Interviews de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, à Europe 1 le 11 août 1997, à France-Inter le 22, dans "L'Express de Madagascar" le 26 et "L'Humanité" du 29 août 1997, sur les grandes lignes de la politique sportive.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1 - France Inter - L'Express de Madagascar - L'Humanité

Texte intégral

Europe 1 - Lundi 11 août 1997

Europe 1 : Les championnats du monde d’athlétisme se sont terminés hier soir à Athènes, championnats marqués par l’arrivée d’une nouvelle génération d’athlètes français. Quel bilan dressez-vous de la compétition ?

M.-G. Buffet : J’ai un sentiment partagé. À la fois, nous avons eu des déceptions mais je crois que ce que l’on va retenir de ces championnats du monde et de l’équipe de France, c’est une formidable jeunesse, c’est ce sentiment très collectif d’appartenir à une équipe. J’ai eu l’occasion de rencontrer ces sportifs pour débattre avec eux et, déjà, j’avais été frappé par cette envie, cette ambition, cette envie de réussir. Et je crois que nous sommes à un moment transitoire, où des jeunes arrivent. Et je pense que c’est plein d’espoir.

Europe 1 : L’esprit d’équipe c’est une chose, les résultats c’est une autre chose. Deux médailles seulement pour les Français : celle de S. Diagana sur 400 mètres haies, et le bronze pour le 400 fois 100 mètres féminin. C’est assez peu. De quoi souffre le sport français ?

M.-G. Buffet : Je ne pense pas qu’on puisse dire que le sport français souffre de quelque chose. Nous sommes dans une période transitoire où une nouvelle génération de sportifs est en train d’éclore. Il faut maintenant aider ces jeunes à vraiment progresser. Pour ça, il faut consacrer les moyens nécessaires au haut niveau et à la préparation olympique.

Europe 1 : Cela veut dire que votre ministère va consacrer davantage d’argent en faveur du sport de haut niveau ?

M.-G. Buffet : Oui. Nous voulons, dans ces années olympiques, mettre plus de moyens pour aider les jeunes athlètes à progresser et à pouvoir consacrer plus de temps à leur préparation. J’ai rencontré à Athènes, des jeunes athlètes qui avaient été libérés de leur métier un mois avant seulement et ça ne permet pas d’atteindre les résultats qu’on pourrait espérer.

Europe 1 : Donc, ce n’est pas seulement une question d’argent. Il faut également aménager les emplois du temps des athlètes et leur permettre de mieux s’entraîner ?

M.-G. Buffet : Bien sûr. Je pense qu’aujourd’hui, vu le niveau des résultats, il faut que les athlètes français puissent consacrer tout le temps nécessaire à leur préparation.

Europe 1 : Il faut débloquer combien d’argent ?

M.-G. Buffet : On est en train d’élaborer le budget, j’ai demandé 11 millions supplémentaires pour la préparation olympique et le haut niveau.

Europe 1 : Pour quels sports en particulier ?

M.-G. Buffet : Pour l’ensemble des sports mais évidemment, parmi ceux-ci, l’athlétisme.

Europe 1 : Plus d’argent pour l’élite, certains s’en étonneront de la part d’un ministre communiste ?

M.-G. Buffet : Non ; je crois que l’opposition entre sport pour tous et sport de haut niveau est dépassée. Il faut, au contraire, que les deux s’épaulent. À la fois plus d’argent pour le haut niveau, mais aussi plus d’argent pour aider les clubs. Je pense que c’est dans le vivier du sport pour tous que se révèlent les champions de demain.

Europe 1 : Entre sport de masse et compétition, il doit y avoir un équilibre. Il ne faut pas que l’un se fasse aux dépens de l’autre.

M.-G. Buffet : Oui. Je crois qu’aujourd’hui, l’opposition entre professionnels et amateurs est un peu dépassée. Je crois que le véritable clivage aujourd’hui est entre un sport qui maîtrise de l’argent, ou un sport qui est lui-même maîtrisé par l’argent. C’est cela, la véritable question qui est posée au sport français.

