Texte intégral
Éducation et exclusion sociale
Ségolène Royal : Nous avons d’abord cherché à répondre aux urgences, dans le cadre d’une triple préoccupation (…) : la réussite scolaire pour le plus grand nombre (…) ; la lutte contre l’exclusion sociale, qui est au cœur de notre projet scolaire et l’amélioration des conditions de vie à l’école. (…) Beaucoup a été fait avant nous (…), mais nous avons la ferme détermination de donner des inflexions différentes, parce que nous plaçons au cœur de nos préoccupations la lutte contre l’exclusion sociale et la réussite pour le plus grand nombre. (…)
L’illettrisme
Ségolène Royal : Nous ne pouvons pas accepter que dans notre pays, tout soit joué à l’âge de la sixième, et même plus tôt. On observe que les 30 à 40 % d’enfants qui ne maîtrisent pas correctement la lecture en CP sont ceux qui n’obtiennent pratiquement jamais le baccalauréat. (…) Nous bénéficions aujourd’hui d’un atout formidable avec une baisse de l’effectif scolaire de 78 000 élèves. Comme la gauche a fait le choix de maintenir le potentiel du service public de l’éducation, nous aurons les moyens d’acheminer les enfants sur des itinéraires individualisés, personnalisés.
La première étape consistera à faire une évaluation nationale au niveau du CE2, c’est-à-dire à la fin du cycle au cours duquel on considère qu’un enfant doit savoir parfaitement lire, écrire et compter. En fonction de ses résultats, nous mettrons en place des itinéraires personnalisé pour chaque élève, en articulation avec la famille, avec les associations, avec tous les partenaires du système éducatif. Nous voulons avoir la capacité de prendre individuellement par la main les 120 à 150 000 enfants qui restent aujourd’hui sur le bord de la route et à les conduire vers l’état de citoyen. Un être humain qui ne sait pas lire dans notre société n’a pas la dimension de citoyenneté. Pour la gauche, cela n’est pas acceptable.
Question : Comment prendre en main 150 000 enfants ?
Ségolène Royal : C’est un projet politique, social, culturel à la portée d’un pays comme la France. Cela se fait de plusieurs façons, à chaque échelon de la scolarisation. (…) Cela veut dire un effort sur la préscolarisation et, petit-à-petit, le droit à la scolarisation des enfants dès l’âge de deux ans (…). Cela veut dire aussi la mise en place d’une pédagogie de la réussite. Pour qu’un enfant apprenne à lire, il doit pouvoir s’appuyer sur un capital de confiance en lui-même. Il faut donc repérer (…) dès le CP les enfants en situation de difficulté par rapport à la lecture (…). Il s’agit de faire bénéficier le système scolaire d’un progrès qualitatif en fonction de la baisse d’effectifs qui nous donne des moyens d’encadrement supplémentaires. (…)
Les emplois jeunes à l’école
Ségolène Royal : Le programme d’emplois pour les jeunes qui privilégiera l’école primaire (…) nous permettra (…) la construction individuelle du rattrapage du retard de l’enfant, parce qu’il donnera plus de temps aux maîtres et aux maîtresses de s’occuper des enfants en difficulté.
Avant de mettre au point ce dispositif, nous avons rencontré, avec Claude Allègre, l’ensemble des organisations syndicales (…). S’occuper d’un enfant n’est pas de même nature que de débroussailler les forêts (…). C’est la raison pour laquelle, dans l’éducation nationale, le dispositif sera particulier. Le souci des enseignants est de ne pas voir créer des enseignants au rabais. Nous leur répondons qu’un maître ou une maîtresse qui a un aide-éducateur, autrement dit, un adjoint, verra sa fonction valorisée, puisqu’il lui appartiendra de coordonner, dans le cadre du projet d’école, cette nouvelle équipe éducative.
Question : viendront-ils dans la classe ?
