Texte intégral
L’Est républicain : 11 septembre 1997
L’Est républicain : Vous avez engagé une tournée des fédérations RPR. Quelles premières impressions en tirez-vous ?
Philippe Séguin : Je viens effectivement accomplir à Épinal, la huitième et dernière étape de mon tour de France, qui m’aura permis de rencontrer tous les cadres de notre mouvement. J’ai déjà pu constater, lors de mes sept déplacements précédents, que notre mouvement a tenu le choc, bien que nous ayons été tous meurtris par la défaite électorale. Je trouve devant moi des responsables disponibles, prêts à se mobiliser et à prendre leur part à notre processus de rénovation. J’en tire donc un grand sentiment d’optimisme et je crois que nous pouvons nous engager ensemble sur un chemin difficile mais prometteur.
L’Est républicain : Vous évoquez parfois les « travaux d’Hercule », C’est-à-dire ?
Philippe Séguin : Nous avons à inventer une nouvelle forme de mouvement politique. Les Français ont entamé une révolution culturelle ; il nous revient de le faire également. Nous devons d’abord nous battre pour que la politique ait des marges de choix, puis, il nous faut persuader les Français que la politique sert encore à quelque chose. Ensuite, et seulement ensuite, leur dire que dans tout ce contexte, [illisible] nous qui leur proposons la meilleure politique possible.
L’Est républicain : Vous revendiquez donc du[Illisible]…
Philippe Séguin : Je pense que ce sont moins [Illisible] socialistes qui ont gagné [Illisible] et nous qui avons perdu. En sortant systématiquement les sortants, les Français expriment plus leur rejet d’un système politique que leur adhésion à un camp. Nous pouvons certes espérer que le mécanisme jouera en notre faveur la prochaine fois, mais s’il s’agit seulement de faire un petit tour, puis de repartir, cela ne servira à rien. La France, en changeant continuellement de politique, ne peut plus avoir de stratégie cohérente et continue face à d’autres pays, qui, eux, bénéficient de la durée. L’économie, les entreprises, les Français ont besoin de règles stables et d’une sécurité minimale pour prendre des décisions.
L’Est républicain : Vous vous êtes fixé trois objectifs pour le RPR : « Réconciliation, Rénovation, Ouverture ». Quel chemin a-t-il été déjà parcouru ?
Philippe Séguin : Je crois qu’on peut dire que la réconciliation est bien entamée. La constitution de notre équipe nationale transitoire, l’accueil qui lui a été réservé, en témoignent.
Bien d’autres indices donnent à penser que ce souci est compris et partagé. C’est pour préparer et entamer la deuxième phase, celle de la rénovation, que je fais cette tournée. Il va de soi qu’elle est la condition d’une ouverture ultérieure à d’autres catégories de Français, à la levée du malentendu entre la politique et le pays.
L’Est républicain : Cinq candidats à la présidence du groupe RPR de l’Assemblée nationale n’est-ce pas beaucoup ?
Philippe Séguin : C’est la preuve que nous avons au sein du groupe comme du mouvement, des hommes et des femmes de qualité. J’imagine que si nous n’avions qu’un ou deux candidats, nous serions accusés d’être toujours monolithiques. Pour ma part, je laisse notre groupe libre de choisir. Car c’est un problème de choix personnel et non une question de stratégie politique. Je lis que Frank Borotra est mon candidat et Jean-Louis Debré, celui du Président de la République. C’est de la plus haute fantaisie. Tous deux ont soutenu Jacques Chirac à la présidentielle. Tous deux ont été ses ministres. Je pourrais en dire autant de la prétendue signification politique des candidatures de Dominique Perben, Michèle Alliot-Marie ou Jacques Godfrain. Ce sont tous d’excellents députés, aux immenses qualités et aptes à assumer la fonction. Quel que soit le choix du groupe, ce sera un bon choix.
L’Est républicain : Après « l’Appel de Valence », l’idée d’une fusion RPR-UDF est-elle une contribution au débat ou un impératif ?