Europe 1 : Il faut nécessairement de l’argent pour réussir aujourd’hui dans le sport ?

M.-G. Buffet : Oui, je pense même que le sport n’a pas assez de moyens. Le problème est que l’argent ne doit pas commander le sport. L’argent doit être utile pour permettre le développement du sport pour tous et pour permettre le haut niveau. Mon principal souci aujourd’hui, c’est d’aider le mouvement sportif qui le souhaite, à vraiment avoir la maîtrise de ses objectifs, avec les moyens nécessaires.

Europe 1 : Le sport manque de moyens, vous le dites, à un moment où L. Jospin demande à tout le monde de se serrer la ceinture. Comment se situe le budget de la jeunesse et des sports dans les lettres de cadrage que la plupart des ministres vont recevoir aujourd’hui ?

M.-G. Buffet : Je crois que le budget de la jeunesse et des sports a marqué une rupture, c’est-à-dire, que nous allons certainement préserver les établissements de préparation et de formation avec les emplois nécessaires. Nous allons mettre, comme je viens de le dire, plus de moyens pour le haut niveau et nous allons pouvoir dégager plus de moyens pour les clubs, puisque nous allons conserver des sommes importantes alors que nous aurons à moins supporter, cette année, les investissements pour la Coupe du monde.

Europe 1 : La Coupe du monde est dans moins de an. Où en est-on dans la préparation ?

M.-G. Buffet : Nous avons entamé une visite des sites de la Coupe du monde. Je crois que le Comité français d’organisation a fait un excellent travail. J’ai eu l’occasion plusieurs fois de rencontrer M. Platini et nous travaillons vraiment en commun. Maintenant, je pense que le principal souci que nous devons avoir est d’essayer de faire en sorte que cette Coupe du monde soit appropriée par la population et notamment la jeunesse. Cela reste trop encore un événement réservé. Il faut vraiment, maintenant, que l’on fasse de cette Coupe du monde une grande fête populaire.

Europe 1 : Mais comment faire ?

M.-G. Buffet : Déjà, le Comité français d’organisation avait pris des dispositions pour organiser des tournois de jeunes, pour faire connaître cet événement à l’étranger. Nous allons essayer, nous, de donner plus de visibilité à toutes ces initiatives, aux initiatives prises par les villes concernées et les départements. Et, nous allons nous-mêmes aider, avec les moyens du ministère, des initiatives comme « Cité-Foot » pour que beaucoup de jeunes se sentent concernés dans cette affaire.

Europe 1 : Vous craigniez que les jeunes soient un peu exclus de la fête ?

M.-G. Buffet : Écoutez, il y a un véritable engouement pour cette Coupe du monde et c’est formidable. Il y a un nombre de places limité, bien évidemment, et tous les jeunes qui souhaitent assister aux matchs ne pourront pas le faire. Il faut donc trouver le moyen, à travers le sport ou à travers des événements culturels, festifs, qu’ils soient de la fête.

Europe 1 : Autre événement, les journées mondiales de la jeunesse qui débutent à Paris, lundi prochain. Quel regard portez-vous sur ce rassemblement ?

M.-G. Buffet : Si ce rassemblement est, comme il se prépare, un rassemblement de la jeunesse pour la paix, mon regard est positif sur un message de fraternité, de solidarité.

Europe 1 : Cela fait deux mois que le Gouvernement Jospin est en place, quel bilan d’étape dressez-vous ?

M.-G. Buffet : Je crois que cette première étape a été marquée par une rigueur de travail, beaucoup de concertation car c’est comme cela que j’ai essayé d’envisager ce début de responsabilité ministérielle. Je pense que nous sommes en capacité aujourd’hui, après toutes ces rencontres, d’aborder une deuxième phase qui serait une phase de propositions précises que nous soumettrions à de nouveaux débats car je pense que cela doit être une démarche permanente, voire une nouvelle conception de la responsabilité et du pouvoir. Je pense que c’est un bilan constructif.

