Texte intégral
La Voix du Nord : mardi 26 août 1997
La Voix du Nord : Dominique Voynet, vous venez comme ministre à ces « journées d'été ». Qu'est-ce que cela change ?
Dominique Voynet : Les Verts sont passés du statut de parti de contre-pouvoir à celui de composante d'une majorité plurielle. Cela donne d'autres responsabilités. D'autant que nous n'avons pas l'intention d'abandonner notre regard critique sur nombre de politiques publiques.
Nous avons à affronter une autre difficulté. La justesse de la position défendue lors des législatives se traduit par un afflux de militants qui possèdent une culture différente de celle des anciens Verts.
La Voix du Nord : Vous considérez-vous toujours dans la mêlée ?
Dominique Voynet : Comme ministre, je ne suis plus en mesure de parler au nom des Verts. C'est à d'autres, comme Jean-Luc Benhamias, que revient d'incarner la ligne des Verts, d'exiger que les engagements pris par Lionel Jospin soient respectés.
Je vais d'ailleurs demander à Calais la suspension (pas la démission car je ne quitte pas le bateau) de mon mandat de porte-parole pour qu'il soit bien clair que les Verts ne sont pas qu'un rouage de la machinerie gouvernementale mais un parti qui fixe ses priorités de façon indépendante.
La Voix du Nord : Y compris en dehors de vous ?
Dominique Voynet : Quand les Verts protestent contre des taux élevés de pollution dans le ciel parisien, ils font leur travail d'alerte, de catalyseur. Je ne me sens pas agressée mais aidée : ce sont mes relais sur le terrain et ils permettent que l'on réagisse avant que les choses deviennent irréparables.
La Voix du Nord : Vous êtes au gouvernement depuis trois mois. La possibilité d'influencer le cours des choses est-elle différente de ce que vous croyiez ?
Dominique Voynet : On est toujours surpris des lourdeurs des procédures, des difficultés à réorienter des politiques publiques, parce qu'il y a des emplois en jeu, des budgets, des contraintes juridiques, administratives, qu'il faut s'accorder avec des partenaires européens, qu'il s'agit de convaincre plutôt que d'imposer... Le frein le plus important, cependant, c'est l'autocensure, le renoncement à changer. C'est vrai pour les services du ministère, pour les services déconcentrés de l'État. C'est vrai aussi pour les lobbies qui ont du mal à voir leur intérêt dans la transformation de certaines pratiques.
La Voix du Nord : Les réactions violentes sur Creys-Malville, lors des pics de pollution ou sur le diesel, vous ont elles surprise ?
Dominique Voynet : Non. Je m'y attendais. En même temps, les lobbies les plus efficaces ne sont pas forcément ceux qui font le plus de bruit. D'autres, plus discrets, sont à l'œuvre tous les jours et sont parfois plus redoutables.
La Voix du Nord : Vous serez jeudi dans une région présidée par une Verte, Marie-Christine Blandin. Cette présidence, les deux importantes fédérations PS du Nord et du Pas-de-Calais comptent bien la reprendre l’an prochain. Quelle position allez-vous adopter ?
Dominique Voynet : Les Verts auront à en décider lors de leur conseil national, samedi. Moi, je trouverais logique que la stratégie gagnante des législatives s'applique aux régionales et que l'on construise un accord des gauches et des écologistes sur la base de contrats régionaux et d'une répartition proportionnelle.
Si on considère que les Verts pèsent à peu près 5 % et le PS 28 à 30, il est normal que nous obtenions sur les dix à douze régions qui peuvent basculer, une à deux présidences.
Cela doit-il être le Nord-Pas-de-Calais ? Oui. Marie-Christine Blandin n'a pas démérité à sa tête. Les Cassandre qui annonçaient qu'elle ne pourrait pas faire adopter ses budgets en ont rabattu depuis. Non seulement elle les a fait adopter mais cela s'est passé sur la base de propositions novatrices, compatibles avec l'armature du projet du gouvernement Jospin. Il n'y a donc aucune raison valable pour que l'on change d'équipe.
D'autant que cette région a souffert par le passé du poids exclusif d'une formation majoritaire qui n'est pas vraiment légitime pour réclamer l’arrêt de l’expérience.
La Voix du Nord : Vous ne désiriez pas être ministre, entre autres pour protéger votre vie privée. Comment le vivez-vous ?
