Interviews de M. François Bayrou, président de l'UDF et de Force démocrate, à RTL le 2 mars 1999, dans "Ouest-France" le 13 et dans "Le Populaire du Centre" le 20, sur les relations entre le RPR et l'UDF à l'occasion des élections européennes, la position de l'UDF sur une "Europe fédérative" notamment pour la défense européenne, le conflit au Kosovo, et la PAC.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Le Populaire du centre - Ouest France - RTL

Texte intégral

RTL : mardi 2 mars 1999

Q - Il n'y aura pas de rencontre des leaders de l'Alliance aujourd'hui : pourtant A. Madelin était prêt à vous laisser la deuxième place sur la liste !

- « Aujourd'hui non, mais il y aura une rencontre que j'espère prochaine parce qu'il est naturel et normal que nous nous rencontrions. Naturel et normal que les formations politiques qui composent l'Alliance – UDF et RPR principalement – se rencontrent pour discuter ensemble de l'opposition et de ce que nous pouvons en faire. »

Q - Attendez, si vous êtes vraiment pour l'union, pourquoi ne pas accepter que ce soit le président du parti le plus fort de l'Union, c'est-à-dire le RPR, qui soit la tête de liste ?
 
- « Vous faites, comme on dit chez moi, l'âne pour avoir du son. Vous savez exactement ce dont il s'agit. Dans cette affaire ce n'est pas de politique intérieure principalement qu'il s'agit mais de politique européenne. Nous allons avoir des élections européennes et c'est une occasion unique de parler de l'Europe. »

Q - Vous ne croyez pas que ces européennes soient la préparation aux législatives ?
 
- « En aucune manière. Les européennes c'est l'occasion unique pour les Français d'aborder les sujets de l'Europe que l'on n'aborde jamais avec eux. L'Europe, elle se fait sans qu'ils en soient informés et sans qu'ils aient leur mot à dire. Le seul débat que nous ayons eu sur l'Europe – débat essentiel, très important – c'était le débat de Maastricht où il a fallu décider si nous allions vers une Europe à monnaie unique, c'est-à-dire vers une Europe qui s'intégrerait ou si au contraire, nous resterions dans l'Europe comme elle était autrefois. »

Q - Alors vous avez des divergences de fond avec le RPR sur ce sujet ?

- « Mais bien sûr, il y a des options différentes. D'ailleurs, je n'en fais pas un drame parce que je trouve que ces options sont également estimables. Notre vision à nous c'est que l'Europe, si elle en reste où elle est, risque d'échec. Et tout le montre, parce qu'avoir une monnaie est une condition nécessaire mais cela ne suffit pas. En face d'une monnaie, il faut avoir la capacité d'exprimer une politique, de fendre un projet social, il faut avoir la capacité d'avoir un jour une politique étrangère commune ou une politique de défense commune. »

Q - Parlons de cela justement : P. Séguin, samedi dernier disait : « un président de l'Europe qui pourrait être d'une autre nationalité que Française, hollandais par exemple. » Imagine-t-on que ce président de nationalité hollandaise dise aux soldats français allez-vous faire tuer au Kosovo ?

- « Actuellement les soldats français, c'est sur commandement américain qu'ils sont n'est-ce pas ? Alors c'est très simple. Le Kosovo c'est grand comme un département français, c'est grand comme le département de la Gironde et pour essayer de faire entendre la voix de la raison au Kosovo, ce sont les Etats-Unis d'Amérique qu'il faut aller chercher, c'est Mme. Albright, secrétaire d'Etat américain. Autrement dit, c'est étaler les faiblesses et les impuissances de l'Europe. Ces faiblesses et ces impuissance-là, chaque jour, elles font qu'un déséquilibre s'établit ou se renforce à la surface de la planète et que, naturellement, il n'y a qu'une super puissance – la super puissance américaine –, qu'une logique – la logique des marchés – et au bout du compte que notre société est en recul ou risque d'être en recul. Ou bien nous voulons – le XXIème siècle arrive – que l'Europe existe. Si nous voulons que l'Europe existe. Si nous voulons que l'Europe existe, eh bien il faut que nous en ayons une vision nette. Notre vision à nous, est pour reprendre le mot de Giscard, « une Europe fédérative », c'est-à-dire on voie de constituer un ensemble où sur les points les plus importants nous serons capables de décider et où les citoyens sauront qui décide. Et une démocratie européenne à l'intérieur de laquelle il y aura, en effet, un président pour faire pendant au président américain. Autrement, nous allons continuer comme on l'a vu. »

Q - Attendez, Europe fédérative : aujourd'hui il y a des divergences fortes entre l'Allemagne et la France sur le financement de l'Europe et puis d'autres pays européens : dans une Europe fédérative comment seraient défendus les intérêts français ?

