense. Si nous parvenons aux résultats concrets que nous souhaitons, la France pourra alors envisager de participer, sur un pied d'égalité, à cette Alliance profondément rénovée.

Quand au sommet franco-allemand de Dijon, que j'ai quitté il y a deux heures, il est l'occasion de donner une nouvelle dimension aux relations bilatérales. Le président de la République et le Chancelier s'y sont attachés personnellement et ont défini un programme de travail ambitieux. J'ai présenté avec le ministre des Affaires étrangères les grandes lignes d'un concept franco-allemand de défense. Ce document témoigne d'une très grande convergence de vues des deux pays sur l'analyse de notre environnement et de notre sécurité, sur la stratégie de défense, sur les missions des forces armées et la politique d'équipement militaire. Il fera l'objet de propositions complémentaires sur la coopération militaire et en matière d'armement d'ici la fin de l'année. En ce qui concerne l'armement, au-delà de difficultés conjoncturelles, la volonté reste entière de poursuivre la construction d'une base industrielle et technologique commune.

Il convient de saluer la ténacité du président de la République et du Premier ministre qui ont engrangé ces succès.

B. – La dimension humaine de cette programmation

Vous savez bien, Mesdames et Messieurs les députés, que la programmation militaire ne peut se réduire à l'administration des choses. Elle doit s'inscrire dans le gouvernement des hommes.

En engageant cette réforme, nous n'obéissons pas à une vision désincarnée du changement, nous n'adoptons pas une démarche mécanique et froide.

J'ai conscience des contraintes personnelles et familiales que la réduction des effectifs d'officiers et de sous-officiers, la mobilité accrue par la réorganisation des armées feront peser sur le personnel militaire et civil du ministère de la Défense.

Je sais les efforts d'adaptation que réclamera l'évolution vers une industrie de défense ouverte sur l'Europe, plus compétitive et plus forte.

Je n'oublie pas que de nombreuses collectivités locales vivent au rythme des sites militaires et des établissements industriels qui sont implantés sur leur territoire.

Je peux vous assurer que l'accompagnement économique et social des restructurations est au centre de mes préoccupations.

I. – C'est d'abord une attention permanente aux hommes

La réduction du format des armées de 573 100 aujourd'hui à 440 200 hommes en 2002, va provoquer, en même temps qu'un changement de « système d'hommes », des bouleversements en termes de carrière, de vie personnelle et familiale des personnels civils et militaires de la défense.

Doté de 9, 1 milliards de francs, le fonds de professionnalisation assurera le financement des mesures d'incitation au départ, à l'engagement. En créant ce fonds, le Gouvernement a retenu une proposition qui avait été formulée ici-même lors du débat d'orientation de mars dernier.

Les restructurations industrielles, quant à elles, exigeront un certain nombre de reconversions, de reclassements et de mesures d'âge. En ce qui concerne la direction des constructions navales et la direction des applications militaires du commissariat à l'énergie atomique, le gouvernement a décidé de consacrer 4,8 milliards de francs au financement de mesures sociales qui permettront leur adaptation.

II. – Au-delà des conséquences individuelles des restructurations, le Gouvernement va répondre à leur impact sur les régions, les villes, les bassins d'emploi.

Nous le savons tous : la Défense fait intimement partie de l'Histoire de la France. Les régiments, les bases, les usines et les arsenaux ont enraciné la Défense au plus profond du tissu national ; ils ont dessiné une géographie, modelé un paysage, orienté l'activité des hommes.

Avec les restructurations militaires et industrielles, c'est donc toute une géographie, tout un paysage, toute une somme d'activités qui sont appelés à se transformer, à se recomposer, à se regénérer.

Il faut retrouver un équilibre économique pour des bassins d'emploi ; il faut reconvertir des activités industrielles, trouver de nouvelles destinations pour des emprises militaires.

En conséquence, 2,2 milliards de francs, dont près de la moitié sont inscrits dans mon budget au titre du FRED, seront consacrés à la prise en charge des conséquences des restructurations sur l'emploi et l'aménagement du territoire.

Je m'étais engagé devant vous à mettre en place un dispositif de reconversion des bassins d'emplois concernés par les restructurations avant même le dépôt du projet de loi de programmation. Cet engagement est tenu.

Le Premier ministre a présidé, le 25 avril dernier, le premier comité interministériel pour les restructurations de défense et a nommé un délégué interministériel aux restructurations. Les moyens financiers réservés aux reconversions militaires et industrielles représentent trois fois les crédits consacrés à ces actions au cours des années antérieures.

III. – L'efficacité de ce dispositif dépendra avant tout de l'esprit de partenariat et d'innovation des élus et du sens de la solidarité de tous les Français concernés.

Dans cette immense transformation, les élus ont un rôle essentiel à jouer. C'est pourquoi j'ai voulu que le dispositif de reconversion soit géré au plus près des collectivités locales concernées et prenne une forme contractuelle qui sollicite la responsabilité et le dynamisme de chacun.

C'est pourquoi j'ai tenu à ce que l'application de la politique de reconversion soit confiée à des délégués régionaux et à des chargés de mission dans chaque bassin d'emploi.

C'est pourquoi une convention sera conclue avec toutes les régions qui en exprimeront la volonté, comme c'est déjà le cas de l'Aquitaine, Rhône-Alpes, Bretagne et bientôt de Midi-Pyrénées, de la région Centre et de la région Lorraine. Elle sera déclinée dans des protocoles particuliers s'appliquant aux bassins d'emplois les plus touchés.

La politique qui sera mise en œuvre doit être collective. Les entreprises industrielles, l'Union européenne participeront, aux côtés de l'État et des collectivités locales, à son application.

Ma conviction profonde, est que l'engagement des citoyens et de la nation décidera du succès de la réforme.

La professionnalisation des armées ouvre en effet un champ nouveau à l'expression de l'esprit de défense. Le maintien du lien armée-nation, dont l'importance a si souvent été évoqué ces derniers mois, doit résulter d'un véritable échange entre l'institution militaire et la société. J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer sous quelles formes les armées assureraient la permanence de ce lien (par le volontariat, par les réserves, par le développement des carrières courtes). Je crois utile d'affirmer ici que la nation doit, quant à elle, manifester sa reconnaissance et son attachement à ceux qui garantissent sa sécurité et qui sont prêts à mettre leur vie en jeu pour la défense des valeurs auxquelles elle se réfère.

De la même manière, la réforme du service national ne réussira qu'avec l'adhésion de tous les Français.

Comme le président de la République l'avait annoncé le 22 février, la fin du service militaire dans sa forme actuelle est la première conséquence de la professionnalisation des armées. C'est pour cette raison qu'un débat sur l'avenir du service national a été ouvert.

Dans l'attente de l'expression des souhaits des Français et de leurs représentants, le gouvernement avait pris soin de ménager, dans son projet de loi de programmation, les deux hypothèses autour desquelles s'est ordonné le débat : obligation ou volontariat.

C'est à partir des résultats de cette consultation que le président de la République a proposé, le 28 mai, une réforme du service national associant le maintien d'une courte période obligatoire, le rendez-vous citoyen, à différentes formes, militaires et civiles, de volontariat.

Le gouvernement a traduit ces orientations nouvelles dans un amendement au projet de loi initial. Il retient le volontariat comme référence de l'évolution des effectifs militaires ; il prend en compte les responsabilités d'accueil et d'encadrement qu'auraient à assumer les armées lors du rendez-vous citoyen.

Les armées accueilleront donc 27 200 volontaires en 2002. Ces jeunes Français pourront servir dans toutes les forces armées, dont la gendarmerie, et se verront confier en priorité des emplois opérationnels.

Quant au projet d'instaurer un rendez-vous citoyen, il a été pris en compte par l'accroissement des effectifs d'engagés et de civils destinés à maintenir la direction du service national dans son format actuel.

La démarche politique du Gouvernement, Mesdames et Messieurs les députés, illustre son souci constant de respecter les prérogatives de chacun et en particulier celles du Parlement.

Il revenait au président de la République, chef des armées de fixer les grandes orientations de la réforme de notre défense. Il revenait au Gouvernement de traduire ces choix dans un projet de loi de programmation militaire. Mais avant même son élaboration, il a souhaité associer le Parlement à cette démarche : ce fut l'objet du débat d'orientation de mars dernier.

Sur une question qui touche aux racines de la République, l'avenir du service national, le Gouvernement a souhaité que le Parlement soit associé, dès l'origine, à la conception même de la réforme.

Il a tenu à solliciter votre contribution, Mesdames et Messieurs les députés, ainsi que celle de vos collègues du Sénat au débat qui a rassemblé nos concitoyens dans toute la France, au sein de leurs communes et de leurs associations.

Exprimée sous une forme originale par les travaux de la mission commune d'information de l'Assemblée nationale et ceux de la commission du Sénat, votre contribution a largement inspiré le projet de réforme du service national que le président de la République vient de présenter aux Français.

C'est bien de vos débats et de vos conclusions, en effet, qu'est née l'idée de ne pas se limiter au choix entre obligation et volontariat, mais de concilier deux principes essentiels qui rejoignent les aspirations manifestées lors du débat local : le besoin d'un rendez-vous entre la nation et la jeunesse ; la nécessité de proposer aux jeunes Français une façon plus personnelle d'exprimer leur générosité et leur désir d'être utiles à la communauté nationale. Tout ceci fera l'objet d'un projet de loi à l'élaboration duquel le Gouvernement souhaite associer votre Assemblée.

