Interviews de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à RMC le 10 et dans "Le Quotidien de Paris" le 19 juin 1991, sur l'immigration et la crise des banlieues.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - LE QUOTIDIEN DE PARIS - RMC

Texte intégral


RMC - 10 juin 1991


Q : Quel est votre diagnostic au problème de Mantes-la-Jolie et quelle solution ?

« Il s’agit des conséquences très directes des problèmes de l’immigration, mot que personne ne prononce. On préfère des formules vagues comme le mal de banlieues. On ne veut pas voir que le fond du problème c’est le courant continu d’immigration qui se fait dans notre pays et qui interdit toute solution dans la voie choisie par le gouvernement, puisque les mesures qui sont prises en faveur des immigrés ou des jeunes immigrés n’ont pour conséquence que d’inciter des candidates à l’immigration à venir de plus en plus nombreux chez nous. »

Q : Mais les chiffres de l’immigration sont formels. Il n’y a pas plus d’immigrés aujourd’hui qu’en 82 c’est à dire 3,7 millions.

« Je note que ce chiffre diffère d’un million de celui du ministère l’intérieur. Il faut y ajouter le nombre des clandestins. Clandestins officiels que l’on a vu défiler l’autre jour à Paris et clandestins qui ne sont pas répertoriés. De plus, la stabilité de ce chiffre n’empêche pas que bascule dans la nationalité française chaque année plus de 100 000 personnes puisque les enfants d’immigrés nés en France ont vocation à devenir français dès sur majorité et que les naturalisations, les regroupements familiaux et les réfugiés politiques s’ajoutent à ces chiffres. »

Q : Parler d’immigration c’est parler du passé. Tous ces jeunes sont français.

« Non, je n’ai jamais dit qu’ils avaient vocation à rester ici. C’est la conception que nous avons de la naturalisation et du code de la nationalité qui a conduit à ces naturalisations excessives. Le FN est partisan d’une naturalisation beaucoup plus limitée et la suppression de la naturalisation automatique. »

Q : Mais, pour l’avenir. On ne va pas revenir sur le passé.

« Il n’est pas impossible que l’on revienne dessus. Une nouvelle politique peut parfaitement définir de nouvelles conditions d’accession à la nationalité française et un réexamen de situations précédentes. La plupart des étrangers qui se trouvent dans notre pays y sont entrés de façon illégale et, par conséquent, l’illégalité de leur accès entache tous les actes juridiques qui ont été créés par la suite et permet un réexamen des gens qui auront le droit et la dignité d’être de français. Rien n’a été fait par les mouvements depuis 20 ans pour mettre en œuvre la politique définie en 74 qui interdisait toute immigration nouvelle. Malgré cette décision, le nombre des immigrés n’a cessé de progresser et il ne cessera de progresser dans l’avenir en traînant derrière lui toutes les conséquences qui sont liées au phénomène de l’immigration. »

Q : Le président a fait passer un message pour lutter contre la violence gratuite.

« Parole, parole, parole. Les composantes de cette situation sont connues depuis longtemps. Cette situation est le fruit d’une politique socialiste menée depuis dix ans et d’une politique générale de la France menée depuis 25 ans. On ne récoltera au bout de cela que des événements de plus en plus graves, de plus en plus généralisés jusqu’à l’affrontement et peut-être même jusqu’à la guerre civile. »

Q : Que pensez-vous des propositions de M. DELEBARRE pour soutenir ces jeunes ?

« Quand on a dans un pays 3,7 millions de chômeurs en voie de progression, quand on a des millions d’immigrés, on ne résout pas ce type de problème uniquement en envoyant en vacances les pseudo-délinquants ou futurs délinquants. »

Q : Il n’y a pas de solution sociale à apporter aux banlieues ?

« Le remède consiste à inverser le courant de l’immigration. Doter la France d’un système scolaire et universitaire digne de ce nom qui soit capable de fournir aux jeunes françaises et français un métier dont ils tireront leur subsistance et leur dignité. Le poids social de l’immigration est déjà de 240 milliards et le poids du chômage de plus de 300 milliards. Face à la concurrence étrangère de 1993, la France est mise dans une situation de faiblesse qui ne fera qu’aggraver l’ensemble des problèmes qui, actuellement, l’accablent. »

Q : Vous avez fait un calembour autour du nom de K. YAMGNANE, il demande des excuses publiques.

