Texte intégral
Mme Sinclair : Bonsoir.
On peut encore faire de la politique et crever l’écran, c’est le cas de Martine Aubry, vous allez vous en rendre compte tout de suite. Elle est ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle. Elle a des amis, elle a des adversaires, mais personne ne conteste son caractère ou sa compétence.
Le ministère qu’elle occupe, cela fait 10 ans qu’elle en maîtrise les problèmes, d’abord aux côtés de Jean Auroux, puis de Philippe Séguin qui, tous deux la trouvaient : précieuse.
En mai dernier, elle quitte Pechiney pour devenir ministre du gouvernement Cresson, le baptême du feu a lieu deux semaines plus tard, interpellée à l’Assemblée. Martine Aubry répond avec brio et s’impose d’emblée à des parlementaires sceptiques et, on le sait, pas vraiment féministes.
Mais quand il y a plus de 2 700 000 chômeurs, elle a beau travailler dur et aller sur le terrain sans forcément ameuter les journalistes, Martine Aubry est devenue par la force des choses le ministre d’un chômage qui augmente et que la gauche a promis de vaincre.
Martine Aubry, bonsoir.
Mme Aubry : Bonsoir.
Mme Sinclair : Vous allez bien sûr répondre sur l’emploi qui est le premier sujet de préoccupation des Français est qui est l’échec, au fond, de 10 ans de gouvernement, mais aujourd’hui les agriculteurs ont crié leur désespoir dans la rue, à qui la faute si une partie de la population française se sent ainsi abandonnée ?
Mme Aubry : Ce que je retiens aujourd’hui de cette grande manifestation des agriculteurs, ce n’est pas qu’ils aient essayé de nous montrer du doigt des fautifs, des responsables, mais qu’ils ont essayé de montrer, et au Gouvernement bien sûr mais aussi à tous les Français, où étaient leurs véritables inquiétudes voire, pour un certain nombre d’entre eux, leur désespérance, et ils ont bien réussi…
Mme Sinclair : … Ils ont bien défilé à 200 000 pour cela ? …
Mme Aubry : … Ils ont bien réussi à le montrer et je trouve qu’ils ont fait preuve de responsabilité, à la fois de la façon dont ils ont organisé leur manifestation, les contacts ce matin avec la population, j’ai vu, ce matin, des Normands, des Bretons autour de Montparnasse, je trouve que c’est une bonne façon d’aborder le problème, la façon dont ils ont, avec dignité, défilé aujourd’hui et surtout les slogans qui ont été portés par eux. Tout cela montre un grand sens des responsabilités.
Mme Sinclair : Nous allons poursuivre sur l’agriculture. Nous allons regarder quelques images et puis je voudrais vous donner lecture du sondage que BVA a fait sur les événements de la semaine :
Quels sont ceux qui ont marqué le plus les Français ?
La manifestation des agriculteurs : 31 %
Les propos de Valéry Giscard d’Estaing sur l’immigration : 18 %
Les émeutes au Zaïre : 11 %
La révolte des mineurs à Bucarest : 11 %
La mort de Klaus Barbie : 9 %
Les experts de l’ONU retenus par l’Irak : 9 %
La libération d’un otage britannique à Beyrouth : 7 %
Ne savent pas : 4 %
Donc, c’est bien cette manifestation des agriculteurs qui a retenu l’attention. Nous allons regarder tout de suite les images de cette manifestation monstre à Paris avec, dit-on, 200 000 personnes.
Reportage
Mme Sinclair : Précisément, le Parti socialiste n’y était pas, n’était-ce pas l’aveu un peu malvenu d’une responsabilité du sort des agriculteurs ?
Mme Aubry : Ecoutez, moi, je ne prends pas le problème comme cela parce que j’ai toujours considéré que la politique ne devait pas se mêler des mouvements socio-politiques. C’est vrai pour le syndicalisme, je trouve qu’il doit être indépendant…
Mme Sinclair : Vous blâmez les autres politiques d’avoir été dans la manifestation, vous pensez que c’est malvenu ?
Mme Aubry : Chacun fait ce qu’il veut. Moi, en tout cas, ma déontologie, c’est qu’on ne doit pas mêler les mouvements socio-professionnels et les mouvements politiques, après cela, chaque homme politique prend la responsabilité qu’il veut ! Je préfère entendre les organisations syndicales représentatives des agriculteurs, je préfère entendre les agriculteurs qu’entendre des hommes politiques lorsque 200 000 manifestants ou 150 000, nous n’avons pas encore les chiffres, sont dans la rue.
Mme Sinclair : Le problème, ce sont les prix qui s’effondrent. Je ne sais pas si vous avez vu dans Libération il y avait un témoignage - il y en a partout, on en a diffusés sur TF1 aussi -, d’un éleveur de l’Ardèche, hier, qui disait : « quand le veau s’effondre de 1 700 à 1 200 francs en deux mois, lorsque le croisé charolais plonge de 4 000 à 1 800 francs comme cet été et que l’éleveur l’apprend un beau matin dans le journal en buvant son café, il a le choix entre le suicide, la bouteille ou la manifestation. »
Le problème, ce sont les prix. La politique des prix est décidée à Bruxelles, à Douze, la vraie question n’est-elle pas : comment, au bout de 30 ans, la France est-elle arrivée à un système de politique agricole commune qui ne convient pas à la France ? …
Mme Aubry : Là non plus je ne crois pas qu’on puisse dire cela. La France aujourd’hui fait 25 % de la production agricole de la Communauté économique européenne et c’est grâce à la politique agricole commune. Je dirais qu’aujourd’hui elle souffre presque de ses succès. Elle a fait de l’agriculture européenne la plus compétitive du monde. La France elle-même est la deuxième exportatrice du monde, grâce aux efforts de ses agriculteurs mais grâce aussi aux efforts de la politique de soutien des prix.
Aujourd’hui, c’est vrai qu’il faut trouver un nouvel équilibre. Il faut faire bouger cette politique agricole commune, avec un double objectif qui n’est pas facile à concilier :
Maintenir notre compétitivité, notamment par rapport aux autres pays, et il y en a d’autres qui sont compétitifs.
Garder, parce que c’est essentiel pour l’équilibre de notre société et de notre économie, un nombre suffisant d’agriculteurs qui, bien sûr, remplissent leur tâche première qui est celle de produire des produits agricoles dont nous avons besoin, mais qui aussi s’occupent de l’aménagement rural.
Aujourd’hui, d’ailleurs, j’ai été frappée de voir que les organisations syndicales ont elles-mêmes posé le problème de cette manière-là et rendre elles-mêmes dans une logique : nous sommes indispensables à l’organisation d’une société équilibrée entre l’espace rural et les villes.
