Interviews de M. Laurent Fabius, premier secrétaire du PS, à TF1 le 24 et RTL le 25 mai 1992, sur son soutien à M. Bernard Tapie après sa démission du gouvernement, et les alliances électorales, notamment avec les mouvements écologistes.

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Média : TF1 - RTL

Texte intégral

TF1 : 24 mai 1992

C. Chazal : Le maire de Montfermeil vous accuse de lâcheté. Vous êtes allé chercher B. Tapie pour les régionales, et vous ne l'avez pas vraiment soutenu...

L. Fabius : Je vais vous dire ma réaction. On a entendu une gamme de réactions qui vont de choses posées, que je partage, à des réactions discutables, et d'autres scandaleuses, en particulier quand certains responsables de l'opposition adoptent un ton polémique. Sur le plan humain, il n'est pas interdit quand même en politique d'avoir une réaction humaine. J'ai appelé B. Tapie hier soir, et je lui ai dit que je comprenais ce qu'il ressentait, parce que ça devait être difficile pour lui, et c'est un homme courageux, combatif, et que je lui faisais un signe d'amitié. Sur le plan politique, P. Bérégovoy et B. Tapie ont eu raison de prendre la décision qu'ils ont prise, parce que la façon dont les choses se déroulaient, je ne vois d'autre position possible. Mais ça n'autorise pas toute une série de commentaires désobligeants qu'on a entendu. Et si vous faites référence aux socialistes, il est parfaitement exact que l'an dernier ou il y a deux ans, il avait été demandé à B. Tapie de venir nous aider dans un combat municipal puis régional. Je trouve qu'il n'est pas correct d'accabler quelqu'un qui est en difficulté, je le dis carrément.

C. Chazal : Vous ne l'avez pas soutenu jusqu'au bout...

L. Fabius : Quand on prend des décisions gouvernementales, c'est le gouvernement qui prend ses responsabilités, et moi je n'ai absolument pas eu à intervenir dans cette affaire, et je n'ai jamais chargé B. Tapie. Ce n'est ni dans mon analyse du problème, ni dans ma façon de procéder. Si on va plus loin, en prenant un peu de distance, il est regrettable que tout cela se passe, c'est évident. Mais, il faut dire que quand un incident regrettable se produit, c'est néanmoins la façon républicaine de régler cet incident. Pour que M. Tapie se défende, faire valoir son droit. C'est impossible de le faire quand il est ministre de la République, il est donc normal qu'il remette sa démission. J'aurais souhaité que dans quelques autres situations, cela se produise. Un ami me disait qu'à Nice, chère à des gens de l'opposition, il paraît que la semaine dernière, un adjoint actuel RPR de la ville a été non pas inculpé mais condamné à la prison pour trafic de cadavres. Il est actuellement en fonctions, adjoint, et il continue.

C. Chazal : Dans le communiqué de Matignon, le Premier ministre laisse entendre qu'il pourrait reprendre B. Tapie quand la justice aura fait son travail...

L. Fabius : Inculpé ne veut pas dire coupable. P. Bérégovoy attend de voir la façon dont les choses évolueront et l'attitude de la justice. À partir d'un incident regrettable, et une situation que personne n'a souhaitée, c'est la démarche normale dans les circonstances anormales, d'un gouvernement.

C. Chazal : H. de Charrette dit que l'exécutif est le vrai responsable, car il s'est porté garant de B. Tapie.

L. Fabius : Comme quoi il y a des fois où quand M. de Charrette s'exprime, il ferait mieux de se taire.

C. Chazal : On a senti une inquiétude au comité directeur sur la moralisation de la vie politique. L. Jospin demande la restauration d'une certaine éthique républicaine...

L. Fabius : On a eu un contraste entre les travaux de notre comité directeur, qui se sont centrés sur la situation du pays, la façon dont on pouvait préparer les prochaines échéances électorales, et la rénovation du parti. Et puis ce qui est venu dans les couloirs, et vous avez montré des reportages et déclarations. Dans les débats du comité, on n'en a pas parlé.

C. Chazal : C'est très présent dans les esprits... Certains socialistes disent que ce qu'il restera du septennat, c'est Maastricht et les affaires...

