Texte intégral
A. Le Gouguec
Que peut-on négocier avec S. Milosevic alors qu’il pourrait être inculpé de crime de guerre par le Tribunal pénal international ?
P. Douste-Blazy
“Aujourd’hui, M. Milosevic est le chef de l’Etat serbe, donc le chef des armées. Mais ce qui est important dans ce qui vient de se passer - ou ce qui va se passer plutôt parce que rien n’est officiel - c’est que c’est un tournant extraordinaire de la manière de faire du Tribunal pénal international. C’est la première fois qu’un mandat international est lancé contre un chef d’Etat en exercice. Ce n’est pas un lampiste qui va trinquer, mais c’est le chef d’Etat lui-même.”
A. Le Gouguec
On ne connait pas encore le chef d’inculpation.
P. Douste-Blazy
“On ne le connait pas encore mais on sait que c’est lui, et que ce ne sera pas comme en Bosnie, d’autres au-dessous. Et surtout, c’est la séparation des pouvoirs entre le judiciaire international et le diplomatique. C’est vrai que beaucoup de diplomates aujourd’hui doivent se dire : “mon Dieu, pourquoi Mme Arbour fait-elle cela aujourd’hui ?” En même temps, tout le monde sait, depuis la Slovénie - quelques milliers de morts -, depuis la Croatie – 20 000 morts -, depuis la Bosnie – 220 000 morts -, on sait aujourd’hui avec le Kosovo, depuis longtemps maintenant, depuis neuf ans, que M. Milosevic est évidemment un criminel de guerre.”
A. Le Gouguec
Peut-on négocier, peut-on discuter avec un criminel de guerre ?
P. Douste-Blazy
“Aujourd'hui, c'est le chef de l'Etat serbe, c'est le chef des armées. Une des quatre demandes du Conseil de sécurité, c’est de voir le retrait des militaires serbes et surtout des milices serbes. Qui est le patron des milices serbes ? M. Milosevic. Donc, vous êtes bien obligé d'avoir un rapport avec lui. Ceci étant, je pense que ça ne doit pas être un obstacle aux négociations. Tout le monde sait, M. Milosevic lui-même sait qu'il a non seulement dépassé les bornes depuis longtemps, la ligne jaune, mais qu'il est un criminel de guerre. Pourquoi toute cette hypocrisie ? Tout le monde le sait. Lui, le premier.”
A. Le Gouguec
Le rôle de l'Union européenne dans toute cette histoire : actuellement, le donneur d'ordre, c'est l'Otan, ce sont les Américains. Est-ce que vous pensez que l'Union européenne aurait pu jouer un plus grand rôle en Yougoslavie ?
P. Douste-Blazy
“Votre question est déjà une réponse. Vous avez dit : “c'est l'Otan, - virgule - les Américains. » Voilà ! Tout le monde voit cela. Le conflit du Kosovo est un énorme révélateur pour tout le monde, une prise de conscience, qu'il n'y a pas d'Europe de la défense, parce qu'il y a un émiettement des budgets qui arrive à un émiettement des équipements. Je suis dans les Hautes-Pyrénées, dans une circonscription où il y a le GIAT de Tarbes. Nous fabriquons le char d'assaut français Leclerc. Eh bien, les Allemands, au même moment, font le char d'assaut Léopard qui est exactement le même. Est-ce qu'il est normal que nous ne soyons pas capables de nous mettre ensemble pour faire nous aussi, des hélicoptères d'assaut ? Les seuls aujourd'hui au monde, opérationnels, sont américains. Est-ce qu'il est normal que les Américains arrivent à aligner 50 satellites d'observation qui arrivent à définir une image à dix mètres près, alors que nous n'en avons que deux ou trois ?”
A. Le Gouguec
Vous plaidez pour une Europe de la Défense, pour une Europe fédérale, d'Etats-nations. Vous êtes assez proche du PS dans ce domaine-là finalement, plus que de vos alliés du RPR et de DL.
P. Douste-Blazy
“Première remarque : nous ne sommes pas pour une Europe d'Etats-nations, nous sommes pour une Europe qui se fédère. Je viens de vous parler de l'Europe de la Défense, c'est pareil pour l'Europe de la Recherche. Aujourd'hui, neuf médicaments sur dix sur le cancer, sur le cholestérol, sur les maladies cardio-vasculaires, qui sont découverts, le sont aux Etats-Unis et au Japon. Pourquoi ? - il y a encore 20 ans, c'était à l'Union européenne - ; là aussi parce qu'on ne met pas ensemble les budgets. Si l'on était tous ensemble, on serait beaucoup plus forts sur certains sujets. La nation française est la plus vieille des nations, c'est une vieille dame. Il faut non seulement, évidemment la garder, la respecter - nous tenons à la France -, mais pour certains sujets, si nous sommes ensemble, on sera évidemment plus forts. Vous me dites que nous sommes prêts des socialistes. Non ! Parce que, au fur et à mesure que le budget 1999 avance, on s'aperçoit que nous sommes en France, avec ce triste triple record : record des déficits publics, record du déficit structurel - qui comme vous le savez, est le déficit indépendant des variations de conjoncture -, et surtout, un record européen inexcusable avec la croissance que nous avons aujourd'hui, celui des prélèvements obligatoires. Nous sommes le pays de l'Union européenne à payer le plus en charges, en impôts et en taxes quoi que dise M. Strauss-Kahn. Il fallait profiter, comme les Allemands, comme surtout les Italiens et les Espagnols, de la croissance pour faire baisser les prélèvements obligatoires. Et ce n'est pas comme cela qu'on fera l'Europe de demain.”
