Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 4, 11, 18, et 25 juillet 1997, sur Renault Vilvorde, le RPR, et l'audit sur les finances publiques.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Lutte ouvrière - 4 juillet 1997

Vilvorde
Un révélateur mais pas une révélation

Dans l'affaire - le drame pour 3 000 travailleurs – de Renault Vilvorde, on ne sait qui est le plus hypocrite, de Lionel Jospin et de son gouvernement, ou des dirigeants et députés des partis de gauche ou des confédérations syndicales qui jouent aujourd'hui les étonnés.

Ils font semblant de découvrir que l'expertise n'était qu'un écran de fumée et qu'elle n'empêcherait ni la fermeture de Renault Vilvorde ni même en retarderait la date fixée au 31 juillet.

Tous ceux qui feignent de s'étonner aujourd'hui ont couvert le fait que le gouvernement de Lionel Jospin était aussi anti-ouvrier que ses prédécesseurs malgré ses bonnes paroles.

Lorsque, au lendemain des élections c'est-à-dire il y a un mois à peine, nous disions que les travailleurs n'avaient rien à attendre de ce gouvernement, beaucoup dans les partis de gauche ou dans les syndicats nous disaient qu'il fallait faire un peu crédit au gouvernement de gauche.

Eh bien, l'affaire Vilvorde illustre parfaitement ce qu'on peut en attendre : quelques belles paroles et, quand vient l'heure du choix, le choix c'est celui qui convient au grand patronat.
Ce gouvernement, comme ses prédécesseurs, n'est pas dans le camp des travailleurs, il est évidemment dans celui des patrons.

Oh, bien sûr, il essaie de prendre quelques mesures qui ne coûtent rien au patronat, vis-à-vis de certains immigrés ou comme le plafonnement des allocations familiales. Mais même sur cela il n'ira pas loin et battra vite en retraite devant la simple pression des fractions les plus aisées et les plus réactionnaires des classes moyennes.

On voit, avec la dérisoire augmentation du SMIC d’à peine plus de 200 F net, par mois, qu'il n'entend pas faire beaucoup de mal aux patrons. Il prétend que cela va relancer la consommation. Il est évidemment certain que les smicards ne vont pas placer ces 200 F à la Caisse d'Épargne et qu'ils n'auront aucune peine à les dépenser jusqu'au dernier centime. Mais est-ce cela qui va relancer la consommation et réduire le chômage ?

Ce qui pourrait réduire le chômage, c'est de s'opposer fermement aux licenciements massifs. Car tous ces plans de licenciements ont pour seul but la promesse de bénéfices en augmentation. Instantanément, dès qu'une grande entreprise annonce des licenciements, le cours de ses actions s'envole. À tel point qu'un commentateur de la radio a pu dire que ce qui faisait pleurer les travailleurs réjouissait les actionnaires.

Aujourd’hui, le ministre de l'industrie nous dit que le dossier Vilvorde était déjà clos avant les élections. Peut-être, mais les licenciements n'étaient pas effectifs. La droite aussi a prétendu pendant 4 ans qu'elle avait hérité des socialistes une situation économique désastreuse. Aujourd'hui, Lionel Jospin est parti pour nous donner la même explication.

Alors, il va falloir un sacré coup de colère de la part des travailleurs.

Et nous ne devrons pas nous mettre à la remorque de ceux des syndicats qui ont partie liée avec le gouvernement. Il faudra aussi que ce soit pour des revendications qui changent notre sort : expropriation sans rachat ni indemnité de toutes les entreprises qui font des bénéfices et osent licencier, publication au jour le jour des comptabilités des grandes entreprises et des comptes en banque de leurs dirigeants et de leurs principaux actionnaires.

II faudra augmenter considérablement les impôts sur les bénéfices des grandes sociétés pour que le déficit de l'État ne soit pas payé par les plus pauvres. Car il n'y a pas de raison que leurs prétendues lois économiques fassent qu'on licencie les travailleurs et pas les actionnaires.

Voilà ce qu'il faudra faire si nous ne voulons pas nous retrouver isolés et trahis, les uns après les autres, dans la situation des 3 000 travailleurs de Renault Vilvorde !


