Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, ancien membre du PPDF, dans "Le Figaro" du 23 juin 1997, sur la défaite de la droite aux élections législatives anticipées de 1997, la reconstruction de l'opposition et notamment du PR et de l'UDF, et sur les relations entre la droite et le Front national.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Convention nationale du PR, qui devient Démocratie libérale, le 24 juin 1997.

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le Figaro : Le RPR subit de plein fouet la défaite des législatives et vit un véritable chamboulement. L’UDF se livre, elle, à un simple jeu de chaises musicales. Aurait-elle moins de leçons à tirer de cet échec électoral ?

Jean-Pierre Raffarin : C’est une défaite collective, dont chacun doit tirer les leçons. Nous n’avons pas réussi à faire émerger une dynamique majoritaire. Comme la gauche l’a prouvé en 1997, et Jacques Chirac en 1995, la victoire passe par un rassemblement pluriel ; elle est impossible avec une majorité singulière. Lors de la campagne des législatives, nous n’avons pas su faire exister nos différences, nos sensibilités : nous en avons payé le prix.

Le Figaro : Plus que le refus d’une politique, les Français n’ont-ils pas sanctionné un mode de gouvernement, d’autant plus sévèrement qu’ils gardaient le souvenir de la campagne présidentielle marquée par la volonté de mettre fin à la fracture sociale ?

Jean-Pierre Raffarin : Les explications de notre échec sont multiples. La majorité s’est trop coupée des couches nouvelles de la société : les jeunes, les femmes, mais aussi les fonctionnaires, que nous n’avons cessé d’agresser pendant la campagne ! L’UDF doit rebâtir son projet en associant ces forces nouvelles.
Elle est restée trop longtemps dispersée. Elle doit retrouver une dynamique. Tourner le dos à cette logique de positionnement à laquelle elle a trop sacrifié, pour adopter résolument une logique de mouvement. Et en finir avec le conservatisme partisan.

Le Figaro : Vous vous êtes décidé à réintégrer le PR après l’annonce du passage de flambeau entre François Léotard et Alain Madelin. Pourquoi ?

Jean-Pierre Raffarin : Il ne s’agit pas d’une réintégration, mais d’une reconstruction. Je souhaite qu’Alain Madelin réussisse son pari du mouvement, mais aussi de l’élargissement. Je crois qu’ensemble nous pouvons créer une dynamique nouvelle.

Le Figaro : Gilles de Robien, dont vous sembliez plus proche, dispute à Alain Madelin cette présidence en réclamant une procédure plus démocratique. A-t-il tort ?

Jean-Pierre Raffarin : J’ai de réelles proximités avec Gilles de Robien. Nos convictions sont voisines. Nous sommes démocrates avant d’être libéraux. Mais maintenant, il ne s’agit pas de diviser, d’organiser une opération survie, de se contenter d’un ravalement de façade. Il faut du neuf. Des visages nouveaux, des idées nouvelles, une organisation nouvelle. La « Démocratie libérale », si tel est le nom retenu pour le parti dont Alain Madelin prendrait la présidence, sera véritablement une maison neuve. Ainsi, nous souhaitons participer à la construction d’une nouvelle famille au sein de l’UDF. Une famille à la fois loyale au président de la République et porteuse d’une dynamique qui lui permette d’élargir son influence. La grande popularité d’Alain Madelin sera notre meilleur atout.

Le Figaro : Certains, dons votre camp, pensent que l’ex-majorité a perdu parce qu’elle n’a pas osé tenir un vrai discours de droite…

Jean-Pierre Raffarin : Eh bien, je ne suis pas de cet avis ! Nous avons été victimes d’un double déficit : à droite, mais aussi, et surtout, au centre. La cohabitation est l’expression de cette préférence des Français pour un gouvernement au centre. Mais la cohabitation crée un centre artificiel. Je souhaite, moi, un centre naturel.
Élu d’une région plutôt radicale, j’ai une culture du centre, et je pense, comme Valéry Giscard d’Estaing, que la France doit être « gouvernée au centre ». Si la France n’est pas gouvernée au centre aujourd’hui, c’est que l’UDF n’a pas été assez forte. Il faut lui redonner cette force en lui permettant de s’appuyer sur deux piliers rénovés : l’un libéral, l’autre centriste. Pour que cette rénovation se réalise dans l’union, il faut qu’il y ait des libéraux à Force démocrate et des démocrates chez les libéraux. Je reste fidèle à une perspective de fusion de l’UDF.

Le Figaro : Et pourquoi pas une formation unique RPR-UDF, comme le réclame Charles Millon, en se référant au souhait de 70 % de « votre » électorat ?

Jean-Pierre Raffarin : Je m’interroge : une telle formation ne risquerait-elle pas de fragiliser le président de la République ? Je suis convaincu qu’un parti unique ne peut être majoritaire dans le pays. L’UDF doit s’affirmer, se rénover, s’unifier, permettre un élargissement de sa base au sein de l’espace présidentiel.

Le Figaro : Jusqu’où ? Jusqu’au Front national ?

Jean-Pierre Raffarin : Nous ne devons en aucun cas franchir la frontière qui sépare irrémédiablement l’humanisme de la haine.
Quand je parle d’élargissement, je pense notamment aux espaces que va nous libérer la réussite de Philippe Séguin au RPR. Philippe Séguin est plus nationaliste et jacobin que son prédécesseur. Les différences peuvent être plus nettes qu’avec Édouard Balladur ou Alain Juppé. Entre, d’un côté, Philippe Séguin, et de l’autre, Lionel Jospin, qui renonce au libéralisme social type Tony Blair, un espace politique se libère pour nous !

Le Figaro : Ici et là, des voix s’élèvent pour plaider en faveur d’accords avec le Front national et en finir avec la diabolisation du parti de Jean-Marie Le Pen. Le PR « nouveau » résistera-t-il à ces demandes d’élus qui, à l’approche des futures régionales et cantonales, pourront se faire plus pressantes ? Comment ?

Jean-Pierre Raffarin : Nous résisterons en assumant trois devoirs. Le devoir d’opposition : la cohabitation ne doit pas nous conduire à laisser au Front national le monopole de l’opposition.
Le devoir de remoralisation du pays : pour réussir, nous devons redonner le moral et renforcer la morale à tous les niveaux de la République.
Le devoir de promotion des valeurs de l’humanisme : la tolérance et la convivialité n’ont de valeur que dans la pratique quotidienne.
Cette nouvelle dynamique nous permettra d’être davantage offensifs que défensifs.