Interview de M. Michel Deschamps, secrétaire général de la FSU, à France-Inter le 26 janvier 1999, sur les réactions des enseignants aux propos du ministre de l'éducation nationale, sur le travail des enseignants et leur volonté de réforme notamment vers un allègement des effectifs par classe.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Un géophysicien de réputation mondiale au discours souvent abrupt, réussira-t-il à réformer l'Éducation national, alias le mammouth ? Pour la énième fois, le rapport de force s'est engagé par une succession de manifestations tout au long de cette semaine. Hier le Snesup, contre le projet d'harmonisation européenne des diplômes. Aujourd'hui, les professeurs de lycées professionnels, demain, la remise en cause par les enseignants, du projet pour l'école du 21ème siècle. Jeudi, les conseillers d'orientation psychologiques ; samedi, un mouvement national, orchestré par le Syndicat national des enseignants du second degré contre les heures sup et les modalités de réforme des lycées. Le ministère de L'EDUCATION ne veut considérer tout cela, si l'on en croit Libération, qui met la phrase entre guillemets, « que comme une agitation de saison ne traduisant en rien des désaccords sur les réformes engagées ». En studio, Michel DESCHAMP, qui est le secrétaire général de la FSU, qui regroupe 17 syndicats, c'est la première fédération syndicale de L'EDUCATION nationale. Bonjour ! Ce matin Jean-Marc FOUR, qui sur France-Inter suit les grands dossiers de L'EDUCATION, posait une question à propos de tout ce qui se passe cette semaine, quiproquo ou divorce demandait-il ? Alors que répondez-vous ?

« Je crois que c'est un vrai malaise, un vrai mécontentement, un vrai problème de relations sociales ; incontestablement, depuis 18 mois, les relations entre le ministre et les personnels de l'enseignement se sont profondément dégradées et c'est évidemment tout à fait inquiétant. Mais je crois qu'il y a plus. »

Q - Oui, mais vous parlez de quoi ? Vous parlez du fond ou de la forme, parce que s'agissant de Claude ALLEGRE, il faut toujours poser les deux questions en même temps alors !

« La forme en tout cas produit l'effet inverse à celui que le ministre se fixait. Que faut-il faire actuellement ? Le métier vient de plus en plus difficile, les agressions contre les enseignants, maintenant c'est un fait banal, un fait divers quasi quotidien, c'est donc une profession qu'il faut écouter, qu'il faut entendre, qu'il faut peut-être aider, appuyer et puis qu'il faut respecter.' »

Q - Mais est-ce que le quiproquo, puisque peut-être y a-t-il aussi un quiproquo, ne vient pas du fait, qu'il y a en effet les professeurs et avec un travail que tout le monde s'accorde à reconnaître, qui est de plus en plus difficile, et puis de l'autre, une administration dont tout le monde sait aussi qu'elle est pléthorique, pesante pour ne pas reprendre la formule du mammouth. Est-ce qu'au fond, tout n'a pas mal commencé à cause de cela ?

« Oui, mais alors quelle maladresse, que visant l'administration, on donne l'impression aux enseignants, tous les jours, dans leurs classes qu'ils ne sont pas appuyés par leur ministre et même qu'ils sont critiqués et qu'ils deviennent un peu des boucs émissaires. »

Q - Est-ce que le ton n'a pas, changé là ces derniers jours, parce qu'il a plusieurs fois rendu hommage aux professeurs ?

« Oui, le ton a changé et je souhaite qu'il change encore, je souhaite que l'on puisse véritablement négocier avec le ministre et donc dépasser la forme pour arriver au fond, c'était ça votre question initiale, est-ce que c'est la forme, ou est-ce que c'est le fond ? Je crois qu'il y a un vrai problème de forme, mais qu'il cache le fond, c'est qu'actuellement les enseignants ont l'impression qu'ils pourraient faire ce que le pays attend deux, c'est-à-dire faire réussir plus de jeunes, mais qu'après leur avoir fixé cette mission difficile, très difficile, on ne leur donne pas ce qui leur permettrait d'aboutir, on ne les écoute pas assez. Ils ont véritablement l'impression, qu'au-delà du ministre ALLEGRE, le gouvernement, le gouvernement tout entier, n'est pas assez attentif aux problèmes de l'école, n'investit pas assez dans l'école et donc quelque part, les laisse tout seuls au front avec, comme cela ne marche pas évidemment, la tentation d'en faire des boucs émissaires, c'est pour ça que la forme et le fond se mêlent, mais moi je m'intéresse au fond. »

Q - Oui, bien sûr, mais Monsieur DESCHAMP, comment est-ce qu'on a pu en arriver là, parce qu'il y a tout de même eu une grande consultation populaire, il y a eu une volonté encore une fois de mettre les questions au grand jour, de savoir où on pouvait engager, c'est une réforme essentielle que celle de l'école du 21ème siècle, comment cela se fait qu'on n'arrive pas à avancer là-dessus ?

« C'est une réforme essentielle qu'on ne fera pas sans mobiliser les enseignants, ce n'est pas possible. »

Q - On ne peut pas la faire contre eux ?