Ségolène Royal : Bien sûr. Sinon, cela n’aurait pas de sens. (…) Le professeur d’école gardera la responsabilité pédagogique. Il dirigera l’aide-éducateur chargé de le seconder. Il n’y a pas de confusion entre la mission éducative globale de l’aide-éducateur et la responsabilité pédagogique de l’enseignant qui garde la responsabilité de sa classe. (…) Il y a deux types d’emplois : les emplois périscolaires, à la périphérie de l’acte éducatif – cantines, gardiennage à la sortie de l’école, accompagnement dans les cars scolaires (…) – et l’acte éducatif dans la classe qui vient en support de l’acte pédagogique du responsable de la classe. Ces jeunes aides-éducateurs recevront une formation et ne seront recrutés qu’au-delà d’un certain niveau : bac, bac plus deux.
Ils recevront une formation, parallèlement au démarrage de la première mission dans la classe. (…) Les rectorats ont déjà mis en place une organisation de réception des candidatures (…). Des commissions se mettront en place pour sélectionner les candidats, en appui avec la réalité locale de terrain. (…)
Question : Quel est le calendrier précis ?
Ségolène Royal : Ils s’intégreront dans le projet d’école en fonction de leurs compétences professionnelles et des besoins de l’établissement scolaire (…). Des compétences n’ont pas besoin d’une formation lourde d’accompagnement, mais d’une formation éducative, pédagogique, en matière de relation avec l’enfant qui leur seront données dans les structures de formation professionnelle du ministère de l’Education. Cela peut être une formation à temps partiel. Cela se discute sur le terrain. Nous n’avons pas voulu prévoir un système centralisé, étatique, des règles unanimes sur tout le territoire, mais faire confiance aux acteurs de terrain, institutrices et directeurs d’école (…). Ce sont les jeunes qui s’adapteront aux besoins de l’enfant. Il ne s’agit pas seulement de lutter contre le chômage des jeunes (…), mais aussi (…) de lutter contre les inégalités scolaires. (…)
Question : Y aura-t-il une forte demande de la part des enseignants ?
Ségolène Royal : Il y aura même une concurrence assez rude entre les établissements (…), les rectorats et les académies, parce que le recrutement des emplois-jeunes ne sera pas ouvert à l’infini. (…) De plus, la distribution de ces emplois entre les académies a été faite selon les indicateurs de difficulté scolaire des élèves. La priorité ira aux écoles en zone d’éducation prioritaire, aux communes (…) reconnues comme ayant des quartiers difficiles, dans les zones rurales où un effort de mise en réseau et de sauvegarde du service public de l’éducation a été réalisé ou dans les écoles où des projets très innovants ont été engagés et pour lesquelles la demande d’emplois-jeunes correspond à un progrès du système éducatif (…). Il y aura beaucoup plus de demandes que de possibilités. (…)
Question : Que deviendront ces emplois-jeunes au bout de cinq années ?
Ségolène Royal : (…) Au bout de cinq ans, ces emplois ont vocation à rester dans l’école. À partir du moment où nous considérons qu’ils servent à la lutte contre les inégalités scolaires, à partir du moment où ils donneront satisfaction à l’école (…), ces jeunes auront vocation à passer les concours qui leur permettront de rester dans le système scolaire (…).
La morale à l’école
Ségolène Royal : L’école publique a laissé tomber, à tort, la morale laïque et républicaine, à partir des années 1968-1969 où elle n’a plus osé enseigner certaines choses. (…) On observe aujourd’hui une soif des familles de retrouver certains points de repères. (…) Si l’école ne les redonne pas, qui le fera ?? Elle ne pourra pas le faire seule. Si la télévision ne fait pas un effort (…), l’école aura du mal à le faire. Il y a aussi une vraie réflexion à mener sur le métier de parent (…). Je pense qu’il faut commencer dès l’école maternelle. (…)
Question : N’est-ce pas aux parents qu’incombe cette initiation aux valeurs ?