Je crois que c’est là le vrai problème et que ce problème doit être pris en compte maintenant au niveau européen et pas seulement par le biais d’une politique de soutien des prix qui est la base même de la politique agricole commune.
Mme Sinclair : Le magazine Le Point publie un dossier très complet sur le monde agricole, « il faut sauver les derniers paysans » et il donne quelques chiffres : on dit, aujourd’hui, que 300 000 exploitations hyper-compétitives suffiraient non seulement à nourrir la France mais en plus à être bonnes pour nos exportations. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, comme il y en a un million, c’est une évolution inéluctable et il faut peut-être dire, mais c’est dur à dire, comment dire à des gens qu’ils vont disparaître ? …
Mme Aubry : Je crois justement qu’il ne faut pas que nous arrivions à 300 000 car si nous arrivions à 300 000 l’équilibre entre la ville et les campagnes, ( ???) empêcher que certaines régions soient désertées, faire en sorte que l’entretien des sols, l’entretien des forêts qu’on déjà fait depuis longtemps les paysans puis les agriculteurs, le tourisme, les services ruraux qui doivent créer pour que la population perdure sur l’ensemble du territoire et qu’on ne retrouve comme dans certains pays avec une partie importante en friche. Pour cela, nous avons besoin d’avoir des agriculteurs qui restent sur leur terre et qui puissent vivre et de l’agriculture et sans doute aussi d’autres tâches.
Il y a, aujourd’hui, un million d’exploitations agricoles, elles vont sans doute encore un peu diminuer mais elles ne peuvent pas descendre jusqu’à 300 000. Il faut que nous arrivions à un équilibre autour de 700 000 qui nous permettra d’avoir un espace rural vivant qui est une nécessité pour l’équilibre de notre société et qui permettra aussi à cet agriculteur de vivre de l’agriculture mais aussi des nouvelles tâches qu’il doit remplir et qu’il a appelées de ses voeux aujourd’hui à la manifestation.
Mme Sinclair : Vous êtes arrivée tout à l’heure en me disant, « cela me fait de la peine parce qu’on a tous l’impression que ce sont nos grands-pères qui sont touchés, que ce sont nos familles ». On a l’impression que tout le monde est à l’écoute des problèmes des agriculteurs aujourd’hui, ce qui justifie le bien-fondé de leur manifestation.
N’a-t-on pas une sorte de réveil tardif, on les avait oubliés ?
Mme Aubry : Je ne crois pas qu’on les ait oubliés, je crois simplement que tout le monde a subi des transformations très importantes et eux en particulier. Ils ont accepté de se moderniser, de se restructurer, de changer de mode vie. C’est grâce à eux, aujourd’hui, que nous avons la place que nous avons dans les échanges internationaux au niveau de l’agriculture. On ne les a pas oubliés, on doit les redécouvrir dans une nouvelle forme qu’ils doivent avoir, à savoir encore une fois la production agricole et de nouvelles tâches à remplir qui sont nécessaires collectivement.
Mme Sinclair : Martine Aubry, je vous ai présentée tout à l’heure en disant que vous étiez le ministre de l’Emploi mais en fait le ministre du chômage, on va en parler. En outre, le chômage a baissé de à 0,6 % pour des raisons - vous-même, vous l’avez dit - conjoncturelles, c’est-à-dire que les jeunes se sont inscrits à l’ANPE en juillet plutôt qu’en août traditionnellement.
C’est la première fois qu’on voit un ministre du Travail qui ne se réjouit pas quand le chômage baisse ; dans un premier temps, on a envie de dire « chapeau » et, dans un deuxième, on a envie de dire, « c'est parce qu’elle nous prépare à des lendemains encore pire », autrement dit, les 3 millions de chômeurs, c’est pour quand ?
Mme Aubry : Tout d’abord, je peux vous dire une chose, « C’est que nous faisons tout pour ne pas arriver aux 3 millions de chômeurs », c’est la première chose.
La seconde est que si je ne me suis pas réjouie de la baisse au mois d’août - tant mieux, il y a une accalmie -, c’est parce que j’analyse les problèmes et, aujourd’hui, il faut que les Français sachent que nous savons ce qui se passe, nous maîtrisons, nous ne sommes pas débordés par une vague de chômage qui nous arriverait dessus de cette manière-là.
Nous savons très bien qu’en août moins de jeunes, comme vous l’avez dit, se sont inscrits, ils s’étaient inscrits d’une manière anticipée en juin et en juillet. On sait aussi que de nouveaux jeunes vont arriver de manière très importante aux mois de septembre-octobre sur le marché du travail et qu’on va avoir les conséquences des grands licenciements qui ont été annoncés dans les secteurs en crise. Donc, effectivement, nous avons encore des mois difficiles devant nous en matière de chômage, raison de plus pour ne pas baisser les bras et pour agir, c’est ce que j’essaie de faire.
Mme Sinclair : On va parler des terrains sur lesquels vous agissez, mais auparavant le chômage est tout de même l’échec de la gauche. François Mitterrand avait fait sa campagne, en 1981, sur l’emploi, dix ans plus tard, non seulement il n’a pas diminué mais les tendances sont lourdes et on voit qu’il augmente, 200 000 de plus en un an.
N’est-il pas temps de dire que la gauche s’est trompée de politique ?
Mme Aubry : La question que vous posez n’est pas facile, mais je voudrais d’abord qu’on revienne aux faits.
Les Français savent très bien que le chômage a commencé à augmenter de manière quasi inexorable à partir du choc pétrolier en 1974.
Deuxièmement, ce n’est pas une excuse mais il faut savoir que nous ne sommes pas les seuls à avoir cette situation-là. Vous l’avez dit, ces douze derniers mois, le chômage en France s’est accru de 10 %, mais il s’est accru de presque 50 % en Grande-Bretagne et de 20 % aux Etats Unis…
Mme Sinclair : … Oui, en revanche, nous sommes les seuls à avoir une masse si rigide de chômeurs parce que, chez les autres, quand cela va bien le chômage baisse, quand cela va mal le chômage augmente. Or, nous, nous avons une sorte de masse incompressible de 9,5 % qui fait que, quelles que soient les évolutions, c’est une masse rigide, c’est peut-être justement un souci supplémentaire.
Mme Aubry : Il y a beaucoup de raisons pour cela - on ne peut pas s’y étendre -, mais il y en a une qui est tout de même importante et est un plus pour l’avenir, c’est que nous avons un accroissement de notre population active qui est beaucoup plus important que les autres pays. Chaque année 120 000 personnes en plus qui recherchent un emploi sur notre territoire. C’est un plus pour l’avenir parce que nous ne serons pas un pays qui vieillit, nous aurons des gens pour payer nos retraites - j’espère en nombre suffisant, d’ailleurs -, mais aujourd’hui c’est vrai que cela nous pose problème.