C'est vous qui allez décider, Mesdames et Messieurs les députés, si la France sera dotée, en 2002, d'une armée professionnelle ;

C'est vous qui allez décider si la France, avec une nouvelle génération de matériels, sera toujours en pointe en matière d'équipements ;

C'est vous qui allez décider de l'avenir de notre industrie d'armement ;

C'est vous qui allez décider de donner ou non à la France les moyens de jouer un rôle central dans la défense de l'Europe ;

C'est vous qui allez décider d'engager ou non, dans un domaine essentiel parce que régalien, la grande réforme voulue et annoncée par le président de la République.

Dans quelques heures, au moment du vote, l'histoire récente vous reviendra à la mémoire.

Vous vous souviendrez de la reprise des essais nucléaires, et de la façon dont la volonté politique et l'impératif de défense nationale l'ont emporté sur le tumulte et sur l'indignation à courte vue ;

Vous vous souviendrez des leçons de la guerre du Golfe en termes de stratégie et de nécessité de projeter des forces ;

Vous vous souviendrez des milliers de vies sauvées en Somalie, au Rwanda, hier en Centrafrique, et vous réfuterez la caricature de ceux qui brocardent une politique de corps expéditionnaire ;

Vous vous souviendrez que le 3 juin 1995 à Paris, la création sous égide française, d'une force européenne, la Force de Réaction Rapide, a mis un terme à l'humiliation des soldats, à l'impunité des massacres, et qu'elle a inversé le cours prétendu de la fatalité.

Ce projet de loi de programmation, Mesdames et Messieurs les députés, achève une démarche engagée en 1934 par le colonel de GAULLE. A vous d'en faire un point de départ pour la construction d'une identité européenne de défense indispensable pour la protection de notre pays, pour son rang et son rayonnement dans le monde.

C'est là, Mesdames et Messieurs les députés, votre responsabilité.


Réponses-questions aux députés à l’Assemblée nationale le 6 juin 1996

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,

Je voudrais d'abord vous dire ma gratitude pour la qualité du débat qui a eu lieu dans cette enceinte. Ceux que le débat d'orientation sur la politique de défense du 20 mars dernier, puis le débat ouvert dans le pays sur l'avenir du service national ont laissé insatisfaits, trouveront sans doute matière à réflexion dans les propos qui ont été échangés ici depuis hier. A moins qu'aucun débat d'aucune sorte ne puisse jamais les contenter…

Pour ma part, je me réjouis de la richesse de notre discussion générale à laquelle une cinquantaine d'orateurs ont pris part. Tous ceux qui se sont exprimés l'ont fait avec un sens aigu de leur responsabilité à un moment crucial pour l'avenir de nos armées et je voudrais les en remercier. Ce débat, soyez-en sûrs, fera date dans l'histoire de notre défense.

Au président BOYON et à Arthur PAECHT, qui l'ont ouvert, je voudrais dire que le Gouvernement tiendra le plus grand compte, comme il l'a fait à la suite du débat d'orientation, des observations contenues dans leurs rapports, dont la très grande qualité n'aura échappé à personne dans cette assemblée.

Mes remerciements vont aussi aux orateurs des groupes de la majorité (Daniel COLIN et Pierre LELLOUCHE) qui ont apporté leur soutien à la réforme proposée par le Gouvernement.

À tous ceux qui sont intervenus, je vais maintenant tenter d'apporter des éléments de réponse.

Pour ce faire, je commencerai par revenir sur les caractéristiques de la programmation parce qu'elles ont été évoquées par un très grand nombre d'entre vous, avant de reprendre les grands axes de la réforme : professionnalisation de nos armées, équipement de nos forces, restructuration de notre industrie d'armement, ancrage européen de notre politique de défense, accompagnement économique et social et évolution du service national.

1. Les caractéristiques de la programmation 1997-2002

S'agissant des caractéristiques de la programmation couvrant les années 1997-2002, j'évoquerai successivement les innovations qu'elle introduit sur le plan financier, ses contours, les conditions de son respect et l'amélioration indispensable des méthodes de gestion des crédits militaires.

a) Les innovations de la programmation sur le plan financier

J'ai indiqué hier, dans mon propos introductif, qu'au cours des six prochaines années, les ressources consacrées à l'équipement militaire seraient inférieures d'environ 20 milliards de francs aux sommes qui figuraient dans la précédente loi de programmation et qui devraient assurer le financement de tous les programmes en cours.

Une telle diminution se conjugue avec la nécessité de réaliser la professionnalisation de nos armées à partir d'une enveloppe de crédits de rémunérations et de fonctionnement globalement maintenue sur toute la période. Cette situation imposera à nos forces et à notre industrie de défense des efforts et des sacrifices considérables. Elle place incontestablement le ministère de la Défense au premier rang des administrations en matière de réduction des dépenses publiques.

La contrepartie de ce niveau de ressources plus réaliste réside dans l'assurance qu'elles seront effectivement allouées aux armées. De ce point de vue, le projet qui vous est soumis offre de sérieuses garanties. Bien que Daniel COLIN les ait excellemment décrites dans son intervention, ce dont je le remercie, je voudrais vous les rappeler.

C'est en effet la première fois que la totalité des crédits consacrés à la Défense sont programmés et répartis entre le titre III et les titres V et VI. Pour assurer le succès de la réforme, dont beaucoup d'orateurs ont souligné le caractère global, tout le budget du ministère de la Défense, à l'exception des pensions, fait donc désormais l'objet d'une prévision financière sur la durée de la programmation.

C'est la première fois également que l'évolution annuelle des différentes catégories d'effectifs du ministère de la Défense figure dans le texte même de la loi. Là encore, l'objectif est de donner à la réforme sa pleine efficacité en organisant clairement la transition vers une armée professionnelle.

C'est la première fois aussi que les dépenses d'investissement sont exprimées en autorisations de programme et en crédits de paiement. Le souci est, ici, de restaurer les instruments de la pluri annualité des dépenses d'équipement et, partant, de développer les commandes couvrant plusieurs années. J'y reviendrai tout à l'heure.

Enfin, comme en 1994, les ressources destinées aux armées seront actualisées chaque année en fonction de l'évolution de l'indice des prix à la consommation hors tabac qui sert à l'élaboration du budget de l'État. Dans les circonstances actuelles, chacun mesure l'importance de cet engagement.

b) Les contours de la programmation

Quels seront les contours exacts de la programmation ? Beaucoup d'entre vous ont souhaité recevoir sur ce point de nouvelles assurances ou des précisions.

Je vous redis donc que si vous votez le texte qui vous est proposé, l'enveloppe de 185 milliards de francs constants 1995 qui sera allouée aux armées aux cours des six années qui viennent ne comprendra :
    – ni le financement des formes civiles de volontariat qui pourraient être mises en place ;
    – ni les crédits affectés au budget civil de recherche et de développement (BCRD), à moins que les études financées à ce titre ne présentent un véritable intérêt pour la Défense ;
    – ni les sommes nécessaires à la recapitalisation des entreprises publiques de défense ;
    – ni les crédits de reconversion des bassins d'emploi concernés par des restructurations, à l'exception des crédits inscrits au fonds pour la restructuration de la défense (FRED).

En revanche, elle inclut :
    – le versement de la compensation financière qui sera allouée au territoire de la Polynésie en contrepartie de la cessation des activités du centre d'expérimentation du Pacifique (CEP) ;
    – le financement des opérations extérieures courantes, les opérations exceptionnelles étant, pour leur part, financées en dehors du budget de la Défense.

Au président BOYON et à Jean-Michel BOUCHERON qui ont préconisé que la compensation versée au territoire de la Polynésie soit imputée sur un autre budget que celui des armées, j'indique que le Gouvernement considère cette dépense comme la contrepartie normale de la perte que représentera, pour l'économie polynésienne dont vous connaissez la fragilité, la fin de l'activité liée aux essais nucléaires.

S'agissant des opérations extérieures dont le financement a suscité de nombreuses interrogations, notamment de la part de Michel VOISIN, je vous précise qu'elles seront désormais classées en deux catégories qui relèveront de modalités de financement différentes.

Les opérations extérieures courantes, telles que celles qui justifient la présence de compagnies tournantes au Tchad ou en Centrafrique, seront prises en charge par le budget du ministère de la Défense.

Les opérations extérieures exceptionnelles, telles que la participation de la France aux opérations conduites dans l'ex-Yougoslavie, feront, quant à elles, l'objet d'un financement extérieur à la Défense.

Le partage entre ces deux catégories d'opérations sera effectué, au cas par cas, par le Gouvernement avec l'accord du président de la République.

c) Le respect de la programmation

La programmation ainsi conçue sera-t-elle respectée ? Plusieurs facteurs devraient y contribuer.

D'abord, le fait qu'elle soit exprimée en crédits budgétaires et non plus en termes de moyens disponibles, comme la précédente programmation. Nous connaissons toutes les dérives auxquelles l'utilisation des fonds de concours et des crédits de report a donné lieu. Je n'insiste donc pas sur ce point. Je note seulement que, dans le contexte actuel, une telle présentation n'allait pas de soi.

