Interview de M. François Bayrou, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale et président de Force démocrate, dans "Sud-Ouest" du 5 septembre 1997, sur le climat politique dans l'opposition, la cohabitation et sa conception de l'opposition pour les partis du centre.

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Média : Sud Ouest

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Sud-Ouest : Lionel Jospin monte dans les sondages. Est-ce là selon vous à un certain « état le grâce » ou au retour de la croissance ?

François Bayrou : La croissance y est sûrement pour quelque chose. Mais il faut convenir que c’est le fruit de la politique antérieure, le résultat le plus éloquent des gouvernements d’Édouard Balladur et d’Alain Juppé. Notons aussi qu’aucune des mesures annoncées jusqu’ici par M. Jospin ne risque de faire de la peine. On n’a annoncé que des dépenses ! Mais, on ne gouverne pas en ne faisant que des dépenses. Un jour vient forcément où il faut faire des choix, arbitrer, indiquer ce que sont les économies et les impôts supplémentaires. À l’automne, il faudra couper dans les dépenses et alors les feuilles d’impôts se ramasseront à la pelle.

Au printemps dernier, la mode dans la majorité de l’époque était de faire croire que les choses allaient si mal que le budget serait impossible à construire. Je ne l’ai jamais cru. Mais, je ne crois pas davantage la sornette que l’on essaie de nous vendre aujourd’hui en expliquant que tout est facile. Ce n’était pas vrai hier, ce ne l’est pas aujourd’hui et cela ne le sera pas avantage demain.

Sud-Ouest : Vous vous êtes montré très sévère pour le Gouvernement à propos d’Air France. Pourquoi ?

François Bayrou : Parce que si la décision de M. Gayssot est confirmée par le Premier ministre, c’est un tournant très négatif, très inquiétant et hélas, très significatif. Cela veut dire que l’on choisit l’idéologie contre le réalisme, la défensive contre l’offensive. Christian Blanc, ce n’est pas un secret, est un homme qui vient de la gauche. S’il s’engage ainsi, c’est qu’il sait qu’il n’y pas d’autre chemin que la privatisation pour aller jusqu’au bout de la modernisation de cette grande compagnie. C’est la première heure de vérité pour ce gouvernement et le patron d’Air France a raison de ne pas se laisser faire.

Sud-Ouest : L’actuel climat politique montre que la « cohabitation » reste plébiscitée par les Français. Vous y êtes-vous rallié ?

François Bayrou : Certainement pas ! C’est un régime qui organise la division du pouvoir et met, d’une certaine manière, les deux principaux responsables de l’exécutif en opposition en « embuscade » l’un contre l’autre. Ce n’est pas un régime sain. Je sais que les Français, au moins dans un premier temps, y sont toujours favorables. Et pour des raisons estimables : ils cherchent à concilier ainsi deux aspirations, celle qui les fait voter à gauche et celle qui les fait voter à droite. Mais, ma conviction est que cela ne se fait pas par les compromis boiteux de la cohabitation, cela ne peut se faire que par une démarche nouvelle, un projet nouveau. D’une certaine manière, la cohabitation dit aux hommes politiques, et particulièrement aux hommes politiques du centre : « Proposez-nous quelque chose de nouveau ! »

Sud-Ouest : À quoi pourrait ressembler, justement, une conception nouvelle de l’opposition ?

François Bayrou : Pour nous, à l’UDF, l’opposition, c’est très simple. Quand c’est bien, on dit c’est bien. Je vous avoue que nous n’avons pas eu beaucoup d’occasions de le penser depuis l’alternance. Quand c’est mal, on met en garde et on prend soin de proposer autre chose. Car, la principale responsabilité de l’opposition, sa magistrature, c’est l’espérance. Elle doit devenir suffisamment crédible et forte pour que, le jour où les déceptions seront au rendez-vous, elle propose un chemin nouveau. Pas le chemin d’hier, un chemin nouveau.

Sud-Ouest : Lors de l’université d’été de Force démocrate, à Perpignan, vous avez proposé aux jeunes de réfléchir au succès des JMJ. Vous-même, qu’en avez-vous pensé ?

François Bayrou : J’ai trouvé cet événement plein d’enseignements. Un succès sans aucun précédent, qu’aucun observateur n’avait vu venir. Au contraire : on annonçait un semi-échec. Et devant cette marée humaine, pleine de rires et de ferveur, je me disais que ces jeunes exprimaient une attente, qui n’est pas seulement celle des jeunes chrétiens, qui est beaucoup plus large et qu’ils partagent, j’en suis sûr, avec les jeunes qui ont une autre foi ou pas de foi du tout. Ils n’envisagent pas la vie sans idéal et ils n’envisagent pas l’idéal sans exigence. Ils mettent la barre haut et ils ont raison !

Sud-Ouest : Vous avez exercé des responsabilités gouvernementales et vous voilà revenu au Parlement, dans une responsabilité plus politique. Est-ce cela n’est pas un peu frustrant ?

François Bayrou : J’ai passionnément aimé le ministère de l’éducation nationale et ceux qui le faisaient vivre, élèves, enseignants et familles. Mais, dans le même temps, je n’ai pas délaissé le conseil général des Pyrénées-Atlantiques. J’ai aujourd’hui plus de temps pour m’en occuper. Et l’opposition est un moment aussi passionnant que le pouvoir. Je l’ai souvent dit à mes amis : c’est dans les jours de défaites que se préparent les victoires. À condition que l’on ait la volonté et l’inspiration nécessaires pour commencer à dessiner le visage de l’avenir.