Philippe Séguin : Elle sera débattue et je souhaite ce débat approfondi, authentique, sans tabou. Encore faut-il ne pas le conclure avant de l’avoir entamé, surtout qu’il touche à notre existence même.
L’Est républicain : Le RPR peut-il éviter une réflexion sur ce qu’est le gaullisme aujourd’hui ?
Philippe Séguin : Bien sûr que non. Même si l’évidence, pour moi, de la réponse m’incite à m’engager dans la discussion. Si le gaullisme entretient la nostalgie, les souvenirs, et consiste à plaquer les solutions anciennes sur les problèmes d’aujourd’hui, nous faisons fausse route. Mais si nous faisons admettre que le gaullisme se fonde sur quelques principes - Liberté, Responsabilité, Rassemblement – et sur la volonté de rechercher l’intérêt général avec les représentants de toutes les catégories de la population, cette démarche reste d’actualité.
L’Est républicain : Pour le RPR, la présence de Jacques Chirac à l’Élysée est-elle un avantage ou une gêne ?
Philippe Séguin : Nous avons porté Jacques Chirac à l’Élysée et nous nous en réjouissons, parce que, par définition, la politique de la France ne serait pas ce qu’elle est s’il y avait un président socialiste. Il est vrai, en revanche, que nous sommes dans une configuration sans précédent. Pas seulement du fait que la cohabitation puisque, à la limite, durer cinq ans, mais parce que la sortie de celle-ci sera en tout état de cause législative et non présidentielle.
L’objectif consiste donc à gagner une majorité parlementaire et non à conquérir l’Élysée. Ce qui rend hors de saison les gloses entendues ici ou là.
L’Est républicain : Comment jugez-vous les cent premiers jours du gouvernement Jospin ?
Philippe Séguin : Tous les débuts de gouvernement sont généralement marqués par une sorte d’euphorie et les médias ont tendance à y participer. Mais l’affaire Air France nous rappelle que lorsqu’il faut choisir entre le dogmatisme et le bon sens, les socialistes choisissent le premier. Et je ne crois pas à la force du contre-exemple que constitue France Télécom, parce que la nécessité a fait loi, les 40 ou 50 milliards étant indispensables pour le budget.
L’Est républicain : Dès lors que même Jean-Pierre Chevènement plaide pour un « euro faible », la mise en œuvre de la monnaie unique vous paraît-elle un débat dépassé ?
Philippe Séguin : Il m’a paru s’achever le 20 septembre 1992, à 20 heures. Le peuple a tranché. Mais il y a matière à débat sur les implications politiques de l’euro. Nos adhérents vivent d’ailleurs la contradiction entre la nécessité du retour à certaines valeurs, dont ils estiment qu’on les a imprudemment abandonnées à d’autres, et les conséquences que certains voudraient tirer de la monnaie unique.
Il va falloir définir ce qui demeure à la nation et ce qui relève de l’Europe, préciser comment s’articulent les responsabilités politiques pour que la démocratie ne soit pas, sur le plan national, un théâtre d’ombres, et sur le plan européen, un rêve.
La lettre de la Nation Magazine : 12 septembre 1997
Conformément à la décision de nos assises du 6 juillet, la rénovation de notre mouvement est lancée. En prenant les fonctions que vous m’avez confiées, j’avais assigné un triple objectif pour les mois qui viennent :
- notre réconciliation ;
- notre rénovation ;
- notre ouverture.
Je crois sincèrement que le processus de réconciliation est bien entamé. Grâce aux efforts de tous, efforts qu’il va falloir poursuivre, encore et toujours. Car cela ne m’a pas échappé, la perspective des élections régionales n’est pas toujours de nature, localement, à renforcer l’amour que nous nous portons. Eh bien, il faudra pousser le processus de réconciliation, malgré les régionales. Et j’y veillerai.
Nous entrons, désormais, dans la deuxième étape, avec l’organisation d’un vaste débat interne, qui portera à la fois sur le projet que nous devons construire, sur les valeurs que nous voulons porter, et sur l’organisation nouvelle dont nous souhaitons nous doter.
