Interview de M. Bernard Tapie, ministre de la ville, dans "Les Echos" du 27 avril 1992, sur les problèmes intervenus dans ses activités de chef d'entreprise et ses responsabilités politiques.

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Média : Les Echos

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Les Échos : Si vous veniez à être inculpé dans l'affaire Toshiba-France, démissionneriez-vous du gouvernement ?

Bernard Tapie : Vous parlez d'inculpation, on n'en est pas encore là. Dans l'affaire que vous évoquez, qui, je vous le rappelle, remonte à 1985, il s'agit d'un conflit du domaine privé qui ne met pas en cause l'argent public. Seul l'arbitrage d'un tribunal pourra dire qui a raison ou tort dans cette affaire. Sachez, en tout cas, que cette situation ne me pose aucun problème dans ma fonction de ministre.

Les Échos : Vous avez récemment abandonné vos fonctions exécutives à la tête du groupe Bernard Tapie Finance. Est-ce que vous allez mettre encore plus de distance avec vos activités de chef d'entreprise, voire de capitaliste ?

Bernard Tapie : Je me rends compte qu'il y a une totale incompatibilité entre les fonctions politiques, d'une part, et les activités de chef d'entreprise et de capitaliste, d'autre part. Le raisonnement du chef d'entreprise tourne autour de son intérêt vu dans un sens purement égoïste. L'homme politique, au contraire, doit faire abstraction totalement de son intérêt personnel. Si, lorsqu'on est à la tête d'une entreprise, on se met au service des autres, on disparaît Le chef d'entreprise, pour employer une comparaison empruntée au football, c'est un avant-centre à l'affût pour marquer des buts. Mais l'avant-centre peut se retrouver hors-jeu. Quand on est ministre, on n'a pas le droit d'être hors-jeu. Il faut se fixer des règles pour qu'il n'y ait pas d'interférence entre mon ancien et mon nouveau métier. J'ai déjà pris des dispositions en ce sens en abandonnant mes mandats sociaux à la tête de Bernard Tapie Finance et d'Adidas. Je suis désormais dans mes affaires en situation de sleeping Partner.

Les Échos : Est-ce que cela implique une remise en cause du contrôle capitalistique de vos sociétés ?

Bernard Tapie : N'allez pas trop vite. Pour l'heure, le premier dossier que j'ai à régler dans le domaine de mes activités d'industriel, c'est la prochaine échéance de remboursement sur le prêt de 2 milliards de francs que j'ai contractés pour acheter Adidas. L'échéance d'août, qui est la dernière, porte sur 730 millions de francs. Au cours des derniers mois, je vous rappelle que j'ai successivement vendu les raquettes de tennis Donnay pour 100 millions de francs, La Vie Claire pour 130 millions et, très récemment, 1,68 % de TF1 pour 150 millions dont 135 millions revenant directement à mon groupe. Ainsi, quelque 365 millions de francs sont rentrés dans les caisses de BTF. Il reste un peu moins de 400 millions à trouver pour faire l'échéance. Ils proviendront de la vente de la branche pesage de mon groupe, c'est-à-dire les sociétés Terraillon, Testut, Trayvou et la Scaime. Toutes ces cessions auront été réalisées avant le mois d'août. La première devrait être celle de Terraillon pour laquelle un projet de reprise par le personnel (RES) est très avancé.

À partir de là, je voudrais faire observer que je serai le seul de toute cette nouvelle génération de chefs d'entreprise à avoir eu trois vertus. La première est ne jamais avoir eu recours aux subventions de l'État. La seconde de me retrouver propriétaire de 55 % d'un groupe de la notoriété d'Adidas avec un endettement égal à 0. Enfin, d'être majoritaire dans mon groupe BTF à hauteur de 66 % et cela sans étage intermédiaire.

Les Échos : Vous allez donc garder Adidas ?

Bernard Tapie : Ma situation dans Adidas peut évoluer. Mais cette évolution ne sera pas consécutive à l'échéance d'août. Mais entre garder l'entreprise et la céder, il peut y avoir des solutions intermédiaires. Je peux parfaitement conserver l'affaire sans l'exploiter directement.

Les Échos : Une cession de l'activité en licence par exemple ?

Bernard Tapie : Pourquoi pas ?

Les Échos : Et l'Olympique de Marseille ?

Bernard Tapie : Le projet Bredin va permettre de faire évoluer les choses dans le football en autorisant la création de sociétés commerciales. La situation juridique de l'Olympique de Marseille va donc se transformer. Je peux vous révéler que je prépare déjà l'introduction de l'OM au hors-cote de la Bourse de Marseille pour la prochaine saison. Je conserverai 34 % du capital de la nouvelle société, l'association propriétaire du nom en aura 25 % et le reste sera vendu en Bourse.

Les Échos : Quelles seront vos premières orientations dans le domaine de la politique de la ville ?

Bernard Tapie : Des réformes très importantes sont en cours d'élaboration. Je les proposerai au conseil des ministres dans une quinzaine de jours environ.