Interview de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération à Europe 1, le 27 juillet 1997, sur les relations de la France avec l'Afrique, la coopération militaire, la coopération décentralisée et la proposition française d'une force interafricaine d'intervention.

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Média : Europe 1

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Europe 1 : À la veille de votre départ pour l’Angola et le Gabon et alors que la politique africaine de la France est contestée, quelles sont les bases de la nouvelle ligne française évoquée par Lionel Jospin au cours de sa campagne électorale ? Y aura-t-il vraiment une rupture avec le passé ?

Charles Josselin : Il est évident qu’il est nécessaire d’avoir en tout cas un autre dialogue avec l’Afrique. C’est ce que je m’efforce d’entreprendre depuis quelques semaines et je vais demain en Angola, comme vous l’avez confirmé, rencontrer le président Dos Santos. Dans les tous premiers jours de la semaine prochaine, c’est le président Bongo que je verrais. Ce ne sont pas les premiers chefs d’État que je rencontre et à tous, je redis la volonté du gouvernement de Lionel Jospin d’instaurer un nouveau dialogue avec l’Afrique, celle d’aujourd’hui et non celle que l’on a regardée dans le rétroviseur pendant trop longtemps. Cela signifie la prise en compte des nouvelles élites africaines y compris celles, parce qu’il en existe, qui n’ont pas forcément fait toutes leurs études à Paris ou dans une université francophone, ce qui signifie aussi qu’il nous faut mobiliser du côté français d’autres acteurs : je pense à la société civile, à la coopération décentralisée, en plus des entreprises que j’aimerais bien voir, non seulement continuer à s’intéresser à l’Afrique pour celles qui s’y intéressent depuis longtemps, mais en voir aussi de nouvelles s’y intéresser. Le dialogue avec l’Afrique doit être adulte. C’est une sorte d’union libre que nous proposons à l’Afrique désormais et qui fait la suite de mariages un peu contraints qui ont souvent conjugué, comme le disait Lionel Jospin, l’impuissance et l’ingérence. C’est cela s’agit de changer.

Europe 1 : Mais on a tout de même l’impression que c’est juste un effet d’annonce qui, finalement prépare une certaine continuité.

Charles Josselin : J’arrive. Donc, pour l’instant, cela ne peut être en effet que des intentions affichées. Mais il est vrai qu’elles sont tout de même l’indication d’une nouvelle direction. Je pense qu’en septembre le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères et moi-même aurons, en concertation d’ailleurs avec l’Elysée, car je n’oublie pas qu’il s’agit d’un domaine partagé, arrêté des actions plus concrètes.

Europe 1 : Est-ce que le fait que ce soit justement un dossier partagé entre l’Elysée et Matignon ne limite pas justement vos initiatives en la matière ?

Charles Josselin : Jusqu’à un certain point. Mais, je reste convaincu que les accusations, que j’ai pu exprimer vis-à-vis des réseaux, ont finalement fait plaisir à un certain nombre de gens qui, à l’Elysée, et ils sont nombreux à s’occuper de l’Afrique, ne partageaient pas forcément la manière de faire des réseaux en question.

Europe 1 : Alors concrètement, dans quelle direction peut se faire cette nouvelle politique africaine de la France ? Par exemple, la coopération militaire ou les accords de défense que nous avons avec certains pays africains ?

Charles Josselin : Comme vous venez de le rappeler tout à l’heure, nous avons des accords de défense avec quelques pays africains et nos troupes sont positionnées dans quelques pays africains seulement. Mais on a souvent commis l’erreur de croire d’ailleurs qu’à Brazzaville elle l’était avant le conflit. Ce n’est pas vrai. Nos troupes ont été positionnées à Brazzaville parce que nous craignons des troubles côté Kinshasa. Mais il est vrai que s’agissant de l’organisation actuelle des troupes françaises en Afrique, il s’agit d’un dossier qui est actuellement réouvert mais il ne s’agit pas d’un retrait de la France, comme on a trop souvent tendance à le présenter. Quand je dis « on », je recommence à penser que tous les médias accordent un peu trop d’importance, me semble-t-il, aux quelques dizaines de militaires américains qui arrivent en Afrique, en oubliant la présence militaire française qui reste importante. Mais il s’agit, c’est vrai, d’organiser cette présence autrement, indépendamment de son organisation géographique de revoir les accords de défense et les conditions d’emploi de ces troupes françaises. L’exemple de Brazzaville a montré en effet que de ce point de vue la France n’avait pas désormais l’intention de l’interposer surtout lorsque la volonté locale n’y obligeait pas.

