Interview de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts aux élections européennes de 1999, à RTL le 9 mars 1999 et à France 2 le 12, sur les thèmes de la campagne des Verts pour les élections européennes, notamment le respect de l'environnement, de la démocratie parlementaire européenne, l'Europe sociale, la PAC et sur le rapport entre les Verts allemands et le SPD.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - RTL - Télévision

Texte intégral

RTL - Mardi 9 mars 1999

Q - J.-P. Chevènement a adopté le principe de réalité : plutôt que de parler de l'avenir de l'Europe, il préfère opter pour la gauche de gouvernement

– « Je trouve ça tout à fait naturel. Je crois que c'est un congrès d'Epinay à l'envers. Il y a une recomposition politique. Donc, le MDC va être la charnière républicaine nationaliste du PS. Je crois que les Radicaux aussi vont rejoindre le PS. Donc, on aura un grand pôle social-démocrate dans la gauche plurielle. »

Q - Ça ne vous donne pas envie d'en faire autant ?

– « Moi, politiquement non, puisque je ne suis pas un social-démocrate Et je crois qu'effectivement, l'identité des écologistes, des Verts est une identité importante dans la majorité plurielle. »

Q - Vous aussi, vous vous heurtez en quelque sorte à un principe de réalité. Votre campagne a débuté dans l'enchantement, une vague nostalgie soixante-huitarde, la France était contente de vous retrouver. Et puis après, ça s'est gâté.

– « Au début, c'est du romantisme. Et puis après on commence, je commence, nous commençons, les Verts, à décliner des contenus. Et là effectivement, derrière le romantisme, il y a ceux qui sont pour et contre le nucléaire. Il y a ceux qui disent : oui, effectivement, le message européen – c'est-à-dire : comment positionner l'Europe dans le processus de mondialisation ? – nous sommes d'accord, mais pas sur ses propositions économiques. Et donc, c'est une période maintenant, non pas de désenchantement, mais de clarification des contenus pour, à la fin, démontrer qu'il faut fédérer plusieurs ambitions d'électorats différents pour faire un bon score. »

Q - N'êtes-vous pas un peu trop goguenard, parfois ? À Amiens, vous commencez en disant « Camarades chasseurs. » Vous ne croyez pas qu'ils pensent que vous vous foutez d'eux ?

– « C'était à Valenciennes. Je n'ai jamais été à Amiens. Non, ce n'est pas du tout ça. D'abord, il y a des chasseurs de gauche. C'est un peu là-dessus que je joue. On a une position divergente sur la chasse, mais parlons ensemble Et je crois que des fois, il faut quand même dédramatiser la politique si on veut se parler. Ce qui me frappe, c'est justement cette incompréhension que le dialogue est nécessaire avec des gens qui ne sont pas d'accord, entre gens qui ne sont pas d'accord. »

Q - À propos de dialogue, lorsque D. Voynet, en tant que ministre de l'environnement, remet ça sur la taxation de l'agriculture polluante au moment où la France se considère engagée dans une lutte frontale pour défendre la politique agricole commune et qui sert les intérêts français, est-ce qu'elle fait preuve de dialogue là ?

– « Deux choses d'abord. Je trouve que, quand une femme est agressée de telle manière, avec une telle misogynie à un salon public, il faut que toutes les forces politiques – la droite y compris, le Président de la République – interviennent pour la protéger. Quand les bureaux d'un ministre... »

Q - L. Jospin l'a fait suffisamment en disant qu'il fallait en revenir à la courtoisie française.

– « C'est plus que de la courtoisie qu'il faut, c'est une position claire sur la République, sur le fait que le bureau d'une ministre est saccagé. Le Président de la République doit monter au créneau et dire que ce n'est pas tolérable. Parce que c'est tous les fondements de la République qui sont remis en cause.

Maintenant, sur D. Voynet : aujourd'hui, il faut défendre différentes formes de l'agriculture française. L'agriculture française n'est pas une et indivisible. Quand vous avez 20 % de la production agricole qui reçoit 67 % des subventions européennes – c'est-à-dire les gros céréaliers – il y a une disproportion. Et deuxièmement, quand effectivement vous avez dans certaines régions, une eau qui n'est plus buvable parce que la pollution est telle – et je parle effectivement des éleveurs de porcs, je parle des problèmes qui existent en Bretagne où je suis allé, où j'ai rencontré des apiculteurs et des pécheurs, des associations de consommateurs qui disent : il faut sauver notre qualité de la vie, c'est-à-dire l'eau –, ce n'est pas attaquer par derrière, c'est effectivement demander de protéger une agriculture qui doit aussi se réformer et devenir une agriculture qui respecte l'environnement. »

Q - Mais derrière ce discours, on se demande : mais, qu'est-ce qu'il veut D. Cohn-Bendit, finalement ? De temps en temps, il est libéral, de temps en temps, il est plutôt socialiste.

