Texte intégral
Q - Aujourd'hui sera décidée la hausse du Smic. Pour la première fois, avec un gouvernement de gauche en place, il n'y aura pas de coup de pouce. Est-ce que vous regrettez cette décision ?
« Nous savons tous qu'aujourd'hui les revenus du capital progressent plus vite que ceux du travail. Donc on est tenté de se dire qu'il serait intéressant que ceux qui gagnent le moins, les smicards, ne soient pas laissés en arrière. C'est dommage, et on voit déjà évidemment l'annonce de ce qui se prépare après la loi sur les 35 heures, et on a la question-là de la rémunération des salaires les plus faibles. »
Q - Quand vous en faites part au Gouvernement, qu'est-ce qu'on vous répond. Qu'est-ce que vous répond ce gouvernement de gauche, M. Jospin, Mme Aubry ?
« Ils anticipent le surcoût de 11 et 4 %… »
Q - Donc, c'est la réponse qui vous est fournie !
« ... mais, je réponds qu'il n'y a pas de raison qu'une loi qui s'impose aux smicards qu'ils le veuillent ou non – ces 35 heures – conduise à ce qu'au bout du compte leurs revenus stagnent. Donc, il y a une vraie question. En tout cas, ça mérite qu'on discute sérieusement de ce que devient le Smic dans l'avenir. Est-ce qu'il continuera à évoluer à un rythme qui correspond à la croissance de la richesse nationale ou est-ce qu'il va prendre du retard ? Depuis sa création, grosso modo, il a suivi la croissance nationale. Et je ne voudrais pas qu'en raison des 35 heures on ait un retard par rapport à ça. »
Q - La loi sur les 35 heures a été un petit peu dévoilée par Mme Aubry. Quelle est la position de la CFTC ? Est-ce que vous êtes plus proche de la CFDT qui accepte l'idée qu'une année soit nécessaire pour la mise en place de cette loi avec des heures supplémentaires assez faiblement payées dans la première année, ou est-ce que vous êtes plutôt du côté de Force ouvrière, de la CGT qui parlent d'un recul du Gouvernement devant les patrons ?
« Nous ne sommes ni proches de la CFDT, ni proches de FO et la CGT. Nous sommes proches des salariés-travailleurs et des familles »
Q - Votre réaction à la loi Aubry, telle qu'on la connaît ?
« Disons qu'il y a matière à discuter. « Telle qu'on la connaît », parce que c'est dans la presse qu'on a découvert les choses. Donc, nous verrons – j'espère aujourd'hui – le texte de proposition qui est fait par le Gouvernement, nous regarderons cela. Il y a matière à discuter. La question du délai de mise en place : nous n'étions pas demandeurs de ce délai, mais nous reconnaissons que le patronat a des arguments valables pour demander un délai de progression dans la mise en oeuvre de l'affaire. Un délai d'un an, ma foi, c'est présentable. L'essentiel c'est que l'on ait une loi claire, simple à appliquer pour tout le monde. Et une loi juste : qu'il n'y ait pas des laissés-pour-compte – on vient de parler du Smic ou des temps partiels, des nouveaux embauchés – il y a un certain nombre de cas où on s'interroge – les cadres. Et donc, il y a là, encore aujourd'hui, matière à discuter. Mme Aubry essaye de trouver un point d'équilibre, ce n'est pas une base de départ trop mauvaise. Mais enfin, moi, je ne veux pas qu'il y ait des laissés-pour-compte dans ce dispositif. »
Q - Quels sont les principaux menacés, les temps partiels ?
« Les temps partiels, par exemple. Si l'on se retrouve avec un système dans lequel les temps partiels verront leur temps de travail diminuer au prorata des 35/39e, et donc que le revenu diminue d'autant, ce n'est pas acceptable. »
Q - L'objectif annoncé de la loi c'est la création d'emplois. Est-ce que ça va créer de l'emploi et est-ce que déjà les premières négociations, sont satisfaisantes de ce point de vue-là ?
