Interview de M. Alain Madelin, vice-président du PR, dans "Libération" du 1er juin 1992, sur l'action pour l'intégration des jeunes de banlieue (à propos du plan banlieues de M. Tapie).

Prononcé le 1er juin 1992

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

LIBERATION. Bernard Tapie, éphémère ministre de la ville, a eu le temps d'annoncer une dizaine de mesures afin de venir en aide aux plus défavorisés. Le regrettez-vous ?

ALAIN MADELIN. La démarche de Bernard Tapie allait dans la bonne direction sur au moins deux points : la participation des entreprises et de la société civile ; l'expérimentation. Il faut, en effet, un traitement économique et pas seulement social des quartiers en crise et introduire des partenaires – les entreprises – qui possèdent cette culture économique indispensable.
Il faut aussi avoir l'honnêteté de dire qu'il n'existe pas de solution miracle. La découverte des bonnes solutions passe nécessairement par un processus d'essais et d'erreurs. Raccommoder un tissu social démaillé ne se décrète pas. L'approche expérimentale que proposait Bernard Tapie s'impose d'évidence.

LLIBERATION. Bernard Tapie souhaitait faire appel aux entreprises ? Le libéral que vous êtes s'en réjouit-t-il ?

A.M. Associer des entreprises, c'est une bonne chose. Encore faut-il ne pas seulement compter sur le civisme ou la mobilisation obligée de quelques entreprises dépendant de l'Etat. Il faut donner aux entreprises un intérêt pour intervenir dans les banlieues.
J'ai proposé il y a longtemps la création de zones défiscalisées dans les banlieues en crise pour favoriser l'implantation d'entreprises et d'emplois, initiative inspirée d'une expérience qui a réussi : les zones d'entreprises. C'est d'ailleurs cette politique qui va être mise en oeuvre aux Etats-Unis à la suite des émeutes de Los Angeles.
Une entreprise qui intervient dans une banlieue, ce n'est pas seulement une source d'emplois : elle greffe aussi une culture, une approche économique sur une culture sociale. Traiter les banlieues en crise exclusivement sous l'angle social comporte des effets pervers qui impliquent des attitudes de dépendance ou de révolte. J'ai, pour ma part, la conviction que les quartiers qui semblent aujourd'hui les plus défavorisés contiennent des ressources souvent en sommeil ou engagées dans des activités illégales qui peuvent être converties en activités économiques légitimes.

LIBERATION. C'est-à-dire ? Pouvez-vous donner un exemple ?

A.M. Je crois à l'intégration par l'économique. L'énergie mise à manager une bande peut l'être aussi à manager une SARL. Nous avons également proposé un statut du travailleur indépendant pour que celui qui s'emploie lui-même bénéficie du dispositif social et fiscal le plus favorisé. Il faut multiplier l'offre d'emplois « différents » : développement d'activités artistiques, sport, services à domicile...

LIBERATION. L'entreprise, l'action économique, est-ce suffisant ?

A.M. Il faut aussi un volet logement et un volet éducation. Le drame du logement social, c'est qu'il n'est pas social. On peut faire du logement social et du logement intermédiaire à meilleur marché en faisant confiance à l'initiative privée grâce à une défiscalisation de l'investissement. Enfin, ouvrir l'école aux parents ou aux entreprises, c'est bien. Leur permettre d'expérimenter de nouveaux types d'établissements scolaires, affranchis d'un certain nombre de contraintes pour mieux s'adapter aux problèmes locaux, ce serait mieux.

LIBERATION. Fallait-il supprimer le ministère de la Ville ?

A.M. Il faut fournir aux acteurs locaux les moyens d'intervention, les outils nécessaires au traitement local des difficultés. Que cela soit fait dans le cadre du ministère de la Ville ou d'une division interministérielle à la ville a au fond peu d'importance. Si on voit des cités exploser, on voit aussi la campagne se vider. S'il y a un ministère de la Ville, il manque alors un ministère de la Campagne.