Dominique Voynet : Que les choses soient claires, je ne veux pas préserver ma vie par luxe ou égoïsme, je voudrais en faire aussi un geste politique. On vit dans un pays où l’on admire celui qui sacrifie sa vie privée à la politique en oubliant que s'il n'a plus que ça, il fera l'impossible pour être réélu et combler de façon durable la vacuité de cette vie. Si l'on veut éviter une excessive professionnalisation des politiques, il faut qu'ils aient une vie équilibrée. Des collègues scandinaves me disent : chez nous, quand quelqu'un reste au bureau après 17 heures, on le considère comme mal organisé. Alors qu'ici les membres de mon cabinet sont encore là à 21 heures. Si cela se tolère dans une phase de mise en œuvre, il faut après que chacun reprenne pied dans sa vie.
Il est vrai que cela reste difficile pour des femmes. Et encore plus pour celles qui ont de jeunes enfants. Ce n'est pas impudique de le dire. Alors, si je renonce à des choses importantes, ce n'est pas pour devenir une potiche mais pour obtenir des mesures de fond.
Vert Contact : 13 septembre 1997
Vers une société plus écologiste
Dominique Voynet : « Que l’on ne compte pas sur moi pour faire des effets d’annonce sans lendemain ».
Il y a un an, à Sanguinet, nous défendions devant Lionel Jospin et Robert Hue l'idée d'une « majorité plurielle », regroupant les gauches et les Verts. Qui aurait alors imaginé que nous en serions là aujourd'hui ? Que nous serions à ce point en position pour peser réellement sur les choix politiques nationaux ?
(…)
Mais nous le savons, nous ne devons surtout pas nous griser de ce succès, car il reste fragile.
Tout d'abord, parce que le plus dur reste à faire : traduire dans les faits, dans la réalité de la vie de tous les jours, les promesses qui ont été portées pendant la campagne. Et, au-delà, imprimer une transition profonde de notre société vers une société plus écologiste, c'est-à-dire plus juste, plus solidaire, plus démocratique, plus respectueuse des personnes et de l'environnement.
Parce que les propositions que nous portons sont radicales, parce qu'elles ne se contentent pas de ravalements des politiques antérieures, mais qu'au contraire elles s'attaquent à la racine du mal-développement, nous nous heurtons inéluctablement à des résistances, à des conservatismes, à des lourdeurs mais aussi à des lobbies souvent plus représentatifs d'intérêts catégoriels ou individuels que de l'intérêt collectif.
Mais que l'on ne compte pas sur moi pour céder au sensationnalisme, à la pression du quotidien, et pour faire des effets d'annonce sans lendemain. Il ne suffira pas d'un claquement de doigts pour apporter une réponse à la crise environnementale, au chômage ou au dépérissement de la démocratie. Des mesures immédiates sont nécessaires, et je m'y attache dans mon domaine de compétences. Mais sans réformes structurelles, elles resteront des emplâtres sur des jambes de bois.
Nous n'avons pas, au gouvernement, à l'Assemblée nationale, dans les conseils régionaux et les municipalités, au sein des Verts et sur le terrain, les mêmes champs d’action, les mêmes modes d’intervention, les mêmes marges de manœuvre. Il nous faut non seulement constater cela, mais l'utiliser : les synergies doivent se construire.
Parce que, solidaire du gouvernement, ma parole pourrait ne plus être aussi libre que vous êtes en droit de l'exiger, parce qu'il n'est pas question d'instrumentaliser les Verts au profit de celui-ci, je vous propose de suspendre mes fonctions de porte-parole de notre mouvement pendant la durée de mes responsabilités ministérielles.
(…)
La parole libre des Verts est la garantie de notre capacité à peser sur les orientations qui seront prises dans les mois et les années à venir. La mobilisation des militants sur le terrain, avec les associations et les syndicats, est indispensable pour que les transformations que nous appelons de nos vœux soient mises en œuvre.
(…)
Car les enjeux, les grandes bagarres des semaines et des mots à venir sont considérables.
Il y a ceux qui concernent de près ou de loin le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je pense bien sûr au nucléaire. Je pense à certaines grandes infrastructures, telle que le canal Rhin-Rhône, ou à un certain nombre d'autoroutes. Je pense à Natura 2000. Je pense à la lutte contre la pollution de l'air. Sans oublier la lutte contre la pollution de l'eau, la sortie du tout-incinération pour la gestion des déchets ou encore la réforme de l'utilité publique pour les choix de grandes infrastructures.
Pour autant, ces questions ne peuvent constituer l'alpha et l'oméga des actions des Verts dans les mois à venir.
Car d'autres grands chantiers nous attendent. Je voudrais en évoquer deux ici, particulièrement importants : la réduction du temps de travail et l'accueil des résidents étrangers.
