Texte intégral
Il n'existe pas un commandement qui affirme : tu mourras dans la solitude, tu mourras dans le désespoir, tu mourras dans la douleur. C'est pourtant ce qui se passe trop souvent dans nos hôpitaux de pays riches. La médecine d'aujourd'hui permet, avec les soins palliatifs, d'adoucir les derniers moments de l'être humain. Pourquoi ne sont-ils pas généralisés et facilement accessibles ? Parce que longtemps nous avons tenté d'évacuer la mort : affaire de culture, dispersion des familles, urbanisation loin des rites paysans, peur du mot et peur du spectacle, suprématie des techniques sur l'humanisme, dérobade médicale.
Avec un Parlement unanime, nous venons de légiférer sur les conditions de la mort. Le débat à l'Assemblée nationale fut passionnant, parfois émouvant, exemplaire, comme il l'avait été au Sénat. Nous avions déjà doublé en quelques mois l'offre de soins palliatifs : unités et équipes dans les hôpitaux et en ville. Avec cette loi nous irons plus loin. Dans les contrats d'objectifs des hôpitaux et des établissements pour personnes âgées, les soins palliatifs seront pris en compte. Nous permettrons ainsi que des hommes et des femmes, s'ils le désirent, puissent terminer leur vie chez eux. Majoritairement, ils le souhaitent.
Toutes les civilisations ont leurs rites de mort. Nous avions les nôtres, les mêmes pour les rois et pour les paysans, cet accompagnement lucide de la famille, des amis et souvent de la religion. Et puis les bouleversements du monde moderne ont brouillé nos comportements. On meurt le plus souvent à l'hôpital, et seul. Chez nous, l'humanité s'est retirée de la mort.
Nous devons réhabiliter la dignité de la fin de vie, regarder la mort en face et non plus l'évacuer derrière des paravents techniques. Dans une vie, la mort a droit à sa juste place ; le mourant a droit à la tendresse, à l'amour, à la présence de ses proches, à l'adoucissement et à l'apaisement. À la dignité. La mort - et c'est une banalité oubliée – ce sont les derniers sentiments, les dernières images pour un être.
Nous redécouvrons, en cette fin de siècle, les valeurs de l'humanisme, de la relation à l'autre, à la vie, à la souffrance, à la mort, que nous avions peut-être oubliées à une époque de croissance et de facilité économiques et sociales. Puisque la famille ne joue plus un rôle aussi fort et présent, c'est à la loi de l'aider et de la suppléer. Le sens de notre culture en dépend, et aussi l'humanité de notre système de soins.
Le débat n'est plus aux illusions de la médecine victorieuse, toute puissante, hyper technicienne, qui refuse la souffrance et la mort. Certains médecins, de plus en plus rares, passent leur chemin devant la porte d'un mourant, d'un cancéreux en phase terminale, sous prétexte que, médicalement, ils ne peuvent plus rien faire. Et ils laissent les infirmières s'occuper du malade. Ce n'est plus supportable. Tout reste à faire lorsqu'il n'y a plus rien à faire.
Nos concitoyens souhaitent une médecine plus humaine. Désir de proximité, attachement au médecin de famille, souci de préserver les petites structures, refus de l'anonymat des grandes usines à soins : toutes ces préoccupations, nous les avons entendues lors de centaines de rencontres avec les citoyens pendant les états généraux de la santé. Ceux qui ont côtoyé la mort savent la différence entre une fin paisible, accompagnée, et une mort agitée, isolée, angoissée. Ce ne sont pas les mêmes morts. Nous pouvons, dans bien des cas, offrir en dernier cadeau une belle mort – une mort si douce, disait Simone de Beauvoir.
C'est d'abord pour le respect et la dignité de celui qui s'en va que nous avons légiféré « pour le droit d'accès pour tous aux soins palliatifs ». L'autre devoir est vis-à-vis des vivants. Il faut les accompagner au cours de cette épreuve qu'est pour eux la fin d'un proche. La loi prévoit dorénavant un « congé d'accompagnement » pour les proches. Elle soutient les associations et les bénévoles, toujours indispensables. Elle encourage les réseaux de ville, favorisant les derniers instants vécus à domicile. Elle lutte enfin contre les lits assignés aux agonisants, interdisant à l'hôpital les « ghettos de la mort ». Je sais que ce texte législatif à ses limites : on n'y trouve pas la reconnaissance d'un droit ultime et nécessaire, celui de choisir sa fin et de l'imposer à ses proches et à la société.
Néanmoins, lentement, nous commençons d'inventer pour le siècle qui vient une nouvelle culture de la mort.