Europe 1 : Dans quel sens les ministres communistes devront-ils peser dès la rentrée ?

M.-G. Buffet : Ce gouvernement a été élu à partir d’attentes exprimées par les Français et les Françaises. Attente d’un mieux social, attente d’un mieux au niveau de l’égalité, de leurs conditions de vie et je pense également, attentes par rapport à une nouvelle démarche politique. Je pense, et c’est comme cela que je le conçois, que nous devons travailler en ce sens et vraiment développer une démarche de concertation, faire des choix, dans les responsabilités qui sont les nôtres, qui permettent de répondre à ces besoins.

Europe 1 : Petite question indiscrète pour terminer cet entretien. Où M.-G. Buffet passe-t-elle ses vacances ?

M.-G. Buffet : Dans une région que j’aime beaucoup, la Bretagne.

Europe 1 : Vacances sportives pour le ministre de la jeunesse et des sports ?

M.-G. Buffet : Beaucoup de marche, un peu de bain et beaucoup de rapports familiaux, je crois que c’est important.


France Inter - Vendredi 22 août 1997

France Inter : Je vous ai vue hier à la télévision, accueillir le Pape à l’Élysée. La poignée de main de Jean-Paul II, elle est comment ? Énergique ?

M.-G. Buffet : C’est une poignée de main normale. J’étais à l’Élysée en tant que ministre de la jeunesse, puisque ces journées sont avant tout un rassemblement des jeunes dans leur diversité, des jeunes catholiques. Et je crois que c’était important que le ministre de la jeunesse marque sa présence.

France Inter : Cela vous impressionne, cette ferveur des jeunes du monde entier réunis à Paris ?

M.-G. Buffet : Je crois que ce sont des jeunes qui sont porteurs d’un certain idéal. Ils sont à la recherche de partage, d’échanges, de solidarité, de rencontres. Je crois que ce sont des démarches positives.

France Inter : Ce sont des valeurs que vous parlent, en tout cas.

M.-G. Buffet : Tout à fait.

France Inter : L’intérêt des communistes pour cette manifestation est une vraie surprise. Il y a plusieurs pages chaque jour dans le journal L’Humanité. Il y a même des rencontres organisées dans certaines municipalités communistes, comme à Ivry. C’est surprenant, cette ferveur communiste ?

M.-G. Buffet : Un tel rassemblement de jeunes est un événement important. C’est normal que cela intéresse et beaucoup de villes de gauche ont accueilli ces jeunes. Et qu’il y ait des rencontres entre ces jeunes catholiques et d’autres jeunes, je crois que c’est important.

France Inter : Les JMJ, c’est un peu comme la fête de L’Huma ? Il y a des points communs ?

M.-G. Buffet : Je ne sais pas s’il y a des points communs mais lorsque je regardais les images de la fin du rassemblement des scouts hier soir, où il y avait vraiment de la joie, où tous ces jeunes se sont précipités dans les bassins, ont dansé, ont chanté, cela peut alors ressembler à la fête de L’Huma.

France Inter : Ce qui vous plaira moins, c’est la visite du Pape aujourd’hui sur la tombe du professeur Lejeune, actif militant antiavortement. Vous condamnez ?

M.-G. Buffet : Je crois que cette visite constitue, qu’on le veuille ou non, un encouragement aux commandos anti-IVG. On a vu d’ailleurs récemment, à l’hôpital Ambroise-Paré, dans les Hauts-de-Seine, un commando se réclamant du professeur Lejeune. Donc, je pense que c’est une visite qui va a contrario de ce que sont les aspirations des femmes et des hommes dans ce pays.

France Inter : Il y a un risque pour le droit à l’avortement ?

