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Conférence sur l’emploi : Paysage avant la bataille
Rendez-vous secrets et études à l’appui, Martine Aubry prépare minutieusement le grand rendez-vous de la rentrée. Après Nicole Notat, ses interlocuteurs précisent leurs positions de départ.
« Cette conférence, ce sera comme les jeux olympiques. Il y aura les cérémonies d’ouverture, celle de clôture, et entre-temps, les épreuves. » Cette petite phrase d’un conseiller gouvernemental résume bien l’état d’esprit du gouvernement à la veille de la conférence sur l’emploi et les salaires qui doit se tenir fin septembre ou début octobre, vraisemblablement après la présentation du budget 1998. Pas question de faire de ce rendez-vous entre l’État et les organisations syndicales et patronales une énième grand-messe sans lendemain. Pas question non plus de sous-estimer les difficultés qui jalonnent le chemin. Car le menu de cette conférence, promise par Lionel Jospin pendant la campagne des législatives, est copieux, très copieux. Après le projet de loi de Martine Aubry sur l’embauche des 500 000 jeunes dans le secteur public, on y parlera de celle de 350 000 autres jeunes à embaucher dans le privé. Mais le plat de résistance, ça sera la réduction à 35 heures de la durée hebdomadaire du travail, sans perte de salaire, et la limitation éventuelle des heures supplémentaires.
Le gouvernement aborde cette conférence avec un double impératif et une méthode inédite. Premier impératif : diminuer le temps de travail en maintenant les salaires pour relancer la demande par la consommation et les créations d’emplois. « Il n’est pas question de baisser la majorité des salaires », a affirmé Martine Aubry, le ministre de l’Emploi à la Rochelle, à l’université d’été du Parti socialiste, laissant ainsi entendre que si baisse des rémunérations il devait y avoir, seuls les gros salaires seraient concernés. Second impératif : ne pas augmenter le coût du travail, voire le diminuer, dans pays où le financement de la Sécurité sociale repose surtout sur les salaires. D’où la volonté du gouvernement de poursuivre, mais vite, le transfert des cotisations sociales payées par les salariés sur une CSG qui devrait plus largement toucher les revenus du capital.
Pour tenter de réussir ce défi, le gouvernement a travaillé tout l’été. Martine Aubry a multiplié les rencontres officieuses avec les dirigeants syndicaux et patronaux et de nombreux chefs d’entreprise du secteur privé. Mais, et c’est là que la méthode innove, elle a également surveillé de très près l’élaboration d’un document détaillé sur l’économie française –qui va de la croissance au partage de la valeur ajoutée. Le ministre va soumettre dans les prochains jours ce diagnostic à des économistes ainsi qu’aux experts des syndicats et du patronat. Le but ? Faire en sorte que tous les participants à la conférence y arrivent en s’étant mis d’accord sur un minimum –et pourquoi pas un maximum ? – et pourquoi pas un maximum ? – de constats. L’espoir est d’éviter ainsi les discours convenus et connus de chacun, qui font perdre du temps. Bref, avec ce document, le ministre de l’Emploi espère obliger ses interlocuteurs à sortir de la langue de bois.
Pour peaufiner la préparation de la conférence, Martine Aubry va rencontrer à nouveau les organisations syndicales, avant de présenter ses propositions au Premier ministre. Ce travail minutieux réussira-t-il à déterminer le terrain alors que chaque syndicat pense déjà aux élections prud’homales de décembre, source possible de surenchère dans les revendications ? La principale pomme de discorde portera sur la réduction du temps de travail et la compensation salariale, d’autant que certains socialistes font déjà entendre une petite musique différente, comme Laurent Fabius qui revendique la semaine de quatre jours ou Édith Cresson qui juge, elle, qu’une diminution négociée de l’ordre de 3% des salaires est nécessaire. Comment, aussi, trouver un terrain d’entente entre Nicole Notat, la secrétaire générale de la CFDT, et la CGT et FO. Dans nos colonnes, la semaine passée, Nicole Notat qualifiait de « publicité mensongère » et de « vraie fausse conquête sociale » le 35 heures payées 39. Louis Viannet, le leader de la CGT, et Marc Blondel, le patron de FO, pensent le contraire. Il est vrai que pour convaincre ses interlocuteurs notamment le CNPF, totalement hostile à la réduction du temps de travail, du bien-fondé de cette mesure, Martine Aubry pourrait avoir en poche à l’ouverture de la conférence un ou deux accords, voire plus, conclus sur ce sujet dans de très grandes sociétés privées et allant plus loin que les 35 heures…
Après avoir donné la parole à la CFDT, nous la donnons, cette semaine, à six autres grands acteurs de ce rendez-vous politique.
