Texte intégral
Le Monde : À la Fête de L’Humanité, les ministres communistes ont été interpellés par les militants, votre discours a même été sifflé…
Robert Hue : Il fut un temps où on se moquait du monolithisme des communistes… En vérité, la Fête de L’Humanité a connu un grand succès. Y compris par la richesse des débats. Les communistes, qui ont décidé en juin, dans leur majorité, la participation gouvernementale, sont toujours d’accord. En même temps, ils ont des attentes fortes vis-à-vis du gouvernement, voire éprouvent des inquiétudes ; ils les expriment. Sans parler, bien sûr, de ceux qui n’étaient pas d’accord en juin et qui sont dans le même esprit… Il y a eu des gestes de mauvaise humeur. Cela fait aussi partie du débat. Un débat lié à la situation totalement inédite où nous nous trouvons.
Le Monde : En quoi votre situation, au fond, est-elle différente de 1981 ?
Robert Hue : En 1981, la gauche est arrivée au pouvoir dans le prolongement et avec l’esprit du programme commun. En 1997, il n’y a pas de programme commun mais, entre communistes et socialistes, une déclaration commune indiquant de grandes orientations. Nous n’avons pas choisi le moment des élections. Nous étions en pleine discussion avec le PS. La rencontre du 29 avril devait d’ailleurs, à l’origine, déboucher sur des groupes de travail sur plusieurs sujets : services publics, Europe…
Le Monde : Tous les sujets qui, aujourd’hui, vous fâchent…
Robert Hue : Ce travail n’a pu être fait. Nous devons l’effectuer maintenant dans une situation nouvelle : nous sommes ensemble dans la majorité et au gouvernement.
Le Monde : C’est comme cela qu’il faut comprendre votre nouveau discours sur les privatisations ?
Robert Hue : La déclaration commune PC-PS affirme qu’il faut « stopper le processus de privatisation ». Nous avions en vue le besoin pour la France d’une relance des services publics – dynamiques, modernes – et non leur démantèlement. Les privatisations entraînent des milliers de licenciements. En situation de responsabilité, nous voyons bien la nécessité de prendre à bras-le-corps la réalité des choses. Et, d’abord, la spécificité de chaque entreprise publique.
Par exemple, Air France a des besoins de financement bien supérieurs à ceux de France Télécom. À partir de l’examen des problèmes concrets, j’ai exprimé plus qu’une crainte, un désaccord, avec la mise sur le marché de 20 % du capital de cette dernière. Les problèmes nouveaux appellent des solutions nouvelles.
Certains disent : « Vous avez un langage nouveau. Vous intégrez la mondialisation. » La mondialisation existe, il faut en tenir compte, mais pour résister à la logique ultralibérale. On le peut, par exemple, en évitant que d’éventuelles ouvertures de capital ne conduisent à des privatisations rampantes. J’ajoute que, si importante soit-elle, la question de la propriété n’est pas tout : 100 % de capitaux d’État, on l’a vu en 1981, cela ne donne pas, en soi, la garantie d’un fonctionnement démocratique, d’une meilleure efficacité économique et sociale.
Le Monde : C’était pourtant votre position en 1981…
Robert Hue : À tort, en tout cas, eu égard à la situation de 1997. Si vous voulez y voir une évolution importante de nos positions, oui…
Le Monde : Bientôt, vous qui restez hostiles à Maastricht, vous aurez à ratifier le traité d’Amsterdam. Comment faire ?
Robert Hue : Réaffirmer tous les jours que l’euro se fera comme prévu signifie peut-être qu’on n’en est pas si certains ! Le débat sur l’euro n’est pas clos. Je récuse l’affirmation : c’est l’euro ou le chaos. Le Parti communiste est pour une construction européenne, il avance des propositions, y compris en matière monétaire. Si l’euro ne se fait pas à la date et dans les conditions prévues, ce ne sera pas une catastrophe. On pourra travailler à construire autrement l’Europe. On connaît le débat qu’il y a en Allemagne. Et on sait que le PCF souhaite un référendum.