Le mécanisme de suivi de la loi proposé par le Gouvernement, qui prévoit le dépôt au Parlement d'un rapport d'exécution, précédé d'un examen par le conseil de défense, va également dans ce sens.

Enfin et surtout, l'engagement réitéré du président de la République de veiller personnellement à ce que le projet qu'il a approuvé ne soit pas remis en cause constitue certainement la meilleure garantie du respect de la loi pendant la durée du septennat. N'en déplaise à Paul QUILES, notre discussion a montré que nombre d'intervenants partagent cet avis, à commencer par le président BOYON, Arthur PAECHT, Daniel COLIN, Pierre LELLOUCHE.

d) L'amélioration de la gestion des crédits militaires

Bien qu'elles soient antérieures à la décision du chef de l'Etat de demander au Gouvernement de préparer un nouveau projet de loi de programmation, les perturbations qui marquent la gestion des crédits militaires constituent un sujet de préoccupation évoqué par de nombreux orateurs, notamment le président BOYON.

Comme vous le savez, les armées et l'industrie de défense sont les premières victimes de cette situation. Les régulations, les gels, les reports de crédits, les reports de charges et les annulations qui leur ont été imposés au cours des dernières années ont profondément désorganisé les circuits financiers du ministère de la Défense. Au surplus, toutes ces mesures ont un coût dont le montant des intérêts moratoires ne constitue qu'un des paramètres. J'en donne bien volontiers acte à Pierre FAVRE, auquel j'indique que, dans le cadre de la régulation actuelle, je viens d'obtenir de mon collègue des Finances un assouplissement qui devrait permettre de remédier aux difficultés exceptionnelles qu'il a relevées.

La mise en œuvre de la nouvelle programmation doit donc être l'occasion pour le ministère de la Défense, et plus largement, pour le Gouvernement, d'améliorer la gestion des crédits militaires. De ce point de vue, la stabilité des dotations allouées aux armées constitue une condition essentielle. Sans cette stabilité, tout effort de modernisation est en effet illusoire. Les garanties qui entourent la loi dont nous débattons permettent d'envisager l'avenir avec sérénité.

J'espère donc être en mesure de présenter, l'année prochaine, à votre commission de la défense les éléments de la modernisation que son président a appelé de ses vœux : restauration de la notion d'autorisation de programmes et commandes pluriannuelles notamment.

2. La professionnalisation (Michel GRANDPIERRE plaide pour le service national).

Je retiens aussi, de ce débat, le soutien que vous apportez à la professionnalisation de nos forces. Le rapport rédigé par Olivier DARRASON au terme des travaux de la commission d'information commune sur le service national, présidée par Philippe SEGUIN, portait déjà clairement la marque de cette adhésion. En cela, il rejoignait parfaitement les enseignements de la consultation locale conduite dans le cadre de la réforme du service national. Je rappelle qu'à cette occasion, plus de 75 % des maires ont répondu que la population de leur commune était très favorable ou favorable à cette réforme issue de la décision de professionnaliser nos forces.

Une chose est donc claire : sur la question de la professionnalisation, une très large majorité se dégage tant du pays que de votre assemblée pour approuver cette réforme qui marque, pour les armées mais aussi pour la nation toute entière, un changement d'époque, une nouvelle approche de la défense nationale, profondément ancrée dans la modernité.

L'incertitude évoquée par Arthur PAECHT sur la transition vers l'armée professionnelle

Au président BOYON qui s'est dit inquiet de l'évolution des moyens de la gendarmerie, je voudrais rappeler que l'augmentation des effectifs de l'armée sera de 4,5 % au terme des six prochaines années, ce qui, au sein d’un ministère dont le nombre d'emplois va diminuer de près de 25 %, constitue une exception qui vaut d'être relevée.

Il est vrai que cette progression sera imputable au recrutement, sur la base du volontariat, de 4 200 gendarmes auxiliaires supplémentaires. Mais, d'une part, il n'est pas exclu que les volontaires, qui pourraient être recrutés pour une durée de deux ans, détiennent la qualification d'agent de police judiciaire dont ils ne disposent pas actuellement. D'autre part, je souligne que si le nombre de professionnels de la gendarmerie reste stable, celui des officiers va croître sensiblement, puisque 1 389 postes supplémentaires seront créés dans les six années qui viennent.

Devenir du service de santé.

Le Service de santé des armées est indispensable au soutien des armées.

Les missions prioritaires sont le soutien des forces et des organismes du ministère de la Défense, en temps de paix, d'opérations ou de guerre, sur le territoire national ou lors d'opérations extérieures et le maintien de missions au profit d'autres départements que ceux de la défense.

Dans ces conditions, le modèle cible doit correspondre, dans le respect des contraintes médico-légales et la cohérence d'une chaîne continue de soins, aux nécessités du soutien des forces et des capacités de projection. Il doit être ainsi compatible avec le format et le concept d'emploi des armées définis par les états-majors.

Les effectifs en personnels prévus pour le Service de santé des armées dans le projet de la loi de programmation ont été calculés pour :
    – répondre aux besoins du temps de paix et des différents scenarii d'engagement des forces en temps de crise, en prenant en compte les besoins propres des différentes armées et de la gendarmerie, et les besoins nécessaires à l'environnement hospitalier.
    – tenir compte de la disparition de la ressource en personnel du contingent qui globalement représente 27 % des personnels du service (27 % des médecins, 63 % des pharmaciens, 75 % des vétérinaires, 92 % des dentistes, 30 % des personnels paramédicaux).

Ceci conduit à élaborer une maquette du Service de santé des armées où sont envisagés un certain nombre de restructurations (fermeture d'hôpitaux), une légère augmentation de l'effectif des médecins, une augmentation du nombre de vétérinaires, la création d'un corps de chirurgiens dentistes, la diminution du nombre de pharmaciens et d'officiers d'administration (conséquence des établissements fermés).

Les moyens hospitaliers feront l'objet de mesures d'adaptations qualitatives et quantitatives liées aux besoins directs et indirects pour la mise sur pied des formations sanitaires projetables et aux conditions d'agrément auprès des organismes de protection sociale. Dans cette optique les hôpitaux des armées devront former, préparer, entretenir les capacités techniques des équipes médicochirurgicales, des personnels médicaux et paramédicaux servant au sein des forces, accueillir et traiter les blessés et malades et fournir les capacités d'expertise nécessaires aux divers domaines de la santé militaire. L'accueil de la clientèle obligée y sera prioritaire et celui des bénéficiaires non obligés nécessaire pour l'utilisation rationnelle des moyens techniques, la formation et le maintien des compétences des personnels.

Ainsi, sur ces bases assurées et resserrées, le Service de santé pourra être à même de remplir sa mission au profit des forces.

L'indispensable prépositionnement de nos troupes outre-mer (Michel VOISIN : une raison diplomatique, une raison nationale, une raison politique, une raison économique, une raison psychologique)

La projection de puissance devient la mission prioritaire de nos forces armées.

La première ligne de notre défense et de notre sécurité et de celle de l'Europe se trouve désormais à distance du territoire national.

Dans ce cadre, notre déploiement outre-mer sera maintenu pour préserver nos intérêts stratégiques.

Dans les DOM-TOM nos forces de souveraineté seront réduites, comme en métropole, pour s'adapter aux nouvelles exigences de la professionnalisation.

En Afrique, comme l'a déclaré le président de la République au Sommet de la Francophonie à Cotonou, la France respectera ses engagements. Le dispositif sera maintenu. L'interarmisation des soutiens et la concentration des emprises se poursuivront pour générer des économies de fonctionnement.

L'ensemble des forces outre-mer verra le nombre des unités tournantes s'accroître afin que les armées y cultivent cette culture de projection et cette capacité immédiate de réaction :
    – forces de souveraineté dans les DOM-TOM : 13 000 ;
    – forces déployées en Afrique et dans les zone maritimes (9 000).

NB : À titre de comparaison, hors missions ONU et Maintien de la Paix, la Grande-Bretagne et la France ont les mêmes effectifs déployés hors du territoire national, soit environ 40 000 hommes (ce chiffre inclut, outre les forces Outre-mer, celles déployées en Allemagne).

Les réserves, composante de l'armée professionnelle (Thierry MARIANI et Guy TEISSIER)

Monsieur Mariani a, semble-t-il, parfaitement mis en exergue le nouveau rôle des réserves dans le modèle d'armée professionnelle. Moins nombreuses que les réserves théoriques de 500 000 hommes dont nous disposons aujourd'hui, mais en réalité plus disponibles car mieux sélectionnées et mieux entraînées, ces réserves seront en fait davantage sollicitées dans le futur.

Les missions que vous avez identifiées à cet égard me paraissent très largement conformes à mes objectifs. Les missions militaires que vous avez envisagées devraient, à mon sens, pouvoir inclure la projection. Les réserves y contribueront de toute façon indirectement en suppléant, autant que de besoin, aux fonctions métropolitaines de troupes professionnelles envoyées en opérations extérieures.

J'ajoute que ces réserves seront un des piliers du lien armée-nation auquel nous sommes tous ici fortement attachés.

3. L'équipement des forces armées

Dans mon propos liminaire, j'ai mis l'accent sur les équipements nouveaux dont nos forces seront dotées au cours de la période de programmation. Le choix a en effet été fait de les maintenir, fût-ce au prix de nouveaux décalages.