« Non seulement on ne peut pas la faire contre eux, mais on ne peut pas 1a faire sans qu'ils y adhèrent profondément, c'est véritablement une profession, mais ce n'est pas la seule, où les enseignants sur le terrain, tous les jours, ont besoin de croire aux réformes qu'on leur propose. Elles ne peuvent pas être parachutées et encore moins imposées de façon caporaliste. Mais c'est le fond, si nous voulons véritablement que l'école, dans notre pays, fasse réussir tous les jeunes, il faut s'y prendre profondément autrement. Il faut profondément transformer l'école et c'est pour cela, qu'au lieu de perdre mon temps à essayer de jouer les pompiers, continuellement entre le ministre et les enseignants, parce qu'il y a un peu de ça, je préférerai pouvoir travailler avec lui, sur les transformations de fond de l'école. »

Q - Alors la première, s'il y avait une hiérarchique, il vous écoute peut-être le ministre ce matin, la hiérarchie des importances, qu'est-ce que vous mettez tout de suite d'abord en avant ?

« On a posé la question nous, à nos collègues au cours des réunions, au cours de sondages aussi et ils savent ce qu'ils veulent. Ils veulent d'abord, pour pouvoir répondre à une diversité de plus en plus grande des jeunes, des jeunes qu'ils ressentent comme de moins en moins disciplinés, de moins en moins attentifs, qui ont de plus en plus de difficulté à écouter, ils souhaitent pouvoir ne plus travailler devant des effectifs des classes surchargées, cela marchait il y a encore 30 ans, ça, parce que les élèves étaient sélectionnés, parce qu'ils étaient plus homogènes, cela ne marche plus. Donc la réduction des effectifs des classes, la possibilité de travailler en petits groupes, la possibilité d'aider les élèves dans le travail personnel. Avant il se faisait en dehors de l'école, il se faisait à la maison, cela ne se fait plus, sauf pour une minorité d'élèves. Donc ils veulent pouvoir faire ça, vous voyez que derrière ces objectifs, il y a des moyens, il y a des postes budgétaires. Les Français, quand on les interroge, l'école c'est l'un des sujets sur lequel ils sont d'accord pour mettre le paquet, pour mettre les moyens, c'est un des rares sujets, au fond, pour lesquels ils sont prêts à créer des postes budgétaires. »

Q - Mais est-ce que les enseignants eux-mêmes, est-ce que les professeurs sont prêts à remettre en cause aussi une partie de leur statut, est-ce qu'il n'a pas un bout de chemin à faire de tous les côtés quand même ?

« Mais oui, mais, un enseignant aujourd'hui qui ne veut pas changer, qui ne veut pas changer sa pratique, il ne tient pas dans la classe, les élèves aujourd'hui, ils ne sont pas ceux d'hier. Hier on s'ennuyait, on chahutait un peu au fond de la classe, aujourd'hui cela ne marche plus comme ça. Donc les enseignants sont véritablement condamnés au changement. Et le débat, ce n'est pas du tout, comme peut-être votre introduction le donnait à penser, un ministre qui incarne le changement, puis un corps professionnel un peu conservateur. Non, la question c'est de savoir quelle forme de changement, quel axe de changement, vers quoi va-t-on ? »

Q - Cela veut dire, tout de même en vous écoutant là, parce qu'il y a quand même une coordination qui demande aujourd'hui la démission de Claude ALLEGRE, vous n'allez pas jusque-là ?

« Pas du tout ! Pas du tout, pour moi encore une fois, ce serait s'enfermer dans la forme, ce serait ... le ministre a donné l'impression qu'il faisait des enseignants les boucs émissaires, je ne vais pas lui renvoyer la balle, mon problème n'est pas celui-là. Mon problème dépasse de beaucoup la personnalité de Claude ALLEGRE, moi, actuellement je dis au gouvernement ; les tâches que vous nous fixez : faire réussir tous les jeunes avec les moyens que vous nous donnez, on ne peut pas y arriver. Donc il faut changer de braquet. Vous savez, quand on voit comment une partie des jeunes actuellement dérive, quand on voit… »

Q - C'est votre principal souci ça, la violence, le fait que les classes soient incontrôlables.

« Oui, mon principal souci c'est non seulement qu'il y ait une partie des jeunes qui pètent les plombs, qui s'engagent dans une dérive où il n'y a pas plus l'espoir, où ils ont le dos au mur, où il y a la violence et la délinquance. Mon principal souci, c'est qu'en face de ça, le gouvernement, en tout cas une partie du gouvernement dit : répression. Plutôt que de créer des prisons pour jeunes, je préférerais que l'on fasse des établissements scolaires plus petits, plus vivables, plus conviviaux, plutôt que de créer des postes de policiers, eh bien je préférerais qu'on crée des postes d'enseignants. Cela me paraîtrait être un investissement plus intelligent !»

Q - Monsieur DESCHAMP, est-ce que tout de même vous considérez que quelque chose est engagé, une réforme a commencé et quelle ira au bout ?

« Nous, nous le voulons, nous voulons transformer l'école de la maternelle à l'université, tout ce qui nous parait aller dans le bon sens à notre appui. Hier, mon syndicat des instituteurs, samedi plutôt, mon syndicat des instituteurs était à la Villette sur la transformation de l'école du premier degré. Le SNES s'est engagé dans la réforme du second degré, tout ce qui va dans le sens de la réforme, nous l'appuierons, mais comme nous avons le sentiment que les réformes ne vont pas assez loin, qu'actuellement, elles s'arrêtent en chemin, nous le disons. »
 
Q - Vous allez finir être plus réformiste que le ministre !

« Plus décidé à changer l'école, qu'actuellement l'ensemble du gouvernement, oui. »