Message de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur la démographie et le développement, notamment la sécurité alimentaire, le problème de l'eau et le rôle des femmes et de la démocratie dans le combat pour la maitrise démographique, Paris le 22 septembre 1997.

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Circonstance : Rencontres parlementaires francophones sur les politiques de population et l'aide internationale, à l'Assemblée nationale le 22 septembre 1997

Texte intégral

Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires et chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir ici, en mon nom personnel et, bien sûr, au nom de l’ensemble des députés.

Heureux d’abord de recevoir des hôtes éminents, venus de tous les horizons de la francophonie, ce vaste continent linguistique. Hommes politiques exerçant de hautes fonctions exécutives ou parlementaires, responsables d’organismes internationaux, universitaires, chercheurs, votre présence témoigne de la vigueur de notre langue commune dans un domaine, celui de la science, ici la démographie, dont trop souvent, on la dit absente.

Heureux aussi de voir que vous avez choisi l’Assemblée nationale pour vous assembler, discuter, réfléchir. Cette maison est celle des citoyens français, mais elle est également celle de la République et de la démocratie. Elle est naturellement ouverte sur le monde. Comme il y a deux cents ans, on y parle de droits, de libertés, de garanties. À ce titre, elle est aussi la vôtre. Mais c’est également devant votre savoir, votre expertise, vos connaissances qu’elle ouvre ses portes. J’en suis profondément convaincu, il est plus que jamais nécessaire que tous les problèmes contemporains y soient évoqués pour que sa réflexion sur la société française et son travail législatif puissent s’appuyer sur une analyse précise des réalités dans lesquelles s’inscrit aujourd’hui notre pays. Notre Parlement, s’il sait entendre les autres, comprendre la diversité des intelligences et des expériences peut contribuer à organiser cet échange d’idées qui fait que l’humanité est une et universelle. Il est bien de douter. Il est beau de recevoir. Confronter nos opinions nous fera tous progresser. De cette certitude, j’en déduis une seconde. Je suis sûr que vos débats seront enrichissants pour la représentation nationale de la République française.

Je voudrais donc remercier les organisateurs de ces journées, en particulier le professeur Dubernard, tous les sénateurs et députés qui ont œuvré avec lui à la préparation de ce colloque, l’Assemblée internationale des parlementaires de langue française, qui lui apporte son parrainage, tous nos amis ici présents qui ont accepté de participer à ces échanges et les nourrir de leur compétence et de leur dynamisme.

Le thème dont vous allez débattre pendant ces deux journées fait partie de ces sujets qu’on tend trop souvent à perdre de vue précisément parce qu’ils concernent des phénomènes majeurs mais non spectaculaires, ne se prêtant pas à la mise en image frappante qui trop souvent conditionne aujourd’hui l’attention des médias et donc des opinions. La trépidation de l’actualité s’intéresse trop souvent à l’écume des choses. Elle ignore le mouvement du monde. L’histoire avance, la géographie se transforme, la science progresse et nous cherchons dans des faits divers un sens à notre vie. Quelle ironie !

Pendant ce temps la maîtrise des évolutions démographiques demeure un facteur  prépondérant du développement et de la lutte contre la pauvreté – et nous ne nous y intéressons pas assez.

La lecture attentive du dernier rapport mondial sur le développement humain publié par le PNUD est sur ce point particulièrement instructive. Certes on est fort heureusement amené à relever parmi les données actuelles des éléments positifs : au cours des trois dernières décennies, les pays en développement ont vu l’espérance de vie de leur population augmenter de 17 ans, la mortalité infantile diminuer de moitié, la malnutrition à baisser d’un tiers ; les trois quarts des familles y ont accès à l’eau potable et peuvent envoyer leurs enfants à l’école primaire. Autant de résultats remarquables et qui doivent inciter à l’optimisme, et surtout à ce que j’appellerai l’optimisme de la volonté : des progrès sont effectivement possibles, et il faut donc persévérer dans les efforts de tous.

Pourtant, si le pourcentage de ceux qui, sur notre planète, vivent dans un insupportable état de précarité à diminué, la croissance démographique mondiale fait que leur nombre en termes absolus n’a pas cessé d’augmenter : on estime à 1,3 milliard le nombre d’humains vivant dans la pauvreté absolue. 800 millions de personnes souffrent de malnutrition et au moins autant d’adultes sont analphabètes. Et je ne parle pas de l’ostracisme technologique ou scientifique qui les écarte des progrès de l’humanité.

