Interview de M. Charles Pasqua, sénateur RPR, à France Info le 17 mars 1999, sur la ratification du Traité d'Amsterdam, la démission de la Commission européenne, sa stratégie électorale et ses relations avec le RPR dans le cadre des élections européennes de juin 1999.

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Média : France Info

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Patrick Boyer : Le Sénat a ratifié, hier, le Traité d'Amsterdam. Le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. La France est toujours debout…

Charles Pasqua : Oui, mais c'était prévu. Ce n'est pas une surprise extraordinaire. Mais entre temps, c'est vrai, il est arrivé un événement que nul ne pouvait encore prévoir, à savoir que la Commission a donné sa démission pour avoir été dénoncée comme irresponsable et incapable de diriger son administration. Lorsque je disais moi-même « que nous avions affaire à des gens irresponsables » on me regardait un peu de travers.

Patrick Boyer : Belle leçon de démocratie : la Commission est déclarée peu compétente, elle est contrôlée, on sanctionne ceux qui ont failli, les gouvernements désigneront une nouvelle Commission. La dernière parole revient toujours aux politiques.

Charles Pasqua : Oui, c'est vrai ! Mais les politiques auront le choix entre deux attitudes : la première, c’est faire comme d’habitude, à savoir jouer le rôle de l’autruche. Dire que, dans le fond, c’est un événement mineur ; il y a eu des erreurs de commises et on remplace les gens et on repart comme avant. Ou alors se saisir de ce problème et essayer de résoudre ce qui aurait dû être résolu dans le cade de la préparation d’Amsterdam, à savoir : la Conférence intergouvernementale qui devait définir les nouvelles structures de l’Union. Pour l’instant, ça n’a pas été fait. Ce serait le moment ou jamais de le faire.

Patrick Boyer : Dans l’immédiat, devant la crise, vous voudriez que le Conseil européen prenne les rênes et se substitue à la Commission défaillante, au moins provisoirement ?

Charles Pasqua : Je crois que la solution de la sagesse et la plus efficace, ce serait certainement que le Conseil européen prenne d’abord la décision de demander au Conseil des ministres d’assumer effectivement cette responsabilité pendant trois mois, ce qui permettrait de mettre un peu d’ordre. Et puis d’attendre la nomination, l’élection d’un nouveau Parlement pour procéder à la nomination d’une nouvelle Commission. Mais entre temps, je pense que réunis, avant la fin de ce mois, justement pour parler des nouvelles structures, l’occasion se présente et je crois qu’il ne faudrait pas la laisser passer, de doter enfin l’Union européenne de structures dignes de ce nom, avec des organismes qui correspondent à la réalité de ce qu’ils devraient être, et non pas qui constituent une sorte de postiche.

Patrick Boyer : Sur la crise de ces derniers mois, trouvez-vous normal que les deux têtes de l’exécutif en France aient soutenu jusqu’au bout Mme Cresson, même s’il était clair qu’elle avait failli quelque part à sa mission ?

Charles Pasqua : Moi je ne souhaite pas, je ne veux pas charger Mme Cresson car je ne connais pas assez le dossier. J’ajoute que le fait que le président de la République et le premier ministre défendent un commissaire français, sauf à savoir la preuve qu’elle a réellement failli, me semble normal. Mais est-ce que Mme Cresson a commis des fautes plus graves qu’un certain nombre de ses collègues ? Cela reste à démontrer. Mais cela naturellement ça ne l’excuse pas.

Patrick Boyer : En tout cas les fautes ou les fraudes sont sanctionnées à Bruxelles, elles ne le sont guère à Paris. En France on ne démissionne pas. Belle leçon quand même de démocratie que donne Bruxelles…

Charles Pasqua : C'est pas du tout une leçon de démocratie.

Patrick Boyer : De responsabilité quand même…

Charles Pasqua : Non, non, ça ne s'est pas du tout passé ainsi. Tout d'abord, le Parlement européen, dans sa majorité, qui est une majorité social-démocrate, a présenté une motion de censure contre la Commission, tout en sachant que cette motion de censure n’avait aucune chance de passer, ce qui aurait eu comme résultat de réconforter la Commission.  Et c'est-ce qui s'est fait dans une première étape.

Patrick Boyer : Avec un audit à la clé.

