Texte intégral
Jean-Pierre Elkabbach : Dans deux heures et demi, la Cour de justice de la République va rendre sa décision historique sur le procès du sang. Quelle qu'elle soit, est-ce que vous espérez au moins la réhabilitation de L. Fabius ?
François Hollande : Oui, j'espère que la vérité sera apparue au cours de ce procès. Et cette vérité - semble-t-il, puisque ça a été le sens même des réquisitions du procureur - c'est l'innocence non seulement de L. Fabius qui, lui, comme premier ministre, a pris les décisions qui convenaient au moment où il le fallait, mais, aussi des deux autres ministres.
Jean-Pierre Elkabbach : Les socialistes se sentent concernés parce que ce sont des socialistes qui sont jugés ?
François Hollande : Non, les socialistes sont comme tous les Français. Ils pensent d'abord aux victimes. Ça a été un drame épouvantable, une tragédie humaine. Et donc, la seule solidarité que l'on doit avoir est à l'égard des victimes. Après, il y a la responsabilité des personnes. Et ce qui est apparu dans ce procès, c'est qu'il y a eu sans doute une opacité administrative ; une lourdeur, de l'inertie. Mais en même temps, que les politiques ont joué un rôle qui a été utile, et notamment L. Fabius comme premier ministre, mais aussi les ministres qui ont agi en temps et en heure.
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que la justice politique doit s'occuper de responsabilité pénale ou faut-il séparer les choses ?
François Hollande : Il faut séparer ! Ce qui veut dire qu'il faut une responsabilité plus forte. Ce qui a manqué, ces dernières années, c'est justement de la part du Parlement, la recherche de la vérité et aussi la recherche de la responsabilité politique...
Jean-Pierre Elkabbach : C'est une autocritique collective ?
François Hollande : Je crois. Il faut que la responsabilité s'exerce beaucoup plus tôt, beaucoup plus fort, et qu'elle évite que l'on sorte de la responsabilité politique pour aller vers la responsabilité pénale. Pour qu'il y ait responsabilité pénale, il faut qu'il y ait une infraction. C'est-à-dire un acte commis personnellement.
Jean-Pierre Elkabbach : Ce n'est pas de la théorie…
François Hollande : C'est de la pratique tous les jours. Et ça peut avoir des conséquences pour l'avenir.
Jean-Pierre Elkabbach : Ceux qui ont inspiré la Cour de justice de la République reconnaissent qu'ils se sont mis « le doigt dans l'œil », comme dit G. Vedel. Faut-il modifier la Cour de justice, la supprimer, ou inventer autre chose ?
François Hollande : Il faut sans doute la modifier de façon à ce qu'il y ait une distinction plus nette entre la responsabilité politique et la responsabilité pénale. En plus, je ne suis pas sûr que ce soit bon que l'on mélange des juges politiques émanant des partis politiques comme c'est le cas à la Cour de justice et des juges professionnels. Je crois qu'il faut laisser la justice aux professionnels.
Jean-Pierre Elkabbach : Le premier ministre veut fait voter définitivement ta parité par le Parlement, dès demain. Demandera-t-il au président de la République, la convocation du Congrès à Versailles pour réviser la Constitution ?
François Hollande : C'est nécessaire. Il n'aurait servi à rien de faire cet exercice à l'Assemblée nationale, puis au Sénat - plusieurs fois, puisque vous savez que la majorité sénatoriale avait du mal à entendre ce que signifiait le mot « parité ». Donc, maintenant il faut le faire et j'allais dire : le faire vite. Parce que ce qui compte, ce n'est pas tant la révision constitutionnelle ; elle est nécessaire, c'est un préalable - que les lois qu'il faudra voter pour mettre en œuvre ce principe de parité. Et, je propose notamment, que pour les élections municipales, nous puissions avoir des places qui soient plus nombreuses réservées aux femmes, ou demain aux hommes. Il y a là un principe qui doit trouver sa réalité, son application.
Jean-Pierre Elkabbach : Le premier ministre disait hier qu'il n’y aurait pas de modification du scrutin pour les élections, législatives. Qu'est-ce que va faire le Parti socialiste aux législatives en faveur des femmes ?
François Hollande : Vous savez qu'on a déjà fait beaucoup plus que les autres, pas assez ! Mais plus que les autres. Nous avions présenté un tiers de femmes aux élections législatives de 1997. Et, cette fois-ci -ce n'est pas encore arrivé puisque c'est dans trois ans - nous devons faire mieux. C'est-à-dire, par exemple, présenter 35 %, 40 % de femmes de façon à ce qu'on arrive progressivement à ce principe de parité. Mais, nous n'allons pas changer le mode de scrutin qui va rester un scrutin majoritaire à deux tours pour l'essentiel. Alors, il faut peut-être, pour que tous les partis politiques se sentent concernés et puisqu'ils reçoivent une dotation publique, qu'ils soient pénalisés s'ils ne rentrent pas dans la logique même de la loi constitutionnelle que nous allons voter.