C’est vrai aussi que nous n’avons pas une suffisamment grande mobilité, il y a des gens qui s’enfoncent dans le chômage et c’est la raison pour laquelle je m’efforce, notamment pour les jeunes et pour les chômeurs de longue durée, d’avoir une approche beaucoup plus individuelle pour essayer de les sortir de cette situation.
Je voudrais revenir une minute sur les responsabilités de la gauche. Tout le monde sait dans ce pays que ce n’est pas le Gouvernement qui crée des emplois, ce sont les entreprises qui créent les emplois et ce qu’a fait la gauche pour que le contexte économique soit, aujourd’hui, celui qui est celui de la France, c’est-à-dire un contexte économique où nous avons vaincu l’inflation, 14 % en 1981, moins de 3 % aujourd’hui, nous sommes les premiers des sept pays industrialisés, nous avons un deuxième taux de croissance, nous avons le deuxième taux d’endettement public, tout cela, ce sont des bases solides pour que les entreprises puissent progresser et puissent créer des emplois. Ceci est une action que le Gouvernement a menée depuis 10 ans…
Mme Sinclair : … Je vais vous répondre par un argument qui est parfaitement démagogique, mais aujourd’hui quelqu’un qui est au chômage est-ce que cela lui importe de savoir qu’on a 3 % d’inflation ?
Mme Aubry : Je ne dis pas du tout que ce que je viens de dire va rassurer la personne qui est au chômage, c’est bien pour cela que, moi, sur le terrain, j’essaie d’agir et que je me bats pied à pied pour lutter contre le chômage, mais vous me posez une question qui est la responsabilité du Gouvernement, j’essaie de replacer les responsabilités là où elles sont, mais ceci n’est pas une réponse pour la personne qui, aujourd’hui, nous regarde et est au chômage, et j’espère lui en apporter d’autres.
Mme Sinclair : Justement nous allons en apporter.
Dernier point politique, il y a des budgets gâtés dans le prochain budget du Gouvernement, puis il y en a qui ne le sont pas, vous êtes de ceux qui ne sont pas gâtés, tout le monde a noté que le travail, curieusement, dans un gouvernement de gauche, n’était pas le mieux loti. Cela doit vous chagriner ou est-ce que l’argent pas tout dans le domaine ?
Mme Aubry : L’argent n’est pas tout, certes, il faut de la conviction et de la mobilisation, mais l’argent compte aussi…
Mme Sinclair : … Vous avez hurlé ?
Mme Aubry : Non, non… soyons clairs là-dessus, je considère que j’ai, aujourd’hui, par mon budget et par la partie des fonds qui va être collectée par l’entrée des capitaux privés dans les entreprises publiques et dont le président de la République a dit qu’une partie de ces fonds serait consacrée à l’emploi, j’ai les moyens de faire ma politique.
Là aussi soyons clairs, je suis persuadée qu’aucun des téléspectateurs ne peut croire que parce que j’aurais eu deux milliards de plus sur un budget de 74 milliards que j’aurais trouvé la recette miracle pour lutter contre le chômage. Je dirais même plus si on m’avait donné 10 milliards en me disant, « faites des stages bidons pour placer les gens dans des cases pour qu’ils ne ressortent que plus tard », alors, il ne fallait pas compter sur moi…
Mme Sinclair : … Et on vous aurait accusé précisément de faire des parkings…
Mme Aubry : … De toutes façons, je ne l’aurais pas fait.
Mme Sinclair : Vous êtes partie en guerre contre les patrons qui licencient un peu vite en se débarrassant des moins qualifiés ou des plus âgés. Un patron vous dirait que c’est le bon sens, « quand ça va bien on embauche, quand ça va mal on licencie », vous, vous lui reprochez que ce soit la seule variable sur laquelle il agisse. Sur quelle autre variable un patron, pour qui les affaires ne vont pas bien, peut-il agir ?
Mme Aubry : Si vous me permettez, j’ai été un peu plus nuancée que cela, j’ai dit, « c’est vrai que dans les entreprises on regarde essentiellement la masse salariale comme un élément de souplesse quand les choses vont mal ». Or, aujourd’hui, la masse salariale, dans une entreprise, représente 10 à 15 % des richesses de l’entreprise, de la valeur ajoutée de l’entreprise, cela a représenté 60 à 80 % juste après la guerre. Donc, ce n’est pas la seule variable d’adaptation.
Je n’ai pas du tout voulu remettre en cause les licenciements qui ont lieu actuellement dans un certain nombre de secteurs qui sont en difficulté et qui ont besoin de se restructurer. Ce que j’ai voulu faire, ce sont deux choses :
Notamment aux petites entreprises qui ont un carnet de commandes qui n’est pas mauvais mais qui entendent tous les jours, « il y a 5 000 licenciements dans la sidérurgie, il y en a 8 000 dans l’électronique, etc. », ne baissez pas les bras !… Comme je l’ai dit, tout à l’heure, les caractéristiques de l’économie française sont bonnes, la croissance arrive, ce n’est pas le moment de mettre sur le marché du travail des salariés que vous aurez du mal à retrouver.
Ceci est la première chose que j’ai voulu dire, « ne baissons pas les bras au moment où nous voyons arriver la croissance »…
Mme Sinclair : Vous avez dit aussi que vous surveilleriez de près les plans sociaux.
Mme Aubry : Voilà.
La deuxième chose est qu’il y a manière et manière de remettre de gens sur le marché du travail. Il y a une façon que je considère comme condamnable - notamment pour des grandes
entreprises parce qu’elles ont des responsabilités, elles ont d’ailleurs des responsabilités vis-à-vis des autres entreprises qui financent collectivement l’indemnisation du chômage -, c’est de ne pas mettre sur le marché du travail toutes les personnes âgées de plus de cinquante-cinq ans sans rien leur offrir - cela coûte très cher à la collectivité -, et c’est aussi de trouver pour les salariés des moyens de reclassement, de reconversion pour éviter de les mettre seulement sur le marché avec un chèque en poche en disant « débrouillez-vous, allez vous inscrire à l’ANPE ».
C’est cela que j’ai voulu dire et, là-dessus, j’ai fait appel à la responsabilité des chefs d’entreprise et j’ai, d’ailleurs, été suivi là-dessus par le président du CNPF, donc j’espère que les choses vont s’améliorer.
Mme Sinclair : Si, comme on l’annonce dans la presse, encore une fois, Air France en absorbant UTA licencie 3 000 personnes vous serez choquée ?
Mme Aubry : Je ne serai pas choquée si cela correspond véritablement à une politique industrielle qui a un sens. Je vois le président d’Air France, nous allons en discuter, aujourd’hui, je n’ai pas d’avis. Je ne suis pas choquée quand il y a des licenciements, je souhaite qu’ils aient lieu dans les meilleures conditions possibles et qu’ils n’aient lieu que quand ils sont véritablement légitimes.
