Interviews de M. Hervé de Charette, président du PPDF et président délégué de l'UDF, à Ouest-France le 3 février 1999 et dans Valeurs actuelles le 6, sur la formation de la liste UDF pour les élections européennes de 1999 en vue de remporter une majorité de droite et du centre au Parlement européen, le "climat négatif" créé par le RPR et Démocratie libérale contre l'UDF, sa proposition de créer un "code de bonne conduite" entre les trois listes se réclamant de l'opposition.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Convention nationale de l'UDF sur l'Europe à Bordeaux le 7 février 1999

Média : Ouest France - Valeurs actuelles

Texte intégral

OUEST FRANCE : 3 février 1999

Q - Qu'est-ce qui pourrait encore empêcher l'UDF de constituer sa liste ?

Un changement radical dans l'attitude de nos partenaires… Je suis de ceux qui regrettent que l'opposition n'ait pas été capable de faire une liste d'union. C'était souhaitable pour au moins deux raisons : accompagner la démarche européenne du Président de la République par un vote commun de nos électeurs ; rassembler l'opposition autour d'un projet européen qui, en gros, aurait été celui de l'UDF. Sans compter l'intérêt qu'il y avait à réunir tous les élus de l'opposition au Parlement européen au sein du même groupe : le Parti populaire européen, avec, dès lors, la possibilité pour la France de conquérir la présidence du Parlement européen.

Q - Pourquoi ça n'a pas marché ?

Tout s'est passé comme si on avait voulu forcer l'UDF à faire sa liste à part. Alain Madelin porte une responsabilité toute particulière dans ce résultat, par sa volonté de casser l'UDF et par son partenariat de plus en plus poussé avec ceux qui fricotent avec l'extrême droite. En tout cas, aussi bien à travers l'affaire de la présidence régionale de Rhône-Alpes que de l'élaboration d'une liste commune aux européennes, force a été de constater qu'il y avait matraquage contre nous. Ou bien nous nous couchions, humiliés, ou bien nous étions rejetés, voués, aux gémonies, laissant libre cours à ceux qui cherchaient à monter une nouvelle fois des opérations troubles avec le Front national. En refusant d'entrer dans ce jeu, nous avons été conduits à prendre nos responsabilités.

Q - Donc, le « retenez-moi ou je fais une liste séparée » est désormais périmé ?

Nous sommes dans une phase de réflexion jusqu'au conseil national du 7 février, à Bordeaux. Nous allons interroger nos responsables et nos militants. Mais, en effet, le nombre de ceux qui pensent que la meilleure solution est de faire une liste autonome va croissant. Et c'est vers cette solution que l'on s'achemine. Nous avions espéré un scénario d'unité, il a été rendu impossible malgré nous. A partir de là, la campagne exigera un code de bonne conduite respecté par tous. A quelque chose malheur est bon : les électeurs de l'opposition auront le choix. Ceux, dont je suis, qui sont franchement, et depuis toujours, convaincus du nécessaire engagement européen de la France, auront une liste pour laquelle voter.

Mais nous comprenons très bien que d'autres expriment un sentiment différent.

Q - Mais, pour gouverner, si vous gagnez les prochaines législatives, il faudra bien bâtir une plate-forme européenne commune…

On s'est déjà trouvé dans cette situation, par exemple entre 1995 et 1997. J'étais ministre des affaires étrangères et j'ai travaillé avec le Président de la République y compris sur les affaires européennes. Il n'y a jamais eu le moindre problème. Par conséquent, je tiens à dire que, dans le débat interne à l'opposition, il faut absolument tenir le Président à l'écart. Ce serait le desservir, et ce serait affaiblir l'opposition.

Q - Certains pro-européens ne se trompent-ils pas sur la construction européenne en s'imaginant qu'elle pourrait se faire comme la France elle-même s'est construite ?

Il ne s'agit pas de construire une nation européenne qui avalerait en quelque sorte les nations existantes. Je ne souhaite pas voir renaître une sorte de nationalisme à l'échelle européenne. Nous n'avons pas à faire les « États-Unis d'Europe » pas plus que l'« Europe des parties ». Ce que nous recherchons est une création originale qui servira, et sert déjà, de modèle aux autres continents.

