Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, dans "Valeurs actuelles" du 13 février 1999, sur la stratégie électorale de Démocratie libérale, notamment son alliance avec le RPR, et le positionnement de Démocratie libérale face à la droite et à "l'humanisme libéral".

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Valeurs actuelles. - L'UDF prépare sa liste aux européennes, DL va faire la sienne avec le RPR et les grands leaders n'ont plus qu'une expression à la bouche : « la droite plurielle ». N'est-ce pas plutôt l'éternel retour du démon de la division ?

J.-P. Raffarin. - il est vrai qu'il est urgent de pacifier l'opposition. La droite plurielle, ce doit être la droite pacifiée. C'est possible, me semble-t-il, dans la mesure où les torts sont partagés. La droite RPR-DL a eu tort de diaboliser le centre dans l'affaire Rhône-Alpes. Et le centre a eu tort de vouloir faire croire qu'il existe deux lignes européennes au sein de la majorité présidentielle.
Sur un terrain de foot, on dirait : match nul. Il est donc possible de relancer une partie pour construire une nouvelle attitude d'union. Faisons-en sorte que la campagne européenne n'étouffe pas cet espoir, qui reste très présent chez nos électeurs. Il s'agit de notre premier devoir et d'une mission essentielle pour le président de l'Alliance…

Valeurs actuelles. - Vous avez été le premier à dire que son lancement était « un pétard mouillé ». Ne faites-vous pas partie de ceux qui pensent qu'elle a vécu ?

J.-P. Raffarin. - Ce qui est sûr, c'est que l'union n'est pas morte. L'heure de vérité sonnera le 13 juin. Certes, il y a des risques. Dès le départ, l'Alliance a péché par manque de sincérité, en obéissant à des considérations tactiques. Il n'empêche que nos électeurs réclament ardemment l'union. Et que Philippe Séguin, en tant que président du parti le plus important, est aujourd'hui en position de porter ce projet d'union, de rénovation et d'ouverture de l'opposition. Ce qui veut dire que, pour gagner, Séguin doit veiller à ce que le RPR ne cannibalise pas la campagne. Le RPR ne gagne que quand il est capable de s'ouvrir…

Valeurs actuelles. - Mais vous, à titre personnel, vous sentez-vous toujours bien à DL ? Ne craignez-vous pas que son espace politique se réduise au point d'être finalement absorbé par le mouvement gaulliste ?

J.-P. Raffarin. - DL n'est pas née avec un territoire. DL est une famille politique pluraliste, dont la mission première est d'injecter des idées neuves. C'est comme cela qu'elle se créera son espace. L'important c'est de sortir de cet antagonisme UDF-RPR que l'on veut à nouveau nous imposer et qui est source de trop d'échecs passés. L'ambition première de Démocratie libérale est précisément « d'archaïser » ce match UDF-RPR. Autrement dit DL, c'est Astérix. Pour avoir consulté toute la collection au Centre national de la bande dessinée, je peux vous dire que j'ai rarement vu l'histoire tourner au désavantage d'Astérix.
Pour ma part, j'appartiens à la famille des humanistes libéraux. Et je pense que les membres de cette famille, qu'ils soient adhérents à DL ou représentants de la société civile, doivent se retrouver à parité dans la liste de l'union aux européennes.

Valeurs actuelles. - Tout de même, vous avez été un des premiers à vous féliciter de l'élection d'Anne-Marie Comparini en Rhône-Alpes, alors qu'Alain Madelin dénonçait un « coup monté ». N'êtes-vous pas tenté de rejoindre l'UDF libérale et sociale de François Bayrou et d'Hervé de Charette ?

J.-P. Raffarin. - Autant je n'accepte pas l'attitude de mes amis au sujet du dossier Rhône-Alpes, parce qu'à mes yeux il est coupable d'abandonner des présidences de région aux socialistes, et en tant qu'homme libre je dis qu'il y a là une erreur politique, autant sur le dossier des élections européennes je me sens à l'aise à l'intérieur d'une liste dont le projet est l'union et la rénovation de l'opposition.
Je regrette que l'affaire rhônalpine ait déteint sur la question de la liste aux européennes. Mais je ne veux pas refaire un choix du passé et retourner dans l'antagonisme UDF-RPR. Je cherche à décloisonner l'opposition, pas à recréer de fausses chapelles. Ce que j'apprécie dans Démocratie libérale, c'est la liberté de parole. Et je compte sur DL pour être un moteur d'avenir.

Valeurs actuelles. - Trouvez-vous qu'Alain Madelin est sur la même longueur d'onde ?

J.-P. Raffarin. - DL a deux visages : un visage de droite et un visage libéral. Beaucoup, à DL, veulent faire la course à droite. Je crois que cette course-là n'est pas gagnante. Je pense que son avenir se trouve davantage dans l'humanisme libéral que dans un positionnement à droite, qui ne me semble pas politiquement créatif.
Il suffit de regarder notre société pour voir qu'elle est complètement embourbée dans ses paralysies. Il lui faut un coup de neuf et un coup de jeune, il lui faut plus de décentralisation, plus de liberté, plus d'entreprises, plus d'énergie, plus d'oxygène. On ne trouvera pas les solutions d'avenir pour la société française dans les schémas du siècle qui s'achève. De ce point de vue, je crois qu'Alain Madelin est un inspirateur d'avenir. C'est ce Madelin-là qui m'intéresse.
Concernant l'Europe, je suis convaincu qu'il s'agit désormais d'un dossier de politique intérieure. Dans cette campagne électorale qui s'annonce, il me semble important qu'entre les eurosceptiques et les théoriciens, Madelin et Séguin parviennent à montrer que l'Europe représente l'espace naturel de notre avenir et qu'il est indispensable de travailler à la cohérence de nos choix nationaux et de nos choix européens.

Valeurs actuelles. - À qui pensez-vous quand vous parlez de théoriciens ? À l'UDF ?

J.-P. Raffarin. - Comme je vous l'ai dit, les centristes ont tort de vouloir faire croire aux Français qu'il existerait deux lignes politiques européennes au sein de la majorité présidentielle, alors qu'il n'y en a qu'une : celle que propose au pays Jacques Chirac, tout comme Philippe Séguin d'ailleurs, auquel on intente des procès injustifiés. Je n'ai pas eu le sentiment que le débat européen était un clivage entre Alain Lamassoure et Michel Barnier ou entre Alain Juppé et François Bayrou, lorsqu'ils ont gouverné ensemble. C'est pour cela que, à mon sens, la liste d'union la plus large était le scénario naturel