Lutte ouvrière - 11 juillet 1997

Le temps presse

La droite change d'attelage et le RPR s'est donné comme postillon Philippe Séguin à la place d'Alain Juppé.

C'est que si les législatives et les présidentielles sont loin, il y aura les élections régionales dans neuf mois et c'est un enjeu intéressant pour tous ces gens-là. C'est que les conseils régionaux ont des pouvoirs et des budgets non négligeables et, sur le plan d'une région, ils peuvent concurrencer le gouvernement dans un grand nombre de domaines.

Et les dirigeants du RPR et de l’UDF se disent que d'ici neuf mois le gouvernement socialiste se sera déconsidéré aux yeux de son propre électorat.

Et ces hommes de la droite que l'honnêteté n'étouffe pas et qui ont tous les culots, reprochent à Lionel Jospin de ne pas tenir ses promesses sur les salaires, sur le temps de travail, sur le SMIC, sur Vilvorde, etc., comme si eux avaient le droit moral de reprocher cela à Jospin !

D'abord, parce que Chirac aussi en a fait des promesses qu'il n'a pas tenues, et aussi parce que ce n'est pas la droite qui a empêché les licenciements, augmenté les bas salaires, arrêté l'exploitation accrue des travailleurs et l'appauvrissement de la population laborieuse. Alors ils feraient mieux de se taire car ils sont les derniers à avoir souhaité que Jospin tienne parole !

Par contre, les travailleurs ont le droit de reprocher à Jospin de ne pas répondre aux espoirs qu'il a suscités. En plus, en ne menant pas une politique radicale, en n'inversant pas le cours des choses, en lanternant les travailleurs, il renforce la droite, voire l’extrême-droite. Plus le chômage va monter, plus le désespoir et la démoralisation vont toucher les classes populaires et c'est Le Pen qui ramassera les mises.

Les hommes de gauche et les hommes de droite ne sont pas rigoureusement identiques. Les travailleurs préféreraient un gouvernement de gauche, mais un gouvernement de gauche qui combattrait le patronat et soutiendrait les travailleurs.

Si, parmi les ministres de ce gouvernement, il y en avait et si parmi les militants socialistes et communistes il y en a qui veulent sincèrement changer la situation des classes laborieuses, ils ne peuvent pas ignorer qu'il faut pour cela prendre sur les profits du patronat.

Le gouvernement ne peut pas tout faire et il faut l'aider, disent les dirigeants du PCF ? Pourquoi pas ! Mais pas passivement, justement !

Le parti communiste organise pour cela dit-il, ce qu'il appelle des « rencontres citoyennes ». Pourquoi « citoyennes », et pas des rencontres de travailleurs, sur la base des entreprises où ils se retrouvent réunis chaque jour ? Pourquoi ne pas discuter comment les travailleurs pourraient aider à changer le rapport de force entre la gauche et le patronat ? C'est le seul moyen de changer la situation sociale actuelle et peut-être d'empêcher Le Pen de venir au pouvoir. Cela ne vaut-il pas d'être fait !

C'est sur les lieux de travail qu'il faut discuter comment faire pour que ce soit en prenant sur les profits qu'on renfloue le budget de l'État et non par des mesures qui ne coûtent rien au patronat mais qui, d'une façon ou d'une autre, seront payées par les classes populaires. Ce qui revient, avec des paroles différentes, à mener la même politique que les gouvernements de droite.

Tout le monde sait et dit que les profits ne cessent d'augmenter, que le cours des actions bat tous les records, que se sont justement les entreprises qui font des bénéfices qui licencient.

Et le gouvernement n'aurait pas les moyens d'augmenter l'impôt sur les bénéfices au lieu de laisser les entreprises spéculer avec cet argent sans investir ?

Alors l'aider ? Pourquoi pas, si c'est de cela qu'il a besoin, mais surtout poussons-le !

C'est à cela que devraient servir ces rencontres organisées par le parti communiste.

Mais il faut alors des rencontres entre les travailleurs, car ce sont eux qui, en dehors des périodes électorales, ont la force d'intervenir dans la vie publique, par les moyens de pression du monde du travail : les grèves, les manifestations, les occupations d'entreprises.


