Interviews de M. Michel Delebarre, ministre de la ville et de l'aménagement du territoire et tête de liste PS aux élections régionales de 1992 dans le Nord, à Europe 1 et RTL le 4 mars 1992, sur les mesures en faveur de la politique de la ville et du développement social urbain et la campagne électorale.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Comité interministériel des villes et du développement social urbain à Paris le 3 mars 1992

Média : Europe 1 - RTL

Texte intégral

Europe 1 : 4 mars 1992

J.-P. Elkabbach : La campagne électorale dégénère avec le Front national et contre lui. Qui fait de la provocation ?

M. Delebarre : Je comprends les manifestations des jeunes, surtout contre le Front national. Je dis, attention au dérapage. Refusons tout ce qui peut apparaître provocation. La meilleure manifestation anti-Le Pen c'est le 22 mars, c'est le vote massif contre Le Pen. C'est le refus de l'abstention qui sert Le Pen. Les manifestations pacifiques, massives contre le Front national, sont des alertes à la démocratie. C'est très bien, mais ça ne doit pas dégénérer. Sinon, on va faire du Front national des martyrs et ce serait une erreur considérable. Je le répète, c'est le vote qui le fera reculer.

J.-P. Elkabbach : Dans les difficultés et l'insécurité des banlieues, le Front national exploite le climat. Vous l'accusez à Épinay ou ailleurs de se livrer de l'agitation ?

M. Delebarre : Il y a un mal vivre dans les banlieues, mais il y a beaucoup d'efforts qui sont faits dans les banlieues. Je n'accuse personne. Je dis que tous ceux qui veulent exploiter les situations dramatiques que l'on peut vivre à Épinay dernièrement avec la mort d'un jeune, sont des irresponsables.

J.-P. Elkabbach : Les préfets ont-ils l'ordre d'empêcher les meetings du Front national ou la mission de les protéger ?

M. Delebarre : Ils ont l'ordre de veiller à la sécurité de la vie publique. Ils n'ont aucune consigne particulière à son égard.

J.-P. Elkabbach : Il faut accepter que les manifestations et les meetings du Front national aient lieu ?

M. Delebarre : La plupart des meetings du Front national en province ne font pas recette. Je le maintiens, c'est dans l'urne que l'on fera reculer Le Pen.

J.-P. Elkabbach : Combien l'État va-t-il consacrer cette année à la politique de la ville ?

M. Delebarre : Mon budget c'est 1,2 milliard pour 1992. Mais ce n'est que partiel car il faudrait mettre les crédits de l'Education nationale, ceux de la police, ceux de l'action en faveur du logement social. Ce sont des milliards de francs chaque année qui sont consacrés à la politique de la ville.

J.-P. Elkabbach : Il paraît que ce n'est pas assez !

M. Delebarre : Nous avons les moyens en liaison avec les collectivités territoriales. À nous de les utiliser mieux et plus vite.

J.-P. Elkabbach : G. Bonnemaison, qui s'occupe des villes et de la délinquance, n'a pas pu empêcher des violences et la mort d'un jeune dans sa propre ville. Il vous a réclamé 1 milliard, sinon il démissionne. Vous lui donnez ?

M. Delebarre : C'est un homme qui connaît très bien les problèmes de prévention, il y travaille depuis près de dix ans. Ce que nous faisons est dans la ligne de ce qu'il fait.

J.-P. Elkabbach : Il a des résultats ?

M. Delebarre : À travers le territoire français, oui. Mais cela ne peut pas empêcher toute explosion, tout dérapage, tout vol de scooter par un jeune ! On ne peut pas empêcher dans une société, qui est encore trop celle de l'exclusion, des risques de dérapages. G. Bonnemaison s'est vu confier hier par Mme Cresson une mission pour faire en sorte qu'en liaison avec les conseils généraux, on puisse aller plus vite, plus loin en matière de prévention. Il a accepté.

J.-P. Elkabbach : Quand vous dites : on décentralise l'aide à la ville, on va mobiliser les conseils généraux. Ça veut dire : « prenez vos responsabilités » ?

M. Delebarre : Ça veut dire qu'on est tous partenaires. Il n'y a pas que l'État dans cette affaire.

J.-P. Elkabbach : Vous avez des exemples de quartiers où vous avez déjà obtenu des résultats, où ça marche ?

M. Delebarre : Dans 400 quartiers sur lesquels nous travaillons depuis des années, il y en a manifestement une quarantaine où il y a des préoccupations très fortes et 300 dans lesquels les choses chaque jour évoluent. Sur le terrain, des hommes et des femmes se battent en faisant bouger la vie, en écoutant les jeunes, en changeant l'urbanisme. Il y en a quelques dizaines sur lesquels il faut être très vigilants.

