Interview de M. François Léotard, ancien ministre et député UDF, dans "Le Figaro" le 2 février 1999, sur son ralliement à l'idée d'une liste autonome de l'UDF pour l'élection européenne, le pluralisme de l'opposition, l'avenir de L'Alliance, la nature des relations entre le RPR et Démocratie libérale devenue une "annexe" du RPR.

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Le Figaro : L'année dernière, vous sembliez favorable à une liste unique de l'opposition aux élections européennes. Quels événements, quelles considérations vous ont conduit à militer, aujourd'hui, pour une liste autonome de l'UDF ?

François Léotard : Je continue de penser qu'il aurait été possible de construire une liste unique, à la seule condition que l'on ne nous mette pas devant un programme et une tête de liste qui nous auraient été l'un et l'autre octroyés. C'est ainsi qu'au fil du temps deux événements ont modifié mon jugement. J'ai d'abord été choqué par la forme, à la fois autoritaire et désinvolte, avec laquelle on a voulu imposer Philippe Séguin. Ce n'est pas tant Philippe Séguin, un homme de grande qualité, que nous avons récusé, mais cette désinvolture. J'ai eu ensuite le sentiment que les deux listes issues du RPR ne couvraient pas la totalité des attentes de l'opposition. Ces deux listes sont légitimes, Philippe Séguin comme Charles Pasqua ont le droit d'exprimer leurs convictions, mais nous souhaitons couvrir le vide que leurs listes laissent apparaître. S'il n'était pas occupé par des forces politiques de l'opposition, les électeurs européens de droite seraient tentés d'aller vers des listes de gauche. Nous formons un barrage face à la fuite éventuelle d'électeurs de l'opposition vers la gauche. Je crois que nous empêcherons par notre campagne la fuite éventuelle d'électeurs de l'opposition vers la gauche. Faut-il rappeler, en outre, qu'une grande partie de l'électorat libéral est profondément attaché à l'Europe telle que nous la souhaitons.

Le Figaro : Êtes-vous candidat aux prochaines élections européennes ?

François Léotard : Je soutiens le principe d'une liste UDF et je m'investirai dans la campagne, mais je n'ai pas l'intention, sauf événement nouveau, d'être candidat au Parlement de Strasbourg. Je ne pense pas qu'il soit bon de siéger en même temps dans deux parlements. Je regrette d'ailleurs qu'il n'y ait pas eu de loi d'incompatibilité entre le mandat de parlementaire national et celui de député européen.

Le Figaro : Le fait que Philippe Séguin ait naguère voté « non » à Maastricht, puis le psychodrame de l'élection en Rhône-Alpes vous ont-ils conduit à soutenir une liste autonome de l'UDF ?

François Léotard : Je ne considère pas un vote contre le traité de Maastricht comme un élément rébarbatif. Je regrette que Philippe Séguin ait adopté cette position, mais c'était son droit. Je souhaiterais simplement qu'il reconnaisse que l'euro, directement issu du traité de Maastricht, est une bonne chose pour la France. Nous le disions à ce moment-là et nous continuons à le dire aujourd'hui.

Le Figaro : L'affaire rhônalpine a-t-elle également contribué au « raidissement » de l'UDF ?

François Léotard : Si certains, dans l'opposition, regrettent qu'un membre de l'opposition préside aujourd'hui la région Rhône-Alpes, qu'ils le disent. Ou regrette-t-on qu'une personne de l'opposition n'ait pas été élue avec les voix du Front national ? Que chacun soit clair avec ses pensées, ses arrière-pensées, ses tactiques, ses références. Nous n'accepterons jamais un accord, quel qu'il soit, sur ou sous la table, avec le Front national. Lors de l'élection en Rhône-Alpes, la façon dont nous avons été critiqués, même insultés, a créé à l'intérieur de l'UDF un réflexe de fierté, d'identité, que je crois salubre. Nous n'acceptons plus une opposition monolithique, arrogante, autoritaire, qui opère par la négation et refuse son pluralisme. Cette époque a duré une quarantaine d'années. C'est fini. Je suis très heureux que François Bayrou se retrouve, à la tête de l'UDF, après Valéry Giscard d'Estaing, Jean Lecanuet et moi-même, dans la situation de le dire. Nous pouvons maintenant réussir à imposer cette diversité.

Le Figaro : Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de casser l'Alliance ?

