Interview de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, à RTL le 24 mars 1999, sur le conflit au Kosovo, la négociation du budget communautaire, la stabilisation des prélèvements obligatoires et la mise en congé de M. Roland Dumas du Conseil constitutionnel.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Olivier Mazerolle : Le comité consultatif des taux réglementés vous recommande de baisser le taux de rémunération du Livret A de 0,75 %. Vous n’allez pas le faire ?

Dominique Strauss-Kahn : Non. C’est un comité qui a été mis en place par le gouvernement pour donner un avis. Et c’est une bonne méthode, parce que c’est un comité indépendant qui réunit à la fois des gens qui représentent le secteur bancaire, mais aussi des gens qui représentent le secteur des HLM – puisque vous savez que l’argent des Caisses d’épargne sert à financer les HLM -, des usagers, c’est-à-dire des épargnants, etc. Il doit donner un avis. Son avis est qu’il faut baisser le taux du Livret A. L’avis du gouvernement – qui a toujours veillé à ce qu’on soutienne l’épargne populaire – est qu’il faut attendre pour voir comment les évolutions vont se faire. J’entendais à l’instant que le prix du pétrole est en train de remonter. Il ne faut donc pas se précipiter. Nous n’avons pas, aujourd’hui, de considérer que l’épargne populaire est trop rémunérée. Quand on voit la façon dont le reste de l’épargne peut être rémunéré, notamment à la Bourse ou ailleurs, on se dit que le moment n’est pas venu.

Olivier Mazerolle : Il y a tout de même un décalage entre la recommandation à 0,75 % et votre position qui est de ne pas bouger. Cela pourrait durer longtemps ?

Dominique Strauss-Kahn : Il faut adapter cette rémunération à l’inflation. Ce que nous avons voulu faire c’est un comité qui fonctionne entre deux bornes. Ce que nous avons garanti – première borne -, c’est que l’épargne populaire serait au moins rémunérée au moins à 1 % au-dessus de l’inflation. Et puis – deuxième borne -, qu’elle serait en dessous des taux qui sont ceux des taux de marché. L’inflation a effectivement beaucoup baissé. Vous le savez, c’est une des grandes réussites de l’année 1998. On est pratiquement sans inflation. Est-ce que cela va durer ? Nous ne le savons pas encore. Et c’est parce que ces conditions ne sont pas stabilisées que je pense qu’il ne faut pas se précipiter.

Olivier Mazerolle : Alors, encore quelques semaines ?

Dominique Strauss-Kahn : Non, ce n’est pas une question de semaines. Le comité a prévu de se réunir tous les six mois. Nous verrons.

Olivier Mazerolle : Aujourd’hui, le Conseil européen se réunit à Berlin. Il va parler de beaucoup de problèmes, y compris des Balkans. C’est la première fois tout de même, c’est une journée dramatique puisque, pour la première fois depuis 1945, des États européens se sont coalisés pour porter la guerre sur un autre État, sur le territoire d’un autre État européen.

Dominique Strauss-Kahn : Oui, ce qu’il faut bien voir dans cette affaire c’est que tout a été fait – tout ! – pour qu’une solution négociée soit mise en avant. Cela fait plus d’un an que le groupe de contact, auquel la France appartient, a essayé de convaincre les deux parties – Kosovars et Serbes – de trouver une solution négociée. Et à Rambouillet, il y a quelques jours, la partie Kosovar a accepté les dispositions que la communauté internationale proposait. Ce sont les Serbes qui n’ont pas voulu. Et donc, quand tout a été fait pour essayer de trouver une solution pacifique, alors il faut bien à un moment donné, que nous empêchions l’armée serbe de poursuivre ses actions, qu’on casse sa capacité offensive. Et c’est la raison des frappes qui ont été décidées.

Olivier Mazerolle : Il y a beaucoup de problèmes au sein de l’Europe sur les questions financières ; et, là, face à la Serbie, tout le monde se ressoude.

Dominique Strauss-Kahn : Il y a des problèmes sur les questions financières. Mais il ne faut pas mettre les deux problèmes sur le même plan. Les questions financières sont des questions qui trouvent toujours une solution. Les questions militaires – où il y a vie et mort d’hommes, liberté d’un peuple – sont d’une autre ampleur. Les problèmes financiers vont continuer aujourd’hui, à Berlin. Je pars avec le président de la République et le premier ministre, à Berlin, pour cette négociation sur l’avenir de l’Europe, le budget européen pour les années qui viennent. Cette négociation n’est pas terminée. Elle est difficile. Chacun essaye de voir ses propres intérêts en même temps qu’il poursuit les intérêts généraux. Vous savez que nous tenons beaucoup à ce que la situation pour l’agriculture européenne – et cela veut dire assez largement l’agriculture française, car nous faisons grosso modo la moitié de la culture européenne – soit bonne. Mais ce que nous voulons surtout, c’est qu’on ne dépense pas trop. On ne peut pas demander à chacun des États de faire attention à sa dépense publique – nous le faisons, nous, en France, puisque que, pour la deuxième année consécutive, nous avons fini l’année 1998 sans augmentation de la dépense publique -, on ne peut pas le demander, d’une part, et puis de l’autre côté, du côté européen, se mettre à dépenser sans compter.