Lutte ouvrière - 18 juillet 1997

En revenant de la revue

De la revue, Chirac l'était vraiment lors de son interview télévisée du 14 juillet pour dire si, oui ou non, il regrettait la dissolution et les nouvelles élections.

Pour une réponse préparée à l’avance, elle n’était pas terrible ! En substance, Chirac a répondu que si l’ancienne majorité était restée au pouvoir, elle aurait rétabli la situation mais que la population ne l’aurait pas vu et que seuls les sacrifices auraient été perçus. Sous-entendu, l’électorat peu reconnaissant n’aurait, de toute façon, pas donné la victoire à la majorité sortante. Alors, autant que ce soit le gouvernement Jospin qui se discrédite !

Chirac a tourné autour du pot pendant la moitié de son interview pour dire cela. Par contre, il s’est refusé à juger Jospin, attendant, a-t-il dit, que celui-ci se décide à agir. Dans quel sens ? Sûrement pas dans celui qu’attendent les travailleurs et l’immense majorité de la population laborieuse !

Il est vrai qu’on ne pourrait juger Jospin, pour le moment, que sur des discours, sur l’absence d’engagements réels et sur la politique des gouvernements socialistes du passé.

Évidemment des travailleurs pensent qu’il faut lui donner le temps, que de toute façon le peu qu’il fera, la droite ne l’aurait pas fait et que ce sera toujours ça de pris. D’autres, plus proches du parti communiste, font moins confiance à Jospin et disent, à la suite de certains responsables du PC, qu’il faudra faire pression sur ce gouvernement, qu’il faudrait que le peuple – ils disent « les citoyens » s’exprime. Ils ajoutent qu’il faut que le gouvernement entende les critiques afin que les ministres communistes aient plus de poids au sein du gouvernement pour défendre les travailleurs. Soit ! On peut dire les choses comme cela.

S'exprimer et faire pression, pourquoi pas ? Plus il y aura de travailleurs à le faire, mieux ce sera. Mais sans se faire d’illusions sur ce que le gouvernement fera spontanément pour eux, s’ils ne veulent pas être déçus par la suite.

Et le meilleur moyen de ne pas être déçus c'est d'essayer de changer les choses, c'est-à-dire de discuter comment faire pression, ou comment aider les ministres communistes, comme on voudra le dire, mais en tout cas comment agir pour changer la situation sociale.

Chacun sait que, même si le gouvernement voulait prendre des mesures capables de changer réellement, de façon sensible, le sort de la population, c'est-à-dire créer, par exemple, un million ou deux d'emplois et pas 2 000, ou empêcher les licenciements massifs, voire de rétablir une sécurité sociale réelle ou d'augmenter tous les salaires, il faudrait qu'il s'attaque aux puissances d'argent, au grand patronat, aux spéculateurs en tout genre.

Pourra-t-il le faire simplement par des lois ou des décrets ? Ceux qui le disent nous mentent. On l'a vu à Vilvorde, on le voit à Moulinex, à Akaï ou à Peugeot. Ce sont ceux qui détiennent l'argent et les capitaux qui dirigent et commandent.

Alors c'est sur ces gens-là qu'il faudra faire pression.

Et la pression qu'ils peuvent craindre, ne peut venir que des travailleurs. Elle ne peut venir que de la mobilisation des travailleurs utilisant les armes classiques du monde du travail : les grèves, les occupations d'usine, les manifestations de rues. Voyez ce que font ceux qui veulent réellement se faire entendre : c'est comme cela qu'on aidera le gouvernement, pour ceux qui pensent qu'il suffit de l'aider, ou qu'on l'obligera à agir, pour ceux qui, comme nous, sont persuadés que c'est cela qu'il faudra faire.

Et dans les assemblées de travailleurs, dans les rencontres dites « citoyennes » organisées par le parti communiste, c'est de cela que nous devrons discuter : comment agir, avec quelle préparation et quels moyens. Il ne sert à rien de tout critiquer ou de faire aveuglément confiance, si c'est pour se retrouver déçus et démoralisés, plus tard. Et, pire, pour que beaucoup se retrouvent, aigris, dans les bras ou sous la coupe de Le Pen.


