Texte intégral
L’Humanité - 9 juillet 1997
Les élus PCF à l’Assemblée nationale ont précisé la démarche constructive de leur groupe
L’intervention liminaire d’Alain Bocquet
Monsieur le Premier ministre,
J’ai le plaisir de vous accueillir au nom des députés et des sénateurs communistes et partenaires.
Votre intervention et vos réponses à nos questions vont permettre de préciser quelques-unes des orientations que vous avez tracées lors du débat de politique générale et récemment encore à la télévision.
Le groupe communiste est à part entière dans la majorité, notre seule ambition, c'est de concrétiser la profonde aspiration aux changements qui se manifeste dans notre pays.
J'ai eu l'occasion de le dire : notre loyauté est dans notre authenticité. Et si nous sommes vigilants, c'est pour progresser, pour que concrètement les choix répondent vraiment aux attentes profondes du pays. Notre détermination dans le combat pour le bonheur de notre peuple et la grandeur de la France est totale. C'est la raison de notre engagement pour la réussite de la gauche au pouvoir.
Dans la nouvelle donne, les rôles sont distincts, le gouvernement, les groupes de la majorité, les partis politiques, les syndicats, le mouvement social et citoyen, chacun a son originalité et sa spécificité dans l'action. Concrètement, nous serons essentiellement un relais citoyen. Nous travaillerons dans la plus grande transparence et avec franchise, nous avons déjà commencé. Nous avons été amenés à le faire à propos du pacte de stabilité ou de Vilvorde. Il pourra nous arriver de critiquer tranquillement telle ou telle décision, voire tel ou tel ministre, y compris communiste.
L'emploi est une priorité absolue. Nous recevons dans nos permanences des milliers de demandes d'embauche de jeunes sans emploi, dont beaucoup sont diplômés. Vous le savez comme nous, monsieur le Premier Ministre, c'est un problème majeur. Le plan de 700 000 emplois jeunes est très attendu. Pourriez-vous nous apporter plus de précisions sur celui-ci ?
Nous avons dit que nous voulions travailler tout de suite au Parlement. Parce que les problèmes n'attendent pas et que le grand patronat, lui, met les bouchées doubles. A ce propos, nous voulons reprendre les propositions que vous a formulées hier Robert Hue, pour que des mesures urgentes soient prises pour suspendre les plans de licenciements dès cet été. Sinon les efforts faits d'un côté pour l'emploi risqueraient d'être ruinés de l'autre, pour se retrouver demain avec plus de chômage encore.
Il y a une contradiction majeure à laquelle le gouvernement et sa majorité sont confrontés, une contradiction incontournable entre la loi des marchés financiers et une politique qui, en France et en Europe, donnerait la priorité à l'emploi et au progrès social.
Au cœur de cette contradiction, il y a la monnaie unique et le pacte de stabilité.
L'emploi, la relance budgétaire par le progrès social, les droits de décision des salariés en matière de licenciements, de formation et de contrôle des aides publiques, voilà l'essentiel sur lequel les Français sont en droit d'exiger un changement et sur lequel nous serons jugés. Il faut bien sûr nous donner les moyens de changement. Cela implique des modifications fiscales qui « imposent plus ceux qui gagnent beaucoup, les grandes fortunes et les profits financiers », pour reprendre une déclaration d'un de vos ministres.
Au plan institutionnel, la situation aussi est originale, elle doit contribuer à renforcer le rôle du Parlement comme les liens entre le gouvernement et les groupes de sa majorité à l’Assemblée nationale.
II faut régulièrement inscrire des propositions de loi à l’ordre du jour et pas seulement sur des questions marginales.
C'est d'autant plus important que les ministres, qu’ils le reconnaissent ou non, n'ont souvent que la marge de manœuvre que leur laisse une technocratie dominante. La politique doit l'emporter, les ministres seront plus libres de faire passer leurs propres idées en approfondissant les projets et les propositions de loi avec les groupes de la majorité de gauche dans sa pluralité.
Si on veut réussir, cela nous engage à plus de responsabilité, et donc aussi de concertation en amont, je pense aux allocations familiales comme à Superphénix.
