Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la coopération franco-italienne en matière d'armement, nécessaire à l'émergence d'une identité européenne de défense, sur la consolidation de l'industrie de défense en Europe, sur la mise en place de l'OCCAR et sur la coordination européenne pour augmenter les exportations de matériels, Paris le 20 septembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Séminaire franco-italien d'armement les 19 et 20 septembre 1997 à Paris

Texte intégral

Monsieur le ministre de la défense italien, Messieurs les officiers généraux, Mesdames, Messieurs,

C’est avec plaisir que je me retrouve parmi vous avec Beniamino Andreatta alors que ce premier séminaire franco-italien d’armement touche à sa fin. Je tiens à remercier le secrétaire général de la défense italien et le délégué général pour l’armement français pour leurs présentations et je reviendrai tout à l’heure sur les propositions qu’ils viennent d’énoncer.

Mes remerciements s’adressent également à tous les participants à ce séminaire, à tous ceux qui l’ont préparé. Permettez-moi de saluer plus particulièrement nos amis italiens, en formant le vœu qu’ils gardent un grand souvenir, tant professionnel que personnel, des moments passés ici.

Je souhaite aussi que mon propos n’apparaisse pas comme un discours de clôture, mais au contraire comme un discours d’ouverture.

Ouverture vers les enjeux de la relation franco-italienne en matière d’armement que je situerai dans son cadre naturel qui est celui de la coopération en matière de défense.

Ouverture vers la poursuite de notre coopération, tellement nos deux pays peuvent jouer, doivent jouer un rôle moteur dans la construction de l’Europe de l’armement.


La politique française en matière de coopération de défense, et par là même d’armement, veut favoriser l’émergence d’une identité européenne de défense, indissociable du grand projet européen.

C’est ce que traduit la volonté française, sans cesse réaffirmée, de doter l’Europe d’une politique étrangère et de sécurité commune. C’est ce qui explique son attitude vis-à-vis de l’OTAN et son souhait d’y instaurer un pilier européen.

Nous sommes tous conscients que la tâche est difficile et qu’il ne sert à rien de vouloir aller trop vite. Nous voulons poursuivre avec pragmatisme et détermination notre cheminement vers une politique de défense commune et les coopérations que nous menons dans le domaine de l’armement viendront à l’appui de cette politique.

Le projet de traité d’Amsterdam sur l’Union européenne laisse la porte ouverte dans ce domaine, puisqu’il donne la possibilité aux États qui le choisiront, d’étayer la définition progressive d’une politique de défense commune par une coopération en matière d’armement. Il précise que cette coopération aura sa place dans le cadre du groupe armement de l’Europe occidentale, en tant qu’instance européenne de coopération en matière d’armement, mais aussi de l’Union européenne et de l’Union de l’Europe occidentale dans le contexte de la rationalisation du marché européen de l’armement et de l’établissement d’une agence européenne de l’armement.

L’expérience nous a aussi montré qu’une telle approche ne donnera les résultats escomptés que si, en même temps, nous démontrons, par la pratique, le bien-fondé de l’objectif poursuivi. Nous devons aussi en rappeler l’urgence, je pense notamment aux défis immédiats auxquels sont confrontées nos industries de défense.

Ces défis sont connus de vous tous : nécessaire maîtrise des dépenses publiques, réduction des budgets d’équipements militaires, contraction des marchés de défense et exacerbation de la concurrence. Vous le savez, l’industrie de défense en Europe n’a d’autre choix, si elle veut continuer d’exister, que de s’adapter.

C’est pourquoi l’un des enjeux majeurs que je voudrais souligner dès à présent pour notre coopération en matière d’armement est bien la consolidation d’une base industrielle et technologique forte et compétitive en Europe.


Cheminement vers une politique de défense commune, consolidation de l’industrie d’armement en Europe. Quels exemples la France et l’Italie peuvent-elles donner dans ces domaines ?

Le tour d’horizon que je viens d’effectuer avec M. Andreatta m’a permis d’en prendre à nouveau toute la mesure, en même temps que j’ai pu constater la convergence de vues entre nos deux pays sur ces sujets.