L. Fabius : Non, peut-être certains disent cela, mais ils ne sont pas socialistes. Je vous donne ma position sur les affaires. À chaque fois qu'il sera manifeste qu'un élu s'est enrichi personnellement, de droite, de gauche ou du milieu, chaque fois, il faut être impitoyable.

C. Chazal : Il faut la démission ?

L. Fabius : Il faut que ces élus soient condamnés. Il faut qu'ils le soient quand il y a enrichissement personnel à partir de deniers publics. C'est inadmissible. Non seulement il faut qu'ils ne soient plus dans les partis auxquels ils appartiennent, mais il faut qu'ils soient condamnés. C'est nous-mêmes qui avons introduit une législation de transparence – quand il n'y avait pas de législation et qu'il y a eu des financements qui avaient pour but une activité politique, il n'y a pas lieu de s'y appesantir. Pour les enrichissements personnels, il faut être impitoyable.

C. Chazal : Vous avez discuté des alliances. Réservez-vous dès le premier tour des postes aux écologistes ?

L. Fabius : C'est possible. Le gouvernement Bérégovoy est en train de faire un bon travail et nous avons le sentiment que dans l'opinion les choses vont mieux. Parce que le travail est sérieux, il correspond aux préoccupations des Français, et parce que les principaux problèmes, emploi, sécurité, solidarité sont pris en compte. On ne sait pas encore si nous arriverons à remonter suffisamment pour l'année prochaine. Nous devons nous préoccuper à la fois de notre programme et de notre stratégie. Nous avons décidé une stratégie de partenariat. Nous allons essayer de rassembler tous ceux qui sont pour le progrès, que ce soient des gens de gauche, du centre, ou des écologistes. Nous allons leur proposer des discussions sur les terrains concrets, c'est-à-dire l'emploi, l'écologie, les transports publics... Nous essaierons de nous mettre d'accord sur les questions de fond qui intéressent les Français, et si c'est le cas, alors nous pourrons discuter tactique électorale. Personnellement, je considère qu'il est tout à fait possible que nous trouvions des accords au plan régional, local, ou national. Mais il faut d'abord avoir la discussion de fond.

C. Chazal : Merci...

L. Fabius : Un petit mot sur l'élaboration d'un contrat-programme que nous allons proposer aux Français : non pas un document à prendre ou à laisser, mais un contrat qui prend en compte les principales priorités de la France, et aussi un renouvellement très profond du PS. Tous les partis vieillissent, le nôtre aussi, et nous allons à partir de juillet mettre en route une organisation dont le fonctionnement sera beaucoup plus démocratique, ouvert sur les problèmes de la société, en phase avec ce qui intéresse les Français. Nous parlons beaucoup des gens. Il faut que nous leurs parlions directement, et que nous soyons à leur écoute avec beaucoup d'humilité. C'est l'idée principale.


RTL : 25 mai 1992

P. Caloni : Avant, il n'y avait rien de mieux que M. Tapie, maintenant quand on va le croiser, on va changer de trottoir ?

L. Fabius : Je ne partage pas cette attitude qui est choquante, puisqu'on est après la démission de B. Tapie et qu'effectivement il y a la curée de la part de beaucoup de gens. Je voudrais saisir cette occasion pour donner un signe d'amitié à B. Tapie, qui est un homme combatif, courageux et qui dans d'autres circonstances a reçu la demande de la part de socialistes, d'aller mener un combat à Marseille, il ne faut quand même pas l'oublier.

P. Caloni : Il a eu raison de partir ?

L. Fabius : Ça ne pouvait pas se passer autrement parce qu'il y a des règles dans la République. À partir du moment où il a des démêlés avec la justice, je crois que, à la fois P. Bérégovoy et B. Tapie ne pouvaient pas prendre une autre décision. Ce qui d'ailleurs souligne l'extrême discernement avec lequel il faut que la justice agisse, parce que ça a des conséquences mécaniques. Mais, il faut n'en tirer aucune autre conséquence.