A. Le Gouguec
Dans le débat sur la motion de censure, on vous a trouvé finalement assez tendre avec le pouvoir à l'Assemblée. Vos partenaires de l'opposition ont trouvé que les élus de l'UDF se montraient assez tendres.
P. Douste-Blazy
“Il y a deux certitudes. Je ne connais pas d'opposition en Europe qui n'aurait pas déposé la motion de censure devant une telle situation. Nous avons voulu poser le problème de la responsabilité politique ; dans la mesure où le fait de faire un Groupement des pelotons de sécurité est une décision politique du Gouvernement, il était normal que nous posions la question de la responsabilité politique. Et puis il y a une évidence, il y a eu dysfonctionnement d'Etat sur une décision politique qui était la création de ce GPS. Cette décision est bien politique. Et l'enseignement c'est, qu'au-delà de la Corse - et c'est ce que l'UDF a voulu montrer avec F. Bayrou, il y a deux jours à l'Assemblée nationale -, c'est le problème d'une nouvelle ère de décentralisation que nous voulons en France. L'ère de tout donner, donner tous les pouvoirs à un homme ou à une femme qui s'appelle le préfet est révolue. Il faut aujourd'hui commencer à réfléchir à la possibilité de donner plus de pouvoir aux élus locaux qui eux, régulièrement, sont responsabilisés parce qu'ils reviennent devant leurs électeurs.”
A. Le Gouguec
Dans cette campagne des élections européennes, l'opposition apparait extrêmement divisée, il y a actuellement, exceptées les listes d’extrême droite, trois listes. Lorsque C. Pasqua dit que maintenant le distinguo n'est plus à faire entre Européens, anti-Européens, droite-gauche, mais plutôt entre ceux qui sont fédéralistes et ceux qui ne le sont pas, est-ce qu'il n'a pas raison finalement ? Et en cela, vous seriez plus proche de F. Hollande que de C. Pasqua.
P. Douste-Blazy
“Deux réponses très franches. La première sur le fond, la deuxième sur la forme. Sur le fond, c'est une élection européenne qui est à la proportionnelle. Nous avons voulu que les Français puissent avoir le choix en toute transparence entre ceux qui veulent une Europe qui avance – “une Europe d'avance”, j'ai envie de dire - une liste qui ait une vision très généreuse, très ambitieuse de l'Europe - c'est la nôtre, c'est nous - ; ceux qui veulent simplement gérer les acquis européens et les acquis, mais pas plus - c'est celle du RPR et de DL - ; et puis, ceux qui ont une vision un peu nostalgique, qui estiment qu'il y a trop d'Europe et qui veulent revenir un peu sur les acquis - c'est celle de C. Pasqua. Une vision nostalgique et pour moi un peu dépassée. Sur la forme, vous me dites : « on est divisé. » Mais vous n'avez jamais dit ça à M. Hue ou à M. Hollande ou à M. Cohn-Bendit ! Et pourtant, leurs trois formations se retrouvent ensemble tous les mercredi matins en Conseil des ministres. Je crois que le temps des majorités c'est le temps des coalitions de gouvernement : il faut s'entendre. Le temps des oppositions c'est le temps où il faut que les programmes soient défendus, soient définis, soient discutés. Pour se mettre ensemble, il vaut mieux le faire après avoir débattu des différences, plutôt que se mettre en file indienne. Dans un premier cas c'est l'uniformité, elle gagne du temps. Dans un deuxième temps, c'est le pluralisme, l'uniformité perd du terrain. Et le deuxième cas, c'est le pluralisme et il perd du terrain.”
A. Le Gouguec
Les formations se retrouvent toutes les semaines en Conseil des ministres, est-ce que les formations de la droite plurielle se retrouvent régulièrement ? Est-ce que vous discutez encore ou est-ce que, le temps des européennes, la discussion est rompue ?
P. Douste-Blazy
“Rien n'est rompu. Nous avons beaucoup plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous divisent. Mais sur l'élection européenne, l'UDF a toujours…”
A. Le Gouguec
N. Sarkozy hier soir encore, à Tours vous accusait pratiquement de faire le jeu de la majorité.
P. Douste-Blazy
“Nous sommes en campagne. Les petites phrases, on les connait. Ce qui est important, c'est que demain, nous puissions avoir cette culture du débat, que nous puissions débattre ensemble des problèmes européens. L'UDF, depuis 20 ans, prône cette Europe qui se fédère. Et je vois que ses partenaires et même ses adversaires, la suivent. Il faut que nous continuions à être ces éclaireurs de l'Europe qui se fédère, de l'Europe qui avance.”