C’est dans cet esprit que j’ai réuni chacun de vos comités départementaux. J’entendais préciser le sens et la portée de ce grand débat que nous engageons. Et, déjà, commencer d’écouter…
Il ne s’agit pas de rénover pour le plaisir de rénover. Il ne s’agit pas de battre notre coulpe sous le choc de notre échec électoral.
Nous devons simplement regarder les choses telles qu’elles sont : la France est confrontée à des défis immenses. Nos structures, nos méthodes ne sont plus à leur mesure. Si nous croyons toujours dans le gaullisme, si nous croyons toujours dans sa vocation à assumer le destin national, nous devons produire un immense effort sur nous-mêmes.
C’est à ce vaste effort collectif que je vous convie.
Dans le passé, notre mouvement a toujours su trouver les voies du renouveau. Aujourd’hui, il est entré, à l’image du pays, dans un nouveau cycle, un cycle difficile, semé d’embûches. Le Président de la République a besoin, plus que jamais, de notre soutien pour défendre, sur la durée, les intérêts fondamentaux de la France.
Nous devons, comme nous avons dû maintes fois le faire, nous préparer à reconquérir l’Assemblée nationale. Mais cette fois, il nous faut accomplir bien plus encore. Nous devons reconquérir les Français. Nous devons les convaincre que la politique sert toujours à quelque chose, que notre démocratie a encore un sens, et que tout ne se décide pas quelque part, entre les marchés et Bruxelles… Nous devons les réconcilier avec la chose publique, et mettre un terme à cette défiance qu’ils manifestent avec une belle régularité en rejetant l’une après l’autre les majorités gouvernementales, et en se tournant chaque jour davantage vers les extrêmes.
C’est bien, je le redis, notre démocratie tout entière, aujourd’hui affaiblie, contestée, décrédibilisée, que nous devons contribuer à revivifier.
Si nous voulons porter cet espoir, nous devons redevenir un grand mouvement populaire qui ne se contente pas d’écouter, mais qui sache aussi entendre, proposer, et le jour venu, agir.
Pour atteindre ce but, il est clair que nous devons être nous-mêmes. Il est clair que nous ne devons jamais nous renier, ni nous compromettre. Mais en même temps, nous devons juger pleinement notre rôle d’opposition, dans la fermeté, la clarté, la franchise, loin des demi-teintes, en traitant sans hésiter les problèmes qui préoccupent le plus directement les Français. Nous ne devons craindre aucun tabou. Quant à ceux qui nous gouvernent, ou plutôt qui font semblant de nous gouverner, nous ne leur concéderons rien sur l’intérêt national. D’autant qu’ils n’ont rien appris, l’actualité nous le montre quotidiennement…
Mais nous devons aussi nous préparer. Nous devons construire notre projet. Un nouveau grand projet pour la France.
Or, fermeté ne veut pas dire fermeture… Bien au contraire, notre mouvement doit être plus ouvert que jamais sur la société, afin de mieux embrasser, dans leur diversité, les aspirations de nos concitoyens.
Cette aspiration qui doit nous guider porte un nom : rassemblement. C’est le message fondamental du gaullisme, depuis toujours. Dans la France d’aujourd’hui, soumise à d’innombrables forces de fracture et de dislocation, le rassemblement est une exigence absolue.
Ce rassemblement, nous ne parviendrons à le porter et à l’incarner que si nous nous mobilisons tous au sein de ce nouveau mouvement que nous construisons, et que nous voulons réconcilier, rénové, ouvert…
La tâche s’engage dès aujourd’hui, dans chacune de vos circonscriptions : c’est à vous de conduire le débat. Et ce débat, j’attends de vous qu’il soit authentique, approfondi, sincère. C’est la condition première de notre succès.