Mme Sinclair : Vous avez annoncé, au mois de juillet dernier, des mesures pour l’emploi, il y a un plan emploi qui va venir dans quinze jours. Un mot des mesures annoncées en juillet dernier qui étaient pour rapprocher le traitement de l’emploi des gens. L’individualisation, c’est le maître mot que vous avez à la bouche, c’est-à-dire adapter au cas précis des gens. Avez-vous des résultats au-delà de la conviction que vous savez que c’est le bon chemin ?
Mme Aubry : Moi, ce que j’ai voulu montrer, c’est qu’il n’y avait pas de recette miracle sur le chômage, il n’y a pas de grande idée nationale qui fait que, demain, le chômage va diminuer brutalement, donc j’ai essayé de m’attaquer, point à point, sur l’ensemble des problèmes que nous avions.
Cela fait vingt ans qu’on nous disait, « il y a un vrai scandale en France, il y a des entreprises qui cherchent de la main-d’oeuvre qualifiée, elles ne la trouve pas alors qu’il y a des centaines de milliers de chômeurs », qu’avons-nous fait tout l’été, avec les préfets, département par département ? Nous avons vu les professions et nous avons essayé de savoir, métier par métier, qualification par qualification, où étaient les besoins de main-d’oeuvre ? Nous commencerons les premiers stages pour former les demandeurs d’emploi au mois d’octobre.
Un autre exemple, on nous disait « les PME ont des potentialités de créations d’emplois, elles ne savent pas comment recruter », j’ai demandé à l’ANPE, pendant six mois, d’aller dans les PME, de les aider à recruter, de leur envoyer des demandeurs d’emploi susceptibles de remplir leurs emplois.
Voilà un peu la façon dont on s’y est pris…
Mme Sinclair : … Ca, c’est ce que vous avez demandé, mais qu’avez-vous en retour ? En résultat, ça marche ?
Mme Aubry : Cela commence à marcher. Je vous l’ai dit, les premiers stages se mettent en place, les PME commencent à nous dire quels sont leurs besoins. Je vais continuer à essayer de débusquer l’ensemble des emplois partout où ils sont, y compris ceux qui ne sont pas encore créés, ce sont notamment les emplois qui pourraient répondre aux besoins des familles…
Mme Sinclair : Précisément, il y a un plan emploi qui va être annoncé d’ici une quinzaine de jours, on en connaît en gros les grandes lignes, c’est, d’une part, les jeunes et, d’autre part, les emplois de proximité.
Vous étiez contre le SMIC jeunes, vous avez expliqué que cela ne servait à rien. En revanche, vous pensez qu’en dégrevant les charges des entreprises, elles peuvent arriver à créer des emplois. Il me semble que vous aviez dit, en juillet dernier, que « si c’était une recette pour créer des emplois, vous l’appliqueriez tout de suite », mais aux jeunes vous l’appliquez cependant ?
Mme Aubry : Ce n’est pas exactement cela !… Aujourd’hui, nous avons environ 100 000 jeunes qui sortent chaque année sans qualifications, il y en a 400 000 à 500 000 qui sont enkystés dans le chômage, ce n’est pas acceptable de les laisser en marge du travail et donc en marge de la société. J’ai donc décidé de créer 400 carrefours jeunes partout en France qui vont accueillir les jeunes, les orienter, faire un bilan professionnel et trouver, avec eux, les meilleurs moyens d’arriver vers l’emploi.
Pour certains, on les mettra dans une formation, pour d’autres, on va les mettre directement en entreprise, pour d’autres, ils ont besoin d’un traitement lourd d’insertion sociale et professionnelle. Je m’en occupe avec des entreprises qui m’aident.
Sur les catégories dont je viens de parler qui doivent aller en entreprise parce qu’ils n’ont pas envie de se former, ils ont l’échec scolaire en tête, ils ont galéré, etc., ce qu’ils veulent, c’est un emploi et un salaire. Dans une période où il y a peu d’emplois, ces emplois-là, même les emplois non qualifiés, sont proposés à des gens qui ont un diplôme, eux n’ont pas ce diplôme-là, donc je voudrais inciter les entreprises à prendre des jeunes sans diplôme pour tenir ses emplois non qualifiés.
Mme Sinclair : Comme incitez-vous les entreprises ?
Mme Aubry : Justement en réduisant les charges sociales. J’ai toujours pensé que la réduction des charges sociales pour des publics particuliers, pour des types d’entreprises particuliers, par exemple, pour les PME qui bénéficient d’exonération pour leurs premiers salariés, était justifiée et avait un effet positif.
Mme Sinclair : C’est-à-dire que, globalement, vous pensez que cela n’a pas forcément d’effet mais sectoriellement cela peut en avoir.
Mme Aubry : Voilà.
Mme Sinclair : Les emplois de proximité, ce sont les aides aux personnes âgées, ce sont les gardes d’enfants, ce sont les travaux ménagers, etc. ; j’ai l’impression que c’est une vieille idée ; je me souviens de Philippe Séguin à qui on avait reproché de créer les petits boulots ?
Mme Aubry : Justement, je crois que ce ne sont pas des petits boulots. Toutes les familles qui nous écoutent peuvent penser la même chose, quand on a envie de faire garder son enfant, quand une personne âgée a besoin de quelqu’un pour la sortir ou pour faire ses courses ou pour s’occuper d’elle, elle a besoin d’un vrai professionnel, quelqu’un qui connaît son métier et qui est responsable.
Mon souci est, premièrement - j’ai fait cette proposition au Premier ministre qui doit prendre des décisions -, d’aider les familles qui ont besoin, financièrement, pour créer ces emplois, d’avoir une aide financière et, deuxièmement, de faire en sorte qu’il y ait, au plus près des gens, commune par commune, des associations qui mettent en relation ces familles, ces ménages, ces personnes âgées et des gens qui ont été formés pour remplir ces tâches.
C’est une action qui va à la fois améliorer la famille et qui va créer des vrais emplois et non pas des petits boulots.
Mme Sinclair : Des vrais boulots.
Mme Aubry : Tout à fait !
Mme Sinclair : On va continuer tout à l’heure à parler encore un petit peu du chômage et, notamment, de toute cette polémique sur les faux chômeurs, vous avez partiellement répondu dans Le Monde mais vous allez répondre, ici, ce soir.
On va néanmoins marquer une pause rapidement avant de voir les propositions de George Bush sur le désarmement, les suites des propos de Valéry Giscard d’Estaing, la mort de Klaus Barbie, le grand retour de Scarlett O’Hara, enfin toute l’actualité de la semaine.
On se retrouve tout de suite.
