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Q - Concernant le dopage, n'avez-vous pas le sentiment que la France est isolée au regard de ce qui se passe actuellement dans le milieu cycliste sur le Tour d'Italie ou en Espagne ?
Marie-George Buffet : Je crois qu'il faut d'abord se rappeler que jusqu'à récemment cette question du dopage n'était pas abordée au niveau de l'Union européenne. Plus largement, le sport était complètement absent des débats. Cela a abouti à une réunion en janvier, où nous avons adopté une résolution dans le cadre de la préparation de la conférence du Comité international olympique, à Lausanne. Depuis, des pays agissent, comme l'Italie actuellement, par le biais du CONI. Paderborn, cette semaine, il nous faut faire le point tous ensemble. Il ne s'agit pas de prendre les mêmes mesures partout, car l'histoire a fait que les rapports entre l'État et le mouvement sportif sont très différents en Europe. Mais nous allons travailler à faire avancer dans un même mouvement, avec le même objectif, nos idées sur le sport en Europe, c'est ce qui est le plus important.
En ce sens, isolée, la France, je ne le crois pas. La résolution de janvier a été adoptée à l'unanimité. Isolée, non, puisque l'ensemble du mouvement sportif aspire à la fin de cette suspicion généralisée que nous connaissons aujourd'hui.
Q - La France n'est pas isolée mais chacun sent bien que ce sera un combat long et difficile, et que tout ne se réglera pas du jour au lendemain. Il y aura encore des soubresauts. Récemment, vous disiez, concernant la lutte contre le dopage, « la France ne gagnera pas sans l'Europe ». C'est un discours rare dans l'Hexagone...
Marie-George Buffet : Le sport constitue un enjeu de société. Il n'y a pas un village, une ville, en France ou en Europe, où il n'existe pas d'association sportive. Il s'agit donc de prendre ses responsabilités. Oui, pour agir contre le dopage ou pour préserver le mouvement sportif des marchands, nous avons besoin d'une réponse française et européenne, et non pas uniquement d'une action franco-française. Les enjeux sont énormes. Aujourd'hui, je le répète, le sport ne figurant pas dans les compétences européennes, on lui applique ni plus ni moins les règles de la concurrence communautaire. Alors, demain, va-t-on autoriser les clubs à négocier directement en dehors de leurs fédérations, donc de fait casser la cohésion du mouvement sportif ? Voilà, par exemple, ce qui est en jeu. Avec d'autres ministres, nous avons décidé de faire du neuf pour le sport, d'affirmer sa singularité. Pour cela, nous avons ressenti le besoin de nous voir, de confronter nos idées, d'élaborer des propositions. Et ça, oui, c'est nouveau.
Q - Justement, après le dopage, le dossier du sport professionnel est sur la table. Peut-il, là aussi, y avoir une communauté de points de vue ?
Marie-George Buffet : Paderborn, je vais proposer d'inscrire l'interdiction des transactions sur les mineurs pour lesquels des dispositions législatives seront prochainement appliquées en France. On peut également évoquer l'interdiction de la multipropriété des clubs... Je crois qu'aujourd'hui nous sommes d'accord sur ces points, chacun, ensuite, d'inscrire cela dans sa propre législation.
Q - La Commission de Bruxelles n'est franchement pas sur la même longueur d'ondes que vous.
Marie-George Buffet : Les choses commencent à bouger. Ainsi, dans un document, la Commission critique ouvertement les conséquences de l'arrêt Bosman pour le football européen, et reconnaît la spécificité du sport. Le fait que des gouvernements, à travers leurs ministres, aient exprimé le besoin de parler de ces questions, le besoin de se rencontrer, le besoin de prendre des décisions pour préserver le sport, cela montre que les choix politiques doivent primer.
Q - Certains craignent que ces décisions n'en viennent à tuer la poule aux oeufs d'or, en l'occurrence le sport spectacle.
Marie-George Buffet : Je leur réponds qu'il ne faut pas tuer... le sport. Qu'il soit professionnel, amateur, ou qu'il s'agisse de pratiques de loisirs. Cette diversité existe et vit grâce à la cohésion du mouvement sportif. Il ne faut surtout pas remettre en cause ce lien. Je pense que la lutte contre le dopage va sauver le sport, et donc les grands événements sportifs auxquels vous faites allusion. Ce qui peut, justement, tuer ses grands événements, c'est que les spectateurs ou téléspectateurs pensent que ceux qui y participent trichent. Alors qu'en fin de compte il faut le dire et le redire, une grande majorité de sportifs n'est pas touchée par le dopage. Cette idée du « tous dopés » est une idée fausse. Le sport, cela reste le dépassement de soi, le plaisir, la rencontre avec d'autres. Le dopage, c'est la mise en dépendance, l'atteinte à la dignité humaine... C'est en fait tout le contraire des valeurs du sport et c'est pour cela que cette lutte est plus que jamais déterminante.