En revanche, nombre de programmes ont fait l'objet d'interrogations particulières auxquelles je voudrais apporter quelques éléments de réponse.

Second porte-avions/permanence du groupe aéronaval (Jacques BOYON, Arthur PAECHT, Michel VOISIN Charles COVA…) (voir les textes joints préparés par Alain COLDEFY)

Comme l'a indiqué le président de la République le 23 février dernier la marine disposera d'un groupe aéronaval qui, dans un premier temps, ne pourra pas être permanent, mais la construction d'un deuxième porte-avions est un objectif que la France doit inscrire dans sa planification dès que la situation économique le permet.

Dans ce contexte, le projet de loi de programmation précise que le « Charles de Gaulle » sera mis en service opérationnel en 1999, en remplacement du « Clémenceau » qui aura été désarmé à partir de 1997.

Entre ces deux dates, le « Foch » sera « disponible », puis « mis en sommeil » à l'arrivée du « Charles de Gaulle », avec un équipage réduit, pour être réactivé à la première grande période d'entretien du porte-avions nucléaire prévue en 2004.

En 2005, le « Charles de Gaulle » assurera seul la permanence avec un potentiel des cœurs nucléaires de six ou sept ans.

Le « Foch » sera alors désarmé et l'objectif reste de disposer d'un second porte-avions en 2010/2011, ce qui suppose une commande peu après l'actuelle période de programmation. Cet objectif est réalisable en particulier si la démarche de gains de productivité de la DCN et de réduction des coûts globaux des programmes d'armement aboutit.

Le « Foch » continuera de mettre en œuvre exclusivement des Super-Étendard pour les missions d'assaut et des intercepteurs Crusader. Ces derniers seront retirés du service en 1999 et remplacés progressivement par les premiers Rafale mis en œuvre par le « Charles de Gaulle ». A partir de 2005, les Rafale version « assaut » viendront à leur tour prendre la relève des Super-Étendard.

La capacité de défense aérienne du groupe aéronaval sera donc amoindrie entre 1999 et 2002 (toutefois compensée par la présence des Hawkeye) puis pendant la période d'intérim du « Foch » en 2004 ; cela ne compromet pas la capacité de projection de puissance du groupe aéronaval, mais constitue un paramètre supplémentaire à prendre en compte dans l'appréciation de situation et la manœuvre tactique du groupe.

Rafale

Jacques BOYON, Olivier DARRASON et Arthur PAECHT ont attiré mon attention sur le Rafale.

Je tiens à leur dire à ce propos que ce programme est celui qui mobilise le plus de crédits sur la période de programmation. Plus de 35 milliards de francs dont 25 milliards de francs en production lui seront consacrés. La première flottille de 12 Rafale marine entrera en service en 2001, alors qu'il est prévu de constituer le premier escadron de l'armée de l'air en 2005. Toutefois, 33 Rafale air seront commandés sur la période et les premiers appareils biplaces seront livrés dès 1999 pour favoriser l'exportation.

APACHE

Un avion d'armes moderne, dans le nouveau contexte qui est le nôtre doit disposer d'armements à longue portée et précis. C'est pour cette raison que la programmation prévoit la poursuite de la réalisation de la famille de missile Apache dans ses différentes versions. Jacques BOYON m'interrogeait sur le devenir du SCALP missile à longue portée de cette famille capable d'emporter avec une grande précision une charge unitaire. Je lui confirme que ce développement se poursuit. La seule évolution par rapport aux projets initiaux est la remise en cohérence de ce programme avec celui très voisin en termes de performances de missile APACHE anti-infrastructures. L'ensemble rebaptisé SCALP d'emploi général conserve le niveau d'efficacité souhaité pour des coûts compatibles avec nos ressources et les projets allemands et britanniques dans le même domaine.

ANF

A l'intention d'André BERTHOL, qui m'a interrogé sur l'ANF, je voudrais préciser qu'afin de satisfaire un besoin commun aux marines française et allemande formalisé en 1995, et au terme d'une phase de définition qui devrait s'achever en 1997, le développement du missile antinavire futur est prévu à partir de 1998 pour une mise en service en 2005. A cet effet, environ un milliard de francs 1995 a été réservé dans la programmation. J'ajoute que les acquis de l'opération VESTA, effectuée au titre de l'amélioration de l'ASMP, seront utilisés à cette occasion.

ATF

(Jacques BOYON : « le discours du Gouvernement est confus », Olivier DARRASON, Arthur PAECHT, Michel VOISIN : « la défausse de votre ministère sur les industriels ne risque-t-elle pas de torpiller le programme ? »…)

Le discours du Gouvernement sur l'ATF est on ne peut plus clair, Monsieur BOYON.

La loi de programmation 1995-2000 prévoyait l'étude de faisabilité d'un avion de transport futur européen destiné à équiper les armées de l'air à partir de 2004. Bâti selon les méthodes usuelles de réalisation des programmes militaires, ce projet comportait un financement intégral par les États des frais fixes de développement et d'industrialisation.

Le financement de la part française du développement était d'ailleurs compris dans la partie optionnelle de la loi qui correspondait à une situation économique favorable à partir de 1998.

Le projet de programme d'avion de transport futur, tel qu'il était prévu est abandonné. Pour répondre aux besoins de transport des armées françaises, il est prévu d'acquérir des avions de transport de nouvelle génération. Le débat porte sur le financement des frais fixes, sur le coût total de production et sur un engagement ferme des États en termes de nombre d'appareils à commander.

Le Gouvernement ne se défausse pas sur les partenaires industriels. Il s'agit pour chacun d'assumer pleinement ses responsabilités ; l'engagement ferme des États est de nature à favoriser des initiatives industrielles analogues à celles pratiquées dans le domaine civil.

L'accord auquel nous sommes parvenus avec mon homologue au sommet de Dijon me conforte dans l'orientation que nous avons prise. J'ai toute confiance en l'aboutissement d'un tel projet.

Aérospatiale a d'ores et déjà fait des propositions allant dans ce sens. Il faut les approfondir.

Hélicoptères : NH90, Tigre

(Jacques BOYON, Raoult BETEILLE au nom des parlementaires du RPR des Bouches-du-Rhône et d'Olivier DARRASON…)

La programmation 1997-2002 conduit à une révision du calendrier de livraison du Tigre. Le premier exemplaire opérationnel pour l'armée de terre française est prévu en 2003 soit un décalage de 2 ans par rapport aux prévisions de la loi de programmation précédente. 25 exemplaires seront commandés entre 1997 et 2002.

Concernant les cibles, la réduction de cadence de livraison se traduit par une diminution du nombre d'appareils livrés à l'horizon 2015. Au-delà, la cible est globalement inchangée.

Le nombre d'appareils affichés dans la planification à long terme soit environ 180 ne comprend pas les hélicoptères de manœuvre.

Ceci nous ramène, avec un décalage, dans le temps à un nombre d'appareils équivalents aux engagements initiaux de la France.

Enfin concernant l'ajustement du calendrier - à savoir avancer la livraison de quelques appareils en 1999 – réclamé par Jacques BOYON, Raoul BETEILLE et Olivier DARRASON, il ne pourra être envisagé sans que les gains de productivité fixés comme objectif au DGA aient permis de dégager des marges financières. Il pourra donner lieu à une révision des échéanciers du programme qui sera présentée au parlement au titre du rapport d'exécution de la loi de programmation militaire, établi chaque année.

Quant au NH90, c'est une démarche volontariste du Gouvernement vers l'industrie aéronautique et le souci du respect des engagements internationaux qui ont présidé à son maintien. Les premiers appareils seront livrés à la marine en 2005.

4. Restructuration de l'industrie de défense

Commandes pluriannuelles

Plusieurs orateurs, et en particulier le président BOYON, ont souligné toute l'importance des commandes pluriannuelles. Mesdames et messieurs les députés, je partage entièrement cette analyse.

Les marchés pluriannuels fermes sont actuellement peu utilisés, trop peu utilisés, en dehors du domaine de l'entretien du personnel.

Pourtant, ces contrats présentent de nombreux avantages.

Ils donnent aux entreprises une meilleure visibilité de leur plan de charge, permettant ainsi une meilleure organisation de la production et des commandes groupées auprès des fournisseurs et sous-traitants. Ils autorisent des réductions significatives des coûts facturés à l'État.

Aussi, la délégation générale pour l'armement demandera désormais systématiquement aux entreprises, lorsque l'objet s'y prête, des propositions de prix dans les deux hypothèses de commande normale et de commande pluriannuelle ferme.

19 milliards de commandes pourraient être conclues sur cette base au cours des deux premières annuités de la programmation. Un milliard de francs d'économies pourrait être dégagé par cette procédure.

Objectif de 30 % de productivité

Pour ce qui est de l'objectif de 30 % de diminution des coûts des programmes, dont le président BOYON mettait en doute le réalisme, je voudrais souligner qu'il s'agit là d'un objectif tout à fait comparable à ce qui a été réalisé dans d'autres secteurs industriels y compris dans l'aéronautique civile. Ce sera le fruit d'un effort partagé entre tous les acteurs concernés, entreprises de défense, États-majors et DGA. Nous avons d'ailleurs déjà réalisé dans le cadre de la préparation de cette loi, un effort de ce type dont le fruit a été le programme M51.

