Texte intégral
P. Lapousterle : Le secteur de la presse est quand même très bousculé en ce moment, je prends l'exemple du Midi Libre, dans le Languedoc, qui est en grève depuis 16 jours, ça va être le record historique de grève dans ce journal. Est-ce que ça n'a pas des conséquences dramatiques pour un quotidien de presse régionale que de subir une grève de cette longueur et de cette importance ?
J.-M. Baylet : Ce qui se passe pour le Midi Libre est effectivement dramatique, comme ce qui se passe d'ailleurs au niveau des Messageries parisiennes, comme ce qui se passe dans la presse en général. Dramatique de par les conséquences en termes économiques mais dramatique de manière plus fondamentale et plus structurelle : la presse doit évoluer, la presse a vu ses parts de marché se réduire depuis des années, la presse a perdu aussi des parts de marché en ce qui concerne les annonceurs, la presse doit être soutenue. Elle a à faire face à un double défi : le défi de la modernisation et il faut que le Syndicat du livre - c'est bien de lui qu'il s'agit - comprenne que s'il est légitime, comme tout syndicat, qu'il défende les acquis sociaux, il faut évoluer et non se camper sur des conservatismes et des corporatismes. Or c'est trop souvent le cas. Deuxième défi, celui de l'évolution dans un monde qui est de plus en plus concurrentiel avec la parution d'Internet, avec les multimédias et avec, aussi - certes dans le passé, mais très présent dans la concurrence - la télévision. Non seulement en terme informatif mais surtout en termes de publicité. Nous avons, en France, ouvert des parts de marché à la télévision et particulièrement ces dernières années qui sont totalement anormales. Bref, la presse mérite d'être aidée et soutenue. Il y a quelques années, lorsque le cinéma était en crise, J. Lang a fait un plan de soutien au cinéma. Il faut, aujourd'hui, soutenir la presse et plus généralement l'écrit, autrement nous risquons de nous trouver avec pratiquement plus de quotidiens et encore moins d'indépendants. Nous ne sommes plus que quatre ou cinq indépendants dont, et c'est ma fierté, La Dépêche du Midi.
P. Lapousterle : Quand vous avez lu, comme nous, ce matin, que M. July ou M. Colombani parlent de prise en otage des journaux par les syndicalistes, vous pensez que le terme est approprié ?
J.-M. Baylet : Sur les comportements évoqués – destruction de journaux, attaque d’imprimerie, blocage des parutions -, je crois que le terme est approprié.
P. Lapousterle : Le Parti communiste se plaint souvent de n’être pas assez consulté, on la encore entendu hier par le Premier ministre M. Jospin lorsqu’il s‘agit de prendre des décisions. Est-ce que dans votre parti on est satisfait des relations avec M. Jospin ?
J.-M. Baylet : Nous avons d'anciennes bonnes et amicales relations avec le Premier ministre que je rencontrerai encore la semaine prochaine. Nous n'avons donc pas ce genre de problème. Mais vous savez, c'est une tradition, les radicaux-socialistes et les socialistes ont historiquement des liens privilégiés et ils sont particulièrement forts avec L. Jospin.
P. Lapousterle : Quel jugement portez-vous sur le rythme de M. Jospin parce que certains membres de la majorité se plaignent qu'il va un peu trop lentement, qu'il prend un peu trop son temps ?
J.-M. Baylet : Très sincèrement et sans complaisance, pour ma part, je suis très satisfait de la méthode Jospin. Nous avons trop souvent, les radicaux, dans le passé, même lorsque la gauche était au pouvoir, critiqué une espèce de précipitation qui trouvait son fondement dans une poussée très forte de la base qui attendait en frétillant des réformes et des mesures dites symboliques...
P. Lapousterle : Quand il y a 3,5 millions de chômeurs, on peut être pressé ?
J.-M. Baylet : Les revendications sont tout à fait compréhensibles et même légitimes. Ce qu'il faut savoir, c'est si nous voulons réussir ou pas. Moi, je souhaite que la gauche réussisse et pour réussir, il faut donner du temps au temps. Certes, il ne faut pas laisser les choses aller se perdre dans les sables parce qu'on ne déciderait pas mais aujourd'hui L. Jospin n'a pas encore l'audit des finances de la France. Et tout nous permet d'indiquer qu'elles sont catastrophiques ces finances-là et que donc la situation est très mauvaise. Avant de prendre des décisions qui engagent sur le plan financier, il faut bien faire le bilan. En tout cas, L. Jospin l'a rappelé, la législature dure cinq ans, nous sommes donc là pour cinq ans, les engagements seront tenus mais il faut le temps de la réflexion et ensuite le temps de l'action. Et c'est comme cela d'ailleurs qu'il faut gouverner et non dans la précipitation. Car lorsque je parlais de revendications compréhensibles et légitimes de celles et ceux pour lesquels il faut intervenir, en particulier sur le plan social, n'oublions pas que dans ce pays s'est développée une véritable tradition des lobbies et cette nouvelle tradition - conforme à ce que l'on voit dans les pays anglo-saxons et aux États-Unis en particulier - me paraît tout à fait néfaste. On ne peut plus rien faire sans qu'un lobby se mette en marche pour contrarier la volonté gouvernementale.