Martine Gilson.
Les 35 heures … et des augmentations.
Il y a de l’argent dans les entreprises, il y a de la marge pour mener de front une réduction générale du temps de travail et une relance salariale, a déclaré le secrétaire général de la CGT lors de sa conférence de presse de rentrée. L’un des objectifs de cette conférence doit-être l’élaboration d’une loi sur le passage aux 35 heures, sans perte de salaire, avec possibilité d’aller aux 32 heures là où c’est possible. Le plus important pour nous, c’est la cohérence, précise Maryse Dumas, membre du bureau confédéral, chargé de la politique revendicative. Par exemple, si la réduction du temps de travail se traduit par une situation salariale dégradée, ce ne sera pas bon pour la consommation, donc pour l’emploi. Et si les droits des salariés ne sont pas améliorés, le patronat reprendra d’une main ce qu’on nous aura donné de l’autre. Nous sommes totalement hostiles à l’annualisation du temps de travail qui joue contre l’emploi puisqu’elle permet aux entreprises d’adapter leur main d’œuvre à leurs carnets de commande. Enfin, tout ne se jouera pas à la conférence : si elle pouvait s’ouvrir avec des succès revendicatifs, obtenus dans les entreprises, tant mieux.
Une vraie négociation concrète.
Cette conférence doit se tenir avant la fin septembre. Plus nous attendrons, plus les lois du marché se feront pressantes. Et ce serait une erreur politique de faire traîner les choses. Les Français ont parfaitement compris que ce gouvernement était arrivé là un peu par accident, mais maintenant, ils veulent des résultats.
Par ailleurs, ce rendez-vous ne doit pas être une mascarade comme nous l’avons vécu sous le gouvernement précédent, lors de la rencontre au sommet du 10 février sur l’emploi des jeunes. Je proposerai que les salariés qui ont commencé à travailler à 14 ou 15 ans et qui ont payés leurs quarante annuités à la Sécurité sociale partent à la retraite et soient remplacés par des jeunes. Cela concernerait 280 000 postes de travail.
Les modalités du passage aux 35 heures, payées 39, doivent être définies dans les branches professionnelles et le cas échéant dans les entreprises : les horaires d’un ouvrier de l’automobile n’ont rien à voir avec ceux d’une vendeuse de grand magasin. Enfin, il faut évidemment que les nouveaux embauchés dans une entreprise qui est passée aux 35 heures soient eux aussi payés 39, et pas 35.
Sur les salaires, je souhaite que le gouvernement provoque une négociation sur la révision des grilles après l’augmentation du smic. Je refuserai, dans le cadre de la conférence, de discuter des problèmes de la Sécurité sociale.
Que va faire le CNPF ?
Nous abordons cette conférence de manière positive et constructive. Pour nous, il est clair que l’emploi est le cœur de cette rencontre. Mais il faut que chacun prenne ses responsabilités. Le gouvernement doit nous dire quelles aides il accordera aux entreprises qui réduisent le temps de travail, sans toutefois les distribuer à l’aveuglette. Gardons l’esprit de la loi Robien : les exonérations de charges sont accordées quand il y a création d’emplois après négociation. Et cette loi permet aujourd’hui de maintenir intégralement les rémunérations. Pour les salaires bas et moyens, le maintien du pouvoir d’achat est capital. Je ne vois pas pourquoi donner un franc à un salarié serait moins bien que de donner un franc à une entreprise pour rentabiliser son capital ! la CFTC n’est ni pour, ni contre l’annualisation du temps de travail. Mais en contrepartie, les salariés doivent obtenir le lisage de leurs salaires sur l’année. Ils doivent aussi être prévenus à l’avance des changements d’horaire.