– « Il veut une chose très simple. L'Europe, c'est un projet de civilisation. Dans tous les premiers textes européens, c'est une communauté de destins. Cette communauté de destins est une histoire : les luttes sociales, l'égalité sociale, donc, la responsabilité commune face aux plus démunis. Ça c'est l'idée européenne. Cette idée européenne, il faut lui donner un corps pour qu'elle puisse justement se positionner dans le processus de mondialisation. Donc, le mieux-disant social d'un côté, la raison écologique, c'est-à-dire respecter l'environnement pour qu'on puisse respecter notre qualité de la vie. Et puis, respecter la démocratie, c'est-à-dire respecter les institutions de la démocratie et faire vraiment de l'Europe une vraie démocratie parlementaire. »

Q - Un jour, vous vous êtes définis dans une interview à Libération, comme étant « libéral libertaire. », « Libéral » et « libertaire », ce sont deux raisons de mettre en cause l'« Etat » et la « nation » qui sont deux notions très enracinées dans la conscience collective française.

– « Non ! Deux choses : "libertaire", c'est lié à l'autonomie. Moi je crois beaucoup à la liberté, à l'autonomie des individus et à l'autonomie collective, C'est-à-dire que nous sommes maîtres de notre destin, que nous faisons notre histoire, nous faisons l'Europe, nous faisons l'égalité sociale en Europe nous pouvons unir l'Europe autrement. Et "libéral" : je suis pour des institutions démocratiques qui sont fortes, c'est-à-dire un parlementarisme européen ; je suis pour l'élection au suffrage universel du président de la Commission pour créer cet espace politique européen... »

Q - Alors l'État et la nation ?

– « Mais dedans, il y a la nation qui continue à exister. L'Europe a une souveraineté et il y a la souveraineté de la nation française ou de la nation allemande ou de la nation italienne. Il faut, justement être capable de mettre ça au même rythme. La nation anglaise continue d'exister. Regardez le Tournoi des cinq nations. Vous avez, dans ce Tournoi des cinq nations, l'Ecosse, le Pays de Galles, qui sont vraiment des pays et qui commencent à avoir une entité politique. Et vous avez l'Irlande, une nation où il y a deux États qui jouent ensemble – l'Irlande du Sud et l'Irlande du Nord. Les joueurs des deux États jouent dans une équipe et c'est reconnu comme une nation. Donc, il y a plusieurs possibilités de défendre l'idée de la nation. Il y a des Bretons qui sont un peuple breton : ils sont Bretons, Français, Européens. On a des appartenances multiples. Voilà ce que j'essaye de développer dans ma campagne. »

France 2 - 12 mars 1999

Q - La démission d'O. Lafontaine est-elle le début d'une crise politique en Allemagne ?

– « C'est surtout un homme qui a craqué, il faut le voir comme ça. O. Lafontaine était quelqu'un de très orgueilleux. Il voulait être l'homme d'une nouvelle politique. Il a fait des erreurs, le Gouvernement a fait des erreurs. Il était très meurtri par les critiques, et je crois que ce qui explique son départ brutal, c'est les nerfs qui ont flanché. Depuis l'attentat qui a été commis contre lui, il y a quelques années, il était très cyclothymique. Et je crois qu'au-delà de la crise politique, de la gestion politique, c'est vraiment la défaite d'un homme qui s'en va. Il faut le voir un peu comme ça, et ne pas sur interpréter politiquement cette démission. »

Q - Mais ne se passe-t-il pas en Allemagne ce qui est arrivé un peu aux socialistes français quand ils sont arrivés au pouvoir en 1981. C'est-à-dire : on n'a pas vraiment l'expérience du pouvoir, on patauge un peu et, forcément, il y a une crise au bout de quelques mois ?

– « Si, tout à fait C'est vraiment 1981 qui se répète en Allemagne maintenant Seize ans d'opposition pour les sociaux-démocrates – les Verts n'ont jamais été au pouvoir – donc c'est une coalition qui se cherche, une pratique politique qui se cherche. Voilà en fait le grand défi pour Schröder aujourd'hui : d'avoir une nouvelle méthode politique. Il avait des divergences avec Lafontaine. Lafontaine était un homme dur qui voulait imposer les réformes alors que Schröder veut passer par le dialogue et le consensus. Espérons que Schröder et Fischer réussissent. Parce que la coalition se trouve renforcée, ce qui est un peu contradictoire... »

Q - L'influence des Verts allemands va être plus importante à votre sens ?

– « Je crois que le problème Lafontaine démontre que ce n'était pas seulement sociaux-démocrates/Verts, c'était une certaine aile plus ouverte des sociaux-démocrates et des Verts contre une aile plus dirigiste des sociaux-démocrates et des Verts. Le dirigisme a perdu et l'aile plus ouverte donc va essayer de reprendre les choses en main. »

Q - C'est une forme de recentrage ?

– « Là encore, c'est une définition trop française, c'est une forme d'acceptation d'une nouvelle méthode. Alors, c'est au centre, mais ça peut se retrouver sur des propositions tout à fait autre part aussi. »

Q - Quelles conséquences, au niveau européen, peut avoir cette crise puisque l'Allemagne occupe en ce moment la présidence de l'Union européenne, que par ailleurs, on voit que la Commission européenne elle-même subit une crise importante ? N'y a-t-il pas un élément perturbateur alors que l'Europe a en main des dossiers extrêmement difficile ?

