Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche à France 2 le 26 mai 1999, sur l'enquête sur l'assassinat du préfet Claude Erignac, l'action du préfet Bernard Bonnet et la situation en Corse.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde
Vous avez beaucoup séjourné en Corse à l’occasion d’une Commission d’enquête parlementaire, vous avez rencontré le préfet Erignac, le préfet Bonnet aussi. L’un et l’autre vous avaient dit : en Corse, tout est pourri. Ça se confirme ?

J. Glavany
“Oui, c’est le préfet Erignac qui, quelques mois avant sa mort, dans le jardin de la préfecture, m’avait dit : vous savez, ici, tout est pourri. Depuis quelques mois, je me souviens toujours de ses propos parce que ça explique une sorte de grande pression qui est exercée sur les fonctionnaires qui ne savent pas par quel bout commencer, qui sont obligés de mettre de l’ordre dans tous les dossiers et dont on attend des résultats immédiats, avec cette pression insupportable qui s’exerce. Y compris sur les enquêteurs à qui on a demandé de trouver les assassins du préfet Erignac du jour au lendemain alors que ces enquêtes sont toujours très longues. Je me souviens de tout cela pour expliquer un peu cette pression qui s’exerce sur les fonctionnaires et qui exige d’eux un sang-froid et une sérénité, des qualités professionnelles hors pair.”

F. Laborde
Mais comment peut-on expliquer la motivation de ce commando ? Comment des jeunes gens comme Y. Colonna, fils d’un député socialiste, peut subitement verser dans le crime ?

J. Glavany
“Au départ, il y a une espèce d’enthousiasme de la jeunesse pour des idées indépendantistes, nationalistes, autonomistes. Et puis après, on met le doigt dans un engrenage, celui de la violence. Au début, ça doit être du jeu, de la provocation et puis, ça se termine - et c’est ce qui me frappe beaucoup en Corse -, par un sentiment d’impunité. Quand on entend beaucoup de ces assassins de ces criminels, on a l’impression qu’ils se croient protégés par une impunité, qui est sans doute due d’ailleurs à cette omerta, cette loi du silence qui existe beaucoup là-bas et qui rend les enquêtes encore plus difficiles. C’est la seule explication possible. Je pense qu’à un moment, on se croie tout permis. Et ce sentiment d’impunité qui règne beaucoup en Corse doit être combattu. C’est d’ailleurs un des principaux avantages du résultat de cette enquête, c’est qu’elle va casser l’idée qu’on peut être impuni en Corse.”

F. Laborde
Et puis il y a aussi, si je puis dire, la vitrine légale. J.-P. Chevènement mettait en cause le comportement d’un certain nombre d’élus nationalistes à l’Assemblée corse.

J. Glavany
“Nationaliste ou pas d’ailleurs, il faut le reconnaître. Parce qu’il y a des élus qui ne se disent pas nationalistes mais qui font alliance avec les nationalistes et puis qui tiennent des discours. Plutôt que de se réjouir par exemple, des résultats de l’enquête, je voyais le président de l’Assemblée territoriale dire : les Corses attendent que la justice passe. Ils pourraient quand même aller plus loin, simplement, on ne veut pas dire des mots qui déplairaient aux nationalistes parce qu’on a fait un peu alliance avec eux à l’Assemblée territoriale. Et puis, il y a ces nationalistes qui sont élus et qui disent que eux ne partagent pas la violence mais qu’en même temps ; ils la comprennent et qui, eux-mêmes, ne veulent pas condamner. Au fond, ils sont solidaires de tout ça. Je pense que la République doit lutter contre ces doubles langages, elle doit les dénoncer. Ils font un tort fou à la Corse.”

F. Laborde
On a parlé de la piste agricole, elle est aussi en coures. On peut tuer parce qu’on voit les subventions agricoles diminuer, on peut tuer parce qu’on va être obligé de rembourser ses prêts au Crédit agricole ?

J. Glavany
“D’abord, il faut attendre le résultat de l’enquête. Il semble qu’on tienne le commando qui a tué le préfet Erignac. Tant mieux, c’est une très bonne nouvelle pour la République, pour la Corse et pour les Corses. Maintenant, il faut comprendre pourquoi ils ont fait cela. Maintenant, il faut comprendre pourquoi ils ont fait cela. Pour l’instant, on ne peut pas le dire. Est-ce que c’est justement dans une espèce de jusqu’au-boutisme indépendantiste de rupture vis-à-vis des mouvements nationalistes considérés comme compromis par les affaires et la mafia ? Ou est-ce que c’est pour des raisons plus précises ? L’enquête le dira. Je ne vais pas me prononcer sur ce sujet. On a dit la piste agricole parce que, dans l’agriculture, il y a beaucoup de scandales – celui du Crédit agricole, celui de la Safer, celui de la Mutualité sociale agricole et celui de la Chambre régionale d’agriculture -, beaucoup d’argent ; beaucoup de dossiers à scandale et avec des mises en cause…”

F. Laborde
Et que vous suivez ?

J. Glavany
“Que nous suivons au jour et dans lesquels nous mettons beaucoup d’ordre car les choses progressent en Corse parallèlement, elles progressent considérablement dans tous les domaines. Maintenant, est-ce que ça suffit à expliquer ces gestes ? Pour l’instant, je ne peux pas le dire.”

F. Laborde
Est-ce qu’au fond, le préfet Bonnet n’avait pas raison ? Est-ce que s’il n’avait pas été entendu plus tôt, quand il se préoccupait, quand il donnait des noms, on n’aurait pas évité l’incident pitoyable de la paillote ?

J. Glavany
“Mais quand il a donné des noms, ils ont été transmis à la justice. Et donc, l’enquête a pu suivre son cours. Je ne peux pas dire que le préfet avait raison. D’ailleurs il est présumé innocent dans l’affaire de la paillote, donc ne portons pas de jugement avant que la justice ne passe. Mais certains ont fait des amalgames politiciens en disant que peut-être cette enquête Erignac tombait  à pic après l’affaire de la paillote pour effacer cette misérable affaire, pour mettre en meilleure position le Gouvernement face à une motion de censure. Premièrement, les juges et en particulier le juge Brugière, les juges anti terrorismes sont suffisamment indépendants pour qu’on ne puisse pas les soupçonner d’être à la solde du Gouvernement, en plus pour une opération politicienne vis-à-vis d’une motion de censure. Deuxièmement, si jamais cette enquête avait abouti un mois plus tôt, on n’aurait pas eu cette affaire de la paillote et le Gouvernement s’en serait mieux porté aussi. Donc, je pense qu’il faut complètement déconnecter les choses. Il y a une enquête qui suit son cours et puis, il y en a une autre, sur l’affaire de la paillote qui est une déplorable affaire, pitoyable, mais en même temps remise à sa vraie place aujourd’hui. L’essentiel, c’est que des assassins soient en prison parce que la République s’en porte mieux. Le reste, c’est un incident de parcours fâcheux mais un incident de parcours.”