Le Monde : Voilà plusieurs fois que vous lancez puis étouffez ce référendum, au risque d’en faire un gadget pour apaiser des militants désorientés…
Robert Hue : J’entends bien le Premier ministre. Ensemble, nous avons affirmé la nécessité de « réorienter la construction européenne ». Le pacte de stabilité va plutôt en sens inverse. Ce n’est pas pour des raisons internes à mon parti, ou pour mettre des bâtons dans les roues du PS, que je demande qu’on ouvre un grand débat national au Parlement, dans les médias, à tous les niveaux dans le pays.
C’est dans un esprit résolument constructif. Je souhaite qu’on respecte la déclaration commune. Car si les choses restent en l’état, des tensions entre nous, dans la majorité, peuvent se développer. Alors discutons devant les Français et avec eux pour faire autrement.
Le Monde : Si la monnaie unique se fait au printemps 1998, cela pourrait remettre en question votre participation au gouvernement ?
Robert Hue : Le problème ne se pose pas en ces termes. Je reste convaincu qu’il y a une contradiction entre l’euro et la capacité à mettre en œuvre une politique en faveur de l’emploi et du progrès social. Mais je suis convaincu que si le débat citoyen prend corps, cette contradiction peut être dépassée. C’est vrai, il s’agit incontestablement d’un problème sérieux.
Le Monde : Le député du Val-d’Oise votera-t-il contre le traité d’Amsterdam ?
Robert Hue : Je souhaite qu’il ait été possible d’ici là de faire bouger les choses. Mais, il est bien évident qu’aujourd’hui – je parle là à titre personnel – ce traité ne peut être accepté.
Le Monde : Jean-Pierre Chevènement a manifesté son désaccord avec le traité d’Amsterdam. Dominique Voynet l’a fait sur l’abrogation des lois Pasqua-Debré. On n’entend pas beaucoup, en revanche, les ministres communistes…
Robert Hue : Si, ils se font entendre, notamment sur leurs dossiers, et sans que cela soit contradictoire avec le respect de la solidarité gouvernementale. Mais pourquoi voudriez-vous les entendre comme représentants du parti ? La confusion entre parti et institutions, nous l’avons dépassée depuis longtemps. Comme secrétaire national, j’ai rappelé notre position pour l’abrogation des lois Pasqua-Debré, tout en notant des avancées sérieuses dans le projet de loi du gouvernement. De même, l’engagement que nous avons pris avec le PS, c’est les trente-cinq heures, rapidement, sans diminution de salaire. Je souhaite pour cela une loi-cadre.
Le Monde : Y compris en aidant les PME-PMI ?
Robert Hue : Je suis favorable à des aides. Attention - je vois le patronat qui commence à frétiller… - pas n’importe lesquelles ! Il s’agit d’incitations à l’emploi. Il faut pour cela imaginer de nouveaux mécanismes, notamment en matière de crédit, et avec la transparence quant à l’utilisation des fonds publics. J’ai fait, dès le mois de juin, des propositions à Lionel Jospin dans ce sens. Je souhaite que cela aille plus vite.
Le Monde : Vous voulez que le PCF devienne un parti d’électeurs, plutôt que de militants ?
Robert Hue : D’abord, il doit devenir plus influent. Concernant les militants communistes, ils s’efforcent de prendre la réalité de la société de mieux en mieux en compte. Pour moi, le réalisme de gauche, c’est partir de la vie pour la changer. Cela implique de savoir, quand c’est nécessaire, modifier une position, un choix, en fonction du réel, pour mieux pouvoir le transformer. Ce n’est pas se trahir que de considérer que ses positions ne sont pas figées une fois pour toutes.
Le monde bouge, et vite. Il faut bouger avec lui pour pouvoir le transformer dans le bon sens. Sinon, il bougera sans nous, mais dans un autre sens. C’est au cœur de la « mutation » du PCF. Une mutation pour un communisme moderne. Il faut pour cela écouter, discuter, avancer en permanence. Et ce n’est pas la première fois que, parce que le Parti communiste bouge, ses dirigeants sont en situation de devoir s’expliquer et convaincre. Je pense à la période du Front populaire ou à la Libération. Il faut avoir le courage, dans de tels moments, d’appeler à l’effort, à la réflexion, au dépassement de ce qui a pu être un moment une certitude, pour de nouvelles avancées.