France 2 : Mercredi 17 septembre 1997
B. Masure : Certains élus de l’opposition n’ont pas voulu voter contre le projet de M. Aubry. Pour reprendre la formule d’A. Madelin : « Il n’est pas facile de tirer sur le Père Noël ».
P. Séguin : C’est vrai mais c’est une attitude tout à fait respectable. Moi-même, j’ai voté contre ce texte. Je dois dire que j’ai beaucoup hésité, comme l’ensemble du groupe auquel j’appartiens. Pour autant, si l’intention est louable, légitime, respectable, il n’en demeure pas moins que la démarche n’est pas la bonne. Vous savez, on met quand même 35 milliards au pot. 35 milliards qui sont pris dans la poche des contribuables, qui sont pris dans les entreprises dont il faut bien voir ce qu’on en fait.
B. Masure : Il y a plein de jeunes qui sont au bord du désespoir.
P. Séguin : Certes, et il n’y a pas que des jeunes d’ailleurs, des gens de 40 ans 50 ans, qui ont quelque peine à repartir. D’ailleurs, sur certains emplois, comme l’agent d’ambiance dans les lycées, est-ce que c’est un jeune de 18 ou 19 ans qui pourra assumer ce rôle ? J’en doute. Non, la démarche qui a été adoptée, celle de dire on crée 350 000 emplois. Pourquoi 350 000 emplois, et après on se demande : à quoi pourraient-ils bien servir ? Moi, je crois que c’est la démarche inverse qu’il aurait fallu initier, à savoir : on essaye d’inventorier les nouvelles activités, qui ne sont pas totalement solvables, qui ne pourraient pas être payées par les gens et qu’il faut aider, mais qui répondent à un véritable besoin. Et puis, ces emplois-là, on les aide, quitte à aller au-delà de cinq ans, pourquoi pas ?
J.-M. Carpentier : Mais en tant que maire d’Épinal, vous allez prendre de ces jeunes, donc vous allez profiter du système contre lequel vous votez. N’est-ce pas incohérent ?
P. Séguin : Selon toute vraisemblance, je vais voter contre le budget, c’est-à-dire, contre la fiscalité proposée par le Gouvernement, pour autant, je vais payer mes impôts. On se bat pour savoir ce qu’est la loi, et ensuite, tout le monde applique la loi. Et moi, je me déterminerai ensuite, au nom des intérêts de la ville d’Épinal, compte tenu de la loi. De la même façon, lorsque l’État m’envoie une dotation globale de fonctionnement – la subvention que donne chaque année l’État à une collectivité – je ne vais pas en renvoyer une partie sous prétexte que ça obère les finances de l’État. C’est son affaire. Alors, ceux qui sont maires doivent ensuite se déterminer compte tenu d’une législation qui existe. C’est ça la République et le principe républicain.
J.-M. Carpentier : Vous bénéficiez des lois, mais vous votez contre…
P. Séguin : Mais, c’est aussi bête – pardonnez-moi ! – que de dire que j’accepte des subventions de l’Europe alors que j’ai voté contre le Traité de Maastricht. Et de la même façon, le Traité de Maastricht, moi j’ai voté contre, et pour autant aujourd’hui, dès lors qu’il a été voté par l’ensemble des Français, à la majorité, je l’applique, car je suis un démocrate. C’est la démocratie, c’est la République.
J.-M. Carpentier : Puisqu’on parle de l’Assemblée nationale, vous avez un nouveau président du groupe RPR, J.-L. Debré, qui était plutôt le candidat préféré de J. Chirac, alors que vous, vous en aviez un autre…
P. Séguin : Là, on est dans la fantaisie la plus totale.
J.-M. Carpentier : Je n’ai pas de chance ce soir…
P. Séguin : Non, mais vous n’êtes pas le seul Monsieur Carpentier.
B. Masure : Si j’osais, cette nomination ne vous a pas « rendu chèvre » ?
P. Séguin : Pas du tout, pas du tout ! Écoutez, il y avait cinq candidats, il y avait cinq candidats. Cinq candidats qui avaient chacun leurs qualités, leurs défauts, leurs mérites, mais chacun de grandes qualités.