La construction de la loi n'a pas tenu compte de cet objectif et les effets progressifs de sa réalisation seront mis à profit pour dégager des marges permettant d'avancer certains programmes et d'accélérer la transition d'un modèle d'armée à l'autre notamment en préparant dans de bonnes conditions la programmation suivante. Je partage totalement l'avis d'Arthur PAECHT qui a souligné que l'importance de ces gains de productivité qui conditionnent pour une large part le succès de la réforme de notre défense au-delà de 2002.

Réforme de la DGA (avenir de la DGA étatique pour Arthur PAECHT)

En ce qui concerne la partie étatique de la DGA, elle devra se recentrer sur ses missions d'origine. Ceci veut dire et je le dis en réponse à Arthur PAECHT, fournir à nos armées les équipements dont elles ont besoin aux meilleurs prix et dans les meilleurs délais. La démarche de clarification engagée, à ma demande par le délégué général pour l'armement devrait s'achever à la fin de l'été.

DCN

La direction des constructions navales bénéficie d'atouts majeurs qui lui ont permis de réaliser des produits navals de qualité comme en atteste leur succès à l'exportation. Mais la DCN doit aujourd'hui préparer son avenir.

Le diagnostic établi par le groupe de travail qu'a présidé à ma demande le délégué général pour l'armement a dressé une liste de chantiers pour lesquels la DCN doit améliorer ses performances. La concertation nationale et locale avec les représentants des personnels l’a confirmé : la DCN doit se renforcer pour remporter de nouveaux marchés à l'exportation et améliorer sa compétitivité pour conserver sa place parmi les tous premiers mondiaux de la construction navale. Je tiens, à ce propos, à exprimer ma pleine satisfaction de l'excellent esprit et de la qualité des débats qui se sont tenus au sein des établissements notamment à Toulon. Les conclusions de cette concertation interne a été diffusée à tous les personnels de la DCN.

Le délégué général pour l'armement est en train d'élaborer sur la base du diagnostic et surtout des éléments forts issus de la concertation nationale et locale une série de propositions qui permettront à la DCN d'aborder avec les meilleurs atouts le XXIe siècle. Il s'agit notamment de pousser à son terme la séparation déjà engagée entre les activités étatiques et industrielles, d'améliorer les capacités d'achat, de renforcer l'action commerciale sur les marchés extérieurs et d'adapter les effectifs à l’activité prévisionnelle. Il me rendra ces conclusions dans le courant du mois de juin.

Le projet de loi de programmation militaire que j'ai l'honneur de vous présenter prévoit un fonds d'adaptation industrielle qui sera doté de 4,8 milliards de francs dont 4,1 milliards seront consacrés à la préparation de l'avenir de la DCN. La compétence et la qualité de ses personnels reconnus à travers le monde doivent être valorisées pour plus de performance et d'efficacité.

GIAT (Pierre FORGUES)

M. NICOLIN m'interroge sur le plan social de GIAT industries. Je tiens d'abord à rappeler qu'il s'agit d'un des volets du plan de retour à l'équilibre de l'entreprise en 1998. Ce plan a été rendu nécessaire par la situation grave dans laquelle se trouvait l'entreprise, situation que j'ai constatée dès mon arrivée au ministère de la Défense et qui m'avait conduit dès juillet 1995 à prendre les mesures qui s'imposent.

Ce plan de retour à l'équilibre comprend une réorganisation en profondeur et des actions d'amélioration de la compétitivité dont le but est de permettre à GIAT industries d'emporter de nouveaux marchés que la qualité exceptionnelle de ses produits lui permet d'espérer.

L'objectif est de redéployer GIAT industries et non pas d'accompagner son démantèlement.

J'ai toute confiance dans le succès de ce plan et dans le fait que GIAT industries sera en mesure de s'imposer sur de nouveaux marchés, notamment à l'exportation.

Concernant le rythme retenu par la programmation pour les livraisons de chars Leclerc, il correspond aux capacités industrielles de GIAT, compte tenu de ses marchés en cours. D'ailleurs, dans la même période, le rythme des commandes est maintenu à 44 chars par an. C'est là une première application, modeste il est vrai, des commandes pluriannuelles insaturées par la programmation.

Enfin pour l'acquisition de dépanneurs pour l'armée de terre française, une consultation est en cours qui met en concurrence GIAT industries et l'allemand MAK. Monsieur NICOLIN j'ai toute confiance en la qualité des produits de GIAT industries et leur compétitivité

Dassault-Aérospatiale

La volonté du Gouvernement, concernant l'industrie de défense est de la voir prendre un nouveau départ et afficher des ambitions à la hauteur des défis qu'elle a su relever dans les trente dernières années.

C'est le sens de la décision de constituer un grand pôle aéronautique par fusion des activités de Dassault et d'Aérospatiale.

La mise au point, entre les actionnaires et les dirigeants des deux entreprises, des modalités conduisant à un groupe unique avant deux ans se poursuit activement et devrait maintenant aboutir comme prévu le 30 juin prochain.

Thomson

De la même manière le processus de privatisation de Thomson se poursuit sans perturbations. Je tiens à le redire à cette tribune, l'objectif du Gouvernement est de permettre à l'électronique française pôle d'excellence de notre pays de figurer encore mieux dans le paysage industriel mondial.

SNECMA

Je ne voudrais pas parler d'industrie de défense sans évoquer des rumeurs récentes concernant les motifs de remplacement du président de SNECMA. La démission de Bernard DUFOUR, intervenue à la suite d'une demande de ma part, est l'aboutissement logique d'une divergence de point de vue sur la stratégie de l'entreprise.

En aucun cas, il ne faut l'attribuer à une quelconque pression de tel ou tel industriel français ou étranger. Ce genre de procès fait aux pouvoirs publics dans cette affaire est plutôt digne des caricatures et des émissions satiriques que des tribunes des journaux économiques ou de l'Assemblée nationale.

PME-PMI

Je ne saurais achever mon propos sur l'industrie d'armement sans souligner le rôle du tissu des petites et moyennes entreprises du secteur dont Jean FAVRE a rappelé toute l'importance. Elles feront l'objet de toutes les attentions car elles portent une grande partie de la capacité d'adaptation et d'innovation de notre outil industriel.

Les propositions qu'a formulées Bernard LEROY à la demande du Premier Ministre sont en cours d'examen par les services du ministère. Certaines d'entre elles seront mises en application dès l'année prochaine. Je citerai par exemple le fait de réserver une part de l'effort de recherche et d'études au tissu des PME.

Exportations d'armement

Vous l'avez compris et de nombreux orateurs, Arthur PAECHT, Jacques BOYON, … l'ont rappelé, la conquête de nouveaux marchés revêt la plus grande importance pour notre industrie de défense.

Aussi serais-je amené à préparer dans les semaines qui viennent un plan structuré de soutien des exportations de défense.

La qualité de nos produits ne suffit plus à leur garantir le gain des marchés potentiels. Nos offres doivent être complètes et compétitives.

Complètes et compétitives au plan technique où nous devons être en mesure d'offrir des solutions clés en main incluant le soutien et le service après-vente.

Complètes et compétitives au plan industriel et plus particulièrement en matière de transfert de technologie, de coopération et de compensation.

Complètes et compétitives enfin au plan financier, par l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises d'abord, par le soutien économique et financier ensuite.

Ancrage européen de notre politique de défense

J'ai pu évoquer dans mon exposé introductif toute la démarche d'ancrage européen de notre défense réalisé par cette programmation.

Il se traduit notamment par l'augmentation significative du nombre des programmes réalisés en coopération notamment franco-allemande. Le niveau des ressources annuelles consacrées à ces activités va pratiquement doubler.

6. Accompagnement économique et social

J'en viens maintenant aux mesures d'accompagnement économique et social de la réforme. Nombre d'entre vous, mesdames et messieurs les députés, y attachent une légitime importance. Je pense en particulier à Patrice MARTIN-LALANDE que je voudrais remercier pour ses contributions et qui a joué un rôle essentiel dans la mise au point du dispositif que le Gouvernement vous a présenté.

Je l'ai dit, je le redis, la réforme ne réussira pas sans une adhésion de toutes les femmes et de tous les hommes concernés.

C'est pourquoi je m'étais engagé devant vous à présenter, avant même le dépôt du projet de loi de programmation militaire, l'ensemble des mesures qui pourront être mobilisées.

Le dispositif que vous a présenté le Gouvernement, c'est d'abord une très forte augmentation des moyens consacrés aux mesures d'accompagnement des restructurations.

Jusqu'à présent, vous le savez, les moyens étaient limités aux crédits du Fonds pour les restructurations de la Défense, le FRED, qui a notamment pour vocation d'aider la restructuration des emprises militaires. Les crédits du FRED sont doublés dès cette année.

Surtout, ces actions seront complétées par une recapitalisation des sociétés de conversion. Au total, c'est un triplement - je dis bien un triplement des moyens financiers consacrés aux mesures d'accompagnement.

Dans ses efforts, l'État sera naturellement accompagné par les entreprises industrielles concernées, les collectivités locales et l'Union européenne.

Je confirme à Patrice MARTIN-LALANDE qu'en cas de fermeture de sites, des mesures d'âge dérogatoires à caractère exceptionnel seront mises en œuvre. Je lui indique également que les ouvriers et fonctionnaires de Giat Industries pourront être accueillis sur les emplois civils du ministère.