« Ce n’est pas un calembour. Je ne suis pas un spécialiste de la langue togolaise. Par conséquent, je ne sais pas comment vous prononcez yamyam. Je constate que cette prononciation a été le fait écrit du maire socialiste de Quimper. Quand c’est un socialiste ou un écrivain juif qui font ce genre d’astuce, c’est tout à fait accepté. Ça n’est que quand J.-M. LE PEN le fait que c’est relevé comme une agression intolérable. Il est évident que je ne ferai pas d’excuses publiques pour quelque chose qui ne le mérite pas. »

Q : Comment jugez-vous le gouvernent CRESSON ?

« C’est le même gouvernement que celui de M. ROCARD, simplement, on l’a affublé d’un jupon. »

Q : Le rapprochement PC-PS vous inquiète ?

« Il ne m’inspire rien. Je constate que les socialistes entrent dans la période préélectorale et font donc une série de manœuvres. Celle-là en est une. L’addition des voix socialistes et communistes ne permettra pas à la gauche de vaincre aux élections. Mais il ne faut pas que la droite refuse l’alliance avec le FN. »

Q : Pour ce qui concerne la loi électorale pour les législatives, la tendance serait de ne pas la modifier, qu’en pensez-vous ?

« Je crois que les socialistes ont l’intention de la modifier et de rétablir la proportionnelle selon la technique qui leur avait permis de conserver aux élections de 86 un groupe parlementaire suffisant pour appuyer les contre-pouvoirs qu’ils détiennent dans l’ensemble des activités politiques et para-politiques françaises. M. CHIRAC condamne aujourd’hui le changement d’institutions électorales. Il ne s’est pas gêné lui pour les changer dès qu’il est arrivé au pouvoir en 86. En fait, de plus en plus de français se tiennent à l’écart des consultations électorales. Cela ne veut pas dire qu’ils n’y participeront pas, cela veut dire que le jour où ces électeurs dégoûtés et qui ont quitté les partis reviendront vers les urnes, il y aura une véritable révolution politique en France. »

Quotidien de Paris - 19 juin 1991

Le Quotidien. - Pourquoi avez-vous maintenu une manifestation interdite ?

Jean-Marie LE PEN. - Que pouvais-je faire d’autre ? Me coucher, alors que la gravité de la situation appelle une action éclatante et déterminée ? Je vous rappelle que chaque fois qu’une de nos manifestations a été interdite, les tribunaux administratifs ont condamné ensuite les préfets. Ils nous ont donné raison « a posteriori », ça nous faisait une belle jambe ! Trois fois au moins nous avons connu une réunion de ce type à l’Opéra sans causer le moindre trouble à l’ordre public. Hélas, je crains aujourd’hui des provocations policières organisées par le gouvernement de manipulateurs qui est le nôtre. Par exemple, à l’aide de faux militants à crâne rasé, tels que j’en ai vu sortir des cars de police, de mes yeux vus, lors des manifestations estudiantines de 1986. Le pouvoir, Carpentras m’en est témoin, aime organiser des coups : je dénonce à l’avance le ministre de l’intérieur comme l’instigateur de coups éventuels. Je note d’ailleurs que le gouvernement interdit notre manifestation et qu’il est capable de sortie le gros bâton contre de bons citoyens (il a réprimé récemment cent cinquante personnes défilant contre la vivisection), alors qu’il laisse parader dans les rues de Paris dix mille clandestins, c’est-à-dire dix mille délinquants.

Q. - Cette manifestation survient à un moment où la classe politique tout entière adopte un discours musclé qui rappelle le vôtre. Que pensez-vous de Mme Cresson accusant Jacques Chirac de marcher sur vos brisées ?

J.-M. L. P. - Je crois qu’elle avait tout à fait raison. On pourrait se croire d’ailleurs en période électorale, car il y a des moments où M. Chirac et ses amis parlent comme le Front national, ce sont les périodes électorales. Le moment où il s’agit de pigeonner les électeurs. Le reste du temps, ils prennent prétexte de notre discours pour nous diaboliser et nous exclure. Or, on ne peut ostraciser quelqu’un pour le discours qu’on lui emprunte, c’est une contradiction intenable. Mme Cresson a eu raison également de rappeler les responsabilités écrasantes de la droite dans le déploiement de l’immigration. En particulier la loi sur le regroupement familial, la carte de séjour de dix ans renouvelables automatiquement et l’abandon de la réforme du code de la nationalité. Quand Jacques Chirac dit que le RPR tire depuis dix ans la sonnette de l’immigration, les français doivent juger époustouflant son culot politicien. Mais encore une fois, je pense que M. Chirac pense que nous sommes en période électorale. Il doit avoir des informations à ce sujet. Moi, je ne fais pas de scénario. Le Front national se tient prêt simplement à faire face à une échéance. Quand j’entends Jacques Chirac dire que le scrutin proportionnel serait le moins démocratique de tous, je trouve qu’il ne manque pas de souffle. Quoi qu’il en soit, le seul enjeu électoral vraiment important dans l’état de nos institutions est l’élection présidentielle, car la présidence est le dernier pouvoir indépendant en France.