J.-M. Carpentier : Et c’est celui de J. Chirac qui est passé…
P. Séguin : Mais écoutez ! On a opposé Borotra, qui aurait été mon candidat, à Debré, qui aurait été celui de Chirac. Je vous signale d’ailleurs que, d’après vos confrères, on voit au moins trois candidats soutenus par l’Élysée, trois candidats, je pourrais vous les citer. Enfin, l’essentiel est ailleurs. Borotra et Debré ont voté dès le premier tour pour J. Chirac, ils ont été tous les deux dans le même gouvernement après 1995, je ne vois vraiment pas ce qui les différencie. En vérité, j’ai laissé toute liberté au groupe RPR de se prononcer. Faites-moi confiance, si j’avais voulu user d’autres pratiques et peser sur le vote – ce qui n’est pas du tout le genre de la maison aujourd’hui – j’aurais fait plus de 30 voix. Croyez-moi, bon ! Alors, ce que j’observe, Monsieur Carpentier, c’est qu’avec votre serviteur à la tête du RPR, avec à ses côtés N. Sarkozy, C. Pasqua, avec J.-L. Debré à la tête du groupe, avec É. Balladur, qui est chargé par mes soins, de réfléchir aux élections régionales sur l’Île-de-France, ceux qui diront que notre réconciliation n’est pas en bonne voie en seront pour leurs frais.
J.-M. Carpentier : On entend souvent dire – et J.-L. Debré l’a laissé entendre du reste ces derniers jours – que le RPR ne critiquait pas assez le Gouvernement. On a l’impression, en fait, que vous êtes partisans d’une opposition à la fois respectueuse et parfois inerte. On a l’impression que vous mettez du temps à monter en puissance ?
P. Séguin : Écoutez, interrogez M. Jospin. Il a parfois tendance à me considérer comme un voyou ou quasiment, bon. Ah non, mais écoutez !...
J.-M. Carpentier : Vous exagérez…
P. Séguin : Je pourrais… je vous en donne acte Monsieur Carpentier, et je vous remercie beaucoup de votre appréciation. Non. Nous remontons en charge progressivement : quand nous avons des choses à dire, nous les disons. Nous les avons dites sur Air France. Ce soir, je peux vous dire que je prends acte d’un nouveau reniement du gouvernement, qui s’était engagé sur les 35 heures payées 39 et qui semble maintenant oublier en chemin cette promesse – une de plus. Pour autant, nous sommes l’opposition, nous sommes le Rassemblement pour la République, et notre critique aura d’autant plus de force qu’elle pourra s’adosser à un projet crédible. Ce projet, il n’existe pas ; il existait, il a été repoussé par les Français. Nous devons donc entamer une réflexion, et nous l’avons entamée, sur nous-mêmes, sur notre vocation, sur les raisons du décalage entre la vie publique, et d’autre part, les préoccupations, les vrais problèmes des Français. Alors cette démarche que nous avons entamée avec humilité, modestie, sérieux, résolution, qui fait beaucoup ricaner, qui fait rire…
J.-M. Carpentier : Lenteur…
P. Séguin : Mais écoutez, on ne trouve pas un projet politique sous le sabot d’un cheval, il faut en discuter. Il faut en parler, il faut aller à la rencontre des gens. Eh bien cette démarche, qui est la nôtre, nous la conduirons jusqu’au bout, quels que soient, je le répète, les ricanements des uns et des autres.
