Interviews de Mme Michelle Demessine, secrétaire d’État au tourisme, dans "Le Parisien" du 25 septembre, "Ouest-France" du 29 septembre et à France 2 le 3 octobre 1997, sur les bistrots, le tourisme et la modification du calendrier des vacances d'hiver.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Opération "Bistrots en fête" le 24 septembre 1997

Média : France 2 - Le Parisien - Ouest France - Télévision

Texte intégral

Date : 25 septembre 1997
Source : Le Parisien

Le Parisien : Que pensez-vous de l’opération Bistrots en fête ?

Michelle Demessine : Je trouve que c’est une opération très intéressante, comme toute action qui vise à maintenir ces lieux de vie dans les villages ou dans les quartiers. Chacun a besoin de se rencontrer, de se parler. Dans un bistrot, cela se fait naturellement. Et quand les gens se parlent, il y a moins de problèmes. Le bistrot, c’est très important. Quelque part, c’est peut-être ça la nouvelle démocratie, celle qui se pratique tous les jours.

Le Parisien : Comment jugez-vous l’évolution des bistrots ?

Michelle Demessine : Aujourd’hui, 10 % des bistrots français sont déclinés sous un label nouveau, « Cafés à thème ». C’est très bien. Cela prouve la grande diversité de nos bistrots. D’autre part, un effort accru est engagé pour améliorer la qualité de l’accueil et des services.

Par exemple, l’institut pour le développement des cafés-brasseries, association interprofessionnelle, regroupe environ trois mille établissements sous une charte baptisée « Café-Brasserie de qualité ». Cette initiative me paraît intéressante et je souhaite qu’elle soit étendue afin de mieux satisfaire les 15 millions de personnes qui fréquentent chaque jour ces lieux de vie.

Le Parisien : Visiblement, le bistrot est un thème qui vous tient à cœur…

Michelle Demessine : Je suis née dans le bistrot de ma mère, à Frelinghien, dans le Nord de la France. Je garde un excellent souvenir de mon enfance, notamment lorsque les saisonniers s’installent pour déjeuner au bistrot. Ils venaient de partout pour la moisson et racontaient de tas d’histoires. Pour moi, ils représentaient une fenêtre sur le monde.


Date : 29 septembre 1997
Source : Ouest-France

Ouest-France : Le comportement du touriste ne cesse d’évoluer vers des séjours plus courts et des dépenses limitées. N’y a-t-il pas là un nouveau handicap pour les professionnels ?

Michelle Demessine : La demande se modifie, c’est vrai.

Le touriste part moins longtemps mais il part plus souvent. Il veut donner du sens à ses vacances. Il souhaite apprendre. Pour les professionnels, c’est difficile mais passionnant. C’est un secteur économique porteur des enjeux du futur. Il représente la moitié du solde de la balance du commerce extérieur. Et, malgré cela, il reste toujours fragile. Il y a des pistes à explorer dans le domaine de la qualité, de l’accueil, de l’information. Il y a des activités nouvelles à inventer ou à développer.

Ouest-France : Cela pourrait-il déboucher sur des créations d’emplois ?

Michelle Demessine : Certainement. L’amélioration de la qualité dans ce secteur – accompagnée d’un volet formation – passe aussi par des emplois nouveaux. Depuis le bilan positif de l’été dernier, la confiance revient dans la profession. Les employeurs me parlent de la possibilité de créations d’emplois rapides. Nous avons de la chance, il y a une conscience partagée sur la nécessité de créer ces emplois.

Ouest-France : Sur le plan social, le tourisme a la triste réputation de ne pas être un employeur à la pointe.

Michelle Demessine : Les mauvaises conditions de travail des salariés de ce secteur ne sont pas une fatalité. Le nouveau besoin, c’est l’emploi de qualité. C’est un atout pour progresser simultanément sur le plan social. La réduction du temps de travail, la demande croissante de temps de loisirs, l’étalement de la demande touristique sont autant d’éléments qui doivent éviter la concentration de l’activité sur une période courte, et donc les excès dus aux effets des saisons.

Ouest-France : Du côté des vacanciers, vous avez aussi un projet social avec le développement du chèque-vacances.

Michelle Demessine : Le chèque-vacances est un outil performant. C’est une extension du droit aux vacances qui permet de lutter contre l’injustice sociale. Je n’oublie pas que 40 % des familles ne partent jamais en vacances. En même temps c’est un facteur de développement économique. Le Gouvernement examine actuellement la possibilité d’élargir l’accès du chèque-vacances au plus grand nombre. Nous prévoyons aussi une relance des aides au départ en vacances accordées aux familles par les Caisses d’allocations familiales.

Ouest-France : Êtes-vous satisfaite du budget qui vous a été accordé ?