M.-G. Buffet : Un risque ? Non, parce que je pense que nous sommes dans un pays où les femmes sont extrêmement mobilisées pour défendre leur droit à la maîtrise de la fécondité. On le voit bien avec la réaction des mouvements féministes qui ont tenu des assises au début de l’année, que nous sommes en capacité de préserver les acquis des femmes.

France Inter : C’est un droit mais il faut être vigilant, non ?

M.-G. Buffet Je crois qu’en ce qui concerne les droits des femmes, il faut toujours être vigilant.

France Inter : C’est votre combat d’ailleurs ?

M.-G. Buffet : C’est un combat que je mène depuis des années et que je suis décidée à poursuivre.

France Inter : Vous diriez que certains droits sont en danger ?

M.-G. Buffet : Ces droits sont récents et ils restent fragiles, notamment dans une période où les difficultés de la vie peuvent entraîner de nouveaux reculs des mentalités. Par exemple, je sens bien qu’avec le chômage, des idées comme celles du retour des femmes au foyer peuvent parfois, de nouveau, avoir quelque impact. Donc, il faut toujours rester actif pour faire entendre les droits des femmes, c’est-à-dire, les droits des individus. À travers le monde, on voit bien que chaque fois que les droits des femmes sont remis en cause, ce sont les droits des individus en général qui sont touchés.

France Inter : Les ministres s’arrachent, paraît-il, les emplois-jeunes voulus par le Gouvernement. Des engagements, des chiffres : combien pour votre ministère de la jeunesse et des sports ?

M.-G. Buffet : À partir d’une estimation sérieuse des besoins existants, parce qu’il ne s’agit pas de créer des emplois fictifs qui n’auront pas de suite mais bien à partir de besoins qui, à l’heure actuelle, ne sont pas satisfaits, nous pensons, avec le mouvement associatif que nous avons rencontré et le mouvement sportif, qu’il serait possible d’ici fin 1998, de créer 8 000 emplois et, dans l’année 1999, encore 10 000 emplois. Mon souci premier est que ces emplois soient rapidement professionnalisés. Nous avons les moyens, au niveau du ministère de la jeunesse et des sports, grâce à nos filières de formation, que ce soit au niveau animation ou au niveau sportif, de donner une qualification très rapide à ces jeunes et de leur ouvrir réellement un métier.

France Inter : Vous connaissez bien A. Bocquet, il est président du groupe PC à l’Assemblée et il est un peu inquiet. Il dit que le plan emplois-jeunes va dans le bon sens mais qu’il ne s’agit pas d’une solution de fond.

M.-G. Buffet : Je crois d’abord que le plan emplois-jeunes tel qu’il est aujourd’hui est très positif. Après, le débat parlementaire peut permettre, et je pense que cela va être le cas, de l’améliorer encore. Mais bien sûr, il est vrai que ce plan emplois-jeunes ne répond pas, à lui seul, à la question du chômage. C’est un des aspects de la lutte contre le chômage. C’est un aspect qu’il faut souligner par sa force. Il répond vraiment à une préoccupation des jeunes, mais aussi des adultes. Mais pour lutter contre le chômage, il faudra une relance de la consommation, il faudra s’en prendre plus aux revenus du capital par rapport aux revenus des salariés. Je crois que c’est le plan emplois-jeunes, il ne faut pas lui demander plus que ses objectifs.

France Inter : Cela va bien, pour l’instant, pour vous au gouvernement. Vous, générique, qui englobe les communistes ?

M.-G. Buffet : Je crois qu’on a entamé un travail positif. Nous sommes dans un gouvernement où il y un tel réel échange à travers la réunion des ministres, à travers des concertations interministérielles. Donc, oui, je me sens bien.

France Inter : Je reviens au plan emplois-jeunes : vous aussi, vous avez votre lot de nouveaux métiers autour du sport ? Qu’est-ce qu’il pourrait y avoir comme nouveaux métiers dans votre domaine ?

