Interviews de M. Hervé de Charette, délégué général du PPDF, vice président de l'UDF et ancien ministre des affaires étrangères, à RTL le 19 juin 1997 et à Europe 1 le 25 juin, sur les raisons de la défaite de la droite aux élections législatives, la nécessité de recomposer l'opposition de droite et de répondre aux questions du "peuple", les relations entre la droite et le FN, la politique européenne du nouveau gouvernement Jospin, la cohabitation.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Date : jeudi 19 juin 1997
Source : RTL

O. Mazerolle : Le discours d'investiture de L. Jospin aujourd'hui revêt-il une importance particulière dans le contexte européen ?

H. de Charrette : Il revêt certainement une grande importance, c'est le début du gouvernement nouveau. Voyez-vous, j'étais dans la majorité, j'étais au gouvernement il y a encore un mois et demi, je suis maintenant dans l'opposition et je voudrais en profiter pour vous dire, au risque de vous choquer : au moins, à quelque chose malheur est bon ; maintenant, je suis libre, je vais pouvoir parler librement, dire tout ce que je pense et j'ai tellement entendu, pendant ce mois de campagne électorale, le mécontentement et parfois la fureur de nos électeurs, de ceux qui sont avec nous, qui l'ont été et qui le sont encore, que je compte bien répondre en toute liberté et avec beaucoup de détermination à cette aspiration-là.

O. Mazerolle : Alors, que pouvez-vous dire aujourd'hui que vous ne pouviez pas dire à l'époque ?

H. de Charrette : Vous savez bien que l'on est quand même, quand on est dans un gouvernement - j'étais chargé de la politique étrangère - on est tenu, c'est normal d'ailleurs, par des règles de solidarité qui font qu'il faut suivre et accepter un certain nombre de choses. Et je crois que maintenant, c'est bien, au moins cela, car je regrette vraiment pour le pays ce qui s'est passé ; je ne fais pas partie de ceux qui mollement disent : attendons, on va voir, après tout, ce Jospin n'est pas si mal. Je ne veux pas critiquer personnellement l'homme Jospin, ça, c'est une autre affaire, mais politiquement, je crois qu'en effet cette élection n'est pas bonne pour le pays et que la nouvelle majorité que nous avons devant nous est une mauvaise majorité. Et d'ailleurs, vous allez voir, ça a déjà commencé, c'est un gouvernement de couacs, les couacs n'arrêtent pas : un jour, c'est le ministre des affaires européennes qui tient sur la monnaie européenne des propos tout à fait surprenants.

O. Mazerolle : Il a dit, hier, qu'il voulait l'euro.

H. de Charrette : Aussitôt, en effet, quelqu'un fait marche arrière, il a fallu que M. Jospin s'y mette. Le lendemain, c'est Mme Voynet qui dit qu'elle arrête les grands travaux en France au moment même où M. Jospin supplie les Européens de bien vouloir financer des grands travaux. On est en pleine absurdité. Le troisième jour, c'est M. Chevènement qui fait savoir que la politique de l'immigration telle que paraît vouloir la conduire M. Jospin, notamment en matière de régularisations massives, ne lui convient pas. Bref, si vous voulez savoir ce que j'attends, ce soir, à l'Assemblée nationale, c'est qu'enfin M. Jospin nous dise clairement, s'il conduit ce gouvernement, comment il va faire et comment il va répondre à la totalité des promesses qu'il a faites aux uns et aux autres et qu'il ne pourra évidemment pas satisfaire maintenant qu'il est au pied du mur.

O. Mazerolle : Pardon, mais si la gauche est aujourd'hui au pouvoir, n'est-ce pas à la suite d'une décision du Président de la République et parce que l'ancienne majorité a été incapable de convaincre les électeurs ?

H. de Charrette : Oui, il n'y a aucun doute sur ce que vous venez de dire, M. Mazerolle. Qu'est-ce que vous voulez me faire dire ?

O. Mazerolle : Si la gauche est au pouvoir, c'est que les électeurs l'ont voulu, donc il faut bien tenir compte de ce qu'ils souhaitent.

H. de Charrette : Oui, je suis tout à fait respectueux du suffrage universel mais si vous observez bien les élections telles que nous les avons vécues, nous les avons perdues, bien entendu parce que nous n'avons pas convaincu. Je veux bien assumer toute la responsabilité et d'ailleurs, je veux tellement l'assumer que je crois que cette élection marque la fin de quelque chose et que, pour les hommes et les femmes de l'opposition qui veulent demain que leurs idées gagnent, il faut revoir de fond en comble la maison opposition. Non pas dans ses structures, je vois que tout le monde se passionne pour savoir qui va diriger telle formation, comment se réorganiser, se structurer ? Ce n'est pas cela. C'est comment enfin parler au peuple la langue du peuple et répondre à ses questions.