J.-P. Elkabbach : Que répondez-vous à ce rappeur qui chante « Édith, Édith » ?

M. Delebarre : Il a raison d'utiliser ce moyen pour se faire entendre. Il a envie de réaliser des choses. Les mesures que nous avons prises hier, qui permettent aux préfets de répondre très vite aux sollicitations d'associations de jeunes, iront dans le sens d'une plus grande souplesse.

J.-P. Elkabbach : L'Humanité ce matin dit : « C'est du replâtrage, du saupoudrage... Il faut s'attaquer à la racine du mal ».

M. Delebarre : Une fois que vous avez dit cela, vous n'avez rien résolu. Quand nous faisons en sorte, avec des chefs d'entreprises dans les quartiers, d'implanter des activités et des emplois comme nous le faisons depuis des mois, on y répond. Je donne rendez-vous aux commentateurs de la politique de la ville, sur le terrain.

J.-P. Elkabbach : Et quand des élus de droite estiment que vos efforts sont nécessaires et louables, mais qu'ils doivent s'accompagner d'une répression adaptée ?

M. Delebarre : Il faut les deux. On ne peut mener intelligemment une politique de prévention que si on est capable de sanctionner lorsque cela doit être fait. Nous allons en 92, avec H. Nallet, mettre en place dix maisons de justice supplémentaires dans les quartiers difficiles. Il y en a déjà 15, on sera à 25 à la fin de l'année. Rapprocher la justice et éventuellement sanctions et peines de substitution, dans l'endroit où s'est posé le problème.

J.-P. Elkabbach : Vous serez encore ministre quand il y aura les résultats ?

M. Delebarre : Je les vois déjà. Il y a 25 ou 30 ans de difficulté que nous sommes en train de résoudre. Il faudra sûrement des années. Cette politique s'inscrit dans la durée, elle n'est pas que française. Elle doit être de plus en plus européenne. J'ai ferme espoir avant la fin du siècle, avant cinq ou six ans, d'avoir vu de vrais changements sur le terrain.

J.-P. Elkabbach : Mais vous serez ministre ?

M. Delebarre : Sûrement.

J.-P. Elkabbach : Vous êtes d'un optimisme terrible !

M. Delebarre : Quand on se bat, pourquoi ne pas vouloir obtenir les résultats ? Ce que je souhaite, c'est qu'il y ait toujours au gouvernement, une équipe qui ait envie de faire changer la France, de faire bouger le pays.

J.-P. Elkabbach : Vous êtes pratiquement le seul socialiste qui pourrait gagner une région, il faut vous protéger…

M. Delebarre : Vous être trop pessimiste. Faites confiance à ceux qui vous écoutent. Rien que parce que vous avez dit cela, ils essaieront de vous faire mentir.

J.-P. Elkabbach : E. Cresson sera à Dunkerque aujourd'hui à vos côtés, les dockers se mettent en grève. Ils ne sont pas en train d'achever d'assassiner les ports français ?

M. Delebarre : Ils doivent comprendre que si l'on veut que les ports français restent des outils économiques utiles au développement économique du pays, ils doivent changer dans leur fonctionnement. Le combat qu'ils mènent n'est pas le combat de l'avenir. Ils doivent le savoir et en sortir par la négociation.


RTL : 4 mars 1992

J.-J. Bourdin : 13 ministres réunis hier à Matignon, 120 millions de francs débloqués. Où va aller cet argent ?

M. Delebarre : On a débloqué plus d'argent que cela. Les 120 millions de francs dont vous parlez, c'est pour la mise en place des projets de services publics de proximité. Nous assistons dans ces quartiers à une absence de services publics. Nous voulons qu'à l'initiative des préfets, des différentes administrations – ça peut impliquer la Poste, l'Éducation nationale, des éléments relatifs à la sécurité – nous voulons que les choses aillent plus vite et plus loin. Cela sera mis en place dès 1992. On a aussi décidé que dans les 13 départements les plus touchés par la politique de la ville, comme le Nord – Pas de Calais, Rhône-Alpes, l'agglomération parisienne, il allait y avoir dans la gestion de l'Education nationale un effort considérable pour que les équipes pédagogiques dans les écoles, dans les collèges, soient confortées, soutenues dans leur travail d'assistance auprès des enfants.

J.-J. Bourdin : Travail sur le terrain ?

M. Delebarre : Oui et c'est pourquoi nous avons décidé hier de mettre des moyens à la disposition des associations locales, via les préfets. Il y aura des crédits qui seront débloqués dès 92 pour encourager le débat local. Cela avec l'accord, la volonté de la population.