M.-G. Buffet : Il faut faire attention quand on dit nouveaux métiers. Il faut partir des besoins. Par exemple, au niveau du mouvement sportif, il y a d’énormes besoins d’encadrement au niveau local, au niveau des clubs, en direction de la jeunesse mais aussi des anciens. Par exemple, la pratique du sport au féminin se développe, il faut répondre à ce développement. Donc, je pense qu’il y a des besoins énormes d’encadrement, de formation, du sport, y compris du sport de loisirs. Au niveau des associations, il y a un énorme travail qui est fait par le bénévolat et il faut le préserver, mais tous les bénévoles nous disent qu’ils ont besoin d’emplois pour la gestion des associations, pour la formation. Il y a, là, un gisement réel.

France Inter : Un mot du budget : vous avez obtenu des crédits intéressants pour votre ministère ?

M.-G. Buffet : On est en cours d’élaboration de ce budget et puis il y aura le débat parlementaire.

France Inter : Il y a les lettres-plafond quand même.

M.-G. Buffet : Voilà. Ce que je peux dire, à travers la lettre de cadrage, c’est que c’est un budget qui va marquer une rupture par rapport à ce qui se passait précédemment au ministère de la jeunesse et des sports.

France Inter : Dans quel sens ?

M.-G. Buffet : Nous allons, pour la première fois depuis des années, non seulement préserver l’emploi dans ce ministère, notamment l’emploi de proximité qui va permettre de créer d’autres emplois mais sortir avec peut-être plus d’emplois que nous en avions précédemment, notamment des emplois qui permettent d’aider les associations au niveau local, dans les directions départementales de la jeunesse et des sports, au niveau du mouvement sportif, au niveau des cadres techniques, de la préparation du haut niveau. Et nous allons dégager une somme plus importante pour l’intervention, c’est-à-dire, pour l’aide aux clubs, pour l’aide aux associations.

France Inter : En ce moment, vous êtes davantage ministre de la jeunesse que ministre des sports, comment répartissez-vous vos deux activités ?

M.-G. Buffet : Je l’avais dit au début, la tendance était un peu de réduire ce ministère uniquement au sport. Il a fallu rétablir un peu du côté jeunesse. Maintenant, je crois qu’on a trouvé un équilibre. Nous avons, dans les semaines à venir, deux grandes échéances. On a les rencontres jeunes pour préparer les mesures pour la citoyenneté des jeunes et nous allons organiser toutes une série de forums du mouvement sportif pour préparer un nouveau projet de loi sur le sport en 1998.

France Inter : Comment appréhendez-vous cette jeunesse, parce que ce n‘est pas facile, c’est une entité, comme ça ? Vous avez deux enfants, ils vous aident, vous les écoutez ?

M.-G. Buffet : Bien sûr, j’écoute mes enfants, mais il faut écouter les jeunes dans leur diversité. Donc, je me déplace beaucoup, je vais à la rencontre des associations créées par les jeunes, ce qui me permet de discuter en direct avec eux. Moi, je trouve que ce qui domine, quelle que soit la situation de ces jeunes, c’est une formidable volonté de s’en sortir. Et donc, ce qu’ils attendent de nous, ce n’est pas tellement des discours ou des conseils mais simplement des mesures concrètes pour les aider à intervenir, que ce soit dans le milieu associatif, que ce soit au niveau local, à tous les niveaux.

France Inter : Donc, vous tentez de sortir du double spectre chômage-sida pour les jeunes ?

M.-G. Buffet : Oui, bien sûr, chaque fois que l’on rencontre les jeunes, la question du chômage vient en premier, avec la question de la santé, du sida, mais ce qu’ils veulent que l’on discute, ce n’est pas du constat – on le connaît, ils le connaissent, ils le vivent – mais c’est plutôt des mesures précises pour les aider à avancer.