- « Comme ils le sont aujourd'hui mais il y aura une autorité politique commune, reconnue et capable de faire échec à ce qui se passe aujourd'hui. Vous avez mis le doigt sur la faiblesse de l'Europe. La PAC c'est exactement l'exemple, sur le dos des agriculteurs français, de cette logique des intérêts égoïstes des Etats dont je considère qu'elle tue l'Europe pour deux raisons. Vous savez comment l'Europe se finance : elle se finance par un chèque de chaque Etat et désormais la loi, la règle que Mme Thatcher a la première introduite depuis longtemps c'est : à chacun son chèque ; c'est-à-dire si je donne 1000 francs je veux que mon pays reçoive 1000 francs. »

Q - Alors avec votre système ce sera différent ?

- « Attendez : vous vous rendez compte qu'un budget extrêmement : faible où chaque Etat exige de recevoir ce qu'il donne, eh bien c'est la fin de l'Europe. Et la raison pour laquelle les agriculteurs français sont, aujourd'hui, coincés et se voient, en effet, menacés d'avoir une politique agricole qui ne serve plus leurs intérêts, parce que chacun dit : il ne faut plus de politique qui puisse servir le voisin. »

Q - Vous croyez vraiment que les agriculteurs français seraient prêts à vous entendre aujourd'hui si vous leur dites : ayez plutôt un président européen qui défendra mieux vos intérêts que le gouvernement Français ?

- « Les intérêts des agriculteurs français seront défendus toujours par le Gouvernement français. On n'est pas en train de faire les Etats-Unis d'Amérique. On est en train d'essayer de trouver une Europe qui est enfin la possibilité de se faire entendre et qui ait une politique lisible pour les gens. Aujourd'hui, si vous demandez aux Français ne serait-ce que le nom du. Président de la Commission européenne : est-ce qu'ils le connaissent ? A 90 % je parie que non. Cela signifie que nous sommes dans une Europe où la démocratie n'existe pas et quand la démocratie n'existe pas, l'efficacité politique n'existe pas non plus. Donc, la construction d'une Europe capable d'avoir une politique qui s'impose aux intérêts égoïstes des Etats, cela me paraît nécessaire. Cela ne veut pas dire qu'il ne faudra pas défendre les agriculteurs français. Evidemment que le gouvernement français défendra les agriculteurs français. Mais il aura un interlocuteur qui aura le sens de l'intérêt général et pas seulement en face de lui le Gouvernement allemand. »

Q - Quand L. Jospin dit, hier, à Milan, au Congrès du PS européen : c'est une occasion, de mettre l'Europe à gauche, vous, vous n'affaiblissez pas l'opposition en constituant votre liste ?

- « Non, je pense qu'il y a trois listes à gauche et tout le monde s'en porte très bien. Il faut que les options européennes de chacun se fassent entendre. Est-ce qu'on peut arrêter de sortir de cet infantilisme, cette béatification dans laquelle on considère que les élections européennes sont une affaire de politique intérieure dans laquelle on considère que les Français ne sont pas assez grands pour qu'on leur parle de ce qui va être l'essentiel de leur avenir. La question des questions : il me semble que le devoir des responsables politiques s'ils croient à quelque chose, s'ils ont des tripes, c'est de commencer à. dire : prenons le sujet européen les yeux dans les yeux et essayons de voir ce que nous voulons faire de l'Europe. Mettons nos idées au clair et je crois que la démocratie et l'Europe y gagneront. »


Ouest-France : samedi 13 mars 1999

Q - L'opposition peut donc être unie pour toutes les élections, sauf pour les européennes !

L'opposition a un immense besoin de renouvellement, de respiration, de méthodes nouvelles. Les européennes sont la seule et unique occasion de faire passer ce souffle nouveau. C'est une élection sans risque, puisqu'elle ne change ni la majorité ni le gouvernement, et puisque chacun fait ses sièges. Au soir du 13 juin, nous ferons sans peine l'addition entre la liste du RPR et la nôtre ? Mais nous aurons fait passer un souffle nouveau, des idées claires et franches sur l'Europe et sur l'avenir de la France. Nous aurons fait entendre notre cohérence. L'UDF aura osé être enfin elle-même. C'est une chance que ce débat naisse sur l'Europe, c'est-à-dire sur notre avenir.

Q - S'il existe deux sensibilités sur l'Europe, dans l'opposition, pourquoi pas simplement deux listes : une plus souverainistes (grosso modo le RPR) et une plus fédéraliste (UDF et DL) ?

Oui, cela aurait eu une certaine logique. Mais nous n'avons même pas pu avoir une discussion sur ce sujet. Le RPR nous a communiqué sa décision « non négociable » : une liste unique avec, à sa tête, celui qui a été, ces dernières années, l'adversaire le plus notoire, le plus éloquent et le plus violent de l'idée européenne. Voilà pourquoi, invités à sacrifier notre identité et à piétiner notre fierté, nous avons choisi la liberté et le courage d'être nous-mêmes.