P. Lapousterle : Dans quel domaine votre parti voudrait que les choses avancent ou changent ?
J.-M. Baylet : Dans de multiples domaines, bien sûr. Mais prenons un thème qui nous est cher et que nous avons beaucoup développé pendant la campagne électorale : c'est la réforme des institutions, en particulier le cumul des mandats. Nous avons été satisfaits de voir L. Jospin annoncer la parité homme-femme. Nous souhaitons une législation plus réductrice quant au cumul des mandats, mais nous voulons aussi que le vaste chantier des institutions sur la durée de mandats... Les Radicaux ont proposé que le mandat présidentiel, le mandat de député, le mandat de sénateur scient alignés sur la même durée, c'est-à-dire cinq ans, pour que nous élisions tout le monde le même jour et qu'il n'y ait plus de problèmes de cohabitation, tels que nous les voyons aujourd'hui. Même si elle se passe bien, ce n'est tout de même pas la meilleure des formules. Et puis il y a aussi, dans cette réflexion sur les institutions, le mode d'élection d'un certain nombre de responsables, en particulier le débat sur le scrutin régional.
P. Lapousterle : Sur les régionales, quel est votre sentiment ? Puisque certains pensent qu'il faut changer le mode de scrutin, même si nous sommes à quelques mois des régionales. Et d'autres, pour permettre tout simplement que les régions fonctionnent.
J.-M. Baylet : Pour ma part je suis pris dans une situation paradoxale, car j'ai bien conscience qu'à quelques mois, désormais, d'une échéance, il est difficile de modifier la règle du jeu, nous l'avons suffisamment dit quand nous étions dans l'opposition pour ne pas nous contredire aujourd'hui. Mais il n'empêche que, sur le fond, nous constatons que le système qui a été mis en place pour les municipales - c'est-à-dire la garantie d'une majorité, mais aussi la garantie pour l'opposition d'être représentée avec de véritables droits pour ne pas dire un véritable pouvoir de contrôle dans les conseils municipaux -, ce système-là fonctionne bien. Il nous semble à nous Radicaux, qu'il devrait être porté pour les élections régionales. Et puis se pose aussi pour les régionales, le système d'élection quant à la circonscription choisie. Aujourd'hui c'est le département. Il serait peut-être plus logique que les régionales aient lieu à l'échelon régional.
P. Lapousterle : Vous voudriez que ça aille vite pour les prochaines ?
J.-M. Baylet : S'il y a une volonté consensuelle de l'ensemble des formations politiques oui. Je n'ai pas cru saisir que c'était le cas, y compris au sein de la gauche dans les contacts que nous avons eus ensemble tout récemment sur ce sujet.
P. Lapousterle : M. Séguin à la tête du RPR ça vous inspire des réflexions ?
J.-M. Baylet : C'est l'affaire de l'opposition. Après la déroute consécutive à ce véritable coup de force institutionnel qu'a voulu faire le Président de la République, l'opposition est traumatisée. On tente de reconstruire, on veut trouver un chef, on a choisi celui-là. Que ce soit P. Séguin ou un autre, je dirais peu importe. Ce qui compte c'est ce qu'ils vont proposer aux Françaises et aux Français, car jusqu'à maintenant la politique suivie par cette ancienne majorité a été très largement rejetée et on les comprend les Français.
P. Lapousterle : Vous avez un groupe à l'Assemblée nationale, RCV - Radical Citoyens Verts -, qui fonctionne...
J.-M. Baylet : Qui fonctionne bien, les Radicaux aussi disent ce qu'ils vont faire et font ce qu'ils disent. Nous avions, dès le départ, annoncé que si nous en avions la possibilité, c'est-à-dire un nombre d'élus suffisants à l'Assemblée nationale, nous ferions un groupe. Ce fut le cas.
P. Lapousterle : Il n'est pas très homogène quand même...
J.-M. Baylet : C’est quoi l'homogénéité alors que la gauche est plurielle ? Est-ce que le gouvernement n'est pas homogène ? Il y a au Gouvernement, trois des formations sur cinq qui composent ce groupe Radical Citoyens Verts, autour d'un noyau central qui est le plus nombreux que sont les Radicaux, et d'ailleurs le groupe est présidé par un radical, M. Crépeau. Nous avons aussi rassemblé le Mouvement des citoyens de J.-P. Chevènement, les Verts de D. Voynet, plus un certain nombre de personnalités qui se sont jointes à nous. Ce groupe fonctionne bien, et ce groupe entend être le groupe progressiste de la majorité. C'est un groupe qui fera des propositions fortes. Et déjà le Contrat d'union civile et sociale est issu du groupe RCV.
P. Lapousterle : Vous allez être obligé de changer de nom ?
J.-M. Baylet : Les radicaux valoisiens, qui ont perdu la quasi-totalité de leurs élus et qui ne savent plus comment faire parler d'eux sur la scène politique, ont trouvé désormais la solution de la politique dans le prétoire ; ils nous font procès sur procès. Nous avons fait appel. Je trouve tout cela dérisoire et ridicule, car tout le monde sait très bien que la légitimité et l'histoire du Parti radical socialiste, elle est dans notre camp.