Lutte ouvrière - 25 juillet 1997

Jospin fait payer, un peu, les riches et beaucoup les pauvres

Ça y est, exactement comme pour Vilvorde, la conclusion de l'audit qui examinait les finances de l'État est celle que tout le monde connaissait d'avance.

L’État sera donc en déficit en 1997 de 0,5 à 0,7 % de plus que ce qui est compatible avec les accords sur la monnaie européenne. Cela représente 34 à 35 milliards de francs que le ministre des finances va s'employer à trouver par des rentrées supplémentaires et, d'autre part, par des économies.
Les économies porteront sur près du tiers de la somme, c'est-à-dire sur 10 milliards de francs. Deux milliards de ces économies seront pris sur le budget de l'armée. Mais les 8 milliards restants le seront sur les « organismes publics ». Lesquels ? L'éducation nationale ? La justice ? La sécurité sociale ? Les retraites ? La santé ? L’aménagement du territoire, des banlieues, des transports en commun ? On ne sait pas encore.

Par contre on ne s'en prendra pas aux 100 milliards de francs de subventions pour des emplois qui n'ont jamais vu le jour, pas plus qu'on ne reviendra, par exemple, sur la suppression des charges patronales sur les bas salaires ou les déductions, sur les revenus des riches, du salaire de leurs domestiques.

Quant aux rentrées supplémentaires, on nous dit qu'elles seront prises sur les bénéfices des grandes sociétés. Enfin ! Ce n'est pas trop tôt !

Mais, nous dit-on, le gouvernement va augmenter l'impôt sur les bénéfices des grandes sociétés de 15 %. Cela paraît gros. Mais 15 % sur 36 %, cela ne fait en réalité qu'une augmentation de 5,4 % de leur impôt. C'est-à-dire que cet impôt passera à 42 % des bénéfices au lieu de 36,6 % actuellement. Mais il n'y a pas si longtemps, il était de 50 % et ces entreprises n'en mouraient pas pour autant.

Ce n'était pas le socialisme, c'était sous de Gaulle, Pompidou et Giscard d'Estaing. C'est un gouvernement socialiste qui a commencé à le diminuer et les gouvernements de droite n'ont eu qu'à continuer pour l'amputer finalement de près d'un tiers. Pourquoi ce cadeau injustifié ? Ne pourrait-on revenir dessus ?

Jospin n'en est même pas capable. Pourtant, imposer à nouveau les sociétés ne serait-ce que de 50 % de leurs énormes bénéfices rétablirait aussitôt l'équilibre du budget de l'État.

Il n'a pas osé non plus supprimer les dégrèvements d'impôt sur le revenu pour les gros contribuables que les gouvernements précédents avaient établis. Ce sont donc les revenus moyens et petits qui continueront à payer le gros de l'impôt et le déficit de l'État.

Ménager les riches, la gauche l'a fait, la droite l'a fait, la gauche le refait.

Et puis Jospin va s'en prendre aux sociétés nationales. Les unes, il les privatisera en partie. Aux bénéfices de celles-ci, il n'est pas question de toucher, pour qu'en quelques années, ceux qui les auront achetées rentrent dans leur argent et au-delà.

Quant à celles qui resteront publiques, on prendra sur leurs liquidités, ce qui veut dire qu'elles devront emprunter aux banques… privées.

Et puis, une mesure qu'un gouvernement de gauche aurait au moins pu prendre, c'est de ramener la TVA, cet impôt injuste qui frappe la consommation des classes populaires, au taux où il en était avant que Juppé l'augmente. Cela aurait pu être possible en imposant un peu plus les hauts revenus et les grosses sociétés qui n'en seraient pas mortes pour autant, alors que les plus pauvres risquent de crever du chômage et de la misère.

Mais Jospin n’a pas voulu le faire. Il veut se montrer raisonnable même si, pour cela, il ne change rien à la situation et si, plus tard, une fois déconsidéré, il laisse à nouveau la place à la droite, voire à l’extrême droite.

Mais cinq ans c'est long et les travailleurs, au lieu de se laisser faire, pourraient bien prendre le coup de colère. Jospin pourrait alors, au coin d'une rue, faire de mauvaises rencontres non pas « citoyennes » mais populaires.