Charles Pasqua : Non, l'audit est intervenu après. Parce qu'après, il y a eu une deuxième motion de censure qui a été présentée, signée par des représentants de tous les groupes qui avaient été écœurés par cette parodie de démocratie. Et cette motion de censure a failli l'emporter puisqu'elle a obtenu 252 voix alors qu'il lui en fallait 260. Dès lors, comme la Commission avait été très critiquée, elle a pensé se tirer d'affaire en accord avec le président du Parlement européen car c'est cela qui s'est passé - pour demander à un groupe d'experts indépendants de faire un rapport sur les faits qui étaient reprochés. Et c'est ce groupe d'experts indépendants qui a donné en effet à la Commission le coup de grâce. On ne peut pas du tout parler de triomphe de la démocratie ou autre. On peut simplement dire, que définitive, ceux qui ont joué avec le feu se sont brûlés, c'est différent.

Patrick Boyer : Puisque vous êtes de liste, vous serez élu député européen, vous abandonnerez le Palais du Luxembourg ?

Charles Pasqua : Mais moi je l'ai déjà dit. Je ne pense pas qu'on puisse être candidat et ne pas aller siéger.

Patrick Boyer : Où en êtes-vous ? Êtes-vous toujours au RPR ? On hésite parfois encore à dire : sénateur RPR…

Charles Pasqua : Il suffit que vous vous reportiez à ce qui a été dit par le RPR lui-même, à savoir que, après les élections européennes éventuellement je serais exclu. Mais je n’appartiens plus aux instances dirigeantes du RPR. Je m’en suis retiré moi-même.

Patrick Boyer : Vous êtes toujours membre du mouvement ?

Charles Pasqua : Oui, mais je ne me considère pas comme lié par les décisions qu’il peut prendre.

Patrick Boyer : M. Séguin prévoit de diriger une liste d’union qui serait celle du président de la République, de sa politique européenne, et les autres, comme F. Bayrou ou vous-mêmes, étant des dissidents. Vous sentez-vous l’âme d’un dissident ?

Charles Pasqua : Pour moi, être un dissident n'est pas une insulte. Car, si j'ai bonne mémoire, c'est le qualificatif qui avait été accolé au général de Gaulle quand il avait pris la position qui était la sienne en 1940. Je ne me compare pas à de Gaulle. Mais effectivement pour rester fidèle aux idées auxquelles je crois et qui ont été incarnées par de Gaulle en son temps, j'ai dû me séparer de la direction du RPR. Donc s'il y a des gens qu'il faut, à l'heure actuelle, considérer comme étant en rupture avec leurs engagements, ce sont eux et pas moi.

Patrick Boyer : Vous séparez du président Chirac également, car au soir du 13 juin est-ce qu’on pourra faire l’addition des listes Séguin, Pasqua, Bayrou, comme autant de listes d’une opposition qui auraient J. Chirac pour leader.

Charles Pasqua : Je crois que c'est une très grave erreur que l'on a fait commettre au président de la République. J'ai des petits enfants qui participent aux épreuves de course automobiles, et je sais ce que c'est qu'un tour de chauffe. Généralement, le tour de chauffe on le fait juste avant la compétition. Alors vouloir transformer les élections européennes en tour de chauffe des élections présidentielles ou législatives qui n'auront lieu que dans deux ou trois ans, c'est vraiment faire une très grave erreur. Je crois que le président de la République a intérêt à rester à l'écart de tout ça. Mais après tout ça le regarde. En fonction des positions qu'il prend c'est lui qt1i en tirera les leçons au soir du scrutin.

Patrick Boyer : Mais en tant qu’opposant au gouvernement actuel, vous considérez toujours M. Chirac comme référent et leader naturel de l’opposition de droite ?

Charles Pasqua : Ça, je crois que l’opposition de droite, en général, considère que son véritable leader est le président de la République. Moi, je ne me situe pas dans ce cadre. Je veux dire par là que je ne mélange pas tout. Les élections européennes sont assez importantes ; il s’agit de se déterminer pour l’avenir et fixer la place de la France en Europe.

Patrick Boyer : Mais au-delà des élections ?

Charles Pasqua : Mais cela concerne tous les Français, je m’adresse à tous les Français, qu’ils soient de droite ou de gauche.

Patrick Boyer : Vous avez vu que M. Chevènement a rejoint la liste maastrichtienne de M. Hollande…

Charles Pasqua : Oui, est un peu triste.

Patrick Boyer : C’est du réalisme peut-être ?

Charles Pasqua : Ça montre bien qu’il est difficile en définitive de faire passer ses idées avant les problèmes politiques classiques.

Patrick Boyer : Avant les intérêts de carrière ?

Charles Pasqua : Avant les problèmes politiques classiques.