Q. - Quelle analyse faites-vous des dernières partielles ?

J.-M. L. P. - Il s’agit d’élections très politisées, notamment à Poissy et à Marseille, malgré le poids des situations locales qui favorisent l’établissement. Je ne suis pas déçu par notre absence de progression en voix à Marseille, l’abstention frappe aussi nos électeurs, ils ne sont pas touchés par la grâce d’une sur-mobilisation permanente. Pourtant, le Front national est le seul mouvement à progresser malgré le silence organisé autour de nous par les médias depuis Carpentras et malgré les barrages consensuels de la bande de quatre, qui tend d’ailleurs à devenir la bande des deux, avec la fusion de fait du camp conservateur et l’évanouissement du PC. Nous revenons au tripartisme. Ils avaient fait ça contre le général de Gaulle, ils le refont contre Le Pen. C’est le front de dépense des intérêts en place.

Q. - Sur la question des banlieues, qui rentre en plein dans votre thématique, pourquoi êtes-vous resté si discret ?

J.-M. L. P. - Je n’ai pas été discret. J’ai tenu une conférence de presse et publié des communiqués. La position du Front national n’a été reprise nulle part, de la même façon qu’il n’est jamais rendu compte de meetings importants, rassemblant des milliers de personnes, que je tiens régulièrement. Un accord a été passé au mépris de l’esprit démocratique pour nous exclure de l’information. Il s’agit d’un boycott médiatique. Nous vivons dans un totalitarisme mou.

Q. - Comment analysez-vous la crise des banlieues ?

J.-M. L. P. - A la base de cette agitation, il y a fondamentalement le problème de l’immigration, que l’on tente de masquer par l’étalage de causes secondaires. Il y a dans notre pays une politique de préférence étrangère menée par l’établissement, le droit de l’étranger avant celui des français. Les consignes dans ce sens sont données à l’administration et à la police. Le chômage, le déficit de la sécurité sociale, la situation de l’enseignement, l’urbanisme, les transports, etc., toutes les difficultés inhérentes à la conjoncture internationale ou aux particularités françaises sont largement grevées par le phénomène central de l’immigration. Prenons un exemple : le bétonnage désordonné de la banlieue, dû en partie à la fin de l’exode rural et à la myopie des urbanistes, a pris une dimension dramatique à cause de la nécessité de loger les immigrés.

Q. - Au-delà du drame, l’explosion des banlieues, en révélant la situation aux téléspectateurs, peut-elle être un déclic médiatique politique ?

J.-M. L. P. - Nous ne pouvons pas compter sur les médias, à cause des influences qui s’y exercent en excluant du débat aussi bien les Verts que le Front national, pour informer le citoyen sur la réalité sociale. Mais il arrive que les citoyens perçoivent directement les choses. C’est Reagan qui disait, je crois : « Qu’est-ce qu’un républicain ? C’est un démocrate qu’on a cambriolé. » De même, qu’est-ce qu’un électeur du Front national ? C’est un ancien électeur de la bande des quatre qui a été battu, violé, ruiné par le fisc, etc. L’affaire des banlieues peut avoir un effet d’électrochoc si elle fait prendre conscience aux français qui ne vivent pas dans ces banlieues de la réalité de la menace qui pèse sur eux.

Q.- Le secrétaire d’État à l’intégration a dit, chose rare, qu’il était prêt à discuter avec vous, et vous l’avez éconduit d’une façon badine.

J.-M. L. P. - La nomination de M. Yamgnane m’a valu une querelle habituelle sur le racisme. Mais c’est surtout une nomination gadget. M. Yamgnane est peut-être un excellent homme, mais il est sous les ordres de M. Bianco, lui-même sous les ordres de M. Mitterrand. Les électeurs du Front national n’ont pas besoin d’être intégrés à la nation française. Qu’est-ce que M. Yamgnane pourrait bien avoir à leur dire dans le cadre de son ministère ? D’ailleurs, s’il souhaitait simplement me rencontrer pour connaître nos propositions, il lui suffisait de me proposer une rencontre.