À Paul MERCIECA qui a évoqué l'avenir du plateau d'Albion, je voudrais dire que la concertation va s'engager dans les meilleurs délais puisque le délégué interministériel aux restructurations de défense se rendra sur place dans les prochains jours.

Conclusion

Que vous approuviez ou que vous contestiez ce projet de loi de programmation militaire, vous pouvez, mesdames et messieurs les députés, vous accorder sur un point : la portée historique de la réforme proposée par le président de la République. En souhaitant engager le renouveau de notre défense, il réconcilie l'État avec l'idée que s'en faisait le général de Gaulle : « une institution de décision, d'action, d'ambition n'exprimant et ne servant que l'intérêt national ».

Qu'est-ce qui a inspiré cette réforme ? La même analyse, la même attitude, la même ambition qui ont motivé la décision de reprendre une ultime série d'essais nucléaires, la consigne de riposte à Verbanja, la démarche européenne volontariste poursuivie du sommet franco-allemand de Baden-Baden à celui de Dijon, la volonté de rénover l'Alliance exprimée de la réunion ministérielle du 5 décembre au Conseil atlantique de Berlin :
    – c'est le respect intransigeant de l'impératif de sécurité ;
    – c'est le refus du fatalisme et de la démission politique ;
    – c'est la conscience que le rang et le rayonnement de la France sont liés au rôle central qu'elle jouera dans une Europe politiquement et militairement affirmée et dans une Alliance atlantique profondément transformée.

Comment cette programmation répond-elle à l'objectif de réforme de l'État voulue par le président de la République et le Premier ministre ?

D'abord, par la volonté de subordonner clairement les moyens, les traditions et les habitudes des armées aux missions de notre défense.

Ensuite, par l'ambition de construire un outil de défense plus efficace et moins coûteux, de faire de l'obstacle budgétaire un tremplin pour mener à bien l'adaptation de notre défense aux nouveaux défis stratégiques.

Enfin, par la priorité accordée à la dimension humaine de la réforme, à travers l'accompagnement économique et social qui permettra aux personnels civils et militaires de réussir l'immense pari de la professionnalisation et qui limitera les conséquences des restructurations militaires et industrielles.

Si vous en décidez ainsi, mesdames et messieurs les députés, nous allons construire, grâce à cette réforme de renouveau, de conviction et d'audace, une défense plus forte, plus apte à servir la France, ses intérêts et ses responsabilités mondiales. C'est la raison pour laquelle je vous demande d'approuver le projet de loi de programmation 1997-2002.

 

Sénat - mercredi 19 juin 1996

Monsieur le président,
Monsieur le président de la Commission des Affaires étrangères et de la Défense,
Messieurs les rapporteurs,
Mesdames et messieurs les Sénateurs,

L'État est fait pour « libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve (…) son droit naturel d'exister et d'agir (…). La fin de l'État est donc en réalité la liberté ». Il y a plus de trois siècles, Spinoza faisait de la sécurité la condition sine qua non de la liberté, de la prospérité et de la paix. Aujourd'hui, cette vérité demeure au cœur de l'action de l'État. Fonction régalienne par excellence, la défense constitue le socle de la République. Dissuader l'ennemi, résister à la violence des armes, garantir l'intégrité de notre territoire et de nos intérêts vitaux et stratégiques, voilà l'objet même de la défense, condition première de l'existence et de l'épanouissement de notre démocratie.

En réhabilitant la volonté politique, en distinguant clairement les moyens et les fins, le président de la République a permis à la France de répondre présent à trois rendez-vous : celui des valeurs, celui du courage, celui de sa sécurité.

En Bosnie, la France a répondu présent au rendez-vous des valeurs. En affirmant le devoir des armées à réagir, à résister, à riposter à l'inacceptable, le président de la République a rompu avec le fatalisme, l'attentisme et l'humiliation. Il a fait prévaloir la logique de l'honneur sur la logique de la démission. Il a confirmé ce qui justifie la vocation universaliste de la France et ce qui a inspiré son action en Bosnie : la défense inconditionnelle de la dignité de l'homme, l'attachement indéfectible à la paix en Europe et dans le monde.

Avec la reprise d'une ultime série d'essais nucléaires, la France a répondu présent au rendez-vous du courage. En prenant cette décision à contre-courant, en la menant sans tergiverser à son terme, le président de la République a redonné pleine priorité à la garantie à long terme des intérêts vitaux de la nation par rapport à des considérations médiatiques, diplomatiques et commerciales de court terme.

En engageant une réforme sans équivalent de sa défense, la France répond présent au rendez-vous de sa sécurité, de ses responsabilités et de son influence. Adapter notre outil de défense aux défis du présent et le préparer à ceux de l'avenir, c'est le choix que le Gouvernement vous propose, mesdames et messieurs les Sénateurs. Poursuivre la hausse des crédits budgétaires serait revenu à léguer à des gouvernements ultérieurs, acculés par la contrainte financière, l'obligation de procéder à des décisions drastiques et sans doute peu conformes à l'intérêt national.

Respecter les habitudes, conforter l'organisation de notre défense aurait conduit les armées à faire un jour l'expérience brutale de leur inadaptation stratégique. Différer les choix d'équipement aurait signifié laisser le dernier mot à la concurrence étrangère.

En vous soumettant cette neuvième loi de programmation militaire depuis le début de la Vème République, le Gouvernement mène à son terme une démarche stratégique qui a débuté avec les analyses du Livre blanc de 1994 ; il place la réforme non pas à la marge, mais au cœur de l'action politique ; il saisit la représentation nationale du premier acte de l'indispensable modernisation de l'État.

Le projet de loi de programmation pour les années 1997- 2002 exprime une ambition militaire et stratégique, une ambition économique et industrielle, une ambition humaine et civique.

I. – Face au bouleversement radical de la sécurité européenne, ce projet définit une nouvelle ambition militaire.

La professionnalisation, qui répond à l'évolution des menaces et aux nouveaux impératifs de notre sécurité en est l'axe. Dès 1994, le Livre blanc a constaté que l'agression massive en Centre-Europe n'était plus le scénario principal de notre défense. Aujourd'hui, le Gouvernement en prend acte et met fin à un principe d'organisation et de recrutement qui datait de 1905 : la conscription militaire.

Premier besoin opérationnel de notre défense, la professionnalisation s'accompagne de la réduction du format des forces. Entre aujourd'hui et 2002, la marine verra son format diminué d'environ 19 %. L'armée de l'air, connaîtra une réduction de son format de 24 %. L'armée de terre verra ses effectifs réduits de près de 36 %. A sa structure divisionnaire traditionnelle, succèderont quatre forces « robustes », une force blindée, une force mécanisée, une force d'intervention blindée rapide et une force d'infanterie d'assaut.

Véritable changement de système d'hommes, la professionnalisation permettra une meilleure adaptation des moyens aux besoins. Le métier, l'entraînement et le savoir-faire des hommes garantiront la cohérence, la disponibilité et l'interopérabilité des forces qui assumeront les quatre grandes fonctions opérationnelles tout en étant capables de s'associer, pour la défense de l'Europe ou le règlement de crises internationales, avec des unités alliées.

Cette révolution humaine va de pair avec la révolution technologique des équipements de nouvelle génération, condition de notre supériorité opérationnelle.

Porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, chars Leclerc, avions Rafale, hélicoptères Tigre, frégates Horizon : ce sont les nouveaux systèmes d'armes qui seront associés à des armes intelligentes comme les antichars longue portée de troisième génération, les missiles de croisière de précision de la famille Apache et SCALP, les armements guidés laser…

Le Triomphant, le Téméraire, le Vigilant : ce sont les sous-marins lanceurs d'engins de nouvelle génération dont la France disposera dans six ans. La commande du quatrième SNLE-NG interviendra en 2000. L'avènement d'une nouvelle génération concernera également les missiles avec le missile balistique M51 et le missile aérobie ASMP amélioré.

HELIOS I B, HELIOS II, HORUS : ce sont les systèmes stratégiques de renseignement qui seront lancés ou développés au cours de la programmation.

II. – La refonte de notre outil de défense répond naturellement à une ambition stratégique :
    – poursuivre une politique de défense résolument européenne ;
    – inscrire cet effort dans un cadre transatlantique rénové.

La rupture de 1989 a imposé aux nations européennes de revoir leurs stratégies de défense, et aux alliances de redéfinir leurs missions et leur organisation.

Dans ce contexte, la question de la défense européenne a pris un sens nouveau. Le traité de Maastricht a fait de la politique de défense commune un objectif pour toutes les nations de l'Union.

Le modèle d'armée dont vous avez débattu au mois de mars dernier et dont la programmation militaire 1997-2002 représente une première étape décisive, s'inscrit dans cette perspective. Ses quatre grandes fonctions opérationnelles portent la marque de l'ancrage européen.

La dissuasion, dont la modernisation des deux composantes constitue un atout dans la perspective d'une dissuasion concertée.

La prévention, avec les programmes spatiaux permettant le développement d'une capacité européenne de renseignement.

La projection, avec les moyens de commandement interarmées et les forces projetables.

La protection enfin, avec la surveillance coordonnée des approches aériennes et maritimes et le prochain renforcement de la coopération en matière de sécurité intérieure.

Pourquoi la rénovation de l'Alliance est-elle au cœur de notre projet ?