France Inter : Lors de votre nomination début juin, vous aviez décidé d’arrêter de fumer, vous tenez bon ?

M.-G. Buffet : J’ai parfois des difficultés ! Mais j’essaie toujours, je vais y arriver.

France Inter : Le badge, l’acupuncture ?

M.-G. Buffet : Je crois que c’est d’abord une question de volonté personnelle.


L’Express de Madagascar :  26 août 1997

L’Express de Madagascar : Madame le ministre, compte tenu de votre sensibilité, quelle idée avez-vous, vous faites-vous de la Francophonie ?

Marie-George Buffet : Je crois beaucoup à une approche de la Francophonie qui ne se limite pas à l’usage d’une langue commune. Si la défense et la promotion de la langue française est sans aucun doute un élément structurant de la Francophonie, celle-ci ne peut motiver les jeunes que si elle s’identifie à des valeurs progressistes. Je parle des jeunes, car n’oublions pas que les moins de 25 ans représentent 55 % des 475 millions de francophones à travers le monde. Pour ces jeunes, et en particulier pour ceux qui vivent dans les pays du Sud, la Francophonie n’a de sens que si elle est vécue comme un moyen d’accéder à l’éducation, à l’emploi, à la santé, à la diversité des cultures nationales. En relevant le défi du développement, la Francophonie peut délimiter un espace de résistance économique, sociale et culturelle à une conception ultralibérale de la mondialisation. Ce serait une belle manière de faire du français cette langue « non alignée » dont parlait M. Boutros Ghali, l’ancien secrétaire général du l’ONU.

L’Express de Madagascar : Et de ses jeux quadriennaux ?

Marie-George Buffet : Ces jeux sont un moment privilégié qui donnent à voir et à entendre une Francophonie à la fois « une » mais jamais uniforme. À la fois marquée par une histoire commune, parfois douloureuse, souvent libératrice, et toujours fouillée par une extraordinaire diversité. Le choix d’organiser une telle rencontre dans un pays francophone qui exprime une volonté de développement est particulièrement important. On peut en effet constater que, sous la pression d’impératifs financiers, les grands événements sportifs mondiaux se déroulent quasi exclusivement dans les pays développés. C’est regrettable, et c’est profondément injuste. C’est pourquoi, il convient non seulement de préserver ces Jeux de la Francophonie, mais également de leur donner une dimension nouvelle. L’un de mes objectifs est notamment de parvenir à ce qu’à l’avenir, la participation française à ces jeux, soit la plus élevée possible, en particulier dans les compétitions sportives.

L’Express de Madagascar : Le gouvernement auquel vous appartenez a-t-il une orientation particulière sur le sujet, une redéfinition comme il en a une, par exemple, sur la politique française de coopération ?

Marie-George Buffet : Ces troisièmes Jeux de la Francophonie ont fait l’objet d’une communication que j’ai présentée au conseil des ministres le 20 août dernier. Je peux dire que la Francophonie en général, et la tenue de ces jeux en particulier, sont l’objet d’une attention particulière du Président de la République, du Premier ministre et du gouvernement français. Cet engagement à l’égard de Madagascar et du comité d’organisation des jeux s’est notamment traduit pas un investissement de 8 millions de francs pour la réhabilitation des installations sportives, en particulier le stade d’athlétisme de Tananarive.

L’Express de Madagascar : Vécu de loin, et uniquement sur le plan linguistique et culturel plus qu’économique, on a parfois le sentiment d’une certaine ostentation, sans grandes retombées pratiques et quotidiennes dans la durée, à maintenir l’intégrité, la cohérence, la solidarité effectives de l’espace francophone et que la France n’a pas toujours les moyens et les techniques de ses ambitions dans ce domaine précis du rayonnement de sa langue. Qu’en pensez-vous ?