Je peux citer les nombreuses coopérations militaires déjà en place entre les forces armées italienne et française. Elles sont renforcées par les initiatives européennes – certaines ont été lancées conjointement par la France et l’Italie, avec nos partenaires espagnols et portugais – de mise sur pied des « Euroforces » : l’Eurofor et l’Euromarfor, cette dernière traduisant l’évidence de la convergence de nos intérêts en Méditerranée.

À ces coopérations s’ajoutent les exercices menés conjointement chaque année et, bien sûr, l’engagement commun de nos forces armées sur de nombreux théâtres, au sein des Nations unies pour le maintien ou le rétablissement de la paix, parfois sur le sol européen, comme ce fut le cas en Bosnie ou, plus récemment, en Albanie. Je souhaite souligner ici le succès que constitue à mes yeux l’opération ALBA, initiative européenne, tant pour l’Europe de la défense que pour la relation franco-italienne.

Les expériences opérationnelles communes ont favorisé une meilleure connaissance réciproque de nos armées, de leurs organisations, de leurs concepts d’emploi et de leurs systèmes d’armes, meilleure connaissance qui doit naturellement déboucher sur une plus grande harmonisation dans l’expression des besoins militaires pour les futurs systèmes dont nos forces armées ont besoin. C’est souvent là, très en amont, que se forge la réussite des coopérations sur le développement des systèmes d’armes.

La coopération franco-italienne en matière d’armement s’est déjà traduite par de grands succès. Le plus récent nous est donné par le programme Hélios 1. Les premiers résultats de notre développement commun d’une famille de systèmes sol-air futurs laissent augurer également un grand succès pour le programme FSAF. Ce sera également le cas, je l’espère, pour les coopérations engagées sur la frégate anti-aérienne Horizon ou l’hélicoptère NH 90. Au-delà de ces coopérations, les projets d’avenir ne manquent pas, qu’il s’agisse de l’avion de transport futur ou des systèmes d’observation par satellite Hélios 2 et Horus.

Les différentes coopérations engagées pendant ces vingt dernières années sont le fruit d’une volonté de nos deux pays, volonté qui n’a pas trouvé la même concrétisation dans le domaine industriel. Le fort niveau de coopération en termes de programmes ne s’est, jusqu’à présent, pas ou peu traduit par des rapprochements véritablement structurels entre les industriels des deux pays. Je sais que ce constat est, pour une large part, à l’origine de ce séminaire ; il était grand temps d’analyser les raisons de cette situation et d’envisager les axes de progrès permettant de la faire évoluer.


Dans ce domaine industriel, mais aussi dans le domaine de la coopération entre États, nous devons encore progresser entre nos deux pays. Les axes de progrès ont pour noms : harmonisation des besoins opérationnels, rénovation des méthodes de préparation et de conduite des programmes en coopération, réduction des coûts, compétitivité de nos entreprises.

Je souhaite insister plus particulièrement sur le soutien sans faille que nous devons apporter à la mise en place effective de l’organisme conjoint en matière d’armement, l’OCCAR, qui réunit nos deux pays ainsi que l’Allemagne et le Royaume-Uni. Cet organisme doit contribuer à faire diminuer les coûts des programmes en coopération, grâce à la rationalisation de la gestion de ces programmes. Il faudra, pour ce faire, parvenir à le doter dans les meilleurs délais d’une personnalité juridique, afin qu’il puisse gérer effectivement des crédits et notifier lui-même directement des contrats. Dans le même temps, l’OCCAR ne doit pas apparaître comme une entreprise destinée à profiter à ses seuls membres fondateurs, mais bien comme la préfiguration d’une véritable agence de l’armement européenne, qui sera ouverte à tous et au service de chacun, dans le respect des objectifs et des principes qui ont présidé à sa mise en place.

Je fonde, pour ma part, de grands espoirs sur cet organisme qui donnera toute l’efficacité attendue si, de façon parallèle, l’offre industrielle se rationalise elle aussi. L’OCCAR peut même y contribuer de façon déterminante, en mettant en œuvre une politique d’acquisition qui allie préférence européenne et concurrence entre entreprises européennes. Cette démarche est cohérente avec le développement d’une base industrielle et technologique de défense européenne, composée d’entités fortes et dynamiques, préservant la diversité et, chaque fois que possible, la compétition.

