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Le Fig.-Eco. : Vous aviez refusé de vous rendre aux auditions publiques de la mission Cottave sur les retraites. Que pensez-vous de son rapport ?
Jean-Louis Giral : Je suis très déçu. Je pensais que la mission aurait fait preuve de fermeté et d'originalité en incitant le gouvernement à prendre des mesures. On passe à côté des problèmes et on ne fait preuve d'aucun courage. Il y a des années que l'on a pris conscience de la situation : à partir du moment où l'espérance de vie s'allonge, quelle que soit la démographie, il est certain qu'il y a lieu d'allonger la durée d'activité. On a l'air de redécouvrir aujourd'hui un débat relancé il y a presque un an par le Livre blanc. A ne rien faire, on risque de rouvrir le débat perpétuellement sans jamais le conclure.
Le Fig.-Eco. - Les syndicats objectent qu'il serait paradoxal d'allonger la période d'activité alors que les entreprises continuent de licencier des salariés à 55 ans ou avant ?
- Ne confondons pas tout. Même en période d'indemnisation du chômage, les personnes continuent d'acquérir des droits à la retraite. Il ne faut pas mélanger le problème conjoncturel économique - une faible croissance - avec le problème structurel que constitue la nécessité d'équilibrer sur le long terme les régimes de vieillesse. Nous l'avons montré avec l'accord Unedic : nous ne sommes pas favorables à la mise à la retraite anticipée, et nous avons pris des mesures pour modifier ces comportements. Il ne s'agit donc pas de prendre des dispositions brutales d'allongement de la période d'activité, mais de mettre en oeuvre immédiatement les réformes qui s'imposent : par exemple, allonger la période de travail d'un trimestre par an, ou même d'un demi-trimestre. L'important est d'agir, arrêtons de « discourir ».
Le Fig.-Eco. - Pensez-vous qu'avec l'aide de Bernard Brunhes, le ministre puisse rapidement prendre ces mesures ?
- C'est une question de courage politique. J'observe qu'on a perdu beaucoup de temps. Lorsque Michel Rocard a relancé ce débat retraite, nous avions deux ans sans élections. Nous sommes aujourd'hui face à des échéances politiques et à trois congrès syndicaux, sans compter les élections prud'homales de fin d'année. Nous entrons dans une période difficile. Mais attendre 1996 comme le suggère le rapport Cottave, c'est faire de la retraite un des thèmes de la campagne présidentielle, et retarder encore les décisions.
Le Fig.-Eco. - La mission Cottave se prononce pour une clarification des rôles et des financements entre les droits de retraite acquis en contrepartie de cotisations et les droits gratuits (période de chômage, maladie, maternité, etc.). C'est l'un de vos chevaux de bataille de toujours.
- C'est une réforme nécessaire qui simplifierait et clarifierait les choses. Reste à savoir comment cela sera fait et financer. Mais c'est une réforme qui ne permet pas en elle-même de résoudre l'équilibre économique de long terme des régimes.
Le Fig.-Eco. - Si cette clarification est opérée, seriez-vous prêt à gérer avec les syndicats l'assurance vieillesse stricto sensu, comme vous le faites dans les régimes complémentaires.
- Oui. Il nous appartiendrait alors de définir avec nos partenaires un mode de revalorisation des pensions, en retenant un ensemble de paramètres économiques représentatifs - comme l'évolution du PIB, des prix et des salaires - et en opérant un arbitrage et un partage des efforts entre les actifs et les retraités. Exactement comme nous le faisons dans les régimes complémentaires. Cela permettrait peut-être aussi de modifier certaines règles comme le passage de la référence des 10 meilleures années à 25 ans, voire à l'ensemble de la carrière professionnelle, ce que traduit parfaitement le système de retraite par points.
Le Fig.-Eco. - La mission suggère également d'élargir le financement de la protection sociale à la valeur ajoutée. Qu'en pensez-vous ?
- Nous n'y sommes pas favorable, car cela pénaliserait l'investissement, ce n'est pas le moment d'aller dans ce sens !
Le Fig.-Eco. - Estimez-vous normal que l'on ne parle que du régime général des salariés, à l'exclusion des régimes spéciaux ?
- Je comprends que l'on ne traite pas les deux questions simultanément, car pour les régimes spéciaux la question dépasse largement le seul problème des retraites. C'est un élément du statut. Toutefois, ce serait une erreur de ne pas traiter du problème des régimes spéciaux. Cela s'impose d'autant plus que l'on n'hésite pas à transférer des régimes spéciaux sur le régime général : tout récemment, par exemple, par les chemins de fer secondaires. Il ne faut pas faire perdurer ces régimes. Une première solution pourrait par exemple consister à ne pas faire bénéficier les nouveaux embauchés de ces statuts « privilégiés ».