Texte intégral
Le Parisien : 7 octobre 1997
Le Parisien : Quels sont les avantages concrets pour le malade de signer un « contrat de confiance » avec son médecin ?
Bernard Kouchner : Le patient bénéficiera d’un réel service en matière de prévention. Le second avantage pour le malade, c’est la continuité des soins. La tenue du carnet de santé lui garantira les traitements les plus efficaces, l’orientation la plus adaptée vers un spécialiste. Enfin, sur le plan financier, le malade sera dispensé de l’avance de frais, tout cela sans être pénalisé s’il décidait de se passer de son médecin référent pour aller consulter un spécialiste.
Le Parisien : Et pour le médecin ?
Bernard Kouchner : C’est l’occasion de renouer avec une pratique de la médecine. En s’investissant dans des actions de prévention, il jouera pleinement son rôle d’acteur essentiel de la santé publique. Il sera incité par une aide financière.
Le Parisien : Comment va se faire la mise en place de ce système, très peu de médecins étant prêts, dans un premier temps, à adopter cette nouvelle convention ?
Bernard Kouchner : Il est vrai que pour l’instant, les patients se sont montrés plus enthousiastes que les médecins. Nous verrons, il faut explorer toutes les pistes. Bien sûr, ce dispositif demande encore quelque temps avant d’être mis en place.
Le Parisien : Est-ce une étape vers un modèle à l’anglaise, c’est-à-dire un profond bouleversement du système de soins français ?
Bernard Kouchner : Ce n’est pas une révolution, mais une étape importante de la redéfinition de la médecine de notre pays.
Le généraliste : 24 octobre 1997 (Extraits)
Quotidien : Un sondage révèle un grand scepticisme des généralistes vis-à-vis de l’option conventionnelle du médecin référent. Qu’en pensez-vous ?
B. Kouchner : C’est tout à fait normal que les médecins soient hésitants. En raison de retards qui ne sont pas de notre fait, la campagne d’explications nécessaire, tant auprès des médecins que des patients n’a pu être menée. Pour Martine Aubry et moi-même, il s’agit d’un dispositif exploratoire et nous avons tenu à ce qu’il soit apprécié en termes qualitatifs et économiques tous les trimestres, car nous ne voulons pas que les dépenses dérapent. Je rappelle qu’il ne s’agit pas d’une adhésion obligatoire mais d’une option (…).
Quotidien : Les médecins considèrent qu’ils auront une forte demande de la part des patients et qu’ils auront tôt ou tard à devenir médecins référents du fait de cette pression…
B. Kouchner : Tout le monde est libre. S’ils ont beaucoup de demandes, cela démontrera que les patients ont un appétit pour la médecine de famille et le tiers payant et veulent que leur dossier soit suivi par un médecin de référence avec lequel une relation de confiance s’est instaurée. L’intérêt de l’option s’étend au-delà de cet aspect des choses. S’y ajoutent, ce qui n’est pas le moindre intérêt, des progrès en santé publique. Nous avons tenu à inscrire cette innovation dans la perspective des travaux du futur Institut de veille épidémiologique qui succédera au Réseau de santé publique. L’option permettra, par la tenue du dossier médical, la surveillance de certaines maladies, le suivi des vaccinations, de faire de la santé publique : des réseaux beaucoup plus puissants que celui qui existe actuellement et qui regroupe quatre cents médecins travaillant avec l’Inserm et le Réseau de santé publique, pourront se constituer pour relayer les campagnes que nous initierons. Le médecin, donc, conseillera le patient et l’aiguillera, le cas échéant, vers le spécialiste. Tout le monde a noté, dans cette option, de filière formalisée à partir du généraliste, que rien n’est obligatoire. Cette expérience est intéressante, mais je souhaite vivement qu’elle ne soit pas unique (…).
Quotidien : Quels paramètres prendrez-vous en considération pour l’évaluation trimestrielle de l’option ?