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Mme Sinclair : Retour à 7 sur 7, en compagnie de Martine Aubry, ministre du Travail.
On va reparler dans un instant, Martine Aubry, de toute la polémique sur les faux chômeurs mais voyons d’abord le début d’une semaine qui a été mauvaise pour la gauche, mauvaise pour la droite et mauvaise pour les citoyens.
Dimanche :
Au second tour comme au premier, l’abstention grand vainqueur des partielles.
Et de douze, l’Arménie, à son tour, sort du giron de l’Union.
Lundi :
Comment a-t-on pu en arriver là ? Dans une tribune indignée, François Léotard accuse, sans jamais le nommer, Valéry Giscard d’Estaing de marcher sur les pas de Jean-Marie Le Pen.
Comment combler le trou de l’assurance chômage estimé à sept milliards de francs pour la fin de cette année ?
Mme Sinclair : Vous n’allez pas vouloir me parler de l’UNEDIC tant qu’il y a des négociations ?
Mme Aubry : Tout à fait !
Mme Sinclair : A part remonter les cotisations, quelles sont les pistes ?
Mme Aubry : Il y a plusieurs pistes. Je vous ai dit que je n’allais pas vous en parler parce qu’effectivement les organisations syndicales et patronales s’en occupent et elles ont posé les vrais problèmes sur la table, notamment, comment essayer de réduire un certain nombre de frais de gestion en aménageant un certain nombre de régimes ? Ils sont en train de discuter donc, effectivement, je les laisse et j’ai confiance dans les solutions qu’ils vont trouver.
Mme Sinclair : La polémique s’est nourrie sur le nombre de chômeurs. Michel Charasse a dénoncé ce qu’il a appelé « les faux chômeurs », il a lancé un pavé dans la mare, vous lui avez répondu dans Le Monde en dénonçant les faux débats, mais oui ou non a-t-il tort ?
Mme Aubry : Non, quand il dit qu’il y a des fraudeurs, il a raison et, là, je suis totalement d’accord avec lui. Chaque Français connaît un chômeur indemnisé qui travaille au noir ou un chômeur indemnisé qui refuse une formation ou un emploi parce qu’il a encore une indemnisation. Ceci n’est pas admissible…
Mme Sinclair : … Ca, c’est la fraude, mais est-ce que la loi est suffisamment bien faite ou est-ce que plutôt l’ANPE est suffisamment rigoureuse pour que ne s’y inscrivent pas des gens qui, précisément, ont des petits boulots ?
Mme Aubry : La loi est bien faite, c’est-à-dire qu’il y a deux critères en France, il faut être disponible et être à la recherche à l’emploi pour être chômeur ; il faut que cette loi soit appliquée, j’ai renforcé les contrôles, j’ai renforcé le nombre de personnes chargées de ces contrôles et nous allons renforcer les sanctions…
Mme Sinclair : … Renforcer les contrôles, cela veut dire que vous en avez un certain nombre, maintenant, par département ?
Mme Aubry : Tout a fait !… Il va y avoir à peu près 300 personnes qui, à partit du 1er octobre, vont être mises en place…
Mme Sinclair : … Affectées seulement au contrôle que ceux qui sont inscrits à l’ANPE, sont des vrais demandeurs d’emploi ?
Mme Aubry : Tout à fait ! Ce qui m’a gênée dans ce débat, ce n’est pas du tout qu’on attaque les fraudeurs, parce que je pense qu’aucun système notamment de solidarité ne peut fonctionner si les gens ne respectent pas les règles et, pour moi, je considère que c’est un préalable absolu, ce qui m’a gênée et ce qui me gêne aussi dans les fraudeurs, c’est qu’ils jettent le discrédit, la suspicion sur l’ensemble des chômeurs, alors que nous savons très bien qu’il y a des centaines de milliers de gens qui vivent des situations difficiles, eux et leur famille, et que même si parmi eux il y en a certains qui ne recherchent pas un emploi, ce n’est pas parce qu’ils fraudent mais c’est souvent parce qu’ils sont découragés, désespérés et que ceux-là, au lieu de les montrer du doigt, nous devons les aider. Nous devons les aider et parfois même les bousculer pour qu’ils retrouvent un emploi.
J’ai demandé à l’Agence nationale pour l’emploi de le faire et je sais qu’elle va le faire.
Mme Sinclair : Dans le même ordre d’idées, on a montré du doigt des comédiens, des artistes qui n’ont pas forcément fraudé la loi, si la loi est mal faite, il faut peut-être la revoir, mais ils ne l’ont pas forcément fraudée, vous appréciez ce genre de délation collective ?
Mme Aubry : Non, moi, je n’aime pas la délation quelle qu’elle soit, si les systèmes sont mal faits - c’est vrai pour la catégorie dont vous avez parlée, c’est vrai aussi pour les chômeurs qui reprennent une petite activité, aujourd’hui, il faut qu’on y réfléchisse -, il faut reprendre ces systèmes pour qu’on ne puisse pas les contourner. Les artistes ont droit, comme toutes les autres catégories, à une indemnisation chômage surtout dans un métier où il est difficile de travailler tout le temps à plein temps.
Mme Sinclair : Vous êtes connue pour faire des descentes dans des ANPE locales, vous prenez le train, incognito, vous débarquez, comment se passe votre arrivée ? Cela secoue tout le monde ?
Mme Aubry : J’aime bien comprendre où sont les vrais problèmes, donc je suis souvent sur le terrain, j’essaie d’y aller une fois par semaine et, en règle générale, je ne préviens pas, ce qui évite qu’on me dise ce que je souhaite entendre. C’est vrai à l’ANPE mais c’est vrai aussi dans les services du ministère du Travail, c’est vrai dans des entreprises où je vais, donc j’arrive et je dis, « je suis ministre du Travail, j’aimerais discuter un petit peu avec vous de la façon dont vous voyez les choses. Quelle est la situation de l’emploi ici ? Que faites-vous ? Quelles sont vos préoccupations ? En quoi puis-je vous aider ? Et puis je les secoue aussi quand j’ai besoin de les secouer.
Cela me permet de comprendre aussi quels sont les vrais problèmes et puis aussi de rencontrer, parce que je ne vois pas seulement mes services, des gens, qui sur le terrain, se mobilisent pour faire en sorte que la situation de l’emploi soit demain meilleure qu’aujourd’hui. Je peux vous dire qu’il y a beaucoup de choses extrêmement intéressantes qui se passent, notamment sur l’insertion des jeunes en difficulté et que notre pays est vraiment prêt à se mobiliser sur ce sujet.
Mme Sinclair : Quand vous dites « des choses intéressantes qui se passent », c'est-à-dire que vous trouvez qu’il y a des progrès qui sont faits ?
