Texte intégral
O. Mazerolle
Avez-vous vu, hier soir sur TF1, un Premier ministre qui, comme il le dit, réforme et s’attaque aux problèmes des Français ?
F. Bayrou
– « Non, j’ai vu un Premier ministre plus à l’aise dans la forme que lors des interventions précédentes, mais toujours aussi bloqué dans le fond, enfermé dans un commentaire de son action, moulinant des arguments déjà entendus, et il me semble, se trompant de voie sur un ou deux grands sujets. »
O. Mazerolle
Par exemple ?
F. Bayrou
– « Par exemple, les 35 heures à EDF. De grandes entreprises, monopoles publics, protégées par des statuts très importants, très lourds : on va débloquer 550 millions de francs, le contribuable va avoir à donner 550 millions de francs pour aller – peut-être demain, annonce-t-on – vers les 32 heures. Pendant ce temps, les artisans, les commerçants, les travailleurs manuels vont toujours être dans la fragilité, obligés de commencer très tôt le matin, de finir très tard le soir pour assumer eux-mêmes la charge de leur travail, de leur stock, de leur comptabilité. Et les couvreurs, les plâtriers vont voir la différence de leur situation par rapport aux salariés protégés des très grandes entreprises. Cette différence va se creuser. Et je trouve que ce n’est pas un bon service à rendre à la France. Sur le fond, je trouve qu’il est bloqué et qu’il ne va pas dans le bon sens. »
O. Mazerolle
Dans la lutte contre le chômage, il dit : on y est parvenu grâce au fruit du volontarisme, et d’ailleurs les 35 heures vont décoller cette année ! Les emplois-jeunes…
F. Bayrou
– « Vous savez bien que les 35 heures n’ont pas créé d’emplois. »
O. Mazerolle
Mais il dit : cela va se faire, ça y est ! Cela va décoller !
F. Bayrou
– « Ça ne le fera que dans un certain nombre d’entreprises avec l’argent de l’État, c’est-à-dire avec l’argent du contribuable, et l’argent de l’État c’est très souvent l’argent des plus faibles. C’est aussi les salariés en situation les plus faibles qui vont voir se creuser le fossé avec les salariés des grandes entreprises. Je trouve donc que sur le fond cette vision de l’avenir, de l’économie est une vision fausse, et je crois qu’elle ne rend pas service à la France. »
O. Mazerolle
Concernant la sécurité : vous lui donnez tort d’avoir une approche globale, de dire : il faut de la répression bien entendu, mais cela ne suffit pas ?
F. Bayrou
– « Non, sur ce point, je ne lui donne pas tort. »
O. Mazerolle
Et quand il parle des allocations familiales qu’il ne faut pas retirer aux familles de délinquants ?
F. Bayrou
– « C’est un très grand sujet, et extrêmement difficile. Les familles ont une responsabilité, mais ce sont les familles les plus fragiles qui se trouvent quelquefois avec des enfants en situation de crise précaire qui font des bêtises graves et qui nuisent à leur entourage. La question des allocations familiales se trouve posée. Mais je ne lui donne pas tort de dire qu’on doit essayer d’associer prévention et sanction. Encore faut-il que la sanction intervienne. Et ce qui rend fous, désespérés un certain nombre d’habitants de ces zones, et puis simplement des Français, c’est qu’ils savent que les sanctions n’interviennent pas du tout pour des raisons de règlements ou d’organisation de la police et de la justice. On est désarmé. Il n’y a pas de sanction. Alors moi, je suis d’accord pour dire qu’il faut associer prévention et sanction, encore faut-il qu’il y ait sanction. »
O. Mazerolle
Donc, appliquer les textes en vigueur ?
F. Bayrou
– « Oui appliquer, mais changer s’il le faut. »
O. Mazerolle
Je voudrais savoir où vous vous situez ? Parce que, sur l’économie, vous êtes en désaccord avec le Gouvernement ; et, sur l’Europe, vous trouvez que vos partenaires de l’Alliance sont un peu trop tièdes. De qui êtes-vous le moins éloigné ?
F. Bayrou
– « L’opposition comprend plusieurs courants de sensibilité. Les deux courants principaux sont le courant RPR – désormais DL appartient à ce courant-là… »
O. Mazerolle
Ça y est ! Pour vous, il y a une fusion ?