O. Mazerolle : Et ça veut dire quoi « parler la langue du peuple » ? Par exemple, ce matin, dans Libération, A. Griotteray, ancien ministre UDF dit : il faut un désistement réciproque avec le Front national parce que, quand un parti est à. 15 %, ce n'est plus un parti d'extrême droite.

H. de Charrette : Il est évident que le fait que le Front national fasse aujourd'hui 15 % des voix a été un élément très important de l'élection législative qui vient de se dérouler. De même, le fait que le Front national ait volontairement choisi de faire battre un certain nombre de candidats de l'ancienne majorité et qu'il ait fait campagne sur le thème « plutôt les socialistes que la majorité de l'époque » a été décisif dans le résultat des élections. Il ne faut donc rien oublier de tout cela. Je crois que le nombre des électeurs du Front national témoigne de la déception profonde de nos électeurs à l'égard de notre façon d'agir et de faire dans les années passées.

O. Mazerolle : Alors, il faut un désistement réciproque ?

H. de Charrette : Je ne crois pas que l'on puisse dire cela. Moi, je ne partage pas les thèses d'A. Griotteray sur ce point. Je crois que tant que le Front national fera, dans le domaine des idées, des attitudes, des choix qui sont ceux affichés, affirmés par M. Le Pen, régulièrement et de façon forte et constante, une telle attitude ne sera pas possible de notre part.

O. Mazerolle : Puisque vous parliez de la voix du peuple, est-ce que le peuple ne vous a pas dit : mais écoutez, la rigueur pour l'euro, ça n'en vaut vraiment pas la peine ?

H. de Charrette : Oui, mais enfin on ne peut pas faire, sur des sujets comme ceux-là, de la démagogie facile. Et j'attends maintenant que M. Jospin nous explique comment il va faire. Est-ce que l'euro, c'est l'intérêt de la France ? Voilà, la question simple est celle-là. Est-ce que c'est l'intérêt de la France et des Français, est-ce que c'est l'intérêt de l'emploi, est-ce que c'est l'intérêt de la réussite de notre pays d'avoir l'euro ? Oui ou non ? Si c'est notre intérêt, il faut le faire ; si ce n'est pas notre intérêt, il faut s'arrêter tout de suite. Moi, je vous le dis franchement, je suis convaincu que l'euro, c'est l'intérêt bien compris de notre pays. Et nombreux sont ceux qui savent très pertinemment qu'il n'y a pas de réussite à l'école française s'il n'y a pas de monnaie unique, il n'y a pas de réussite de beaucoup de nos entreprises s'il n'y a pas sur le grand marché européen une seule monnaie, c'est-à-dire les garanties de la stabilité monétaire sur un marché unique. Donc, je crois vraiment que c'est notre intérêt. Naturellement, il faut regarder tout cela sans en payer un prix qui serait excessif, je le comprends bien. Mais vraiment, c'est notre intérêt.

O. Mazerolle : Mais quand le Président de la République dit, Amsterdam : dans le fond, le changement de gouvernement, ça a été une bonne occasion pour mettre l'emploi dans les résolutions européennes ?

H. de Charrette : Écoutez, on va régler tout de suite quelque chose : je ne viens pas à votre micro pour critiquer le Président de la République, bien au contraire, je viens pour le soutenir. Dans la position où je suis, je continuerai, dans la période qui vient, à lui apporter mon total soutien. Ce que j'ai trouvé au fond assez faible et à certains moments désolant, c'est le comportement de notre gouvernement. Et en particulier, je dois dire qu'aujourd'hui, quand je vois le résultat d'Amsterdam et en particulier sur la Conférence intergouvernementale, je crois que nos intérêts n'ont pas été bien défendus.

O. Mazerolle : C'était une préparation faite par votre gouvernement ?

H. de Charrette : Non, pas du tout, nous n'avons pas le temps parce que je regarde la pendule, mais je peux vous dire que la façon dont nous avions préparé les choses et la façon dont, in fine, elle a été conduite pour des raisons idéologiques parce qu'il fallait montrer, paraît-il - M. Jospin voulait cela - que l'on allait parler d'emploi, eh bien le résultat, c'est que l'on en a certes parlé, mais des mots, des mots, des mots. Sur les questions de fond, on a reculé plutôt qu'avancé.