La construction européenne se fera, y compris dans le domaine de la sécurité et de la défense. Elle se fera d'autant mieux que nous progresserons avec réalisme, en tenant compte des données fondamentales que sont l'Alliance atlantique et le lien de sécurité euro-américain.

L'accord obtenu en juin à Berlin puis à Bruxelles montre qu'une telle entreprise est à notre portée. La réforme que nous engageons est fondée sur un consensus des 16 pays membres : l’Alliance doit se rénover en profondeur ; l'Organisation atlantique doit s'adapter, dans le sens d'une plus grande efficacité, au monde de l'après guerre-froide.

Cette adaptation donnera une plus grande légitimité politique aux structures de l'alliance grâce à l'affirmation du rôle des instances politiques – le Conseil – et militaires – le Comité militaire – qui sont des instances multilatérales non « intégrées ».

Elle apportera une souplesse et une flexibilité accrues au commandement allié, grâce aux groupes de forces interarmées multinationales, GFIM, qui impliquent la rationalisation et l'allègement de la structure militaire. Elle confortera la dimension européenne au sein de l'Alliance, conformément au mouvement d'union politique qui organise progressivement le continent. Elle favorisera enfin l'élargissement de l'Alliance à de nouveaux membres.

L'affirmation de l'identité européenne de défense, quant à elle, s'appuiera sur quatre principes qui ont été définis à Berlin :
    – le contrôle politique et la direction stratégique par l'UEO des opérations que les Européens mèneraient ;
    – l'identification rapide des moyens de l'OTAN qui seraient mis à la disposition des Européens d'engagement d'une opération conduite par l'UEO ;
    – la définition des arrangements nécessaires pour actionner des capacités de commandement européen indispensables à la conduite des opérations dirigées par l'UEO ;
    – la planification et l'entraînement dès le temps de paix des éléments ainsi identifiés dans l'OTAN.

Certains font mine d'opposer l'affirmation de l'identité européenne de défense et la rénovation de l'Alliance.

Or quelle crédibilité aurait aujourd'hui une rhétorique qui réclamerait la constitution d'une organisation militaire complète et spécifique, hors de l'Alliance ?

Notre politique européenne et notre engagement pour la rénovation de l'Alliance sont les deux faces d'une même politique. La clarté vis-à-vis de l'OTAN est une garantie pour le développement, sans complexe, d'une politique de défense européenne.

III. – La troisième ambition de cette programmation est d'ordre économique : construire une défense plus efficace et moins coûteuse.

C'est l'ambition de faire en sorte que l'effort que la nation consacre à sa défense soit compatible avec les moyens dont elle dispose. C'est l'ambition de construire une programmation qui résiste à l'épreuve du temps.

Fallait-il accepter la facilité d'une programmation militaire dont les crédits, toujours en hausse, seraient sans cesse remis en cause ?

Fallait-il accepter de jouer avec la modernisation des équipements, avec la réussite de la professionnalisation des armées et avec la crédibilité de l'État vis-à-vis des entreprises de défense ?

Fallait-il accepter que la dérive des comptes publics mine la croissance et l'emploi, la cohésion sociale et l'unité nationale qui sont le socle même de l'esprit de défense ?

Avec 185 milliards de francs constants 1995, l'enveloppe de la programmation est, en matière d'équipements, en retrait de près d'une vingtaine de milliards de francs sur celle qui avait été retenue en 1994 et sur laquelle sont fondés les échéanciers physiques et financiers des équipements militaires en cours de réalisation.

La réforme de la défense apporte ainsi une contribution essentielle à la réduction des déficits publics.

Mais pour la première fois, ces ressources sont garanties par un engagement personnel du président de la République de veiller à ce que cette programmation soit respectée.

Pour la première fois, tous les moyens mis à la disposition des forces armées sont programmés, qu'il s'agisse des emplois, des crédits de fonctionnement et des crédits d'équipement.

Pour la première fois, les investissements sont programmés en termes d'autorisations de programme et de crédits de paiement.

La programmation ne redéfinit pas simplement cette enveloppe financière ; elle place la Défense à l'avant-garde de la réforme de l'État.

Remettre en cause les habitudes et les structures, redéfinir les besoins et les procédures, reconstruire un nouveau système mieux adapté à notre temps, tel est, en effet, le défi de la réforme.

La Défense est la plus ancienne des missions régaliennes. Il n'est donc pas étonnant que sa profonde mutation soit à la fois le symbole de la capacité de l'État à se remettre en cause et le moteur de son indispensable réforme.

IV. – À l'objectif d'une efficacité accrue de la dépense publique se rattache en grande partie l'ambition industrielle de cette programmation.

Depuis le début des années 1960, notre base industrielle a largement contribué à notre autonomie stratégique, au rang qui est le nôtre dans le concert des nations. Nos scientifiques et nos ingénieurs ont relevé avec succès tous les défis techniques : la force de dissuasion, la supériorité aérienne, le combat aéroterrestre, les bâtiments de surface et les sous-marins, l'accès à l'espace, les systèmes de commandement et de communication, les moyens de renseignement… Dans tous ces domaines, nous avons développé des capacités nationales qui nous ont ouvert toutes les dimensions de l'armement moderne.

Mais notre industrie de défense est aujourd'hui soumise à une compétition acharnée. La grande qualité de ses produits ne suffit plus à emporter les marchés extérieurs. La dérive des coûts des programmes, quant à elle, risque d'entraîner nos propres armées sur la pente du désarmement structurel. Si nous n'y prenons garde, si nous n'engageons pas les réformes qui s'imposent, nous nous dirigeons vers la destruction assurée de notre potentiel industriel.

Comment répondre aux défis industriels et commerciaux qui s'annoncent ? En engageant une révolution des modes d'acquisition, en assurant la promotion de la dimension européenne, en acclimatant la culture de la concurrence.

Seule une révolution des modes d'acquisition permettra de fournir aux armées françaises les équipements dont elles ont besoin.

Trois impératifs se conjuguent désormais dans le domaine des matériels : l'excellence technique, le meilleur rapport qualité-prix et le respect des délais requis. Si nous ne voulons pas céder à la facilité de l'achat systématique à l'étranger, notre industrie doit réduire ses coûts. L'objectif de 30 % que j'ai fixé au délégué général pour l'armement nous permettra de retrouver des marges financières. Elles faciliteront la transition vers le nouveau modèle d'armée et permettront d'accélérer l'exécution des programmes d'équipement.

Ensuite, seule la dimension européenne permettra de conforter notre base industrielle et technologique de défense.

Grâce à la diversité et à la qualité de ses activités, l'industrie française doit être au centre de l'indispensable concentration du secteur européen de défense. C'est le sens des différentes restructurations industrielles qui ont été engagées. Les rapprochements entre Aérospatiale et DASA, Matra et British Aerospace, Dassault Aviation et Aérospatiale, la privatisation de Thomson vont dans le sens de la constitution de pôles industriels européens cohérents dans les secteurs de haute technologie. Notre industrie doit s'y préparer et les maîtres d'œuvre français prendre le chemin de la concentration qu'ont déjà emprunté leurs homologues américains, britanniques ou allemands.

Enfin, seule la culture de la concurrence permettra de conquérir des marchés extérieurs.

C'est plus que jamais, pour nos entreprises, une nécessité impérieuse qui permettra d'améliorer leur compétitivité et leur santé financière. C'est le sens de la réforme engagée pour GIAT industries et de celle en cours de préparation pour la DCN. La valorisation de leurs compétences exceptionnelles passe par une réorganisation profonde et une amélioration de leur productivité. Elles devront également, pour affronter la concurrence, mettre en œuvre des politiques commerciales offensives.

N'oublions jamais que les matériels de défense se distinguent non seulement par leur qualité mais aussi par leur coût, leur service après-vente, par les compensations industrielles et l'ingénierie financière… C'est dans cet esprit que je présenterai, avant la fin de l'année, un plan de soutien à nos exportations.

V. – La réussite de cette réforme aux dimensions multiples repose sur une grande ambition humaine.

Vous le savez, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la défense de la France, c'est une communauté de près de 600 000 personnes composée de militaires d'active, d'appelés et de civils.

La défense de la France, c'est aussi des entreprises, des grands groupes industriels et plus de 5 000 petites et moyennes entreprises, qui rassemblent au total près d'un million de salariés.

La défense de la France, c'est aussi des régions, des départements et des communes sur tout le territoire de notre pays, c'est près de 3 millions de personnes qui vivent dans une famille liée à la défense.

Le succès de la réforme de notre outil de défense dépend d'eux. Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui à l'ambition de répondre à leurs attentes.

Dès le mois de décembre dernier, ici même, je me suis engagé à ce qu'un dispositif d'accompagnement de la réforme soit présenté lors du dépôt du projet de loi de programmation militaire.

Cet engagement est tenu.

Pour la communauté militaire, accompagner la réforme, c'est prévoir les moyens de réussir la professionnalisation des armées, avec les recrutements, les mutations et les départs qu'elle implique. 9,1 milliards de francs sont prévus à cette fin dans le cadre de la professionnalisation.

Pour notre outil industriel, accompagner la réforme, c'est prévoir le financement des mesures sociales qui permettront d'adapter les structures industrielles. 4,8 milliards de francs seront consacrés à la direction des constructions navales et la direction des applications militaires du C.E.A. et suivis au sein d'un fonds d'adaptation industrielle.