F. Bayrou
– « C’est ce qu’ils ont annoncé, pour ainsi dire. Et il y a un deuxième courant, l’UDF ; c’est-à-dire le courant de ceux qui pensent qu’il n’y aura de développement pour la France que si on réussit à construire en même temps deux orientations politiques : la puissance de la France ce sera l’Europe – ou bien il n’y aura pas de puissance de la France —, et d’un autre côté, il faut, en effet, trouver une économie capable de donner à la France le moyen de la performance et l’emploi. »
O. Mazerolle
Avec qui voulez-vous faire cela ?
F. Bayrou
– « Ce courant politique-là est dans l’opposition, et il convaincra l’opposition. Ce courant politique-là est l’opposition. Nous sommes co-fondateurs de cette maison commune. Et je trouve ça tout à fait anormal. J’y pensais en regardant M. Jospin hier soir. A gauche, il y a cinq familles politiques, à gauche, il y a cinq courants politiques – les communistes, les socialistes, les Verts, les Radicaux, Chevènement, etc. Ces cinq courants politiques-là, Dieu sait qu’ils ont des différences ! Dieu sait que les Verts et le PC ce n’est pas la même chose ! Eh bien, ils réussissent à faire de ces différences un atout. Et nous, nous avons moins de différences, mais nous nous débrouillons toujours pour qu’à la moindre expression de cette différence-là il y ait de telles polémiques, de telles accusations et de telles injures que tout le monde ait l’impression que nous sommes divisés. Et le président de l’Alliance, me semble-t-il, ne devrait pas jeter de l’huile sur le feu. »
O. Mazerolle
Justement, P. Séguin dit dans Paris Match aujourd’hui : ah les centristes ! Il énumère les ralliements centristes à la gauche – il cite 7 ou 8 noms – puis il remonte à la IVe République, et dit : est-ce qu’on va revenir à la complicité entre MRP et SFIO. Il n’a pas l’air d’avoir confiance, P. Séguin ?
F. Bayrou
– « D’abord, je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de Français qui sachent exactement ce qu’est le MRP et le SFIO, et ce type de référence historique n’est pas, je crois, dans le ton. Normalement le président de l’Alliance devrait rassembler et imposer le respect et la loyauté entre les membres de sa famille. Je regrette qu’il ne le fasse pas. Il n’est pas normal que nous ne sachions pas gérer notre diversité. Nous avons beaucoup moins de différences que la gauche et nous sommes incapables – l’Alliance se révèle incapable – d’accepter cette différence-là. Pourtant cette différence est la condition du retour au pouvoir un jour. Si on veut une opposition alignée au coup de sifflet, si on veut une opposition monolithique, on aura l’échec. »
O. Mazerolle
Quand vous dites que vous voulez pour les européennes une liste d’opposition qui soit pour les Européens, est-ce que cela veut dire qu’elle doit être dirigée forcément par un membre de l’UDF ?
F. Bayrou
– « Ce serait un bon choix. A gauche, les anti-européens de gauche auront leur liste. »
O. Mazerolle
Est-ce que cette liste doit être dirigée par l’UDF ?
F. Bayrou
– « A gauche, ils auront plusieurs listes. Les anti-européens de droite auront leurs listes. Vous aurez remarqué qu’on n’a pas fait un procès à C. Pasqua lorsqu’il a dit qu’il allait faire sa liste, et parce qu’il a dit : mon opinion n’est pas représentée. Eh bien, les Européens de droite et du centre veulent aussi avoir une liste qui représente leur opinion. On est à la proportionnelle. »
O. Mazerolle
Est-ce que cela veut dire dirigée par l’UDF ?
F. Bayrou
– « Cela peut être l’UDF, et ce serait un très bon choix. Cela avait été le choix précédent de D. Baudis. »
O. Mazerolle
Ça peut-être un RPR ?
F. Bayrou
– « Ça peut-être un RPR. Mais nous demandons seulement que cette liste soit une liste pour les Européens, clairement, sereinement, calmement, amicalement dirigée vers ceux qui croient que l’Europe est l’avenir de la France. »