Mme Aubry : Il y a des progrès qui sont faits, il y a des gens fantastiques, aussi bien dans les entreprises, dans certaines professions, qui essaient de sortir de ces jeunes qui sont enkystés dans le chômage, qui sont désespérés, qui ont l’impression qu’ils ne vont pas s’en sortir parce qu’ils n’ont aucun diplôme, à rerentrer dans notre société, à arriver à accepter les règles collectives, à apprendre un métier et donc à vivre tout simplement.
Mme Sinclair : On va clore le débat sur le chômage pour aujourd’hui. Votre plan emploi, plan emploi du Gouvernement, qu’on va annoncer d’ici quinze jours, pouvez-vous dire que c’est le énième plan emploi ou plus précisément vous qui êtes quelqu’un de concret quand attendez-vous des résultats ? Avez-vous un calendrier pour cela ? Vous seriez satisfaite de voir le chômage baisser ou en tout cas se maintenir d’ici quelle durée.
Mme Aubry : Bien sûr plus tôt ce sera, mieux ce sera. On sait qu’on a encore quelques mois difficiles. Si la croissance reprend en début d’année prochaine, on aura des résultats et puis nous faisons en sorte que ce que nous sommes en train de faire pour débusquer les emplois et pour préparer les gens fasse que nous accompagnerons, d’une manière un peu rapide, le retour de la croissance. Donc, moi, j’attends des résultats avant l’été prochain d’une manière très significative.
Mme Sinclair : Passons à autre chose.
Les suites de l’article de Valéry Giscard d’Estaing sur l’immigration qui n’en finissent pas de faire des vagues, - vous l’avez vu dans les images que nous vous montrons à l’instant deux questions que BVA a posées aux Français cette semaine :
Première question : tout compte fait, pensez-vous que Valéry Giscard d’Estaing ait eu raison ou tort de tenir ces propos sur l’immigration ?
A eu raison : 48 %
A eu tort : 31 %
Ne savent pas : 21%
Deuxième question : en tenant ces propos sur l’immigration, selon vous Valéry Giscard d’Estaing a-t-il contribué à faire avancer le débat sur l’immigration, à alimenter l’intolérance sur cette question ou à renforcer Jean-Marie Le Pen et le Front national ?
A faire avancer le débat sur l’immigration : 54 %
A alimenter l’intolérance sur cette question : 51 %
A renforcer Jean-Marie Le Pen et le Front national : 49 %
Evidemment, plusieurs réponses étaient possibles. Une majorité absolue de Français estime donc que cela fait avancer le débat mais presque aussi nombreux sont ceux qui pensent qu’il a alimenté l’intolérance sur cette question et jugé que cela renforçait Jean-Marie Le Pen, alors, vous, qu’en avez-vous pensé ?
Mme Aubry : Pour moi, franchement, de tels propos sont plutôt un sentiment de honte. Cela fait des mois que, sur ce sujet, il y a une escalade de mots, une banalisation des mots, depuis Jean-Marie Le Pen et « le détail », en passant par Jacques Chirac avec « le bruit et l’odeur des immigrés », et maintenant Valéry Giscard d’Estaing qui nous parle « d’invasion »…
Mme Sinclair : … Et les « charters » ?
Mme Aubry : Les charters, ce n’est pas le Premier ministre qui en a parlé, ce sont les journalistes qui ont employé ce terme ; si elle l’avait employé, je l’aurait dit dans la liste mais elle ne l’a pas employé.
Je considère que des hommes politiques responsables au lieu d’attiser les peurs des Français, ils ont des peurs, ils ont des inquiétudes parce qu’effectivement, et notamment ceux qui, aujourd’hui, sont au chômage voient un certain nombre d’étrangers qui sont dans notre pays et peuvent penser que s’il y en avait moins, les choses iraient mieux pour eux. Donc, quand on attise les peurs, quand on attise les inquiétudes au lieu d’essayer de traiter les vrais problèmes, c’est-à-dire comment intégrer les étrangers qui sont là en situation régulière, comment faire en sorte que les autres ne viennent pas ou soient reconduits aux frontières, ce que fait le gouvernement, on en rajoute. C’est inadmissible et cela ne va vraiment pas dans le sens de la démocratie.
A cet égard, je me réjouis vraiment de voir que, dans tous les camps si je puis dire, il reste des démocrates, c’est-à-dire des gens qui n’acceptent pas de tels propos…
Mme Sinclair : … François Léotard, par exemple…
Mme Aubry : … François Léotard, par exemple, sur les lâchetés mais aussi peut-être et surtout Philippe Séguin qui a dit très courageusement qu’il y a quelque chose de pourri dans un pays où, derrière chaque salarié étranger, on voit un envahisseur.
Je me dis, aujourd’hui, qu’est-ce qui diffère profondément l’extrême droite de la droite quand on entend de tels propos ? Manque-t-il juste l’accord électoral qu’on va nous servir in fine pour que ceci marche ? On ne résout rien en faisant cela, on accroît les peurs, on ne résout aucun des vrais problèmes. Je suis catastrophée d’entendre les hommes politiques qui sont censés être responsables, qui ont eu des fonctions importantes, rentrer dans ce genre de débat.
Mme Sinclair : Suite de la semaine, Martine Aubry, le Zaïre, la morosité à gauche, la mort de Klaus Barbie, la libération d’un des otages encore détenus au Liban.
Mardi :
La fin du cauchemar pour Jack Mann.
Mercredi :
Haro sur le travail au noir, le projet de loi adopté par le Conseil des ministres s’attaque aux clandestins mais aussi et surtout à ceux qui les emploient.
Les socialistes sont moroses et Edith Cresson, décidément, ne parvient pas à leur remonter le moral.
La mort de Klaus Barbie.
Les paras à nouveau au Zaïre.
Mme Sinclair : La mort de Klaus Barbie, je me souviens de ce procès dans ce pays, il y avait des gens qui étaient pour, des gens qui étaient contre, qui disaient qu’on allait réveiller les vieux démons et ceux qui pensaient qu’il fallait cultiver la mémoire, vous étiez dans quelle catégorie ?
Mme Aubry : Eh bien, moi, j’étais dans la deuxième et, d’ailleurs, quand j’ai appris la mort de Klaus Barbie, ce qui m’est revenu aussitôt à l’esprit, c’était les images de ce procès, c’est-à-dire à la fois cette espèce de froideur de cet homme qui ne s’est pas renié, qui n’a reconnu aucune de ses actions, qui finalement n’a eu aucun geste pour revenir là-dessus et puis en face des témoignages épouvantables des survivants. Je crois que c’était bien qu’on en parle et je crois que, maintenant, la mort d’un homme ne change rien, qu’il faut continuer ce combat contre l’oubli, c’est peut-être cela que je retiens de la mort de Klaus Barbie et, à cet égard, le procès nous a permis de continuer à avoir ces images présentes à l’esprit.