B. Kouchner : Le nombre de patients ayant souscrit l’option et l’influence négative ou positive du mécanisme sur la demande, les prescriptions, ainsi que la mise en œuvre réelle d’actions de santé publique et de prévention. Nous ne disposerons au début que d’une évaluation quantitative sur le coût initial : deux fois 75 francs, plus, éventuellement, 30 francs supplémentaires pour l’informatisation. Cela représente un coût important pour la collectivité, nous en sommes responsables. Je pense que les généralistes ont réalisé que, en fonction des clientèles, cela peut leur rapporter entre 100 000 et 2000 000 francs par an pour tenir le rôle de médecin référent et appliquer ce contrat de confiance. Mais la confiance, cela ne s’achète pas, elle s’installe ou non. C’est la raison qui nous a poussés, Martine Aubry et moi-même, à attacher beaucoup d’attention à l’évaluation afin d’intervenir avant un éventuel dérapage (…).
Quotidien : Les généralistes pensent devoir se résoudre à devenir médecin référent non par crainte de la concurrence des spécialistes mais de celle de leurs propres confrères…
B. Kouchner : Cela ne réduira pas l’accès direct au spécialiste, car il ne s’agit d’une filière de soins. Cela peut conforter un certain nombre de réseaux balbutiants. Ce n’est déjà pas mal. C’est une des raisons qui nous ont fait préserver le cadre expérimental de l’option. Il appartient maintenant aux généralistes qui sont partants pour l’expérimentation de faire leurs preuves., et le système tournera de lui-même (…).
Quotidien : Ils rejettent également le travail administratif que cela entraînera…
B. Kouchner : Hâtons l’informatisation qui est le serpent de mer du monde médical car, si cela continue, les enfants des écoles seront informatisés avant les médecins. La médecine ne se fait pas qu’avec les médecins. L’intérêt des malades doit figurer au centre du système. Un quart des médecins semble d’emblée intéressés par le système, supposons que cela fasse tache d’huile.
Quotidien : L’option risque-t-elle d’être coûteuse ?
B. Kouchner : Bien sûr, si dix millions de personnes s’inscrivent, l’enveloppe débordera et les reversements d’honoraires viendront à l’ordre du jour… Nous ne le souhaitons pas, bien entendu… Nous voulons expérimenter, réfléchir, prendre en considération la santé publique et l’économie.
Quotidien : Le tiers payant vous semble-t-il inflationniste ?
B. Kouchner : Nous ne le savons pas vraiment, mais ce système est très important pour les malades qui ont des difficultés d’accès aux soins. L’un des intérêts de l’expérience sera de savoir si le tiers payant révèle des aspects positifs pour les autres patients. Nous avons tous été élevés dans une sorte de dogme freudien selon lequel le paiement direct à l’acte était nécessaire pour se prendre en charge soi-même… nous verrons bien si cette brèche s’élargit.
Quotidien : L’un des aspects importants de l’option est la prescription des médicaments génériques. Qu’en est-il ?
B. Kouchner : La prescription de produits génériques est un élément très important pour l’équilibre des comptes, mais les listes sont terriblement longues à élaborer, elles concernent des milliers de produits. Nous nous employons résolument à accélérer le rythme. L’autre difficulté concerne la présence des génériques dans l’officine. Dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, nous souhaitons exclure les génériques de la taxe sur la promotion, nous souhaitons évidemment qu’ils soient listés et qu’en outre, les pharmaciens soient associés à leur disposition dans l’officine ; rangement, livraisons rapides, etc.
Quotidien : Où en est votre réflexion sur le « droit de substitution » ?
B. Kouchner : Nous ne trouverons la solution qu’en accord avec toutes les parties, pharmaciens et médecins. Rien ne sera imposé. Je pense qu’il faudra un accord confirmant également le médecin dans son droit de prescription intangible, s’il tient absolument à un produit précis et non à un autre essentiellement similaire. Le dernier mot doit lui revenir, mais, pour des raisons d’économie de la santé, nous encouragerons le plus possible ce type de prescriptions.
Quotidien : De quoi allez-vous parler aux prochains états généraux de la santé ?
B. Kouchner : Nous discuterons d’un certain nombre de problèmes très importants en matière de santé publique et, à partir d’une liste qui sera proposée aux Français, des préoccupations qui les concernent au premier chef. Nous discuterons bien sûr des mécanismes de régulation et nous écouterons les propositions des professionnels pour remplacer les mécanismes actuels par une maîtrise concertée. Nous ne parlerons cependant pas seulement des problèmes des médecins mais aussi de ceux des malades : les hôpitaux, les schémas régionaux d’organisation sanitaire et sociaux, mais également la prévention de la sénescence, la prise en charge de la douleur, les droits des malades, les conséquences du progrès médical…