Jean-Pierre Elkabbach : Versailles, vous avez dit qu'il faut que ce soit vite : quand ? D'autre part, est-ce que ce sera la parité seulement ou la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ? Si le président accepte l'une et refuse l'autre, qu'est-ce qui se passe ?
François Hollande : Ce serait bien que si Versailles nous était une nouvelle fois conté, puisque vous savez que régulièrement nous allons à Versailles, nous le fassions pour plusieurs textes. Je l'ai souhaité même pour le traité d'Amsterdam. Je pensais même, si la majorité sénatoriale avait été plus prompte à adopter le principe de parité, que nous aurions pu faire tout ensemble à Versailles l'autre fois. Donc, la prochaine fois, je souhaite qu'il y ait plusieurs te tes qui soient mis en révision de la Constitution.
Jean-Pierre Elkabbach : Et si le président de la République ne veut pas ? On ne peut pas le forcer.
François Hollande : Non, eh bien écoutez, on fera ce que le président de la République nous autorisera à faire. Chacun jugera.
Jean-Pierre Elkabbach : C'est bien, c'est gentil, c'est docile.
François Hollande : Non, c'est la Constitution.
Jean-Pierre Elkabbach : La Corse : en Corse, la gauche et la droite classique perdent. On peut se demander qui perd le plus, d'ailleurs. Mais, on sait qui gagne : les nationalistes. D'après la droite, c'est le qui fait les beaux jours des indépendantistes : vous fabriquez des nationalistes.
François Hollande : Non, nous fabriquons de l'État de droit et de la République. C'est-à-dire que ce qui a changé en Corse, c'est que maintenant la loi s'applique. Alors, c'est vrai que cela doit entrainer, pour certains, un certain nombre de protestations, de résistances, au mauvais sens du terme ; et qu'il y a là une utilisation, et par la droite et par les nationalistes, de ce que l'application peut provoquer comme réticences. Ce qui compte maintenant, au-delà même des élections - même si je souhaite que tous les républicains se retrouvent au deuxième tour sur les listes de gauche, notamment celle d'E. Zuccarelli - c'est de savoir si l'on va appliquer la loi ou si l'on va ralentir l'effort. Et là, je dis : vraiment, quelle faute ce serait, quelle responsabilité nous prendrions si, par peur, par intérêt, nous ne mettions pas en pratique ce qui est quand même un principe élémentaire daris notre démocratie : l'application de la loi. Et je dis ici, à votre micro, que la droite a pris une très grave responsabilité en flattant, en faisant de la démagogie, en jouant des peurs et des Fantasmes auprès des Corses. Y compris P. Séguin qui disait que, finalement, pour la Corse, on pouvait avoir des lois fiscales très différentes parce qu'il y avait une insularité…
Jean-Pierre Elkabbach : Pourquoi rejeter la responsabilité sur les autres alors que vous devriez voir les conséquences de ce que vous faites ? Vous êtes en train de trouver les Corses ingrats et la politique de droite dans l'erreur.
François Hollande : Les Corses ne sont pas ingrats. Pour beaucoup, pour l'essentiel, pour la majorité, ils souhaitent que la loi s'applique. En même temps, il y a toujours des zèles intempestifs, il y a toujours des administrations qui vont trop loin, il y a toujours des erreurs. Je ne les sous-estime pas. Mais, en même temps, pour l'île elle-même, pour la République aussi qui n'a pas de frontières en son sein même, eh bien je dis : il faut que la loi s'applique. Et ces élections doivent servir à faire comprendre à la population dans son ensemble, aux Corses notamment, que le et que la majorité plurielle en tout cas ne transigera pas les nationalistes vont être beaucoup plus forts… Les nationalistes vont déjà été forts dans le passé…
Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce qu'il faut faire un plan de développement économique, est-ce qu'il faudra parler davantage avec les nationalistes ?
François Hollande : Il faut faire un plan de développement économique, oui ! Et l'état de droit, c'est aussi l'état de droit économique, ce n'est pas simplement l'état du droit pénal ou de l'application du droit fiscal. C'est aussi du développement économique. La République doit faire d'une et l'autre : l'ordre, mais aussi la capacité que l'on a à mettre du développement économique là où il est nécessaire, et notamment en Corse, Mais laisser penser - comme une grande partie de la droite l'a fait, et notamment P. Séguin -, parce que ça poserait des problèmes ou que ça pourrait provoquer des réactions, que l'on pourrait lever le pied en matière d'application de la loi, je pense que ce serait revenir dans toutes les erreurs et dans tous les errements que l'on a connus dans le passé.