Mme Sinclair : Je voudrais montrer deux livres, l’un n’est pas récent, l’autre l’est, celui d’Annette Kahn qui s’appelle « Personne ne voudra nous croire » et qui est précisément un livre qui a été écrit sur le procès Barbie avec les témoignages de ceux qui sont venus témoigner à ce procès ; l’autre qui vient de paraître et qui est publié chez Grasset et qui s’appelle « Sans oublier les enfants » qui est sur les enfants et tous les prisonniers des camps de Pithiviers, 7 000 prisonniers, 3 500 enfants qui venaient du Vel d’Hiv et qui sont se trouvés dans ces camps avant de partir pour Auschwitz.
Parlons du climat politique, ce n’est pas forcément plus gai, c’est moins tragique en tout cas, on a parlé de la droite, on va parler un peu de la gauche, disons que cela va mal, les députés sont moroses, les électeurs se dérangent à peine, le Premier ministre a l’air de ne plus mobiliser les énergies, c’est le Titanic ?
Mme Aubry : Vous avez dit plusieurs choses dans tout cela, la démobilisation des Français, c’est vis-à-vis de la vie politique en général, ce n’est pas seulement vis-à-vis de la gauche, peut-être parce que les Français ont l’impression que les hommes politiques s’occupent de moins en moins de leurs problèmes, de leurs préoccupations et de plus en plus de leurs problèmes à eux, de leur carrière. Ils en ont assez des petites phrases par ci, des petites phrases par là, ou bien du consensus à tout prix. Ils veulent des débats et ils veulent des gens qui leur montrent le chemin et qui s’occupent de leurs préoccupations…
Mme Sinclair : … On essaye de le faire quelquefois…
Mme Aubry : … Voilà, tout à fait ! … Notamment dans votre émission. Ceci est plus global…
Mme Sinclair : C’est le climat politique général…
Mme Aubry : C’est le climat politique général, gauche-droite, c’est pareil et je crois que plus il y aura de vrais débats, moins ceci aura lieu.
En ce qui concerne la gauche, je sais qu’il est de bon ton, aujourd’hui, notamment dans les salons parisiens de dire que « la gauche est morose, la gauche est défaitiste », on dit même qu’on va dans le mur alors…
Mme Sinclair : … Il suffisait de se promener aux journées parlementaires du Parti socialiste…
Mme Aubry : … C’est vrai, c’est vrai…
Mme Sinclair : Vous y étiez, vous l’avez constaté.
Mme Aubry : Moi, je les ai trouvés plutôt dynamiques et mobilisés sur l’emploi, donc j’étais ravie de voir que ce climat de morosité n’existait pas sur tous les sujets.
Ceci dit, face à cette situation, a-t-on vraiment en face de nous une droite triomphaliste, unie qui répond, elle, aux vrais problèmes des Français alors que, on l’a dit tout à l’heure, elle porte à l’exclusion qu’à la tolérance…
Mme Sinclair : … Vous disiez tout à l’heure sur le chômage, « ce n’est pas une consolation de voir que les autres ne font pas mieux »…
Mme Aubry : Ah non, tout à fait ! Moi, en ce qui me concerne, quand je vais sur le terrain notamment, et on parlait tout à l’heure, je rencontre des gens qui se battent, je rencontre des gens mobilisés et je me dis qu’il faut peu pour que ce pays se mobilise pour essayer de régler ses vrais problèmes. Les vrais problèmes des Français sont simples : quel est l’avenir de nos retraites ? Quel est l’avenir de notre santé ? Quoi, demain, en matière d’éducation nationale et de formation pour nos enfants ? Et, aujourd’hui, l’emploi, le logement, l’école ?
Sur tous ces sujets-là, Edith Cresson l’a bien commencé, il faut que nous ayions des vrais débats, que nous apportions des réponses concrètes et que les Français se retrouvent dans un Gouvernement qui essaie de résoudre leurs problèmes. Voilà comment se pose la question.
Moi, en tout cas, je ne suis pas morte, je pense qu’il y a des choses à faire, on avance, et je n’ai aucune raison de l’être d’ailleurs…
Mme Sinclair : On a changé tout de même le gouvernement Rocard parce qu’il était usé, nous a-t-on dit, je regarde le sondage BVA-Paris Match de cette semaine sur Edith Cresson :
28 % de bonnes opinions.
47 % de mauvaises.
Le gouvernement Cresson dont vous faites partie n’est pas usé ?
Mme Aubry : Je crois que pour Edith Cresson les choses sont relativement simples : quand elle est arrivée, les Français ont mis beaucoup d’espoir en elle, peut-être parce que c’est une femme, c’est ce que certains disent, peut-être aussi parce qu’elle a justement les qualités, et de courage et d’affronter les préoccupations des gens parce qu’elle est très proche d’eux, qu’ils attendaient. Alors on en a presque fini par oublier nos problèmes et puis tout d’un coup ces problèmes sont bien là et, d’ailleurs, elle-même, elle les met sur la table courageusement, elle a commencé par le déficit de la sécurité sociale et on lui reproche presque de nous parler de ces problèmes.
Moi, je trouve qu’il y a, aujourd’hui, une espèce d’injustice dans cette déception qui soi-disant existerait envers Edith Cresson. Elle est là depuis quatre mois, moi, je trouve qu’il faut la laisser gouverner, aujourd’hui, elle tient son Gouvernement, elle vient d’annoncer son programme, elle va le refaire, laissons la travailler. Elle est là depuis quatre mois, elle ne peut pas résoudre tous les problèmes de la France.
Mme Sinclair : Pourtant le Parti socialise doute, vous le savez bien, et doute même jusqu’à douter de son nom puisqu’il a été question, éventuellement, qu’il en change. J’aimerais savoir comment vous vous définissez ? Diriez-vous que vous êtes socialiste ? Diriez-vous que vous êtes de gauche, diriez-vous que vous êtes social-démocrate ? Quelle est votre définition et votre positionnement politique aujourd’hui ?
Mme Aubry : Je préfère partir de ce que je crois, c’est-à-dire de mes convictions. Moi, ce que je crois c’est en une société qui soit plus solidaire qu’aujourd’hui, et plus solidaire, pour moi, ce n’est pas l’égalitarisme, c’est vrai une égalité des chances ; une société qui donne sa chance à tout le monde et qui donne à chacun les moyens de prendre ses responsabilités. Je ne suis pas pour une société d’assistance, je suis pour une société où l’on met les gens face à leurs responsabilités parce quelle pense que le progrès de notre société ne va que dans ce sens-là.