Q. - Pourtant, cette relative ouverture ne serait-elle pas l’amorce d’une nouvelle stratégie vous concernant ? La gauche cesserait de vous diaboliser pour discuter en détail vos informations : telle est aussi la démarche d’un livre récent, « Face au racisme », publié sous la direction de M. Taguieff, chercheur au CNRS ?

J.-M. L. P. - Je crois qu’il s’agit d’une simple apparence. On se donne les gants de réfuter, et l’on continue à discréditer par tous les moyens, « y compris légaux », comme ils disent. Quant au livre dont vous parlez, on ne peut le critiquer dans le cadre d’une interview, mais prenons trois exemples significatifs. Sur l’éducation nationale, il reconnaît que les immigrés font « baisser le niveau », mais affirme que cela tient seulement à leur niveau social. Ils ne poseraient ni plus ni moins de problèmes que les français de souche de catégories équivalentes : c’est bien possible ! Je ne discute pas cette affirmation, mais elle ne m’intéresse pas. Ce n’est pas le problème. Je ne suis pas chargé de faire l’école aux petits enfants du monde entier. Je n’ai jamais dit que les petits immigrés étaient moins aptes que les autres à faire des études. Je souhaite seulement qu’ils les réussissent dans leur pays d’origine et pas aux frais du contribuable français.

Deuxième exemple, le chiffre global des entrées et le solde migratoire, estimés par l’INSEE : il pèse sur eux une suspicion légitime. Considérons d’abord que tous les chercheurs qui travaillent sur ce type de problème ont les pires difficultés à trouver des chiffres, que les données de l’INSEE sur le nombre total d’immigrés diffèrent d’un million avec celui du ministère de l’intérieur, ajoutons les clandestins et notons que bon an mal an par le fait d’une législation laxiste 100 000 immigrés deviennent français. Les chiffres globaux qu’on nous présente ne peuvent être pris au sérieux. Même le dernier recensement tient plus du gag que de la méthode scientifique.

Enfin, troisième et dernier exemple de la discussion scientifique proposée par le livre dont vous parlez : il note une confusion de pourcentage dans les locations de HLM recensées par un document du Front national. Cela prouve seulement que nous sommes un parti d’amateurs, un parti de citoyens à qui une erreur sur un point particulier peut échapper, parce que nos militants mènent leur action politique en plus de leur métier. Alors que les partis de l’établissement sont des partis de fonctionnaires, qui ont en outre l’appareil statistique de l’État à leur disposition. Voilà qui permet, par exemple, de publier un livre polémique contre le Front national aux frais de la République et de mener un combat de diabolisation politique sous couleur d’études scientifiques.

Q. - Que pensez-vous des accords de Schengen quant à l’immigration ?

J.-M. L. P. - Je crois que la politique européo-mondialiste menée avec la complicité du gouvernement est mortelle pour l’Europe et contribue à l’abaissement de toutes nos identités, de nos sécurités et de nos langues. Au moment où on va se développer le phénomène migratoire qu’appelle notre faible natalité, l’affaiblissement de nos défenses est un acte de trahison politique.

Q. - Que pensez-vous du mot intégration, est-ce un malentendu par lequel on essaye de faire cohabiter les partisans de l’assimilation et ceux du droit à la différence ?

J.-M. L. P. - Nous avons connu la même équivoque au temps de la guerre d’Algérie. Dans la République française, la naturalisation ne peut viser qu’à l’assimilation. Mais comme la France n’a pas besoin d’un apport de population étrangère massif, elle a le droit et le devoir de s’en protéger, et peut lutter contre son vieillissement par une politique nataliste hardie. On peut assimiler un petit nombre d’étrangers au coup par coup. S’ils en font la demande et que la France les en juge dignes.

Q. - Mais à quoi les assimiler ? Beaucoup de français de souche ne sont-ils pas eux-mêmes déracinés ? N’est-ce pas un certain déclin de la France qui a engendré l’immigration ?

J.-M. L. P. - Oui, notre seule chance de recréer une capacité assimilatrice, une civilisation admirée à laquelle le déraciné souhaite s’intégrer. Cela suppose une réforme intellectuelle et morale, un redressement qui dépasse de loin les mesures de police, les décisions administratives et la politique économique nécessaires dans un premier temps.