Interview de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, dans "Libération" le 19 avril 1999, sur la mortalité et la morbidité imputables à la pollution de l'air.

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Q - Avec 265 décès anticipés imputables à la pollution de l'air, la situation est-elle grave ?

Les effets de la pollution atmosphérique ne sont plus discutables. Même si ces effets sont d'un ordre de grandeur bien moindre que ceux liés au tabagisme, ils constituent un véritable enjeu de santé publique. Cette étude le confirme. C'est la première fois en Europe qu'un pays mène une étude d'une aussi grande ampleur : les résultats portent sur neuf grandes agglomérations ! Ces résultats nationaux concordent de façon extraordinairement précise avec les résultats parisiens déjà connus. En faisant augmenter le seul polluant de 50 microgrammes par mètre cube un jour donné, on observe dans les jours qui suivent une augmentation de l'ordre de 3 % de la mortalité totale. Il faut continuer à travailler sur ce sujet. C'est la mission de l'Institut de veille sanitaire qu'on vient de créer, et qui va assurer une surveillance à long terme. On disposera en outre, dans six mois, de l'avis du Haut Comité de santé publique que j'ai saisi sur la question. Et il faudra encore affiner les résultats selon les différents polluants, notamment au diesel.

Q - Ces 265 « morts anticipées » ne sont-elles pas la partie émergée de l'iceberg ? Le signe que la pollution dégrade la santé d'un grand nombre de citadins ?

Il faut être scientifique et pas idéologue, dans cette affaire. Cette étude porte sur les « mortalités anticipées » : nous n'avons pour l'instant pas les mêmes éléments sur la morbidité, c'est-à-dire sur les affections que ce phénomène peut entraîner à long terme. Difficile, par exemple, d'évaluer son influence sur certaines pathologies, comme les bronchites des nourrissons. Il est absolument indispensable d'étudier les rapports de la pollution et de ces affections cardio-vasculaires, pulmonaires, surtout infantiles. Au-delà des connaissances, ce sont certains de nos comportements qu'il faudrait adapter. Il existe un égoïsme de l'automobiliste comme il existe un égoïsme du fumeur. Les études internationales sur les effets du tabagisme n'ont que peu d'écho en France. Le civisme sanitaire, c'est que chacun participe de la protection des autres.

Q - A chaque pic de pollution, certains pneumologues affirment que la pollution a un effet négligeable sur la santé…

Il est en effet difficile de mobiliser les pneumologues sur ce sujet. Il faut les comprendre : 60 000 morts sont attribuables au tabac chaque année dans notre pays. Alors quand on leur parle de pollution atmosphérique, ils ont tendance à hocher la tête… Il ne s'agit pas de dramatiser les effets de la pollution atmosphérique sur la santé ; néanmoins, les résultats de cette étude ne peuvent être négligés : 85 % des Français vivent en ville.