Europe 1 : Alors vous allez rencontrer le président Omar Bongo, le président gabonais. Il fait partie, comme le président de Côte d’Ivoire, le président Bédié, de ces chefs d’État africain qui réclament au contraire un renforcement de la coopération militaire française et qui disent finalement oui, à un pré carré français.

Charles Josselin : Oui, c’est vrai, je vais essayer aussi de convaincre le président Bongo que le Gabon est devenu un pays, heureusement, développé, en tout cas sur le plan économique et qu’il faut que l’organisation démocratique soit à la mesure de ce développement économique. S’agissant, je le répète, des questions de relations militaires, il faudra s’assurer du bon fonctionnement de la démocratie. Là, on peut imaginer qu’il y aura une relation, lorsqu’il s’agit en plus de défendre les intérêts français. Ils sont importants au Gabon. Faut-il rappeler en particulier du côté de Pointe-Noire, la présence des entreprises françaises, notamment autour du pétrole et il n’y a pas à s’excuser de vouloir défendre les intérêts français en Afrique, à condition qu’ils ne soient pas contradictoires avec les intérêts des Africains eux-mêmes.

Europe 1 : Est-ce que les crises récentes ou en cours en Afrique francophone ne sont-elles pas un enseignement en la matière ?

Charles Josselin : Non, mais je crois que les crises dont vous parlez sont à situer dans un bouleversement beaucoup plus profond, probablement planétaire. Je n’oublie pas que l’implosion de l’empire soviétique a modifié complètement la zone en Afrique.

Europe 1 : Avec l’entrée en jeu des Américains ?

Charles Josselin : C’est évident. Des Américains qui se sentent « autorisés » à laisser plus libre cours à leur puissance économique, mais aussi diplomatique. Il est vrai que ces 700 millions consommateurs africains sont de nature à intéresser aussi les entreprises américaines. Il y a là quelque chose de très normal. Là où nous ne sommes pas d’accord avec eux, c’est que les Américains n’entendent s’intéresser qu’aux Africains capables de consommer. C’est le fait de privilégier le commerce plutôt que l’aide. Nous considérons comme indispensable l’aide publique, et pour longtemps, pour la plupart des pays d’Afrique, avec l’investissement privé et le commerce privé qui, évidemment, est déjà la règle. Je n’oublie pas que la balance commerciale entre France et Afrique est positive de presque 2,5 milliards de francs. Ce n’est pas rien, c’est presque autant qu’avec l’Europe des Quinze.

Europe 1 : Les Américains avaient proposé la mise sur pied d’une force interafricaine d’intervention pour régler les conflits internes à l’Afrique. Quelle est votre position là-dessus aujourd’hui ?

Charles Josselin : Nous la soutenons, convaincus d’abord que c’est aux Africains eux-mêmes à assumer, là aussi, leurs responsabilités. Si nous sommes prêts à les aider sur le plan de la logistique, nous sommes prêts d’une manière générale en terme de coopération à les aider, à construire les États, c’est-à-dire mettre en place aussi une armée, une police, une justice. Mais s’agissant de l’intervention militaire ou l’interposition militaire, c’est le cas du Congo par exemple, notre position est de soutenir complètement la mise en place d’une force d’interposition interafricaine, quitte à apporter – ce que nous avons toujours fait – la logistique dont elle pourrait avoir besoin.

Europe 1 : Cela pourrait être le cas si les belligérants congolais, qui sont réunis actuellement à Libreville pour des négociations Je paix, le réclamaient ?

Charles Josselin : La discussion est entamée et il est vrai que parmi les termes de l’accord que le président Bongo a proposé aux partis actuellement en conflit, il y a la mise en place d’une force d’interposition africaine et c’est à celle-là que je fais allusion, quand je dis que la France est prête à l’aider du point de vue de la logistique.