Marie-George Buffet : Le rayonnement de la langue française dans le monde, revêt aujourd’hui des enjeux tout à fait nouveaux et souvent sous-estimés. L’influence linguistique a des conséquences très directes sur l’économie, la science, l’accès à l’information, l’organisation des sociétés. De ce fait, la notion même de Francophonie est en pleine mutation. Pour les pays du Sud, et notamment l’Afrique, la Francophonie pourrait être un levier de développement et de démocratie, de dialogue des cultures et de solidarité. Sur ce point précis, les orientations générales avancées sous différents gouvernements allaient plutôt dans la bonne direction. Mais les actes, c’est vrai, n’ont pas toujours suivi. Et c’est bien aux actes que se juge une politique. Celle que le gouvernement dont je suis membre a la volonté de mettre en œuvre, veut répondre à des attentes très fortes. C’est le message que je porte ici.

L’Express de Madagascar : Les livres en français, des manuels scolaires aux romans, des ouvrages techniques, scientifiques aux grands classiques, sans parler de la presse, sont d’un prix inaccessible aux francophones de l’hémisphère Sud. Ne pensez-vous pas que si le budget des jeux était affecté au soutien de la diffusion du livre et de la presse française dans le monde, cela aurait plus d’impact que cette éphémère manifestation d’échanges sportifs et culturels.

Marie-George Buffet : Le livre et la presse constituent en effet des moyens irremplaçables de diffusion du français. Faisons donc en sorte qu’ils soient accessibles au plus grand nombre par des actes concrets de coopération. Mais n’opposons pas ce qui peut être fait dans ce domaine, à ce qui se fait déjà à travers les Jeux de la Francophonie.

L’Express de Madagascar : Sur le plan sportif, pensez-vous que tout soit fait pour aider les athlètes francophones à se révéler, à s’épanouir ? Politique de bourses, de stages, de présence aux grandes rencontres internationales ?

Marie-George Buffet : Des choses se font, elles sont insuffisantes, mais elles permettent à l’espace francophone, et en particulier à l’Afrique, de continuer de combler le fossé qui l’a trop longtemps séparé des grandes nations sportives. Le dispositif français d’aide au développement du sport de haut niveau dans les pays francophones s’effectue désormais dans le cadre de la Confejes, du Comité international olympique, et des confédérations africaines.

Pour l’année 1997, les bourses françaises s’élèvent à 1,7 million de francs. À quoi s’ajoute une contribution de 1 million de francs pour l’organisation, par la Confejes, de stages d’athlétisme, de boxe et de judo. Tout ceci mérite certainement d’être accru. Et surtout, il nous faut être bien plus attentif au développement de projets sportifs de proximité, à des échanges directs entre jeunes sportifs francophones. Je souhaite que toute l’animation qui va entourer la Coupe du monde de football pourra atteindre déjà cette dimension. Je compte d’ailleurs aborder ce sujet ici avec mes homologues francophones.

L’Express de Madagascar : Quant aux échanges, aux rencontres de jeunes, à l’exception de très rares initiatives privées et souvent confessionnelles, ils sont inexistants. Avez-vous le projet de les développer ? Et comment ?

Marie-George Buffet : C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. L’un des paradoxes de l’époque que nous vivons est de voir se creuser des inégalités insupportables entre pays développés et pays pauvres et, en même temps, de constater à quel point, dans ces pays, les aspirations sont communes. Les jeunes en donnent les meilleures preuves. On écoute Mc Solaar dans les lycées de Dakar, d’Abidjan, de Tunis et de la banlieue de Paris. On a également vu, ces dernières années, des jeunes de grandes villes francophones descendre dans les rues pour le droit à l’éducation. Nous ne devons pas craindre ces mouvements profonds, mais nous en réjouir. La Francophonie n’a pas d’avenir si elle n’est pas portée par cette génération qui dit d’une même langue la volonté de s’en sortir, de vivre dignement. C’est cette démarche de confiance que je souhaite traduire par des actes. Dans toutes les rencontres que j’ai avec des jeunes français, ils me disent leur désir de se rapprocher de jeunes d’autres pays qui partagent les mêmes problèmes et les mêmes espoirs. Ils ont souvent des projets très concrets de coopération et d’échanges dans le domaine éducatif, sportif, culturel, scientifique, dans la lutte contre le sida, dans la prévention de la toxicomanie, dans l’organisation de compétitions sportives à l’échelle de quartiers ou de communes. Ce sont tous ces projets qu’il nous faut aider et faire aboutir pour que la Francophonie soit réellement ce lieu vivant où les uns apprennent des autres et aux autres.