Olivier Mazerolle : Considérez-vous qu’il faut vraiment, de manière impérative, qu’il y ait un accord au cours de ce Conseil européen ?

Dominique Strauss-Kahn : C’est très souhaitable. Il est fait pour cela. Il ne vaut mieux pas d’accord qu’un mauvais accord. Mais il est très souhaitable que nous essayions d’arriver à une solution.

Olivier Mazerolle : Mais, entre la France et l’Allemagne, il s’est passé de drôles de choses ces dernières semaines : vous avez le sentiment que l’Allemagne a tenté d’isoler la France auprès de ses partenaires ?

Dominique Strauss-Kahn : Non, je ne dirais pas cela comme cela. L’Allemagne, qui préside l’Union européenne aujourd’hui, est à la fois obligée d’essayer de trouver des consensus parce qu’elle préside – elle est là pour cela – et aussi défendre ses propres intérêts. Or, les Allemands considèrent qu’ils payent trop. Très bien ! Beaucoup de gens peuvent en dire autant. Mais les Allemands, en tout cas, l’ont dit avec force. Mais la plupart des pays sont d’accord avec la France sur l’idée qu’il faut d’abord commencer par stabiliser les dépenses. Et nous disons à nos amis allemands : on va voir si vous payez trop, mais en tout cas, la meilleure manière de ne pas continuer à payer plus est de commencer à stabiliser la dépense. Ce n’est pas en augmentant la dépense qu’au total vous finirez par payer moins.

Olivier Mazerolle : Revenons en France à propos du budget : les prélèvements obligatoires n’ont pas baissé en 1998 contrairement aux annonces faites par le gouvernement ?

Dominique Strauss-Kahn : Je trouve formidable que ceci soit, pour vous, une surprise, parce que cela montre que ce gouvernement a réussi à indiquer à la population son objectif : qui est de stabiliser, puis de baisser les prélèvements obligatoires. Il y a deux ans, avec le gouvernement précédent, vous n’auriez pas été surpris, parce que les prélèvements obligatoires augmentaient tous les ans.

Olivier Mazerolle : Oui, mais on avait entendu : « Cela va baisser. » Et puis cela ne baisse pas ?

Dominique Strauss-Kahn : Absolument. Nous espérions que cela allait baisser, en fait c’est seulement stabilisé. Il ne faut pas que l’arbre cache la forêt, non plus ! Stabiliser les prélèvements obligatoires : c’est la première fois que cela arrive depuis de très nombreuses années. Je pense que le mouvement qui conduira à faire baisser se poursuivra. Mais c’est vrai, autant le reconnaître, j’espérais que, dès cette année, on passerait d’une année ou cela avait augmenté – c’était l’ancienne majorité – à une année ou cela baisserait. Je pensais qu’on inverserait tout de suite. Et puis, qu’est-ce qu’il s’est passé ? Nous avons moins d’inflation que prévu, et l’effet pervers du fait d’avoir moins d’inflation c’est que la production est moins grande ; et donc finalement, ce qu’on appelle « le taux de prélèvement obligatoire » est plus élevé que prévu. Mais, il est quand même stabilisé. Et, ce qui me paraît très important, c’est justement le fait que nous avons cassé le mouvement de hausse qui, année après année, depuis 1993, puis en 1994, 95, 96, 97, avait marqué la hausse.

Olivier Mazerolle : L’opposition vous accroche. Le RPR dit : « Jamais il n’y a eu une conjoncture pareille, et vous n’avez pas réussi ! »

Dominique Strauss-Kahn : Il ne faut pas que l’hôpital se moque de la charité. Que l’opposition se réjouisse de ce que nous ayons réussi à faire ce qu’ils n’ont jamais réussi : stabiliser les prélèvements obligatoires. Et, de la même manière, ils pourront ensuite se réjouir quand ils commenceront à baisser. Il faut qu’ils baissent, d’ailleurs, un jour parce que je considère que nous avons des taux de prélèvements obligatoires qui sont trop élevés. Mais, pour arrêter un train fou qui avait été lancé depuis quelques années, il faut un peu plus de temps que je ne l’avais moi-même compté, en effet ; et donc, je suis très heureux d’avoir un taux de prélèvements obligatoires qui est stabilisé. J’aurais été encore plus heureux si, dès cette année, évidemment on avait pu marquer l’inflexion.

Olivier Mazerolle : Un mot sur R. Dumas : mise en congé, cela suffit ? Il n’aurait pas mieux fait de démissionner ?

Dominique Strauss-Kahn : Il était temps que quelque chose se passe. Je pense que le mouvement qu’a organisé R. Dumas était le minimum qu’il pouvait faire. Il fallait que le Conseil constitutionnel puisse retrouver un fonctionnement normal.

Olivier Mazerolle : Pas de démission ?

Dominique Strauss-Kahn : Comme on l’a toujours dit, c’est à lui qu’il appartient de prendre une décision. Il a fait, sous la pression des évènements un premier pas. Beaucoup peuvent penser que ce pas n’est pas suffisant. En tout cas, c’est un premier pas qui marque un retrait de R. Dumas de l’activité du Conseil.