TF1 : Mardi 30 septembre 1997
P. Poivre d’Arvor : P. Séguin, bonsoir.
P. Séguin : Bonsoir.
P. Poivre d’Arvor : Vous connaissez votre numéro d’immatriculation, vous ?
P. Séguin : Oui, je pourrai rouler demain, et pas après-demain.
P. Poivre d’Arvor : Bon, mais plus globalement ?
P. Séguin : La loi est la loi. Il faut l’appliquer. D’ailleurs, c’est une loi qui a été votée sur l’initiative du précédent gouvernement, plus particulièrement de Madame Lepage, qui était alors ministre de l’environnement. Et on l’aurait probablement appliquée dès le mois d’août dernier – parce qu’on a déjà eu un pic de niveau 3 – si Madame Voynet avait été disponible à l’époque, ce qui n’était pas le cas. Pour autant, trois remarques néanmoins. Première remarque : j’ai l’impression d’une certaine improvisation. Vous savez, dans les écoles, on fait des exercices d’alerte. Là, on aurait pu quand même informer les entreprises, les administrations, de la façon dont il fallait se préparer à ce genre d’éventualité. Visiblement, ça n’a pas été fait. D’autre part, il y a eu un défaut de concertation, aujourd’hui, avec les élus locaux, qui aurait permis, me semble-t-il pourtant – si elle avait eu lieu, ladite concertation – d’éviter certains désordres, demain. Et enfin, troisièmement, moi, ce qui m’inspire certains regrets, c’est qu’on attend toujours les décrets d’application sur la fameuse pastille verte. Parce que dire les pairs, les impairs, bon, c’est un peu arbitraire. Le véritable système, le véritable bon système, c’est de permettre aux non-polluants de circuler et d’interdire aux polluants de circuler. D’où le système de la pastille verte. Or, on attend le fameux décret d’application de la loi Lepage. Il n’est toujours pas intervenu. Ce qui fait que normalement, le système que nous allons connaître demain, qui aurait pu être interrompu à partir du 1er janvier 98, il va sans doute falloir attendre le 1er janvier 99 pour pouvoir en changer. C’est un peu regrettable.
P. Poivre d’Arvor : Hier à votre place, L. Jospin nous parlait d’abord des 35 heures. C’est le 10 octobre que le sujet sera tranché. Pour vous d’abord, 35 heures payées 39, c’est jouable ?
P. Séguin : Non, je ne crois pas. J’ai d’ailleurs quelques peines à m’y retrouver dans les intentions du Premier ministre. Enfin, il nous a dit d’attendre le 10 octobre, nous allons attendre le 10 octobre. Mais pour l’instant, nous n’avons aucun élément pour savoir ce qu’il va décider. J’avais eu l’impression, comme beaucoup de Français – en tout cas comme Madame Voynet, comme Monsieur Hue, etc. # que pendant la campagne électorale, on nous avait annoncé les 35 heures payées 39. Puis on nous a expliqué qu’on avait mal compris, qu’on n’avait jamais dit ça, qu’on avait dit qu’on baisserait le temps de travail sans baisser les salaires. Je n’ai pas vu une grande différence dans les deux phrases, mais on nous a dit qu’il y en avait une grande. Et le Premier ministre a rajouté que 35 heures payées 39, c’était antiéconomique. Bon, alors attendons le 10 octobre, on verra comment le Premier ministre sort de la contradiction et sort de l’alternative – mais à laquelle il est finalement très habitué – classique : est-ce que je confirme une promesse mauvaise, ou est-ce que j’ajoute un reniement à une liste déjà longue ?
P. Poivre d’Arvor : À votre avis, il faut l’imposer aux entreprises à travers une loi-cadre ?
P. Séguin : Sûrement pa s, sûrement pas. Ça peut être utile dans certains cas, sous une réserve : c’est que ça soit discuté au niveau des entreprises, compte tenu de la réalité concrète. Pour autant, ça n’est pas une panacée. Je voudrais faire deux observations. La première c’est que l’on ne convaincra pas les Français qu’en travaillant moins, ils pourront toucher autant, sinon davantage. On ne convaincra pas les Français de ce que l’on aura rayé les problèmes de la France en organisant la pénurie. Et puis, d’autre part, il faut être logique : les emplois, où la notion d’horaire a une signification, vont être de moins en moins nombreux au fil des années. Ça n’est pas une mesure d’avenir. On sort du travail posté, du travail où la notion d’horaire a un sens : où on est sur un poste de travail, où on fait certains gestes et où on est remplacé par quelqu’un qui va passer le même nombre d’heures qu’on y a passé pour faire le même geste. C’est fini – c’est d’ailleurs bien notre problème – à cause de la concurrence des pays à bas salaire. Et les emplois nouveaux sont des emplois où compte l’objectif à atteindre, et pas les moyens à mettre en œuvre et le nombre d’heures qu’on y a passé.