 

Date : mercredi 25 juin 1997
Source : Europe 1

J.-P. Elkabbach : La droite a un nouveau parti, Démocratie libérale, un nouveau chef, A. Madelin. Est-ce que vous rejoignez avec votre parti Démocratie libérale ?

H. de Charrette : Non. Nous faisons partie, les uns et les autres, de l'UDF. Notre famille politique, c'est l'UDF. C'est elle qui est connue par l'opinion publique. Il est vrai qu'au sein de l'UDF, il y a plusieurs sensibilités : il y a les libéraux ; à l'autre bout, il y a les centristes ; au milieu, il y a le Parti populaire qui n'est ni principalement libéral, ni absolument centriste et qui est en réalité à la fois libéral et social.

J.-P. Elkabbach : A. Madelin veut incarner l'alternance libérale et franche dont le pays a besoin, dit-il.

H. de Charrette : Je comprends bien. Je connais bien A. Madelin : c'est un garçon qui a beaucoup de dynamisme, de tonus et qui a des convictions très fortes. Ceci dit, personnellement, franchement, je ne crois pas que la France attende comme sauveur une nouvelle philosophie qui serait le libéralisme. Je crois que nous avons dans l'opposition un immense travail à faire pour que nos concitoyens soient bien convaincus que tout ce qu'ils ont connu, qui était la majorité d'hier, est profondément décidé à se battre pour revenir aux sources, revenir à nos racines, changer le ton, le style, la façon, les idées et les méthodes. S'il n'y a pas ce changement, si c'est simplement l'échange standard - un dirigeant remplaçant l'autre - alors, il faut s'attendre à des déboires.

J.-P. Elkabbach : L’UDF existera-t-elle encore ?

H. de Charrette : J'espère bien ! C'est une grande famille politique.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que Démocratie libérale ne va pas grignoter peu à peu, et même Force démocrate de Bayrou, pour devenir le tout ?

H. de Charrette : Je ne crois pas. L'UDF a été créée il y a maintenant 20 ans. C'est la grande formation libérale et sociale, surtout la grande formation au centre de la vie politique. C'est là qu'est son espace, son action. Il faut que chacun tire dans la même direction. Très bien, A. Madelin à la tête du Parti républicain rénové ! C'est une bonne idée. Bayrou à la tête de Force démocrate et moi-même à la tête du Parti populaire, et quelques autres, nous devons pouvoir faire un bon attelage. Nous avons un immense travail à faire dans l'opposition, car nous n'avons pas perdu par hasard.

J.-P. Elkabbach : Pourquoi ?

H. de Charrette : Nous avons perdu parce que visiblement la majorité d'hier avait abandonné les rênes à la technocratie, parce qu'elle avait perdu le contact avec le peuple et parce que ce que nous faisions ne correspondait pas à l'attente de nos concitoyens. Il faut maintenant repartir au combat à zéro, mais c'est d'abord chez nous qu'il faut réfléchir, travailler et œuvrer.

J.-P. Elkabbach : Les partis doivent-ils protéger, servir le Président de la République enfermé dans la cohabitation ?

H. de Charrette : J'ai entendu dire que le Président de la République n'était pas le chef de l'opposition. Naturellement, il n'est évidemment pas le chef de l'opposition parce que le Président n'est pas un homme de parti dans la fonction qui est la sienne. Il n'en demeure pas moins qu'il est pour autant celui qui doit être l'inspirateur de l'action de l'opposition, qu'il doit être pour elle un point de repère. Je pense qu'il est aussi de la responsabilité de l'opposition d'être avec lui pour défendre le même combat et pour faire en sorte que la fonction présidentielle dans cette cohabitation ne soit pas mise en cause. J'ai observé, hier, à la tribune de l'Assemblée nationale, que L. Jospin commençait - peut-être était-ce la première anicroche de la cohabitation - à tenir des propos qui ne montraient non pas le Jospin sucré, le Jospin doux des jours précédents...

J.-P. Elkabbach : Vous avez été touché parce que M. Jospin a dit qu'il n'était pas satisfait des résultats d'Amsterdam et que le dossier était mal bouclé, que c'était une question d'héritage ? Vous vous êtes senti visé directement ?

H. de Charrette : Non. Cela, c'est de la polémique politique habituelle. On ne va pas revenir aujourd'hui sur Amsterdam, mais si on y revient, on peut dire en effet beaucoup de choses sur la façon dont Amsterdam s'est passé.