J.-J. Bourdin : On dit, dans ces quartiers, que les subventions promises n'arrivent jamais aux associations ou alors très en retard, qu'elles sont mal réparties ?

M. Delebarre : On a des traditions administratives qui, parfois, se traduisent par des lenteurs. On a voulu briser là aussi ce qui était ce frein à l'animation éventuelle. Les préfets dans les départements auront maintenant très vite – le texte va sortir dans les prochains jours – une autorisation pour engager des crédits. Il faut débloquer très vite l'argent qu'attendent les associations. Il y aura cette capacité de chéquier des préfets sur le terrain.

J.-J. Bourdin : Comment allez-vous répartir l'argent, selon quels critères ?

M. Delebarre : Il y a sur les moyens de la politique de la ville, dont je rappelle qu'ils ont augmenté de 30 % de 91 à 92 et de plus de 50 % dans les deux dernières années, une action que nous menons sur l'ensemble de 400 quartiers en difficulté. Nous avons aussi une dizaine de quartiers sur lesquels nous voulons, dans les prochaines années, débloquer réellement les dossiers essentiels. Pensons à Mantes-la-Jolie dont on a souvent parlé, hélas, dans des périodes difficiles. Nous ne pouvons pas laisser le maire, les responsables locaux de ces villes, pendant des années encore, avec des moyens parfois trop faibles. Les maisons de justice, ce n'est pas une initiative d'hier. Il y en a déjà 15 qui fonctionnent dans des quartiers qui ont des difficultés, il y en aura dix de plus en 1992.

J.-J. Bourdin : C'est peu...

M. Delebarre : Quand on part de quelque chose qui n'existait pas, mettre les choses en route, c'est toujours difficile. Il y a maintenant un véritable engagement d'H. Nallet, et nous allons, en liaison avec les collectivités, accélérer le mouvement.

J.-J. Bourdin : Sur la sécurité dans ces cités, le secrétaire général de la Fédération nationale autonome de la police dit ceci : « On assiste désormais à du jamais vu : des policiers sont attaqués personnellement par des bandes de jeunes. Tout concorde pour dire qu'en plus, des groupuscules politiques minoritaires agitent les paumés des banlieues ».

M. Delebarre : Sur les groupuscules, votre interlocuteur est plus à même que moi de porter des jugements. Je tiens à rendre hommage aux fonctionnaires de terrain, car ce n'est pas simple. Il faut aussi que lorsque des policiers sont dans un quartier, ils ne le soient pas seulement comme force d'intervention ou de sécurité ; qu'ils soient aussi les accompagnateurs de l'évolution du quartier. C'est pourquoi nous avons décidé que dans les 40 quartiers où des problèmes de sécurité se posent de façon aiguë, il y aura, d'ici fin 92, un réel îlotage qui sera mis en place. Je suis souvent sur le terrain et j'ai pu constater ce que peuvent faire des policiers qui tous les jours sont dans le quartier.

J.-J. Bourdin : Vous êtes en campagne dans votre région, il semble bien que personne n'aura la majorité seule, et qu'il faudra des alliances. Lesquelles préconisez-vous ?

M. Delebarre : Je préconise d'abord qu'il y ait une vraie campagne. Je suis frappé de voir que cette région du Nord-Pas de Calais, ce département du Nord, est en train de bouger formidablement. L'éducation fait un formidable bond en avant, les entreprises sont en train de se moderniser, l'aménagement progresse, l'environnement est de plus en plus pris en compte et revalorisé. Je ne vois pas sur le terrain les démarches de ceux qui aujourd'hui souhaitent avoir les suffrages des électeurs. Je suis frappé de voir que pour beaucoup, dans cette campagne, il s'agit de dire : « haro sur les socialistes ». Le vrai sondage que nous aurons, nous l'aurons le 22 mars. Je souhaite que sur ce terrain-là, celui du Nord de la France, nous fassions reculer l'abstention. Avec les différentes forces de progrès, nous faisons bouger les choses sur le terrain dunkerquois.

J.-J. Bourdin : Ne pâtissez-vous pas de ne pas être un sortant ?

M. Delebarre : Je suis un sortant, j'ai participé à l'animation du conseil régional. J'ai eu la responsabilité, depuis six ans, de l'ensemble des problèmes relatifs à l'éducation, la formation, à la jeunesse et aux sports. Les nordistes peuvent voir en quoi ma participation au conseil régional et la volonté que nous avons eue avec le président du conseil régional a permis de transformer les choses dans notre région.