Ségolène Royal : Soit on considère que la famille remplit ce rôle et que l’école n’a pas à s’en charger, soit on considère que si elle l’avait fait pendant si longtemps (…), c’est qu’il y avait une raison. (…) Cette morale civique doit aussi s’inspirer des nouvelles difficultés que vivent les jeunes (…).
Question : Pourra-t-on apporter cette morale civique dans certains quartiers ?
Ségolène Royal : (…) La première chose à apprendre aux enfants est qu’il existe des interdits. (…) L’interdit est au cœur de la façon dont on doit vivre ensemble. Pourquoi existe-t-il une loi ? Pourquoi existe-t-il des principes de moralité publique ? (…) Les enfants ne font pas de différence entre le morale civique et la générosité collective. Mobiliser les enfants des classes primaires ou des collèges sur des projets d’intérêt général (…), peut aussi leur apprendre à vivre ensemble. Il faut aussi leur apprendre de nouvelles règles de comportement (…). Apprendre à un enfant à maîtriser la télévision, à contrôler l’image est essentiel. Lui apprendre la protection de son environnement est un élément essentiel de la citoyenneté qui n’existait pas autrefois. Apprendre à un adolescent les droits et les obligations liés à la consommation de drogue est également essentiel. (…)
Les zones d’éducation prioritaire
Ségolène Royal : Il faut mettre ces zones d’éducation prioritaire debout, car elles ont été laissées à l’abandon pendant quatre années. (…) Sur le terrain, les équipes sont vraiment à bout de souffle. (…) Il faut vraiment donner de soi-même, de sa vie personnelle, de son énergie, de son attention, ne pas se décourager. (…) À ces équipes éducatives, je veux rendre hommage et dire que l’on tient à elles, que l’on va s’occuper d’elles. (…)
Il faut d’abord faire une évaluation de tout ce qui s’est passé sur le territoire. Cette évaluation, nous en disposerons le 15 septembre. (…) À partir de là, nous allons y consacrer les moyens supplémentaires du ministère. Je fais remarquer que sur plus de 800 réouvertures de classes qui viennent d’être décidées, la plupart concernent les ZEP, là où des classes ont été fermées (…), là où des enfants ont été déscolarisés (…). Nous avons voulu réparer rapidement cette blessure. (…) C’est déjà un signal fort de reconquête de la mission des ZEP. (…)
Question : Claude Allègre pense que le meilleur moyen d’inciter les enseignants à aller dans les ZEP, c’est d’améliorer leurs conditions de travail.
Ségolène Royal : C’est vrai. Mais on peut aussi réfléchir – et nous allons le faire – aux profils de carrière des enseignants qui acceptent d’aller dans les ZEP. Pour l’amélioration des conditions de vie, l’effort crucial portera sur la diminution des effectifs par classe. Nous voulons réussir à diviser par deux les effectifs dans certaines zones d’éducation prioritaire, là où c’est la seule façon de remonter la pente. (…) Il faudra arriver à n’avoir que dix à quinze élèves par classe quand c’est nécessaire. (…) Il faut, dans le système éducatif, donner plus à ceux qui ont le moins. (…)
L’échec scolaire est un formidable gâchis humain que toute la collectivité paie à un moment ou à un autre. Quand un enfant arrive en sixième sans savoir correctement lire ou écrire, il sait que l’école ne pourra plus rien pour lui. Donc, il nourrit en son for intérieur une sorte de violence sociale qui va exploser à un moment ou à un autre. (…) La lutte contre la violence sociale commence par la lutte contre l’échec scolaire et contre l’élimination scolaire. (…)
Question : L’école doit aussi s’intéresser à ceux qui réussissent !
Ségolène Royal : Être performant, dégager des élites, c’est aussi le rôle de l’école : cela recouvre tout l’effort que nous allons faire pour l’équipement en multimédia et pour les programmes scolaires. (…)
Question : Allez-vous modifier la carte des ZEP ?