L’Express de Madagascar : Enfin, sur un plan plus personnel, étiez-vous déjà venue dans cette région de l’océan Indien ou Madagascar ? Quelle idée vous en faites-vous, et par quel biais : la télévision, la presse, la littérature, les rapports de vos collaborateurs, etc. ?

Marie-George Buffet : C’est mon premier voyage dans l’océan Indien. Je m’y suis préparée en lisant beaucoup, en consultant des amis, en invitant également des personnalités comme la nouvelle députée réunionnaise, Huguette Bello. Mais je crois que rien ne remplace ce que je vais découvrir et apprendre dans votre pays.


L’Humanité : 29 août 1997

L’Humanité : Quelle est la portée des Jeux de la Francophonie à Madagascar ?

Marie-George Buffet : C’est d’abord un grand événement sportif et culturel. Malgré les conditions difficiles que connaît Madagascar, il y a eu une formidable organisation des jeux et une très grande adhésion de la population malgache qui est un message fort pour la langue et la culture française. Il faut conserver l’originalité des Jeux de la Francophonie. Il ne s’agit pas de copier des championnats du monde ou des Jeux olympiques, mais de créer les conditions de véritables rencontres entre les peuples de la francophonie, dans la fraternité et la solidarité. La deuxième singularité de ces jeux est de faire en sorte qu’ils se préservent de tous appétit financier et de surenchère. Tous les pays de l’espace francophone doivent pouvoir être à même de les organiser. À Madagascar, il est important d’associer la jeunesse comme cela est le cas au village des sportifs et artistes, où la jeunesse domine au sein des délégations.

L’Humanité : Cette jeunesse, est-ce important pour vous ?

Marie-George Buffet : Je pense que si on veut que la francophonie ait un avenir, il faut que ce que nous sommes amenés à donner aux jeunes réponde bien à ce qu’ils attendent de nous. La francophonie est la défense d’une langue et de sa culture, mais ce n’est pas là son rôle exclusif. Récemment, une enquête menée auprès des jeunes des pays qui parlent français, en Afrique, en Europe, en Amérique ou en Asie, montrait que malgré les différences, les aspirations étaient semblables : l’éducation, la formation, l’emploi, l’action contre le sida, la drogue, l’accès à la culture et au sport et, pour les jeunes filles, à une véritable égalité. Dans l’avenir, des initiatives concrètes devraient voir le jour envers ces jeunes. Le ministère va s’investir dans ce sens. En vue de la Coupe du monde de football, nous allons mettre en œuvre une série d’animations sportives et culturelles qui auront une forte dimension internationale envers les pays francophones.

L’Humanité : On est tout de même surpris par le peu d’intérêt autour de cette manifestation et, du côté de la délégation française, hormis peut-être le judo, on ne constate pas de « têtes d’affiches ».

Marie-George Buffet : C’est vrai, cette manifestation, qui n’en est, certes, qu’à sa troisième édition, demeure encore trop ignorée. Elle souffre d’un manque d’intérêt dans l’opinion et, ne nous le cachons pas, elle mobilise difficilement la communauté sportive et culturelle. Il faut donc nous adapter à modifier cette situation par l’élément le plus fédérateur de ces jeux, la francophonie.