Enfin, je reviens là-dessus parce que, pour moi, c’est important, je suis pour une société de tolérance et pas d’exclusion, eh bien, ces valeurs là…
Mme Sinclair : … Beaucoup peuvent se définir par rapport à ces valeurs-là qui sont assez générales et assez généralement partagées…
Mme Aubry : En tout cas, je crois que ce sont les valeurs fondamentales de la gauche, si d’autres considèrent qu’ils les partagent, tant mieux ! Mais en tout cas ce sont les valeurs fondamentales de la gauche et, moi, sans aucun doute, je suis à gauche.
Mme Sinclair : Il y en avait deux qui sortaient bien de ce sondage BVA Paris-Match avec une cote de confiance supérieure à leur cote de défiance, c’était Simone Veil et Jacques Delors.
Jacques Delors est votre père, il fallait bien que ce nom soit prononcé au cours de cette émission. N’est-ce pas parce qu’on a l’impression qu’ils sont plus au centre de la vie politique française et que le centre appelle aujourd’hui les gens plus qu’une définition d’une gauche pure et dure ?
Mme Aubry : C’est aussi peut-être parce que Simone Veil comme mon père ont des convictions très marquées, qu’ils en font part de manière très nettes et qu’ils essaient aussi d’agir, ils ne se contentent pas d’avoir des idéologies, ils agissent ! Donc, je crois que cela correspond bien à ce qu’on disait tout à l’heure aux attentes des Français, c’est-à-dire des gens qui ont des convictions, des gens qui agissent et qui sont proches d’eux.
Mme Sinclair : Je voulais vous entraîner sur le centre, mais je n’y arrive pas. Croyez-vous que l’avenir, demain, est plutôt en regroupant des gens de bonne volonté, comme l’a dit Raymond Barre la semaine dernière, comme peut-être François Mitterrand le disait hier à Evry quand il a condamné, sans jamais citer d’ailleurs Valéry Giscard d’Estaing, la démagogie dont certains leaders politiques font preuve et il a dit, « il y a là un grand péril, il devrait être facile de s’accorder entre gens qui prétendent à la civilisation et au respect de la République et des lois pour qu’on fasse ce qui doit l’être sans s’enfoncer davantage dans des querelles qui ne grandissent personne ». On voit comme cela se profiler peut-être un gouvernement de coalition de bonne volonté ?
Mme Aubry : Si on arrive à poser les vrais débats, à se mettre d’accord sur les faits et à se dire : « on est d’accord sur un certain nombre de solutions importantes sur les débats qui touchent les Français : l’avenir de la protection sociale, le chômage, l’éducation nationale », alors pourquoi pas ? Mais si c’est pour dire, « le centre pour le centre ou la gauche pour la gauche, d’ailleurs, ou je ne sais quoi pour je ne sais quoi, alors là je ne vois pas très bien ! Si c’est pour se battre sur les vraies valeurs, celles auxquelles je crois, dont je vous ai parlé tout à l’heure, je l’ai dit, je crois qu’il y a des hommes qui portent ces valeurs-là, alors oui.
Mme Sinclair : Fin de la semaine, les émeutes à Bucarest, les propositions spectaculaires de Georges Bush, la mort de Miles Davis et le retour de Scarlett O’Hara.
Jeudi :
Scarlett parviendra-t-elle à reconquérir Rett Buttler ? La cruelle incertitude dans laquelle Margaret Mitchell nous avait plongé en refusant d’ajouter un tome à « Autant en emporte le vent » est désormais levée.
Les infirmières à nouveau dans la rue.
A Bucarest, le retour des gueules noires.
Vendredi :
Un pas en avant, un pas en arrière, fidèle à lui-même, Saddam Hussein multiplie les manoeuvres dilatoires pour entraver le recensement de ses installations militaires par l’ONU.
Samedi :
C’est l’initiative de désarmement la plus importante depuis la fin de la guerre froide.
Le dernier souffle de Miles Davis.
Mme Sinclair : Martine Aubry, il nous reste très peu de temps, vous êtes une femme, je voudrais qu’on termine avec deux histoires de femmes : une histoire rêvée, c’est Scarlett O’Hara, et l’histoire réelle, les infirmière d’aujourd’hui. Le rapprochement nous a frappés quand on a fabriqué cette émission et le journal de la semaine, j’ai envie que vous nous disiez votre point de vue sur l’une ou l’autre.
D’abord, votre coeur de midinette se réjouit à l’idée de lire la suite des aventures de Scarlett ?
Vous trouvez cela scandaleux, vous êtes offusquée…
Mme Aubry : … Pas scandaleux, mais pas vraiment parce qu’en fait il y a des générations qui ont rêvé sur ces deux héros, sur Vivien Leigh, sur Clark Gable et puis on les reprend maintenant, je trouve que c’était presque un mythe, c’est dommage de faire un Scarlett II, je trouve cela un peu dommage…
Mme Sinclair : … Vous aviez votre propre fin dans la tête ?
Mme Aubry : Chacun avait sa propre fin, donc je trouve cela un peu dommage.
Les infirmières en revanche reviennent et elles reviennent parce qu’elles considèrent que leurs problèmes ne sont pas réglés. Je crois qu’elles avaient réussi en 1998 à se mettre l’opinion publique derrière elle.
Mme Sinclair : … C’était la grève la plus populaire dans l’histoire des grèves…
Mme Aubry : … Et on le comprend, parce que finalement, vous me parliez tout à l’heure des paysans, mais je crois que s’il y a bien une catégorie dont on avait sous-estimé la difficulté de la tâche, aussi bien dans leurs statuts, dans leurs conditions de travail, ce sont bien les infirmières et elles ont su le montrer par la façon dont elles ont manifesté, par le ton et par les messages qu’elles ont fait passer.
Aujourd’hui, elles ont cette reconnaissance, le plan que le gouvernement Rocard avait mis en place a permis de nombreuses améliorations, il leur reste des problèmes d’effectifs et de conditions de travail, et je crois que les problèmes doivent être pris sur le terrain, hôpital par hôpital, service par service, essayer de voir comment on peut améliorer leurs conditions de travail.
Les médecins sont aussi responsables, la façon dont ils organisent leur service peut entraîner des conditions de travail plus ou moins bonnes pour les infirmières, il faut qu’ils y réfléchissent et il faut que, maintenant, ce soit service par service et pas seulement au ministère de la Santé.
Mme Sinclair : Martine Aubry, je vous arrête parce que sinon nous allons être en retard.
Merci d’avoir fait cette émission. Je crois que vous avez voulu faire passer une autre idée de la politique. On a défini la gauche mais, pour vous, la politique c’est concret, c’est sur le terrain, c’est précis, ce ne sont pas des grandes envolées…
Mme Aubry : C’est surtout sur le terrain, c’est surtout auprès des gens effectivement.
Mme Sinclair : Merci à vous.
Dimanche prochain, je recevrai Bernard Tapie.
Merci à tous. Bonsoir.