Ségolène Royal : Nous allons réfléchir à la carte des zones d’éducation prioritaire, qui est figée depuis un certain nombre d’années. Certains établissements ont si bien réussi qu’ils ne doivent plus être en ZEP. Il faut aussi tirer les élèves vers le haut. (…) Nous allons, par ailleurs, intégrer des établissements qui ne bénéficient pas des moyens exceptionnels de ces zones. (…) Je souhaite que les critères des zones d’éducation prioritaire soient plus souples, qu’il n’y ait plus d’effets de frontière selon que l’on est ou non dans une ZEP. (…)
Je vais organiser un grand forum décentralisé, dans chaque région, puis au niveau national, pour réfléchir à ce que l’on doit faire pour les ZEP. Je pense notamment à leur organisation en réseaux. (…)
Je souhaite également donner un nouveau souffle aux zones d’éducation prioritaire rurales. Il y a beaucoup à faire pour la solidarité scolaire entre villes et campagnes. (…) Des collèges ou des lycées sont surchargés dans les villes (…), alors que d’autres collèges se vident dans les zones rurales. (…) Il y a une action de jumelage, de parrainage à faire entre des collèges urbains et des collèges ruraux. On peut imaginer des classes urbaines transplantées pendant un, deux ou trois mois dans un collège rural, afin que chacun puisse retrouver ses racines et que la solidarité entre la ville et la campagne apporte beaucoup au public scolaire des quartiers difficiles. (…)
La violence à l’école
Ségolène Royal : Nous allons agir assez vite dans deux directions. La première idée est celle de Claude Allègre (…), à laquelle il travaille avec le ministère de l’Intérieur : il s’agit de créer des zones prioritaires anti-violence avec des moyens exceptionnels. La seconde est de lancer une action de sensibilisation à la violence (…) en la concentrant, dans un premier temps, sur une semaine citoyenne, la dernière semaine du mois de septembre. (…) Elle sera utilisée pour concevoir des projets de citoyenneté, pour engager des débats sur les phénomènes de violence et d’incivilité, pour organiser des visites de commissariats de police, de tribunaux, de casernes de pompiers, pour organiser des débats dans les quartiers. (…)
La Seine-Saint-Denis (…) est un département exemplaire pour la coopération entre l’école, la police et la justice. (…) Il faut absolument que tous les départements s’engagent dans cette logique de conventions entre tous les partenaires extérieures de l’école. Il faut aussi intégrer les parents d’élèves. Je me rends d’ailleurs compte avec étonnement que c’est peut-être ce qui sera le plus difficile (…). Mais nous avons absolument besoin de leur coopération pour réussir cette mission. (…)
Avez-vous commencé à « dégraisser le mammouth » ?
Ségolène Royal : Oui ! (…) Lorsque nous rouvrons des classes en faisant appel aux disponibilités d’instituteurs remplaçants, c’est une façon de rendre plus efficace le système scolaire. Lorsque nous avons comme objectif de remettre dans les classes tous les enseignants qui n’y sont pas, c’est une façon de rendre plus efficace le système scolaire. Lorsque nous avons l’intention d’alléger l’administration centrale, c’est une façon de rendre plus efficace le système scolaire. (…)
Que l’administration de l’éducation nationale soit plus souple, c’est une des conditions pour réussir le passage à l’an 2000, pour relever les défis du futur. (…)
Les maîtres auxiliaires
Ségolène Royal : Qu’en si peu de temps un conflit social aussi lourd ait pu être résolu ! (…) Nous allons réembaucher 40 000 auxiliaires à partir de la transformation d’heures supplémentaires en emplois. (…) Six cent instituteurs remplaçants vont être réembauchés. (…)
Une circulaire sur la pédophilie
Ségolène Royal : Une circulaire sera prochainement publiée. (…) J’ai veillé à ce qu’il y ait un équilibre entre la liberté de la parole de l’enfant, la prise en compte de cette parole trop longtemps étouffée dans le système scolaire (…) et le respect de la présomption d’innocence (…).