Ça crée de l'emploi, incontestablement. Actuellement, on peut estimer à 5 % la création d'emplois – ce sont parfois des promesses d'emplois, on ne sait pas ce qu'il y aurait eu sinon – en gros 5 %. Le Gouvernement avait pour objectif 6 %, nous, nous préférions avoir un objectif proportionnel à la baisse du temps de travail, donc 10 %. Mais enfin, on en est là, donc ça crée de l'emploi, pas assez ; surtout, est-ce que l'on va pouvoir changer la tendance qui est la création d'emplois à temps partiel et très instable ? C'est ça le fond de la question. La France crée de l'emploi actuellement, mais quels emplois ? Beaucoup de gens ont maintenant un emploi mais avec un salaire qui ne suffit pas pour vivre. Donc il y a là un enjeu de niveau de vie des gens. Mais cela étant dit : pas assez d'emplois, c'est vrai, mais quand même des créations d'emplois. »
Q - Le Medef avec M. E.-A. Seillière, est-ce que c'est un partenaire difficile, est-ce que c'est un partenaire trop exigeant, ou est-ce que c'est finalement un partenaire avec qui on peut parler en ce moment ?
« Ecoutez, on peut parler avec le Medef. La difficulté c'est que, d'une part, il y a un discours, un peu incantatoire et un peu idéologique, qui est tenu aujourd'hui. Mais ça s'explique par la confrontation avec Mme Aubry sur la loi – et donc c'est peut-être une période transitoire... »
Q - Sur la loi, le Medef est quand même violemment opposé !
« ...violemment, dans des termes qui sont quand même très forts. Ces termes-là ne sont pas forcément indispensables. Mais on est dans la bataille avant que la loi ne sorte, ça s'explique. En revanche, ce qui m'inquiète davantage, c'est que l'on a l'impression que, dans le patronat français, il y a une tendance à dire : « le rôle des partenaires sociaux est-ce si important ? Soyons un lobby qui défende nos intérêts. Point final. » Ça, c'est condamner le climat social en France, c'est un échec assuré. Nous, nous avons besoin d'un patronat qui soit un partenaire, un acteur social, et donc qu'on construise ensemble. Et quand je vois plutôt une tendance à se replier par rapport aux régimes sociaux, aux régimes paritaires, je suis inquiet, plus encore que par les discours un peu va-t-en-guerre du Medef sur la loi. »
Q - On a dressé le bilan politique du gouvernement Jospin. Mais est-ce que le bilan social du gouvernement Jospin et de Mme Aubry est satisfaisant ?
« La loi des 35 heures, c'est une très grosse affaire qui a été mise en place de façon assez, disons énergique, qui je crois est globalement plutôt positive mais nous pose beaucoup de problèmes. Nous, nous, considérons que sur les emplois-jeunes, on a aussi pris une initiative importante. Nous pensons qu'au niveau des jeunes, il y a quelque chose. Mais c'est vrai que l'on va attendre M. Jospin – qui semble avoir devant lui de la durée pour agir – très fort sur les retraites. Est-ce que l'on va pouvoir réussir une réforme des retraites à la fois suffisamment progressive et ajustée non seulement aux intérêts par rapport à la crise économique, mais également ajustée aux attentes des salariés, des retraités ? »
Q - Est-ce que vous acceptez que l'on touche aux régimes dits spéciaux, est-ce qu'il faudra allonger le temps de travail ?
« Ce qui est certain, c'est que les régimes spéciaux contiennent le régime des retraites. Donc c'est une discussion globale à voir, régime par régime. Nous sommes ouverts à la discussion ; simplement, nous ne sommes pas ouverts à la discussion pour mettre en cause gravement les situations des gens. Là, il y a matière à discuter. Pour le reste, il y a plusieurs manières de voir le problème. Il y a aussi beaucoup d'inconnues dans les perspectives : que sera la croissance dans 10 ans, dans 20 ans, quels types d'emplois aurons-nous ? »
Q - On demande de travailler plus longtemps : vous acceptez l'idée ?
« Il faut peut-être penser le temps de travail autrement. Sur la vie, je pense que l'on peut faire des choses. Aujourd'hui, il faut mettre les bases d'une réforme qui permette de s'ajuster aux réalités. Ne faisons un schéma pour 20 ans qui s'impose, faisons un schéma qui permette, au fil des années, de s'ajuster aux réalités économiques que l'on ne connaît pas encore aujourd'hui. »