L'accord que nous avons conclu avec le parti socialiste en vue des élections législatives prévoit les 35 heures dès maintenant et les 32 heures pendant la législature. C'est un engagement, pris devant l'ensemble des électeurs, auquel nous sommes fondamentalement attachés.
En tant que Verts, nous ne pouvons aujourd'hui que nous réjouir de voir que les 35 heures, pour lesquelles nous nous battions seuls aux précédentes législatives, sont aujourd'hui au centre des discussions de la majorité plurielle. Dans ce domaine comme dans d'autres, les Verts ont joué un rôle de défricheurs d'idées. Un rôle que nous nous appliquerons à poursuivre.
Notre volonté de voir aboutir les 35 heures tout de suite résulte de notre conviction profonde que seule une réduction rapide et forte du temps de travail est en mesure de rompre la spirale infernale du chômage. Les Verts l'ont rappelé, nous demandons qu’une loi-cadre sur les 35 heures soit mise en œuvre au plus tard au 1er janvier 1999. Et nous nous battrons pour que cet objectif soit atteint.
(…)
Reste la question de l'abrogation des lois Pasqua et Debré.
Certes, comme je l'ai déjà dit, le mot « abrogation » est un mot fort, un symbole. Et les symboles sont insuffisants pour mener une politique efficace s'ils ne s'accompagnent pas de mesures concrètes.
Mais les symboles ont aussi leur importance. Et je crois que nous devons ce symbole à tous les résidents étrangers qui vivent ici, pour marquer clairement une rupture avec la politique qui a été menée ces dernières années et qui a déshonoré les traditions de la France.
Il s'agit d'un engagement pris devant les électeurs, qui constitue une base d'accord entre les forces qui composent le gouvernement. Je ne crois pas que cet accord puisse être rompu unilatéralement.
Pour nous permettre de faire face à l'ensemble de ces enjeux, cruciaux pour l'avenir des Verts, nous devons aussi nous fixer pour objectif, pour l'année qui vient, de nous renforcer profondément.
Disons-le clairement : les vieux clivages et les revanches du passé ne sont plus de mise aujourd'hui, qu'il s'agisse de clivages au sein des Verts ou au sein de la famille écologiste. Certes, nos statuts ne sont pas parfaits, mais chacun voit bien que, décidément, ce n'est pas le chantier prioritaire du moment. Alors je le dis à tous ceux qui hésitent encore : vous êtes les bienvenus chez les Verts. Il y a largement du travail et de la place pour nous tous.
(…)
Enfin, nous devons préparer les échéances électorales de l'année à venir.
Vous me permettrez de vous le dire avec la plus grande des franchises : j'ai été étonnée d'entendre, çà et là, les mêmes arguments, les mêmes craintes que l'année dernière. Comme si les faits n'avaient pas validé la stratégie adoptée il y a deux ans au Mans. Comme si nous n'avions pas le désir d'aller plus loin encore. Croyez-vous sérieusement qu'il faille changer une stratégie qui gagne ?
J'estime, pour ma part, que nous avons pour la première fois l'occasion de modifier profondément les équilibres au sein de nombreuses régions, et de permettre le basculement d'une bonne partie d'entre elles.
L'outil le plus sûr de cette stratégie est connu : il s'agit de listes de coalition des gauches et des écologistes, fondées sur l'élaboration – « Il y faudra des mois », a dit Marie Blandin - de « contrats de région », avec une représentation proportionnelle des différentes composantes, y compris aux postes à responsabilités. Je crois nécessaire d'engager, parallèlement aux discussions menées au niveau national entre les partis de gauche et Les Verts, de réelles négociations régionales avec nos partenaires, afin de choisir en connaissance de cause.
Il ne sera sans doute pas possible de construire partout ce type de listes. Ceux qui, sur le terrain, luttent depuis des années contre le tunnel du Somport ou l'usine de la Hague y verront d'insupportables difficultés. Nous le comprenons, et nous devrons en tenir compte. Il n'est ici question ni de leur imposer une attitude en contradiction avec les luttes qu'ils mènent au niveau local, ni de mettre en péril la dynamique nationale au motif de difficultés constatées dans tel ou tel département, dans telle ou telle région.
(…)
Merci pour le travail accompli ensemble. Merci pour la confiance que vous me témoignez, qui n'a d'égale que celle que je place en chacun de vous. Merci pour la créativité, l'énergie et l'enthousiasme avec lesquels nous construirons, tous ensemble, une nouvelle étape pour les Verts.