P. Caloni : Fallait-il le nommer ?

L. Fabius : Au moment où il a été nommé, tout cela n'apparaissait pas, c'est évident.

P. Caloni : Il y a eu un comité directeur.

L. Fabius : La réalité du travail de nos deux jours, ça a été l'examen de la situation, la précision apportée sur notre stratégie pour les prochaines élections, sur le contrat programme que nous allons proposer aux Français, et sur le renouvellement de tout le fonctionnement du PS. Puisque je suis arrivé en disant, il faut renouveler les choses, c'est ce qu'on va faire dès le mois de juillet.

P. Caloni : P. Bérégovoy est à Matignon, vous êtes à la tête du PS, ça peut changer quelque chose pour les législatives ?

L. Fabius : Je crois qu'il faut que le trépied Président de la République-Premier ministre-parti majoritaire fonctionne bien. C'est ce qui se passe en ce moment, et je crois que ça peut être un élément fort de reconquête. Mais pour aller dans ce sens, il faut d'abord que la politique du gouvernement réussisse, et les premières décisions prises sont bonnes et je sens un mieux dans l'opinion. Il faut que le parti socialiste se mette en ordre de marche, d'où les précisions sur la stratégie électorale, sur notre contrat-programme et le renouvellement du PS.

P. Caloni : La stratégie, ce sont les alliances potentielles, avec qui, les écolos ?

L. Fabius : Ce que nous appelons une stratégie de partenariat, avec la gauche puisque c'est notre base, mais aussi avec les écologistes et un certain nombre de personnalités centristes qui partageraient nos choix. Nous allons proposer une discussion au fond aux écologistes, sur les problèmes intéressants, l'emploi, le travail, la vie quotidienne, tout ce qui fait notre vie. Il y aura des éléments d'accord, des éléments de divergence, et si on arrive assez loin dans l'accord, à ce moment on discutera tactique électorale.

P. Caloni : Vous allez leur donner des circonscriptions ?

L. Fabius : Pourquoi pas ?

P. Caloni : Qu'appelez-vous des personnalités issues du centre ?

L. Fabius : Il y en a eu dans le passé, puisque les gouvernements de F. Mitterrand ont compris des non-socialistes. À partir du moment où les choix sont clairs, ce rassemblement peut tout à fait se poursuivre. Nous avons aussi beaucoup parlé du contrat programme que nous allons proposer, nous ne voulons pas d'un catalogue clés en mains, mais d'un contrat à discuter. Depuis dix ans, il y a eu beaucoup de choses bien faites et d'autres qui n'ont pas réussi, maintenant il faut aller plus loin, d'où notre insistance sur une lutte plus affirmée en matière d'emploi, sur ce que nous appelons les sécurités, publiques, sociales, extérieures, un développement des droits et une série de novations pour la période 93-98.

P. Caloni : On parle beaucoup d'un nouveau PS, c'est quoi ?

L. Fabius : C'est un PS qui doit fonctionner différemment, parce que tous les partis vieillissent, le nôtre aussi. Et il faut renouveler tout cela. Nous avons demandé aux socialistes que nous puissions renouveler nos règles. Par exemple, les dirigeants à tous les niveaux du PS vont être désignés autrement, maintenant d'une façon démocratique, y compris moi-même. Autre élément, nous allons nous ouvrir plus vers l'extérieur, autre élément encore, nous allons faire entrer dans notre organisme dirigeant, des responsables européens. C'est-à-dire que nous allons demander à chaque parti socialiste ou social-démocrate de la CEE, de nous désigner un de ses dirigeants pour venir siéger dans notre organisme directeur. Si on veut faire l'Europe, il ne faudra pas simplement la faire le jour où on discute de Maastricht, mais aussi dans la vie quotidienne. Et puis nous allons aussi nous doter d'un échelon de décision au niveau régional, la région a de plus en plus d'importance, maintenant il y aura des unions régionales pour le PS. Le PS reste un PS. Ce que je veux faire avec tous mes amis, c'est bâtir le grand parti de progrès, le grand PS, ou le grand parti social-démocrate de la fin du siècle. Le grand parti de gauche, comme ça existe dans beaucoup d'autres pays européens.