Q - Aurez-vous des propositions concrètes à faire pendant la campagne européennes ?

Oui, j'en ai quatre. 1) L'Europe doit être l'Europe du plein emploi. Les chefs d'État et de gouvernement de l'Union doivent s'entendre sur un projet commun au service de l'emploi. Avec une stratégie fondée sur la réduction des charges et des impôts en Europe. 2) La drogue, le crime organisé, les mafias menacent la vie quotidienne des citoyens. Contre ces sources d'insécurité, l'Europe doit agir d'un commun accord. C'est pourquoi je propose la création d'un FBI européen, c'est-à-dire d'un corps de police européen qui assure la coordination des polices nationales. 3) Pour sortir les universités de leur cadre national, je suggère que soit élaboré un statut des universités européennes. 4) La connaissance des langues est une question cruciale en Europe. Il serait bon que les Européens s'entendent pour faire apprendre la première langue étrangère dès l'âge de 5 ans, la deuxième dès l'âge de 10 ans. Si une règle de ce type se généralisait en Europe, dans vingt ans, tous les Européens pratiqueraient une ou deux langues étrangères, ils auraient tous le moyen de se comprendre.


VALEURS ACTUELLES: 6 février 1999

Q - Que va-t-il se passer dimanche à Bordeaux ?

H. DE CHARRETTE. Deux choses : l'UDF va présenter ses idées pour l'Europe, et notre convention, qui doit réunir environ mille cinq cents délégués, va se prononcer par un vote sur une motion donnant aux dirigeants de l'UDF et à son président, François Bayrou, le mandat d'organiser une liste autonome pour les élections européennes du 13 juin.

Q - Il n'y a pas beaucoup de suspense…

S'il n'y a pas de changement dans l'attitude de nos partenaires, non. Je veux toutefois redire ici que nous étions très favorables, et moi le premier, à l'idée d'une liste commune de toute l'opposition. Je pensais que c'était plus que souhaitable, à l'heure où l'objectif numéro un de l'opposition est de reconquérir le coeur de tous les Français.

Les circonstances ne l'ont pas permis. Le comportement de nos partenaires au cours de ces dernières semaines, en particulier d'Alain Madelin et de Philippe Séguin, a accrédité l'idée que le RPR et Démocratie libérale voulaient faire liste à part. Toutes ces attaques parfois très virulentes, à l'encontre de l'UDF ont créé un climat négatif : non seulement il n'y avait pas de porte ouverte, mais on nous claquait la porte au nez ! Dans ces conditions, puisqu'on l'y pousse, l'UDF doit se saisir de ces élections pour affirmer ses convictions européennes traditionnelles. Je rappelle qu'il ne s'agit pas de changer le pouvoir à Paris, mais de désigner nos parlementaires à Strasbourg.

Nos électeurs vont avoir le choix entre une liste Pasqua, clairement antieuropéenne, notre liste, qui sera tout aussi clairement pro-européenne, et une liste Seguin-Madelin qui ressemble tout de même beaucoup, sur la question européenne, à une alliance de la carpe et du lapin. Encore une fois, je regrette l'absence d'union. Mais il n'y a pas non plus matière à en faire une tragédie.

Q - A droite, certains accusent les centristes d'être des traites en puissance, déjà prêts à imaginer, au soir du 13 juin, une recomposition politique avec les socialistes…

L'UDF est un parti du centre-droit, qui appartient très clairement à l'opposition au gouvernement de la gauche plurielle, et qui par tous ces fibres est attaché à l'idée de faire gagner le camp des modérés. Nous n'avons d'ailleurs donné aucun signe qu'il pouvait en être autrement.