P. Poivre d’Arvor : Ce gouvernement à l’air de créer davantage d’emplois que le gouvernement précédent.
P. Séguin : Je n’en suis pas si certain. Je crois même – et c’est tout le problème de son budget – qu’il fait un contresens, au départ, sur le rôle que doivent jouer les entreprises et sur le rôle que jouent, que doivent jouer les familles, parce que les familles sont également des employeurs extrêmement intéressants. Du coup le budget est la conséquence de cette appréciation erronée : c’est-à-dire que seule la France, parmi tous les pays européens, augmente ses dépenses – alors qu’on s’était efforcé jusqu’ici, notamment sur le budget 97, de les stabiliser – et en contrepartie, bien sûr, on augmente les impôts. Mais ça n’est pas une bonne solution, et on fait un contresens – je le répète – sur le rôle que doivent, que peuvent jouer les entreprises, sur le rôle que peuvent et doivent jouer les familles. Ce sont les entreprises qui créent l’emploi, aussi bien privé que public. Parce que les entreprises créent de la richesse, elles paient des impôts, elles versent des salaires, sur ces salaires, il y aura des impôts, et c’est avec tout cela qu’on va payer des emplois de fonctionnaires, qu’on va payer des dépenses de solidarité, etc. Si les entreprises sont affaiblies, si on les matraque fiscalement – ce qui est le cas dans ce budget – eh bien, par définition, les entreprises verront leur capacité d’aider au développement de la richesse nationale atténuée.
P. Poivre d’Arvor : Ne croyez-vous pas que c’est à l’État de montrer l’exemple ?
P. Séguin : Je suis tout à fait d’accord sur le point suivant : à savoir qu’entre le secteur privé et le secteur public, il peut y avoir un tiers secteur. Un tiers secteur notamment dans le domaine des services, où on aide certains emplois à émerger dans la mesure où ils répondent à des véritables besoins. Mais les emplois de Madame Aubry – je suis au désespoir de devoir le constater – ne sont pas des emplois de tiers secteur, ce sont des emplois publics en devenir – Madame Aubry nous l’a annoncé d’ailleurs. Ce qu’on sait de ces emplois, c’est que ce sont surtout des emplois de sécurité et des emplois de l’éducation nationale. Or, elle nous a dit que ces emplois-là avaient vocation à être titularisés, à être rendus définitifs. Que fait-on alors ? On prélève sur les capacités de création en emplois privés pour créer des emplois publics. C’est un très mauvais calcul. Au passage, on matraque les familles qui, elles-mêmes, sont créatrices d’emplois. C’est vraiment mesquin et totalement erroné que de s’en prendre à l’allocation de garde d’enfant à domicile, dont d’ailleurs, j’aimerais faire observer, car j’ai entendu avec beaucoup d’attention, hier, le Premier ministre qui, défendant l’initiative de son gouvernement, croyait devoir rappeler que c’était Madame Aubry et les socialistes qui avaient créé l’allocation de garde à domicile.
P. Poivre d’Arvor : En 1991, oui.
P. Séguin : C’est moi qui ai créé l’allocation de garde d’enfants à domicile en 1986 ! C’est dire que je crois savoir de quoi je parle. Ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui risquent d’être en cause. Et que dire de la baisse des déductions fiscales pour ce qui concerne les emplois à domicile. Les emplois à domicile ce sont plus de 600 000 emplois ! Pour un effet d’affichage sur de nouveaux emplois, sur la pérennité d’utilité desquels on peut s’interroger, on compromet des emplois existants. C’est un très mauvais calcul.