Notre ambition, c’est de réussir, mais on ne réussira pas sans affronter les obstacles et sans mettre les moyens à la hauteur de nos ambitions. Il est également évident que l’intervention citoyenne sera déterminante pour que les choix les meilleurs soient faits dans l’intérêt de la France et de notre peuple. Nous voulons y contribuer.
Voilà succinctement, Monsieur le Premier ministre, l’état d’esprit constructif et unitaire des parlementaires communistes au moment où je vous donne la parole.
RTL - Mercredi 9 juillet 1997
J.-P. Defrain : Est-ce que les députés communistes admettent, ce matin, ce que leur a répété à plusieurs reprises L. Jospin, que le gouvernement ne pouvait pas tout faire, tout de suite ?
A. Lajoinie : Nous n'avons jamais demandé « tout et tout de suite ». Mais nous considérons que le peuple français a voté et qu'il a dit nettement qu'il voulait changer de politique. S'il avait voulu conserver la même politique, il aurait gardé la droite. Or il a voté pour une gauche plurielle : il faut changer, mais il faut tenir compte de cette volonté populaire et changer.
J.-P. Defrain : En tout cas, M. Hue, avant-hier, demandait au gouvernement l'interruption immédiate des plans sociaux pendant l'été.
A. Lajoinie : Je crois que c'était une mesure urgente qu'il a demandée et qui a eu de l'écho, car on ne peut pas accepter que pendant l'été les mauvais coups se fassent, comme ça se fait souvent. C'est-à-dire que des entreprises font du bénéfice, licencient, ont des charrettes de licenciements ; sans tenir compte de la situation des gens, on met les gens à la porte, ce n'est pas tolérable !
J.-P. Defrain : Mais M. Jospin n'a pas répondu oui à votre demande. Il a dit qu'il y avait la loi et qu'on ne pouvait pas changer la loi.
A. Lajoinie : C'est un peu plus compliqué. Il a dit que les préfets n'avaient pas le pouvoir - et certes ils n'ont pas le pouvoir de décider comme décideraient un roi, un dictateur -, mais les préfets ont des pouvoirs. Ils ont des pouvoirs - et c'est ce que R. Hue rappelait - de réunir le comité de l'emploi départemental, où une série de mesures peuvent être prises entre les patrons, les élus, les pouvoirs publics. Et par exemple, M. Aubry a fait écho à la demande de H. Hue en disant : « Oui, on peut, par exemple, freiner les licenciements, en disant : si vous licenciez, vous ne toucherez rien ». Ce qui est quand même une mesure incitatrice. Puis il y a la loi de 1993, il y a des possibilités, et nous sommes ouverts, nous, à un renforcement de la loi concernant les licenciements.
J.-P. Defrain : Mais quand le Premier ministre parle de « réalisme de gauche », ça veut dire quoi pour les communistes ?
A. Lajoinie : Nous sommes aussi réalistes. Nous ne serions pas responsables si nous n'étions pas réalistes, nous tenons compte de la situation. Mais « réalisme », ça dépend ce qu'on y met. Si c'est : « On ne touche à rien », nous ne sommes pas d'accord. Je ne dis pas que c'est la position du Premier ministre.
J.-P. Defrain : Est-ce que vous êtes d'accord ou est-ce que ça vous a dérangé de savoir que le Pacte de stabilité européen avait été signé, que la fin de Renault-Vilvorde c'est pratiquement fait, la hausse de 4 % du SMIC, la décision que les allocations familiales ne seraient plus versées qu'au-delà d'un certain salaire ?