François Léotard : C'est une accusation inconvenante. Je suis, avec Philippe Séguin, le signataire du protocole d'accord de l'Alliance. Je suis donc l'un des deux fondateurs. Dans les vingt premières lignes de ce protocole figurent les mots « diversité », « pluralité », la « reconnaissance des cultures respectives », et le soin, laissé à « chacun des courants » de l'opposition, de « déterminer, élection par élection », sa stratégie. Philippe Séguin et moi-même avions pris en compte le pluralisme naturel de l'opposition. Il n'y a aucune raison pour que ce pluralisme soit bénéfique à la gauche et négatif à la droite. L'idée d'une pensée unique, d'un parti unique, d'une stratégie unique avec un chef unique, est profondément contraire aux valeurs et aux intérêts de l'opposition démocratique. Notre diversité est une force, car la société française, elle-même, est plurielle.

Le Figaro : Pas de parti unique, pas de chef unique. Vous vous élevez déjà contre la candidature de Jacques Chirac à la prochaine présidentielle ?

François Léotard : Nous nous réjouissons de l'attitude européenne du président de la République. Il est aujourd'hui dans son intérêt de s'appuyer sur deux familles différentes : le RPR et l'UDF. Quels seraient pour lui les avantages d'une famille unique, fermée sur elle-même, comme une forteresse assiégée ? Mais l'élection européenne n'est pas une simple étape, comme on essaie de le faire croire, vers la prochaine présidentielle qui n'aura lieu que dans trois ans. L'élection européenne est du ressort des partis politiques, qui concourent – comme l'écrit notre Constitution – à l'expression des suffrages. Nous ne sommes pas dans un système de monarchie élective.

Le Figaro : Suggérez-vous que, dans la préparation de cette campagne, le RPR et le président de la République s'y sont mal pris ?

François Léotard : Je ne comprends pas bien pourquoi certains ont essayé de faire du président de la République une sorte de secrétaire général de l'opposition. Il est beaucoup plus que cela : il est le chef de l'État, le représentant de la France, y compris de nos concitoyens socialistes. Parfois, je suis étonné de voir que l'on cherche à tirer le président vers le bas, pour en faire un chef de parti.

Le Figaro : Vous parlez des deux familles de l'opposition. Démocratie libérale d'Alain Madelin n'existe plus à vos yeux ?

François Léotard : J'ai le sentiment que Démocratie libérale est devenu une annexe du Rassemblement pour la République. Je n'ai pas à m'exprimer sur ce choix, si ce n'est pour rappeler que le libéralisme français a besoin d'une expression qui soit véritablement la sienne.

Le Figaro : L'UDF joue gros à ces élections européennes. Votre formation peut-elle espérer un score supérieur à celui réalisé par Simone Veil (8 % en 1989) ?

François Léotard : Je formule un pronostic, au risque, bien sûr, d'être démenti par les faits : je pense que, petit-à-petit, les trois listes de l'opposition parlementaire s'équilibreront. La liste de Philippe Séguin a vocation à diminuer, celle de Charles Pasqua à augmenter, et celle de l'UDF à progresser. Ce n'est pas une présidentielle et il s'agit de trois électorats différents, mais complémentaires : l'électorat légitimiste, par rapport au président de la République ; l'électorat anti-européen ; et l'électorat pro-européen. Pour le reste, s'il y a des politiques sans chance, il n'y a pas de politiques sans risque. Nos prédécesseurs, à commencer par Jacques Chirac, nous ont appris qu'il fallait savoir rompre avec la pensée unique, les conventions, les habitudes et le train-train de la politique pour affirmer ses valeurs. Il y a des moments où il faut savoir dire non.

Le Figaro : Mais qu'est-ce qui distingue encore le discours de l'UDF de celui tenu aujourd'hui par Philippe Séguin sur l'Europe ?

François Léotard : Je m'en tiendrai à trois exemples. D'abord, à une nouvelle Europe doit correspondre une nouvelle France. Nous sommes profondément opposés à l'esprit centralisateur d'une partie de l'opposition. Nous sommes des décentralisateurs, favorables, par exemple, à ce que l'éducation et la police soient, dans un esprit fédéral, décentralisées. Ensuite, comment refuser l’imperium américain et, en même temps, refuser l'Europe politique, alors que le seul moyen de combattre l'hégémonisme américain est de parvenir à construire une Europe fédérale ! Enfin, l'Europe doit, selon nous, forger un pacte social. Treize pays européens sur quinze votent aujourd'hui pour des sociaux-démocrates, et l'actuelle opposition n'entend pas assez la voix des salariés ! Nous devons construire une Europe qui soit aussi une protection contre la mondialisation. L'Europe doit rassurer les salariés français.