Jean-Pierre Elkabbach : La droite vous répondra. Vous avez signé, avec J-P. Chevènement, pour une liste commune. C'est le mariage des contraires. Est-ce que J.-P. Chevènement va freiner votre galop, personnel, européen, ou vous allez l'entraîner ?
François Hollande : Notre galop est parti déjà. Et je pense que J.-P. Chevènement regarde vers l'avenir. Et il a raison. Il ne servirait à rien de savoir qui a eu raison, qui a eu tort - je le sais, moi - pour le passé. Mais, ce n'est pas la peine, ici, de faire ce débat-là, ce qui compte c'est de rassembler la gauche. Je m'y emploie et J.-P. Chevènement l'a parfaitement compris.
Jean-Pierre Elkabbach : Au-delà de la langue de bois…
François Hollande : Ce n'est pas de la langue de bois !...
Jean-Pierre Elkabbach : Pour être sérieux !
François Hollande : Toute la droite est divisée, il est quand même bon que la gauche se rassemble.
Jean-Pierre Elkabbach : Expliquez-moi comment un « oui » plus un « non » égal un « oui » ?
François Hollande : Parce que ce qui compte ce n'est pas le débat d'hier, c'est le débat de demain. Je me félicite que J.-P. Chevènement soit aujourd'hui conscient qu'il faut faire une Europe différente du passé. Nous avons fait l'euro, c'est irréversible. Nous avons fait un grand marché, c'est maintenant une donnée fondamentale. Qu'est-ce qu'il faut faire de l'Europe ? Une Europe de croissance, une Europe d'emploi, une Europe sociale, une Europe politique. J.-P. Chevènement est d'accord sur cette ligne-là. Je vais m'en plaindre ? Je vais refuser son concours ? Tant mieux ! Et s'il y en a d'autres - les Radicaux sont également d'accord…
Jean-Pierre Elkabbach : Donc, la droite peut plus facilement accepter J. P. Chevènement et sa conversion… Je veux dire la gauche.
François Hollande : Il faut dire la distinction : il y a la droite et il y a la gauche. La droite est divisée et la gauche est unie. Vous voyez, c'est une clé de l'explication.
Jean-Pierre Elkabbach : Et la droite a tellement de mal à accepter la conversion européenne de P. Séguin.
François Hollande : Oui, parce que P. Séguin est à la tête de la liste. C'est cela qui trouble. Il est à la tête d'une liste européenne et libérale. Or, nous savons que P. Séguin n'est ni européen, et jusqu'à présent il n'était pas libéral. Cela trouble beaucoup les esprits.
Jean-Pierre Elkabbach : Dans les meetings de la gauche, on va entendre la cacophonie ?
François Hollande : Vous entendez la cacophonie, vous ?
Jean-Pierre Elkabbach : Les meetings n'ont pas commencé.
François Hollande : Et même ! Les meetings, je les ferai avec tous ceux qui sont sur cette liste et ils seront sur la ligne que nous avons fixée, parce que nous avons signé aussi un accord politiqué avec le Mouvement des citoyens comme avec les Radicaux de gauche.
Jean-Pierre Elkabbach : Donc, vous allez réussir mieux que Zidane : vous allez réussir le grand écart ?
François Hollande : Nous avons essayé de faire des tacles qui nous permettront d'éviter le carton rouge.
Jean-Pierre Elkabbach : Quel est le principal symbole européen de F. Hollande ?
François Hollande : C'est de vouloir, avec tous les socialistes d'Europe… parce que c'est ça qui est très important : nous faisons un programme commun avec tous les socialistes européens pour mettre l'Europe sur la voie de l'emploi et de l'Europe sociale. C'est un beau pari. Et nous pouvons le faire parce qu'il y a onze gouvernements de gauche sur quinze en Europe. Ça nous donne un point d'appui. Ce qui veut dire aussi que c'est une grave responsabilité. Maintenant, c'est à nous les socialistes - on ne pourra pas se défausser sur les uns et sur les autres -, c'est à nous la gauche, de faire avancer l'Europe sur des voies différentes.
Jean-Pierre Elkabbach : Qu'est-ce que vous avez offert, le 8 mars, à S. Royal, et aux militantes du PS ?
François Hollande : La parité.
Jean-Pierre Elkabbach : C'est tout !
François Hollande : C'est déjà pas mal, vous vous rendez compte ! C'est quand même presque mieux qu’une rose, des places sur une liste aux européennes, c'est quand même un beau principe.