Q - Pour gouverner ensemble par la suite, il faudra bien préparer une plate-forme de compromis sur l'Europe ?

Bien sûr. Mais ne confondons pas : il y a un temps pour les convictions, pour les idées claires, pour une vision de l'avenir, c'est le temps des élections européennes. Le 13 juin, les électeurs ont le droit d'exprimer leur vision et leur préférence. Et il y aura un temps, plus tard, pour préparer ensemble l'alternance. Mais cette alternance sera d'autant plus équilibrée et convaincante que nous aurons su changer les comportements et faire respecter nos convictions. Arrêtons d'avoir peur et assumons ce que nous sommes ! Depuis vingt ans, la timidité de l'UDF, sa difficulté à exister, ont fait que beaucoup de français, de la droit modérée et du centre, se sentent mal représentés. C'est l'opposition tout entière qui en est affaiblie.

Q - Le principal problème de l'opposition n'est-il pas dans son inaptitude à organiser et à faire vivre son pluralisme ?

Bien sûr, et d'abord dans son refus de reconnaître l'égale dignité des courants différents qui la composent. Or, quand on veut représenter 50 % de la France chercher à me faire de manière enrégimentée, sans respecter les différentes sensibilités, c'est courir droit à l'échec. Le XXIe siècle sera celui de la sincérité des convictions et du respect de l'autre. Jusqu'à présent, les femmes et les hommes de cette sensibilité européenne, sociale, décentralisatrice – que l'Ouest connaît bien ! – n'ont pas pu peser sur l'avenir. Cette fois, ils peuvent sans crainte affirmer leurs idées et bâtir une vraie force.

Q - S'il existe des différences substantielles entre la liste RPR-DL et la vôtre sur l'Europe – ce que conteste une notable partie de l'opposition – quelles sont-elles ?

C'est toute la question de l'avenir que, on veut pour l'Europe. Nous proposons d'assumer la réalité fédérale de l'Europe du XXIe siècle. « Fédéral », qu'est-ce que cela veut dire ? Chaque fois que les Etats acceptent de voir un problème géré par une autorité communautaire indépendante, c'est du fédéralisme. Est-on prêt à regarder en face cette réalité fédérale et à exiger qu'elle soit rendue, enfin démocratique ? Pour l'instant, le fédéralisme est clandestin, et il n'y a pas de démocratie. Notre objectif est simple : donner aux citoyens européens le pouvoir qu'on leur refuse sur l'Europe fédérale.

Q - Par quoi, concrètement, cela pourrait-il se traduire ?

Il faut un visage pour l'Europe, un responsable qui puisse peser sur la scène du monde aussi lourd que le président des Etats-Unis. Nous sommes partisans de l'élection d'un président de l'Union, au lieu du président de la Commission, que les citoyens ne connaissent pas. Nous sommes pour une police fédérale qui puisse poursuivre les trafiquants, les mafias, les pourvoyeurs de drogue au-delà des frontières. Nous sommes pour l'harmonisation des charges sociales et fiscales, qui fera baisser les impôts en France et favorisera l'emploi en décourageant les délocalisations.

Q - Les particularismes régionaux qui s'affirment un peu partout sur notre continent sont-ils une bonne ou une mauvaise chose pour l'Europe ?

Une bonne, une excellente chose, pourvu que l'on comprenne que ces identités doivent vivre ensemble et non pas se séparer pour exister. Je suis pour la signature de la charte des langues et cultures régionales. Mais je n'accepte pas que, au nom de l'identité,, on veuille le séparatisme et la rupture. Cela, c'est un danger.

Q - Un pays qui ne contrôle plus ni sa monnaie ni ses frontières, est-ce encore une nation ?

Bien sûr que oui. Une nation, c'est une culture, une langue, un vouloir vivre ensemble, un espace de démocratie. Mais la souveraineté solitaire est un mensonge. Dans le monde des superpuissances, on ne peut se faire entendre et respecter qu'en se groupant. Je ne connais pas d'idéal plus enthousiasmant que celui de construire ensemble une maison commune.

Q - Dans un livre publié cette semaine, évoquant un dernier entretien de François Mitterrand avec des journalistes, l'ancien Président passe en revue – on n'ose pas dire à la tronçonneuse ! – la classe politique. Rares sont ceux qui surnagent. Mais, pour vous, il a des mots qu'on n'attendait pas : « le plus prometteur », « une vraie force d'être ». Qu'en pensez-vous ?