Mais la grande inconnue de cette conférence, c’est le CNPF. Jean Gandois doit s’engager, il doit dire où il veut aller et comment. S’il laisse faire ses branches professionnelles, l’emploi risque de ne pas être au rendez-vous.
Pour un contrat de génération.
Nous soutenons totalement ce gouvernement quand il donne la priorité à l’emploi. Mais pour que cette conférence ne soit pas une énième grand-messe, il faudrait crée une commission de suivi, dans le cadre du commissariat au Plan, qui évalue tous les six mois l’impact des mesures prises. Sur l’emploi des jeunes dans le privé, je ne sais pas si l’on peut attendre quelque chose de sérieux de la part du patronat. Alors moi, je propose de créer « un contrat de génération » ; le départ volontaire des salariés de 55 ans, avec 65% du salaire. Ils seraient remplacés par des jeunes. Pour financer cette mesure qui assure l’embauche très rapide de 150 000 jeunes, il faut redéployer les aides à l’emploi dont bénéficient les entreprises. Pour réduire le temps de travail – et nous y sommes favorables –, le gouvernement dit manier à la fois la carotte et le bâton. La carotte ? Des exonérations de charges partagées entre les entreprises et les salariés quand les branches et les entreprises concluent de bons accords Le bâton ? Fixer la loi des 35 heures. Pour que des cadres ne soient pas les dindons de la farce, il faut leur trouver des formules de capital-temps. Je pars du principe qu’il faut maintenir les salaires ; mais je suis pour l’annualisation du temps de travail. Enfin, il faut négocier dans les branches professionnelles le relèvement des salaires minima.
La paix pour les PME !
Nous aborderons cette conférence avec un esprit ouvert, quelle que soit notre position finale. La conjoncture et l’intérêt général nécessitent une confrontation des points de vue. Mais par pitié, qu’on laisse en paix les PME qui sont les seules, d’après l’Unedic, à avoir créé 1,4 millions d’emplois nets entre 1981 et 1995 ! Prenez les 35 heures. Sur le principe, j’y suis hostile, ce n’est pas comme ça que l’on créera des emplois. Elles peuvent peut-être se concevoir dans les très grandes entreprises, avec des équipes tournantes, des machines qui travaillent plus longtemps et des gains de production qui permettent de maintenir les salaires, s’ils doivent être maintenus. Dans les PME, c’est différent la main d’œuvre n’est pas interchangeable ! Un ingénieur ne peut remplacer la secrétaire et réciproquement. Une PME ne peut pas, d’un seul coup d’un seul, faire face à une augmentation de 11% de ma masse salariale.
Non, ce qu’il faut faire c’est adapter nos universités au besoins de l’économie, et surtout, instaurer une clause sociale à l’échelle européenne et mondiale avec des règles qui s’imposent à tous les pays, sur les salaires, le travail des femmes et des enfants. Mais vous savez, le chômage, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on en parle !
Réduire le temps de travail ? Pas question…
Il est clair qu’une mesure générale de réduction du temps de travail à 35 heures, avec maintien du salaire, pour toutes les entreprises, aura des effets négatifs sur l’emploi puisqu’elle entraîne notamment une hausse du coût du travail. Les entreprises sont dans des situations tellement diverses que toute mesure générale aura des effets pervers. L’annualisation du temps de travail ? Elle est valable pour les entreprises qui peuvent faire tourner leurs machines plus longtemps à certains moments parce qu’elles ont des clients. Quant à l’embauche des jeunes dans le privé, nous nous interrogeons sur les projets de loi de Martine Aubry de création de 350 000 postes de travail dans le secteur public. Nombre de ces emplois sont à la frontière du secteur marchand et concurrentiel… Et nous avons créé un groupe de réflexion sur les nouveaux emplois à la personne. Le CNPF tient avant tout à ce que l’on renforce les contrats de qualification et les formules d’apprentissage. Il faut absolument pérenniser ces formules. Enfin, nous tenons à répéter que la politique salariale, c’est l’affaire des entreprises.