Certes, au sein de l'UDF coexistent deux traditions politiques : celle des centristes démocrates-chrétiens, qu'incarne François Bayrou et celle des libéraux et des modérés. Vous observerez que ces derniers sont plus nombreux aujourd'hui, au sein de l'UDF, qu'au sein de Démocratie libérale. J'ai pour objectif de représenter cette sensibilité. Accuser ce parti politique-là, qui est le rassemblement du centre-droit et du centre, et qui existe depuis plus de vingt ans, d'avoir l'idée de trahir son camp, c'est lui faire un mauvais procès, avec une absolue mauvaise foi ! C'est pourquoi je réclame un code de bonne conduite entre les trois listes qui se réclament de l'opposition, celle de l'UDF, celle du RPR et celle de Charles Pasqua, pour que nous restions des partenaires et que nous ne devenions pas des adversaires aux yeux de nos électeurs. Au-delà des sensibilités différentes, notamment sur l'Europe, notre objectif principal reste commun : battre les socialistes lors des prochaines grandes échéances nationales !

Q - C'est ce que vous disiez déjà avant l'été, au moment de la création de l'Alliance pour la France. Or, après le récent épisode rhônalpin, on peut penser que cette Alliance a vécu…

C'est aussi mon avis. Et je pense qu'il faudra refonder une nouvelle Alliance, sur des bases différentes, en tirant les leçons du passé. Je trouve que l'opposition ne joue pas assez collectif : elle gagnerait à donner un peu moins de place aux ambitions personnelles, et un peu plus à notre destin commun.
Q -
Si votre code de bonne conduite ne rencontre pas d'échos chez vos “partenaires”, envisagez-vous de lancer un appel solennel à Jacques Chirac pour qu'il siffle la fin des hostilités ?

Il faut le laisser en dehors de cette affaire. Nous ne pouvons que nous féliciter, depuis que Jacques Chirac est à l'Elysée, de la ligne de conduite européenne qu'il a choisie, qui est conforme aux convictions de l'UDF. Il faut arrêter de lui demander d'intervenir en permanence dans la vie quotidienne des forces politiques de droite. Nous devons nous comporter en adultes. Et résoudre nos problèmes en apprenant à nous respecter. Il est hors de question d'impliquer le Président de la République dans ce débat électoral qui n'est ni de sa responsabilité ni de son niveau. A mon sens, ceux qui essaient de l'y entraîner ne le servent pas, mais au contraire le desservent.

Q - Visez-vous vos “partenaires” du RPR et de DL ?

Vous m'avez parfaitement compris. Je vise en particulier Alain Madelin, dont les déclarations intempestives et provocatrices contribuent de manière presque quotidienne à diviser l'opposition.

Q - Quelles vont être les lignes de fond de votre programme européen ?

Nous avons plus que jamais besoin de développer un vrai projet libéral européen. Aujourd'hui, la gauche triomphe dans treize pays de l'Union sur quinze. On nous annonce une future majorité de gauche au Parlement européen, et probablement demain un successeur de gauche au président de la Commission de Bruxelles. C'est contre cela qu'il faut se battre : désormais le débat n'est plus entre les anti et les pro-européens, mais entre les européens de gauche et les européens de droite. Et nous, nous sommes les européens de la droite et du centre-droit !

Notre objectif est donc de remporter le 13 juin, au Parlement de Strasbourg, une majorité de la droite et du centre pour défendre les idées libérales. Or aujourd'hui, face aux Allemands et aux Espagnols, les élus français de droite au Parlement européen sont à la fois les plus dispersés, les plus divisés et parmi les moins présents. Il faut en finir avec de tels records.

Il faut aussi parler à nos électeurs de ce qui les intéresse, c'est-à-dire leur proposer des projets simples et pratiques.

Par exemple
Je défends l'idée, entre autres, que l'Europe ne peut pas se désintéresser de l'emploi. Nous devons développer un projet économique et social européen, fondé sur la baisse des charges et des impôts.

A l'UDF, vous savez que nous sommes très attentifs à la situation des cadres et des classes moyennes, qui sont les victimes désignées de tous les dysfonctionnements de la République. Quand il y a de la paperasserie supplémentaire ou des impôts nouveaux, c'est toujours pour eux. Quand il y a des prestations ou des allocations nouvelles, ce n'est jamais pour les classes moyennes. Depuis des lustres, la gauche tape sur la tête d'une seule catégorie sociale, sur laquelle repose pourtant le dynamisme de la nation. Pour mieux les défendre, il faut que nous soyons en position de force au Parlement européen. Mon combat, c'est celui de la France des classes moyennes !