J.-P. Elkabbach : Les phrases dont vous parlez, est-ce ceci : M. Jospin a affirmé qu'il ferait « en sorte qu'à l'avenir, la position de la France et de l'Europe soient entendues dans ce genre de sommet » et « il relèvera de la volonté de l'Europe, de la capacité de la France -et mon gouvernement et cette majorité y contribueront - que la prochaine fois les préoccupations de l'Europe soient prises en compte avec plus de force. C'est dans ce sens que je préparerai avec le gouvernement les futurs rendez-vous internationaux européens » ?

H. de Charrette : C'est cela. Le gouvernement, avec sans doute le Président, parce que je rappelle qu'en matière de politique étrangère, le Président de la République a une responsabilité spéciale, a un rôle éminent. C'est d'ailleurs la pratique de la Ve République. C'est non seulement les textes, mais c'est aussi la pratique. Il faut bien entendu que la France parle d'une même voix. Elle l'a fait, je dois le dire, que ça plaise ou non aux uns ou aux autres, aussi bien à Amsterdam qu'à Denver. Le Sommet de Denver était ce qu'il était : ces sommets, ces G7, j’y étais à Halifax au Canada, l'autre à Lyon, parce que c'est la France qui en assumait la responsabilité. Ils sont plus ou moins réussis. Il y a un mélange de publicité, hélas, et de cirque, en même temps que de choses sérieuses. Je dois dire que la part du cirque et de la publicité a une tendance à augmenter.

J.-P. Elkabbach : M. Blair s'en est plaint et M. Chirac a montré son agacement. Heureusement qu'ils n'ont pas mis les bottes et les jeans qu’on leur a offerts !

H. de Charrette : Je peux vous dire que le Président de la République a trouvé qu'il y avait là-bas trop de publicité.

J.-P. Elkabbach : Mais je ne comprends pas ce que vous dites à propos de la déclaration de M. Jospin : la cohabitation peut-elle empêcher le Premier ministre de s'exprimer, de dire ce qu'il pense ?

H. de Charrette : Non. La cohabitation doit permettre à chacun de dire ce qu'il pense. Simplement, ce qui est important, en matière de politique étrangère, c'est que le Président de la République et le Premier ministre agissent en commun dans l'intérêt du pays et qu'ils s'expriment d'une même voix lorsqu'il s'agit des intérêts internationaux du pays.

J.-P. Elkabbach : Estimez-vous qu'hier L. Jospin est sorti de son rôle ?

H. de Charrette : Non. Je trouve simplement qu'à la tribune de l'Assemblée nationale, il faut éviter de faire des effets de manche. C'est bien de critiquer l'hégémonisme américain. Après tout…

J.-P. Elkabbach : Vous savez ce que c'est, puisque vous l'avez subi en tant que ministre des affaires étrangères.

H. de Charrette : Oui, bien entendu. En réalité, il faut aussi faire attention aux propos que l'on tient lorsqu'on est Premier ministre dans le domaine de la politique internationale. Je ne sais pas si c'était à la tribune de l'Assemblée, avec des effets de manche, l'heure de le faire - c'est cela que je voulais dire. Car il est vrai que nous travaillons à faire en sorte que le monde - que les Américains voudraient organiser sur une base unipolaire - devienne un monde multipolaire. C'est le travail de la France et de l'Europe, et je dirais la France en avant de l’Europe, comme éclaireur de l'Europe, comme le pays qui entraîne l'Europe. C'est ce qui s'est passé depuis deux ans. C'est ce que nous avons fait aussi bien au Moyen-Orient, de façon très forte et très déterminée, c'est ce que nous avons fait en Asie, c'est ce que nous avons fait avec l'Amérique latine. Il y a désormais des liens étroits entre les Européens et les Asiatiques. Il y aura dans l'année 1998 une grande conférence entre l'Europe et l'Amérique latine qui est une initiative du Président Chirac. C'est vous dire que cette action de la France, pour qu'elle existe et pour que l'Europe ne subisse pas les tentatives hégémoniques de qui que ce soit est poursuivie de façon déterminée depuis deux ans. Après tout, j'espère bien que le gouvernement va continuer d'appuyer l'action du Président de la République dans cette direction.

J.-P. Elkabbach : Donc, hier, c'était un incident mineur. Pensez-vous qu'à terme, la division du pouvoir puisse avoir des conséquences préjudiciables ?

H. de Charrette : Je n'ai jamais été favorable à la cohabitation. C'est un fait La cohabitation s'impose à nous, mais je ne fais pas partie de ceux qui disent que c'est une bonne chose pour le pays. Il faut vivre avec. Je suis personnellement pour une cohabitation distante. Mais il faut en effet assumer ses responsabilités. C'est normal.