Texte intégral
Françoise Laborde : Un mot de politique étrangère. Le Roi Hussein est rentré, cette nuit, en Jordanie – il n’est pas encore arrivé – dans un état de santé critique. J’imagine que vous suivez de près ce qui ce passe au Proche-Orient. Ça vous semble de mauvais augure pour le processus de paix ?
Arlette Laguiller : Évidemment. Je suis ce qui se passe, et le processus de paix est aussi mal en point que Hussein de Jordanie aujourd’hui. Et quand on voit la politique du gouvernement Nétanyahou qui continue à implanter de nouveaux colons – ce qui ne facilite pas du tout le processus de paix – je crois que c’est surtout ça qui est grave aujourd’hui. Pour moi, Hussein de Jordanie – au-delà de la souffrance d’un homme – ce n’est pas tellement le souvenir de quelqu’un qui était pour la paix, mais quelqu’un qui a fait massacrer des palestiniens en 1970.
Françoise Laborde : Vous présentez une liste commune avec Alain Krivine. L’alliance Lutte Ouvrière-Ligue Communiste Révolutionnaire a été un peu longue à venir. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Arlette Laguiller : On ne s’est pas présenté ensemble aux élections depuis presqu’une vingtaine d’années, c’est vrai. Mais d’abord toutes les élections ne permettent pas des listes communes. Et ensuite, nous ne sommes pas, ni la Ligue, ni nous, des comités électoraux. Nous sommes des organisations militantes, et pendant 20 ans, avec la LCR, avec Alain Krivine, on s’est retrouvés tout le temps, au coude-à-coude, dans toutes les manifestations : celles des salariés en novembre-décembre 95, les sans-papiers, les manifestations de chômeurs, les manifestations contre la guerre du Golfe et les interventions françaises en Afrique. Donc, on n’a pas cessé de se retrouver, au coude-à-coude, dans l’action militante.
Françoise Laborde : Cela veut dire, qu’à terme, il y aura une seule formation d’extrême gauche LO-LCR ?
Arlette Laguiller : C’est difficile à dire aujourd’hui. Je crois qu’on verra ce qui va sortir après les élections : d’abord le contexte, les résultats aussi. Je crois que, s’il y avait, demain les luttes que nous appelons de nos vœux, à savoir une lutte d’ensemble du monde du travail pour en finir avec le chômage, une lutte des travailleurs, des chômeurs, alors là, oui, je crois que, sans doute, nous serions deux organisations suffisamment responsables pour aller vers une certaine unification. Mais je voudrais dire qu’entre l’unification organique et l’ignorance mutuelle, il y a toute une gamme possible de rapprochements, et on verra ça après les élections.
Françoise Laborde : Vous êtes plutôt en cohabitation qu’en fusion ?
Arlette Laguiller : On est surtout en plein accord sur une plate-forme politique, sur l’Europe d’abord. Pour nous, l’Europe que les capitalistes et les financiers sont en train de construire, n’est pas une Europe favorable aux chômeurs, aux salariés. On sait qu’en Europe il y a 20 millions de chômeurs, 60 millions de pauvres, et que la situation qu’on connaît, ici, dans notre pays, d’augmentation de la misère et de la précarité, on la connaît au niveau de l’Europe. Donc, pour nous, il faudrait des droits sociaux identiques dans toute l’Europe, alignés sur le pays où les droits sociaux sont les meilleurs ; il faudrait un salaire minimum européen qui soit, là aussi, aligné sur le salaire maximum pour que les patrons ne continuent pas à faire le chantage à la délocalisation vers des pays d’Europe où les salaires sont encore plus bas qu’en France ou en Angleterre – je pense au Portugal, l’Irlande, à la Grèce.
Françoise Laborde : Ce seront vos thèmes de campagne ? Une Europe sociale, plus sociale et, peut-être, avec des liens plus forts avec l’Europe syndicale ?
Arlette Laguiller : Ça va être pour une Europe des travailleurs, pour qu’on cesse de mettre les travailleurs et les chômeurs dans toute l’Europe, en concurrence les uns avec les autres. Et puis ça va être, aussi, pour exprimer dans ces élections, la voix de tous ceux qui, une nouvelle fois, sont déçus par la politique de cette gauche plurielle qui, finalement, n’est pas différente de celle menée par la droite.
Françoise Laborde : Comment vous sentez-vous par rapport à ce Gouvernement : dans l’opposition, à la marge de la gauche plurielle, franchement à côté ?
Arlette Laguiller : Si vous parlez de l’opposition de droite, certainement pas ! Mais effectivement, nous combattons la politique de ce Gouvernement, parce que nous pensons qu’aucune mesure n’est prise pour en finir avec le chômage, avec la précarité, avec la misère dans ce pays. Nous pensons, nous, qu’il faudrait interdire les licenciements collectifs, surtout dans les entreprises qui annoncent des bénéfices – et c’est le cas de la plupart des grandes entreprises de ce pays - ; et nous pensons qu’il faudrait cesser les subventions au patronat, et qu’au contraire, l’État crée, tout de suite, des centaines de milliers d’emplois dans les services publics. On le voit avec la grève des enseignants, hier. Ça nécessite aujourd’hui que, dans tous les services publics, il y ait des créations d’emplois.
Françoise Laborde : Votre objectif, en terme électoral, c’est d’être devant le Parti communiste aux élections européennes ?
Arlette Laguiller : Ce n’est pas notre objectif. Notre objectif – vous savez, nous avons un électorat -, c’est effectivement que cet électorat grandisse. Mais ne serait-ce que si nous réussissions à ramener vers nous tous ceux qui ont été déçus déjà de la politique de l’union de la gauche, et qui se sont résignés, qui, parfois, ne vont même plus voter… Il ne faut pas oublier que le Parti communiste faisait 20 % des voix avant son alliance et sa participation à des gouvernements sous Mitterrand. Alors, aujourd’hui, que le Parti communiste fasse ses scores, que l’extrême gauche grandisse ! Je crois que c’est ça qui sera bien, parce que finalement, la famille communiste représentait 20 % des voix ; et si elle continue à les représenter en additionnant les voix du PC et de l’extrême gauche, ça serait une bonne chose, car ça montrerait au patronat et au Gouvernement que, peut-être, les travailleurs, les chômeurs ne sont plus prêts à se laisser faire. Alors en termes de chiffres, non, je n’ai pas de chiffres ! Nous espérons faire le maximum possible. En tout cas nous avons prévu que si nous avions des élus, ce sont en majorité des femmes, puisque dans les dix premiers de la liste il y aura huit femmes.