Interview de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, dans "Le Républicain lorrain" le 26 mars 1999, sur les effets positifs de la politique de l'emploi et sur la réforme hospitalière, qui articule qualité des soins et proximité.

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Circonstance : Déplacement de Mme Aubry en Lorraine, fin mars 1999

Média : Le Républicain lorrain

Texte intégral

Le Républicain Lorrain. – A propos des 35 heures, quelles garanties pouvez-vous donner pour qu’elles ne soient pas un moyen d’introduire plus de flexibilité dans les entreprises ?

Martine Aubry. – Depuis que la loi d’incitation à la loi d’incitation à la réduction du temps de travail a été votée, un mouvement de négociation sans précédent se déroule dans le pays. Pour la première fois dans les entreprises, le dialogue social est réel : les chefs d’entreprise et les salariés discutent ensemble de l’organisation du travail, de la durée d’utilisation des équipements, d’un meilleur aménagement du temps pour mieux concilier vie professionnelle et familiale. Dans 91 % des entreprises, tous les syndicats présents ont signé les accords. Faisons leur confiance pour savoir ce qui est bon pour les salariés. Aujourd’hui, ce que je vois sur le terrain, c’est que la réduction du temps de travail aboutit dans la quasi totalité des cas à des accords gagnants pour tout le monde. Négocier une réduction de la durée du travail et des changements dans l’organisation du travail, c’est un travail plus polyvalent et plus qualifié pour les salariés, c’est la transformation d’emplois précaires (CDD, intérim, temps partiel…) en emplois stables, ce sont des entreprises plus performantes et répondant mieux à la demande, ce sont enfin des emplois créés, parfois ciblés sur des chômeurs de longue durée ou des jeunes en difficulté. Depuis le 10 octobre 1997, c’est-à-dire l’annonce de la réduction du temps de travail, plus de 50 000 emplois ont été créés ou sauvés.

R. L. – La politique de l’emploi n’est-elle pas plus dépendante des prévisions de croissance que d’une action volontariste ?

M. A. – Le combat pour l’emploi nécessite d’explorer toutes les voies. Depuis juin 97, la France a créé 535 000 emplois, ce qui n’était jamais arrivé depuis trente ans. Si la croissance a été aussi forte en 98, c’est bien parce que nous avons pris un certain nombre de décisions : la hausse du SMIC, le transfert des cotisations maladies vers la CSG par exemple pour augmenter le pouvoir d’achat des ménages et ainsi relancer la consommation. Tout le monde sait bien cependant que la croissance seule ne suffit pas pour réduire fortement le chômage dans notre pays. Ne compter que sur elle, c’est se résigner à un chômage élevé. Je m’y refuse. C’est pourquoi nous avons ouvert avec détermination toutes les pistes pour combattre le chômage : aide aux nouvelles technologies, aide aux créateurs d’entreprise, création de nouvelles activités de services pour améliorer la qualité de vie – ce sont les emplois jeunes –, réduction de la durée du travail, accompagnement personnalisé des jeunes en difficulté et des chômeurs de longue durée vers l’emploi dans le cadre de la loi contre les exclusions. Nous n’avons jamais fait de la réduction du temps de travail une solution miracle : elle est une voie, parmi d’autres que je viens de citer, que nous nous devions d’engager pour combattre le chômage. Aujourd’hui, les premiers résultats de ces réponses multiples au chômage sont là : depuis juin 97, le nombre de chômeurs a diminué de 230 000 et le chômage des jeunes a baissé de 13 %.

R. L. – La réforme hospitalière est-elle définitivement arrêtée ? Y a-t-il encore des chances pour de petites unités de proximité ?

M. A. – Nous sommes convaincue avec Bernard Kouchner que la réforme hospitalière ne peut se faire dans le secret des bureaux. C’est pourquoi, depuis notre arrivée, nous menons une discussion permanente avec les représentants des médecins et une concertation, dans le cadre des États généraux de la santé notamment, la plus large possible associant les professionnels de santé bien sûr mais aussi les élus et les usagers de notre système de soin. La politique hospitalière doit pour nous remplir trois objectifs majeurs : adapter l’offre de soins aux besoins de la population, promouvoir la qualité et la sécurité des soins et réduire les inégalités. L’exigence de qualité et de sécurité est pour nous primordiale, comme elle l’est d’ailleurs pour le corps médical et nos concitoyens. Ils n’hésitent pas, lorsque la maladie est grave, à parcourir les kilomètres nécessaires à une hospitalisation offrant les meilleures garanties médicales. Il est également vrai que, pour des hospitalisations prolongées, la proximité géographique est importante, réconfortante même, pour le patient et son entourage. C’est pourquoi je crois que nous devons sortir de l’opposition stérile entre qualité des soins et proximité, notamment par la constitution de réseaux de soins développant la complémentarité et la spécialisation entre les établissements de santé au sein d’une région. Prenons un exemple en Lorraine : l’hôpital de Moyeuvre-Grande, établissement de 90 lits situé en Moselle, a fermé son service de chirurgie et est spécialisé aujourd’hui dans la mise en charge de personnes relevant de soins palliatifs. Par cette spécialisation, cet établissement continue de fonctionner et remplit parfaitement son rôle de proximité en accueillant des personnes en fin de vie. En Lorraine, comme ailleurs, il y a donc de la place pour une activité de proximité au sein de tous les établissements. Simplement, cette offre de proximité ne peut plus se concevoir de façon isolée et autonome : elle doit être spécialisée et complémentaire des fonctions assurées par d’autres établissements. C’est de cette façon que l’offre de soins répondra au mieux aux besoins de la population en garantissant à chacun une sécurité maximale des soins.

R. L. – La vente par Usinor de plusieurs de ses filiales ne risque-t-elle pas de mettre en danger les emplois en Lorraine ?

M. A. – Je comprends de la stratégie d’usiner que des activités doivent être cédées car elles ne font plus partie du cœur de métier du groupe. Pour autant, ces activités ont un avenir et la cession doit leur donner des perspectives de développement. Je ne pense donc pas qu’aujourd’hui des emplois soient menacés. Je continuerai bien entendu à suivre ces opérations avec une extrême vigilance, compte-tenu de l’importance d’Usinor et de ses filiales dans le tissu économique et industriel de Lorraine.