Nous assistons donc à une sorte de course entre l’amélioration du sort des hommes et l’augmentation de leur nombre. Recevant il y a quelques jours M. Diouf, directeur général de l’organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture, pour évoquer avec lui les questions de sécurité alimentaire, j’ai été frappé par l’incidence dans ce domaine des tendances démographiques.

Leur impact se fait sentir sur la disponibilité des ressources. Je songe en particulier aux ressources en eau, qui seront un des grands enjeux du siècle à venir et peut-être un facteur de guerre comme on le constate déjà au Moyen-Orient, en Asie, en Amérique du Sud. Elles seront pleines de conséquences sur l’évolution de notre environnement, sur les niveaux de nuisance et de pollution qui tortureront notre planète. Et n’en oublions pas non plus les conséquences politiques : chacun sait que parmi les causes des tragédies qui ont endeuillé l’Afrique centrale, la région des grands lacs, le facteur démographique, le déséquilibre entre population et terres disponibles, a joué son rôle.

Ce serait bien sûr un contresens de faire porter aux seuls problèmes démographiques, à l’inadaptation des politiques de population dans telle ou telle partie du monde, tel ou tel pays, la responsabilité exclusive ou principale des difficultés rencontrées. Le rapport que j’ai cité montre au contraire que les origines fondamentales des retards de développement, de la pauvreté, se trouvent bien davantage dans les modèles économiques et sociaux aujourd’hui dominants, dans les rapports toujours déséquilibres et inéquitables entre catégories de pays, dans l’insuffisant effort de solidarité à l’échelle mondiale.

Il n’en est pas moins vrai qu’aucun développement durable ne peut être obtenu sans adaptation des schémas démographiques.

L’expérience, l’Histoire montrent que démographie et développement sont indissociables. La maîtrise démographique est souvent la résultante de la croissance qui en fournit les moyens économiques et rend les structures sociales plus harmonieuses, plus apaisées. En sens inverse, la maîtrise démographique est indispensable au développement, et ses avancées sont la manifestation d’une transformation des mentalités, d’une amélioration des modalités d’organisation collective, qui profite à la croissance. La manifestation même du cercle vertueux !

Mais il est des conditions qui en fournissent l’apparition et on ne saurait trop insister sur le rôle primordial des femmes dans l’adoption de nouveaux comportements. C’est dans la mesure où les femmes sont conscientes et libres, qu’elles ont la possibilité concrète de l’être, par l’éducation, le statut juridique, les moyens sanitaires, qu’elles peuvent, elles d’abord, changer les choses. Le combat pour la maîtrise démographique, pour le développement, passe par la libération et la promotion de la femme. C’est un point central et je ne voudrais pas qu’on l’oublie. Parité et égalité sont des mots qu’on a du mal à prononcer sur les rives de la Seine, de l’Amazone, du Sénégal ou du Mékong.

Autre point essentiel, je manquerais cependant de franchise et ne serais pas dans mon rôle si je n’ajoutais pas immédiatement qu’au couple démographie/développement il faut ajouter un troisième partenaire : la démocratie car elle est génétiquement porteuse de solidarité, d’efficacité et de responsabilité.

Néanmoins il serait trop facile et bien égoïste de faire semblant de croire que promotion de la femme et progrès de la démocratie suffiront à eux seuls à résoudre tous les problèmes. Notre planète meurt des déséquilibres Nord/Sud et pour moi le mot déséquilibre a ici un synonyme parfait : le mot inégalité. Être fidèle à ce à quoi je crois, c’est aussi lutter contre cette inégalité-là !

Le sujet de vos assises est donc aussi complexe qu’il est important. C’est la règle. À grandes causes, grandes questions. Vos travaux en aborderont toutes les dimensions, en faisant une large place aux problèmes africains, ce dont je me réjouis. Je suis sûr que de la confrontation des analyses, des propositions des uns et des autres, surgira une approche plus fine des principes et des méthodes d’action.

Je sais que votre rencontre, au-delà de cette recherche commune, a aussi pour finalité de mieux faire prendre conscience aux responsables, en premier lieu à ceux des pays francophones, des problèmes à affronter et des voies à suivre. Je tiens à vous assurer que les préoccupations qui vous réunissent pour ces deux journées sont partagées par les députés français.

En vous renouvelant tous mes vœux de bienvenue, je vous souhaite plein succès dans vos travaux. Je vous remercie.