P. Poivre d’Arvor : Cela dit, vous savez bien que le cap de ce budget aurait été difficile à passer, y compris pour vous. Croyez-vous en l’explication du Premier ministre, qui dit qu’au fond c’est à cause de cela qu’il y a eu dissolution ?
P. Séguin : Je ne crois absolument pas à cette façon de refaire l’histoire, même si l’histoire s’est bien terminée pour le Premier ministre. Il y aurait eu, effectivement, des problèmes à régler, mais je crois que le cap aurait été tenu, et en particulier que son budget se serait caractérisé par une meilleure maîtrise des dépenses. Or, là, on laisse à nouveau les dépenses filer au-delà de l’inflation – contrairement à ce qu’a dit le Premier ministre – parce que l’augmentation des dépenses est de 1,7 %. Au passage, permettez-moi de le dire – parce que ça a été un des points très importants, hier, de l’intervention du Premier ministre – au mépris de la justice sociale et au mépris de la morale fiscale ! Au mépris de la justice sociale : il faut que je prenne ma part à cette querelle sur les classes moyennes, dont le Premier ministre nous a donné, hier, une définition si poétique. On nous dit que les classes moyennes ne sont pas touchées par ce budget, l’opposition raconte des histoires. Moi, j’ai deux chiffres, je m’en tiendrai là ce soir. Deux chiffres : augmentation de la taxation sur les plans d’épargne-logement. Savez-vous qu’il y en a 12 millions ! Augmentation de la taxation des contrats d’assurance-vie. Savez-vous combien il y a de contrats d’assurance-vie en France ?
P. Poivre d’Arvor : Plus de 10 millions.
P. Séguin : Plus de 10 millions, 12 millions, 10 millions, et je mets au défi quiconque de venir contester ces chiffres. Je crois que je suis d’ailleurs en deçà de la vérité. On ne peut pas prétendre qu’il ne s’agit que des gros, que de ceux qui ont les moyens.
P. Poivre d’Arvor : Même s’il y a toujours des plafonds et des planchers ?
P. Séguin : Entre nous, quelqu’un qui est riche n’a pas besoin de prendre un plan d’épargne-logement pour s’acheter une propriété. Soyons sérieux ! Donc, la justice sociale, contrairement à ce qu’a dit le Premier ministre, est absente de ce budget. Que dire de la morale fiscale ? Hier, le Premier ministre – bon, c’est une attitude qui lui est un peu habituelle – s’est posé en donneur de leçons de morale, et notamment en donneur de leçons de morale fiscale. Il a dit que les précédentes initiatives avant lui étaient immorales et qu’il avait rétabli la morale. Vous l’avez entendu mieux que quiconque, vous étiez en face de lui. Puis-je rappeler que le Gouvernement d’A. Juppé avait remis en cause les privilèges dont profitaient 70 catégories professionnelles pour des raisons historiques diverses ? On avait, d’ailleurs, dit à l’époque, non seulement que Monsieur Juppé avait du courage, mais même qu’il était inconscient. Il avait eu ce courage. Qu’a fait Monsieur Jospin ? Il a rétabli intégralement les privilèges des professions en question. Alors, libre à lui de le faire. Grand bien fasse à ceux qui vont en bénéficier, mais surtout, qu’il ne vienne pas donner de leçons de morale.
P. Poivre d’Arvor : Vous nous avez dit que vous ne vous présenterez jamais contre J. Chirac. C’est le président du RPR, qui ne se présentera jamais contre lui en 2002 ou P. Séguin ?
P. Séguin : Est-ce que je dois l’expliquer en javanais, en swahili ?
P. Poivre d’Arvor : Non, c’est vous-même.
P. Séguin : C’est clair. Je crois que c’est clair pour chacun. De toutes façons, tous ceux qui essayeront d’introduire un coin entre J. Chirac et moi en seront pour leur frais.
P. Poivre d’Arvor : Pourtant, de temps en temps, il y a eu des tiraillements entre vous ?
P. Séguin : On s’explique, oui.