Je pense souvent à François Mitterrand. Je me suis toujours opposé à ses idées et je n'ai pas aimé ses dérives. Mais il y avait en lui un homme pour qui l'humanité n'était pas une équation, un homme qui en avait beaucoup vu et pour qui l'histoire, le fond des caractères était objet d'intérêt et de méditation. Au-delà de la mort, c'est à cet homme-là que je pense.


LE POPULAIRE DU CENTRE : samedi 20 mars 1999

Le Populaire du Centre : Vous êtes dans une région où l'opposition républicaine affiche son unité. Pensez-vous qu'il est encore temps de faire une liste commune avec le RPR et Démocratie libérale ?

François Bayrou : L'opposition doit repenser son organisation. Elle a besoin d'oxygène, d'une bouffée d'air frais qui permette de libérer le débat et les initiatives. La diversité des sensibilités, des identités de chacune des familles de l'opposition est une richesse. La majorité parvient à faire de ses différences, de ses divisions souvent, une force. Tirons-en les leçons et finissons-en avec ces chamailleries qui n'intéressent pas les Français. Dans ces élections européennes, il était indispensable que les partisans de l'Europe puissent se reconnaître dans une liste et franchement et sincèrement européenne. La liste de l'UDF est aujourd'hui la seule capable de porter au plus haut les ambitions d'une Europe démocratique, puissante et solidaire.

Le Populaire du Centre : Estimez-vous, comme d'autres leaders, que la crise de la Commission européenne «  sonne » le réveil de la démocratie ?

François Bayrou : Le 16 mars 1999 est une date qui comptera dans l'histoire de l'Europe. C'est ce jour-là que les citoyens de l'Europe, par la voix de leurs représentants au Parlement de Strasbourg, ont utilisé pour la première fois le pouvoir de contrôle qui leur appartient. Ce mouvement démocratique ne s'arrêtera pas. Je crois que le jour viendra où les peuples réclameront le droit d'élire eux-mêmes les dirigeants de l'Europe. Et cela est très réjouissant. Partout où il y a du pouvoir, il doit y avoir de la démocratie.

Le Populaire· du Centre : La réforme de la PAC menace en particulier les régions d'élevage comme le Limousin. Estimez-vous nécessaire de rééquilibrer les aides entre céréaliers et éleveurs?

François Bayrou : L'une des principales critiques faites à la PAC, c'est justement cette répartition inégale des aides directes. Aujourd'hui, le secteur céréalier reçoit 43 % des aides communautaires, contre 11,5 % seulement pour l'élevage bovin. Un rééquilibrage est donc indispensable. Cela dit, opposer le secteur céréalier au secteur de l'élevage n'a pas grand sens dans la mesure où le prix des céréales, par exemple, influe sur le rapport de compétitivité entre les viandes rouges et les viandes blanches. S'agissant du secteur de la viande bovine, les propositions initiales de la Commission n'étaient pas acceptables. J'ose espérer que le ministre de l'agriculture sera plus vigilant sur ce dossier qu'au moment où il s'est abstenu sur la levée de l'embargo qui frappait les viandes bovines britanniques, alors qu'aucune assurance n'était établie... La force de ce secteur, en France, repose sur l'extrême qualité des viandes que nous produisons. C'est un atout considérable qu'il faut renforcer, en facilitant l'installation et le développement d'entreprises agricoles à taille humaine.

Le Populaire du Centre : En tant qu'ancien ministre de l'Education nationale, quelle est votre appréciation sur les réformes de Claude Allègre ?

François Bayrou : Vous voulez sans doute parler des non-réformes... La seule nouveauté consiste à créer une aide individualisée pour les élèves de seconde en difficulté. C'est intéressant, sauf que cela se fait au détriment du plus grand nombre. A la rentrée 1999 par exemple, la grande majorité des élèves aura une heure et demie d'enseignement en moins dans les disciplines fondamentales comme le français et les maths. Lorsque j'ai créé les études dirigées pour tous les collégiens en 1995, j'ai dans le même temps porté l'horaire de français à 6 heures pour les élèves de sixième. A mes yeux, le vrai problème de l'éducation, aujourd'hui, c'est la maîtrise de la lecture à l'entrée au collège. Toute action devrait être orientée autour de cet objectif : l'illettrisme zéro à l'entrée en sixième. Et sur ce point, le ministre se tait.

Le Populaire du Centre : M. Roland Dumas - Limougeaud d'origine- doit-il selon vous démissionner ?

François Bayrou : Monsieur Dumas doit démissionné. On ne peut pas dans cette affaire se réfugier derrière la présomption d'innocence, car l'enjeu dépasse la seule question de sa culpabilité. Il s'agit de la dignité de la fonction et du caractère insoupçonnable qui doit être la sienne. La plus haute juridiction du pays ne peut pas être plus longtemps si gravement perturbée par les affaires