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Hubert Curien, ministre de la Recherche : "L'expérimentation animale est nécessaire"
Ouest-France : Peu de responsables s'expriment sur les expérimentations animales. Pourquoi ce secret ? Par honte ?
Hubert Curien : De la honte, je ne crois pas. Du secret, oui. Les chercheurs ont craint les réactions sentimentales et émotives de l'opinion publique. Pour ne pas faire d'histoire, ils préféraient ne rien dire. C'est la mauvaise attitude. Il faut de la transparence, informer les associations qui veulent être éclairées. Ainsi nous rétablirons un climat de confiance.
Ouest-France : On va vous dire, paroles-paroles, promesses-promesses…
Hubert Curien : Vous réagissez comme Mme Bardot, que j'ai eue longuement au téléphone. "C'est gentil, vous promettez de faire attention", m'a-t-elle dit, "mais vous ne supprimez pas les expérimentations animales". Non, je suis honnête, je ne propose pas leur suppression parce que ce serait absurde, contraire au progrès de la médecine et au progrès de l'humanité. Mais encore faut-il bien s'en expliquer.
Ouest-France : Utilise-t-on moins d'animaux aujourd'hui qu'hier ?
Hubert Curien : Oui. Le nombre de chiens et de chats a décru de 30 % en cinq ans. Nous utilisons de plus en plus des cultures de cellules. Mais le public doit comprendre qu'avant d'administrer un médicament à un être humain, il est nécessaire de vérifier son effet non seulement sur sa cible mais sur l'ensemble du corps. On doit donc le tester sur les "modèles animaux" les plus adaptés. Le chien, le chat, la souris ou, de plus en plus, le porc.
Ouest-France : Quand ce ne sont pas des animaux de compagnie, le public s'émeut moins ?
Hubert Curien : Oui, je comprends cela bien que ce soit injuste. Le Bon Dieu n'a pas voulu que certains animaux soient destinés à la boucherie et d'autres aux caresses. Mais les scientifiques ne peuvent pas toujours choisir. Ils recherchent les animaux dont les réactions physiologiques d'ensemble sont les plus proches de celles de l'homme.
Ouest-France : Ce qui choque beaucoup, ce sont les trafics d'animaux de laboratoire.
Hubert Curien : Ils sont odieux. Il ne faut plus que nos compatriotes puissent craindre que leur animal favori soit volé, revendu, et finisse en sujet d'expérience alors qu'il était parti faire sa petite promenade. Nous allons renforcer les contrôles pour que les seuls animaux sur lesquels on expérimente soient des animaux d'élevage spécialement destinés aux animaleries des laboratoires. Des tatouages obligatoires permettront de les reconnaître et nous réprimerons aussi bien les trafiquants que les acheteurs.
Ouest-France : Expérimenter des vaccins et des médicaments, on comprend, mais tester des cosmétiques sur des animaux, est-ce bien nécessaire ?
Hubert Curien : Là aussi, il faut utiliser le moins d'animaux possible, mais quand on a assisté à une catastrophe comme celle du talc Morhange, on ne doute pas de l'utilité de ces tests. J'ai rencontré les industriels. Si nous restreignions brutalement ces expérimentations, toutes ces entreprises iraient faire leurs essais ailleurs. Ce serait les lapines brésiliennes qui souffriraient et des ouvriers français qui n'auraient plus de travail.
Ouest-France : Que doit-on à l'expérimentation animale ?
Hubert Curien : Pasteur travaillait sur les chevaux. Toute la chirurgie de transplantation a d'abord été tentée sur des animaux. Aujourd'hui le vaccin du sida doit être testé sur le chimpanzé… Ça n'est pas un problème d'éthique qui est posé. Mais celui des contrôles, de la vigilance et de la transparence.
Propos recueillis par Bernard Le Solleu