Le développement de cette base passe par une intégration industrielle à l’échelle européenne, par le biais de rapprochements transnationaux que la France a, pour sa part, amorcés depuis quelques années déjà, à travers les accords structurels noués par les industries françaises avec leurs homologues allemandes ou britanniques.

Il s’agit, à présent, face à la consolidation accélérée de l’industrie américaine de défense, de passer à une nouvelle étape que peuvent, dans certains cas, préparer des regroupements nationaux, à l’instar de ce qui a d’ores et déjà été réalisé au Royaume-Uni, en Allemagne, mais aussi en Italie. S’il est vrai que beaucoup de temps a été perdu au cours de ces dernières années, il est non moins vrai que les regroupements à venir doivent permettre à la France comme aux autres pays de valoriser pleinement les compétences et les savoir-faire qu’ils ont su développer dans le domaine de la défense.

Avant de commenter les propositions faites à l’issue de ce séminaire, je voudrais formuler un dernier vœu pour permettre à nos deux pays de participer conjointement à l’édification de l’Europe de la défense : qu’ils puissent rechercher, plus encore que par le passé, la meilleure concertation préalable sur les grands dossiers armement de l’OTAN, je pense en particulier à la réforme de la conférence des directeurs nationaux d’armement, mais aussi aux grands systèmes d’information et de commandement de l’alliance ou encore à la défense aérienne élargie.

Cette concertation, qui vise à arrêter des positions communes conformes aux intérêts européens, tout en faisant preuve d’une attitude constructive dans le cadre de l’alliance, me paraît indispensable, compte tenu du caractère crucial pour l’avenir de l’Europe de l’armement des décisions qui seront prises sur ces sujets.


Un couple franco-italien plus fort pour une coopération européenne plus forte. Voilà mon souhait, et je souscris pleinement, pour ma part, aux propositions qui nous ont été faites par le secrétaire général pour la défense italien et le délégué général pour l’armement français.

Travailler le plus en amont possible, c’est ce que doit permettre une concertation permanente sur les travaux de planification et de programmation, afin de détecter au plus tôt les possibilités de coopération, voire de les provoquer et de mieux harmoniser les besoins opérationnels.

Soutenir fermement la mise en place de l’OCCAR doit constituer un axe majeur des actions de la France et de l’Italie en matière d’armement. Nous devons apporter ce soutien par l’intégration des programmes en coopération dans l’OCCAR, l’application effective des principes qui ont présidé à sa mise en place et l’obtention rapide d’une personnalité juridique lui permettant de passer directement des contrats.

Mettre au point un accord, dans le respect des discussions en cours dans un cadre européen, sur les règles d’exportation des matériels d’armement constitue de fait une condition indispensable à l’établissement d’un marché européen de l’armement.

Coordonner notre soutien officiel, technique et opérationnel, aux exportations des matériels développés en coopération est la meilleure garantie du succès de nos efforts d’élargissement de nos marchés.

Élaborer une vision commune de l’industrie européenne d’armement nous donnera l’occasion de fixer ensemble le cadre et les objectifs des futurs rapprochements structurels entre nos industries.

Il nous faut naturellement exploiter les acquis de la coopération franco-italienne (programmes, structures de coopération industrielle) pour favoriser les rapprochements bi ou multilatéraux s’inscrivant dans cette vision commune. Les gouvernements peuvent utiliser, pour ce faire, les moyens qui sont les leurs, à travers leur rôle de régulateur mais aussi et surtout de client.

Enfin, j’adhère pleinement à la proposition – qui résume toutes les autres – de revitaliser le comité mixte prévu par l’accord de 1983, comme structure permanente de concertation, comprenant des représentants des services d’acquisition et des états-majors des deux pays. Elle sera chargée de mettre en œuvre ces propositions, en concertation avec les représentants des industries, et elle pourrait nous en rendre compte sur une base périodique.

Comme responsable gouvernemental, je souhaite enfin souligner les effets positifs de ce séminaire, certes logiques compte tenu de la longue tradition d’amitié et de confiance des 2 pays, mais qui pourtant constituent une avance marquante dans l’ambition commune et politique déterminante de construire une défense européenne cohérente avec notre sentiment commun, si ancien et profond, de communauté de destins et avec notre volonté d’agir ensemble sur l’évolution internationale.