– « Là encore, ça dépend comment l'Allemagne veut s'en sortir, Schröder veut s'en sortir. Moi, je crois qu'il n'a qu'une possibilité. C'est vraiment d'écouter son ministre des affaires étrangères qui a un instinct plus européen que Schröder. Et si l'Allemagne veut être le modérateur, le fédérateur du compromis sur Agenda 2000, il faut jouer la carte européenne et moins jouer la carte, disons, des intérêts allemands. »

Q - Est-ce que pour les Verts en général, et pas simplement pour les Verts allemands, c'est plutôt une bonne chose, une opportunité ou au contraire, on va dire, finalement, c'est toujours compliqué, un gouvernement avec les Verts ?

– « Je vous dis : O. Lafontaine faisait partie du SPD. Mais c'est compliqué pour les Verts parce que, effectivement, aujourd'hui, gérer l'Allemagne, la présidence de l'Europe, on le voit, c'est difficile. Trouver des compromis avec des propositions contradictoires des Quinze, c'est difficile. Donc, on saura à la fin si c'est positif ou négatif; si l'Allemagne arrive à gérer l'Agenda 2000, ce sera positif pour les Verts, sinon ce sera négatif. »

Q - On le voit dans les négociations agricoles, c'est extrêmement difficile puisqu'en ce moment, on est sur un début de compromis sur la réforme la Pac. Mais pas vraiment : la France dit qu'il n'y a pas d'accord. Comment les trouvez-vous, en ce moment, les agriculteurs français ? Comment trouvez-vous ces négociations agricoles ?

– « Je crois qu'ils sont victimes d'une erreur de toutes ces négociations. On veut élargir en gelant le budget de l'Europe Ce n'est pas possible. On recommence l'erreur du gouvernement Kohl face à l'unification allemande. Ça coûte de l'argent l'élargissement, donc il ne faut pas réduire le budget de la Pac. »

Q - Donc, vous êtes d'accord avec les agriculteurs quand ils protestent en disant : il ne faut pas qu'on baisse nos subventions?

– « Je dis qu'il faut subventionner autrement. Il faut réformer en profondeur le type de subvention: arrêter les subventions à la production, donc les subventions à l'agriculture intensive, aller vers une agriculture extensive mais subventionner l'exploitation, donner de plus grandes subventions à ceux qui respectent l'environnement – l'agro-bio, la qualité de la nourriture. C'est par là qu'on doit avancer et non pas réduire le pouvoir d'achat, donc la qualité de la vie des agriculteurs. »

Q - Est-ce que vous n'êtes d'accord avec certains opposants – je pense par exemple à C. Pasqua – qui disent : on fait l'Europe sans le dire aux Français ; on les trompe ? Vous, vous êtes pour plus d'Europe ?

– « Ce qu'il dit est vrai. Mais tout le monde dit des contrevérités. C. Pasqua dit d'énormes contrevérités sur l'Europe pour prouver qu'il faut être contre, et ceux qui sont pour l'Europe, des fois, n'osent pas dire les vérités J'ai dit des choses sur le budget. L'Agenda 2000 ne doit pas geler les contributions nationales, au contraire. Et, d'un autre côté, il faut dire qu'effectivement, plus d'Europe, cela veut dire définir des intérêts communs et ce ne sera pas la somme des intérêts nationaux. C'est pour cela que, par exemple, quand Madelin dit : "Fédéralisme sans fédération", cela ne veut rien dire. Quand il y a l'accord PS-MDC où on dit : "On va maintenir le vote à l'unanimité au Conseil", c'est se mentir. Il va y avoir une réforme qui fera entrer le vote à la majorité qualifiée au Conseil pour renforcer les pouvoirs du Parlement. On ne s'en sortira qu'avec plus d'Europe, et qui dit le contraire, fait du mal, par exemple aux apiculteurs français ou aux autres agriculteurs, fait du mal à ceux qui, devant les problèmes, face à la mondialisation... c'est cela tout le problème, la nation, l'État ne pourra pas relever le défi de la mondialisation. »

Q - Les sondages, en ce qui vous concerne, étaient très bons au début ils sont un peu moins bons maintenant. Pourquoi ? C'est les manifestations, c'est les chasseurs, c'est quoi ?

– « Je ne suis pas, moi, un spécialiste des sondages. Comme cela, ce que je peux dire, c'est qu'au début, c'était le romantisme, maintenant on est dans le débat politique. Les sondages, ça monte et ça baisse. Il y en a qui sont à 8, il y en a qui étaient à 10. Ça a baissé à 9, à 8. Moi je me dis : on verra le 13 juin. Cette campagne doit nous permettre de parler de l'Europe, de nous confronter entre projets pro-européens, ou à moitié pro-européens, ou contre l'Europe. Et les électeurs choisiront. »