A. Lajoinie : Non, nous avons parlé très franchement avec le Premier ministre, en grande liberté, de sa part et de la nôtre. Et je crois que c'est très bien, c'est une bonne relation. Nous sommes à l'aise dans cette majorité, nous disons ce que nous pensons. Et nous le disons devant le Premier ministre, et nous le disons ailleurs. Donc c'est très bien. Ce que nous avons dit, par exemple, notamment : si nous voulons la relance - parce qu'aujourd'hui le grand problème, c'est que la France n'a pas de croissance -, il faut s'en donner les moyens. Et notamment, donner du pouvoir d'achat à ceux qui n'en ont pas. Comme ça on aura de la consommation. Si nous voulons la justice sociale, il faut s'en prendre à ceux qui aujourd'hui ont des privilèges. Je ne pense pas seulement aux grandes fortunes. Le CNPF a fait un pamphlet, eh bien le CNPF oublie de dire qu'aujourd'hui la moitié des profits dans ce pays, tout confondu, ne vont pas à l'investissement. Ils vont sur les placements financiers. Ce sont des chiffres réels. Alors nous croyons qu'il serait bien que ces profits qui vont se placer sur les marchés, à Hong-Kong et ailleurs, aillent dans l'investissement et créent des emplois. Cela, c'est du réalisme. Et troisièmement, concernant l'Europe : oui nous sommes... L. Jospin, d'ailleurs, a critiqué le plan de stabilité européen qui vise à perpétuer les critères de Maastricht. Alors nous, nous posons la question : il y a une situation quasi-identique entre le peuple allemand et le peuple français. Un chômage croissant, une croissance qui ne se fait pas, etc. Pourquoi ces deux peuples n'essaient pas de secouer un peu tout ce carcan des critères de convergence ? Est-ce que nous allons faire comme le dit la légende, le peuple hébreu qui adorait le Veau d'or ? Est-ce qu'on va adorer un critère financier ? Je pense que non. Certes il faut réduire les déficits, nous sommes les premiers partisans de réduire les déficits. Mais il y a deux façons de réduire les déficits : par la croissance - qui fait rentrer des impôts, qui fait rentrer des cotisations -, ou en serrant la vis de l'austérité ? La preuve est faite : M. Balladur, M. Juppé, ils ont fait cette politique et elle a échoué. Donc il faut faire autrement.
J.-P. Defrain : Vous ne regrettez pas le choix de la participation des communistes au Gouvernement ? Vous avez entendu M. Cotta qui a dit : « Vous avez perdu votre âme en suivant L. Jospin.
A. Lajoinie : Non. Je pense que notre participation au gouvernement découle de notre position vis-à-vis du changement. Nous avons œuvré pour le changement, et nous voulons l'accompagner, nous voulons y contribuer. Nous n'avons pas voulu rester sur le bord de la route. D'ailleurs, je dois vous dire que les gens qui ont voté à gauche ont voté pour que les communistes soient au gouvernement. Mais nous ne sommes pas des prisonniers, les communistes au gouvernement ne sont pas des prisonniers.
J.-P. Defrain : Et vous pensez, aujourd'hui, que votre électorat est content ?
A. Lajoinie : Notre électorat, il est exigeant, et je pense qu'il n'est pas le seul. Tous ceux qui ont voté pour la gauche plurielle, et même d'autres qui n'ont pas voté, sont aujourd'hui exigeants. Les exigences sont diverses, les espoirs sont grands et divers. Mais il y a des exigences, de l'électorat communiste comme des autres, et il faut avancer.
J.-P. Defrain : Autre chose : à Madrid, les pays de l'Otan se sont mis d'accord sur l'intégration de trois anciens pays de l'Est : la Pologne, la Hongrie, la République tchèque. Que pensez-vous de tout cela ? Car hier, à Moscou, le ministre des Affaires étrangères, M. Primakov, estimait qu'il s'agit d'une « faute majeure, peut-être la plus grave depuis la fin de la Seconde guerre mondiale » ?
A. Lajoinie : Vous savez l'Otan ça fait vraiment un peu vieillot. Puisque la situation est totalement changée, il n'y a plus les deux blocs qui s'affrontent, et on garde l'Otan. Qu'est-ce que c'est l'Otan ? Une machine américaine. Les Européens sont intégrés dans une machine où l'on paye dur. Et quelle est la garantie que nous avons ? Oui, il faut un système de sécurité collective, mais il faut quand même innover, il faut quand même un peu d'imagination. Et ce n'est pas ce qui déborde chez ceux qui négocient aujourd'hui sur l'Otan.