Pour les collectivités locales touchées par les restructurations, accompagner la réforme, c'est mettre en place un dispositif pour prendre en charge les conséquences de ces mesures sur l'emploi et sur l'aménagement du territoire. 2,2 milliards de francs affectés aux mesures de reconversion économique sont inscrits dans le projet de loi de programmation.

Permettez-moi, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, d'ajouter un mot sur ce dernier point. Élus locaux, vous suivez tous avec attention les conséquences de la réforme sur chaque région, chaque département, chaque bassin d'emploi. Je sais que nombre d'entre vous ont, dans leur circonscription, des unités militaires ou des établissements industriels du secteur de l'armement. Je mesure vos inquiétudes.

Je ne peux vous promettre qu'une réorganisation aussi vaste n'aura pas d'incidences sur l'aménagement du territoire. Certaines unités seront dissoutes ou réorganisées, tandis que d'autres, professionnalisées, bénéficieront d'un pouvoir d'achat accru. Certaines entreprises perdront des emplois industriels comme elles en ont perdu au cours de ces dernières années, tandis que d'autres, qui auront renforcé leur compétitivité, pourront embaucher.

Je peux en revanche m'engager devant vous à ce que le Gouvernement mette tout en œuvre pour atténuer les conséquences locales des restructurations. Le 25 avril dernier, le Premier ministre a présidé le premier comité interministériel pour les restructurations de défense. Les procédures administratives sont prêtes, les hommes qui en sont chargés ont été nommés, les crédits nécessaires sont inscrits à cet effet dans la programmation.

Mais rien ne pourra se faire sans vous. Les mesures de reconversion économique ne se conçoivent pas à Paris, mais au plus près du terrain. C'est pourquoi j'ai mis en place un dispositif extrêmement déconcentré, avec des délégués régionaux et des chargés de mission dans chaque bassin d'emploi concerné.

C'est aussi la raison pour laquelle toutes les Régions qui le souhaitent pourront signer une convention avec l'État fixant les objectifs auxquels nous devons parvenir et le rôle des uns et des autres. De telles conventions sont déjà conclues avec les Régions Aquitaine, Bretagne, Rhône-Alpes, et le seront bientôt avec Midi-Pyrénées, Centre, Lorraine et PACA.

Vous savez, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, que cette réforme sera portée par un corps social qui connaît pour la deuxième fois en trente ans un bouleversement de ses habitudes et de ses traditions. Militaires, civils, ouvriers de la Défense, tous sont animés du même esprit. Tous savent faire primer l'intérêt national sur la poursuite d'une carrière. Et qu'on ne me dise pas que c'est la seule discipline des armées qui inspire leur attitude. Ce serait faire injure au dévouement, au sens du service de la France dont ils font tous les jours la preuve. Cette réforme sans équivalent révèle l'attachement de la communauté de défense à l'intérêt national.

VI. – Elle relève également d'une grande ambition civique.

Cette ambition passe en premier lieu par le renforcement du lien armée-nation.

Longtemps, le service national, et singulièrement le service militaire, a été le lieu privilégié où s'est forgé l'attachement à la défense nationale.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Est-il encore synonyme d'universalité et d'égalité ? Est-il encore synonyme de brassage social ?

Non, nous le savons tous, les jeunes Français qui ont le plus besoin d'être accompagnés et intégrés sont précisément ceux qui en sont dispensés ou exemptés.

Pendant des années, le service national et le service militaire ont rempli leur rôle. Pendant des années, des cadres militaires se sont consacrés avec passion à la formation des jeunes du contingent, à leur préparation au combat.

Les évolutions que nous connaissons ne remettent en cause ni leur enthousiasme, ni leur compétence. Ils ont su gagner l'adhésion du plus grand nombre et méritent à ce titre la reconnaissance de la nation.

Mais notre société a évolué, les menaces auxquelles elle est exposée également. Les travaux conduits par votre commission sous la présidence de Xavier de Villepin ont conclu que le service national, dans sa configuration actuelle, ne satisfaisait plus la double vocation, militaire et sociale, qui avait été la sienne pendant des décennies.

À l'Assemblée nationale, la mission d'information commune présidée par Philippe Séguin est parvenue au même constat.

C'est également, l'un des principaux enseignements de la consultation nationale conduite par les maires et les associations. On savait les jeunes attachés à une formule de service volontaire. Le débat local aura montré qu'une majorité d'adultes les rejoignait.

Dans le même temps, un consensus s'est formé sur l'impérieuse nécessité de préserver, et si possible de promouvoir, le lien armée-nation, Le risque n'est pas de voir la future armée professionnelle se couper de la nation par je ne sais quel réflexe de repli sur soi. Les militaires professionnels, mes récentes visites dans les armées me l'ont encore confirmé, sont ouverts sur la société. Ils constituent, avec leurs familles, une communauté parfaitement bien intégrée, je dirai même un pôle de stabilité et de sérénité dans une société en proie à bien des tourments.

Le défi que nous avons à relever est donc plutôt de réussir la réforme du service national sans diminuer en rien l'adhésion des Français à l'égard de la défense du pays, sans dissoudre le lien qui doit les unir à ceux qui ont fait le choix d'y consacrer plusieurs années de leur vie.

Les propositions du président de la République relatives au rendez-vous citoyen et aux volontariats sont précisément l'expression d'une volonté de rassemblement et d'échange.

D'une volonté de rassemblement, tout d'abord, car, si cette formule est adoptée, le rendez-vous citoyen sera progressivement ouvert à tous, garçons et filles, non à des fins de sélection comme c'était jusqu'à présent le cas lors des « trois jours », mais dans le but de leur procurer un bilan personnel et de les sensibiliser aux enjeux de notre société - ceux de la défense notamment.

Le nouveau service sera aussi un lieu d'échange puisqu'il permettra aux jeunes, grâce aux volontariats, d'exprimer concrètement leur générosité en offrant plusieurs mois de leur vie au service de la collectivité dans l'un de ces trois domaines : sécurité/défense, cohésion sociale et solidarité, coopération internationale.

C'est dans ce but que le projet de loi de programmation militaire prévoit l'ouverture progressive de postes de volontaires du service national dans les armées pour un effectif de 27 200 en 2002.

Tant le rendez-vous citoyen que le volontariat sécurité/défense apporteront leur contribution à la pérennité du lien armée-nation.

Mais l'ambition civique que j'évoquais à l'instant ne se limitera pas à cela. Elle sera, également, présente dans la réorganisation des réserves.

Moins nombreuses que l'effectif théorique actuel, mais beaucoup plus nombreuses en pratique, les réserves constitueront, avec 50 000 hommes dans les armées et autant dans la gendarmerie, une véritable force de complément, voire de substitution dans certains cas.

Mieux entraînées, plus disponibles et davantage sollicitées que sous le régime actuel, les futures réserves feront appel à d'anciens militaires, à des jeunes passés par le service sécurité/défense, mais également à des volontaires.

Afin d'offrir aux réservistes les meilleures garanties en matière d'emploi, un statut du réserviste sera élaboré en liaison étroite avec les entreprises qui seront, de la sorte, associées à cette mobilisation civique. Les réserves participeront donc, elles aussi, à la préservation du lien entre l'armée et la nation.

Le Parlement sera naturellement un acteur à part entière de cette évolution. Le débat que nous allons ouvrir dans le cadre de ce projet de loi de programmation en fournit déjà un premier témoignage. Ce débat sera poursuivi et prolongé lors de la discussion et du vote de deux autres projets de lois fondateurs du nouveau modèle d'armée et d'une nouvelle ambition civique.

Il s'agit du projet de loi portant réforme du code du service national et du projet de loi portant organisation générale de la réserve.

Sachons prendre la mesure, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nous pénétrer de l'importance de cette réforme de la défense qui est aussi une réforme de société.

Nous arrivons, mesdames et messieurs les Sénateurs, au terme d'une longue réflexion sur la défense de la France. Elle a été engagée il y a bien longtemps.

Qui n'a pas relu, pour préparer ce débat, « Vers l'armée de métier » du général de Gaulle ou « le rôle social de l'officier » du maréchal Lyautey ?

Qui ne s'est remémoré, pour prendre la mesure des réformes nécessaires, les drames et les victoires, les joies et les sacrifices qui ont marqué ce XXe siècle ?

La défense ne se réduit pas à la force mécanique, au matériel, si sophistiqué soit-il, aux systèmes de combat, etc.

La défense nationale, c'est, au-delà de l'outil, un esprit de défense.

L’aurions-nous oublié que la célébration des héros de la grande guerre par le président de la République dimanche dernier à Douaumont, ou encore la commémoration de l'appel du 18 juin seraient venues nous le rappeler.

Alors, en votant le projet de loi de programmation militaire que j'ai l'honneur de vous présenter, vous donnerez à nos armées les moyens d'assumer leurs missions. Mieux, vous affirmerez leur confiance en elles.

Comme l'écrivait le général de Gaulle, à la fin de « Vers l'armée de métier » : « Si cette refonte nationale devait commencer par l'armée, il n'y aurait là rien que de conforme à l'ordre naturel des choses. Non seulement parce que la force reste plus nécessaire que jamais aux nations qui veulent vivre, mais aussi pour cette raison que le corps militaire est l'expression la plus complète de l'esprit d'une société. »