Michelle Demessine : Le projet de loi de finances 1998 propose un budget de 349 millions de francs pour le secrétariat d’Etat au tourisme. Il me satisfait parce qu’il marque l’arrêt de la baisse annuelle de 10 % qui le frappait depuis plusieurs années. Il témoigne de la nouvelle direction prise pour engager l’action de l’Etat. Elle doit s’inscrire dans une stratégie de développement durable. Nous allons pouvoir contribuer à ce que les structures de tourisme social poursuivent leur rénovation. Je souhaite également intensifier nos efforts de conquête des marchés extérieurs, notamment avec Maison de la France, chargée de la promotion de la France à l’étranger et financée à 72 % par les pouvoirs publics. Nous devons tous faire un effort pour prendre place sur les nouveaux marchés, ceux des pays « émergents ». Je ne crois pas que les pouvoirs publics doivent supporter, seuls, les charges de la promotion. L’Etat ne va pas se désengager. Le financement de cet outil, et notamment la participation du secteur privé, doivent être étudiés sans détour. L’objectif de touristes étrangers en France en 2007, susceptibles de générer, à cette date, plus de 200 milliards de recettes de commerce extérieur. Derrière cet objectif, les enjeux pour l’emploi et le développement local sont considérables.


Date : vendredi 3 octobre 1997
Source : France 2

F. Laborde : Le calendrier des vacances scolaires de février va changer. On l’a appris hier en fin d’après-midi. Vous avez donc eu gain de cause, puisque vous souhaitiez ce changement. C’était pour répondre au lobby des hôteliers ?

M. Demessine : Non. C’est une très bonne nouvelle, d’abord pour les familles et les enfants pour qui, non plus, ce n’était pas très commode pour partir en vacances, pour les parents qui devaient demander des congés en milieu de semaine, ce qui n’est pas commode non plus, pour les centres aérés aussi : je sais que les mères avaient beaucoup de difficultés. Si on peut harmoniser l’intérêt des enfants et l’économie touristique, je trouve que c’est aussi bien. Je pense qu’effectivement, la saison touristique d’hiver se passera d’autant mieux que les vacances seront plus étalées, seront étalées sur deux semaines au lieu d’une, comme l’an dernier. Quand l’économie touristique va mal, ce qui va surtout mal, c’est l’emploi. J’avais aussi ce souci-là en tête, en demandant de revoir cette question qui de toute façon ne convenait à personne.

F. Laborde : Avez-vous d’autres objectifs de changement de calendrier scolaire en vue ?

M. Demessine : Pour l’instant, non. C’était surtout cette question-là qui gênait tout le monde. Je crois que le calendrier triennal tel qu’il est organisé maintenant convient complètement à tous. Nous n’avons pas l’intention, dans l’immédiat, de le changer. De toute façon, c’est une question qui reste en permanence ouverte.

F. Laborde : Aujourd’hui, la Fédération française de la randonnée pédestre fête ses 50 ans ; il y aura toute une série de manifestations à Paris auxquelles vous allez participer. Faut-il encore améliorer la randonnée pédestre ? Que peut-on faire pour entretenir les chemins de randonnée, faire davantage de randonnée, y compris en ville ?

M. Demessine : Cela correspond aujourd’hui à de nouveaux besoins de loisirs, d’autant qu’aujourd’hui on va encore dégager de nouveaux temps de loisirs avec la réduction du temps de travail. Effectivement, je crois que les communes rurales aménagent de plus en plus leurs espaces en randonnée, parce que ça correspond à un besoin. Cela permet aussi le développement local. C’est peut-être aussi une piste ouverte pour l’emploi des jeunes. Je me suis d’ailleurs assez investie dans le cadre du plan emploi de Martine Aubry, parce qu’il y a un gisement d’emplois pour les jeunes dans l’animation de randonnée.

F. Laborde : Combien d’emplois-jeunes pensez-vous pouvoir créer dans ce secteur ?

M. Demessine : On ne peut pas chiffrer aussi vite, puisque ce sont des micro-projets qui vont émerger un peu de partout. Mais je peux dire déjà que dans les offices de tourisme, il y a une potentialité d’à peu près 1 800 emplois.

F. Laborde : Vous avez présenté votre programme gouvernemental. On a noté dans ce programme que vous insistiez beaucoup sur le tourisme social. Ce n’est pas une surprise, mais que voulez-vous développer en particulier dans ce tourisme social ?

M. Demessine : Il y a quand même 40 % de nos concitoyens qui ne partent pas en vacances. C’est un problème auquel un Gouvernement de gauche ne peut pas rester indifférent. Donc, je me suis attachée à travailler tout de suite à cette question, notamment à travers l’extension du chèque-vacances aux salariés des petites et moyennes entreprises.

F. Laborde : C’est-à-dire celles qui n’ont pas de comité d’entreprise et qui ne peuvent pas en profiter ?

M. Demessine : Voilà. Donc, on est en train d’essayer de trouver une solution, un dispositif qui permette à ces salariés de pouvoir accéder à ce droit. Ils sont plus de 7 millions. Généralement, ce sont ceux qui ont souvent les salaires les plus modestes. Donc, ils sont les premiers à être touchés par le chèque-vacances. La deuxième chose, dans le cadre de mon budget, je voudrais relancer le plan patrimoine, c’est-à-dire la rénovation des structures de tourisme social qui ont 20 ans aujourd’hui, qui ont besoin d’être modernisées, rénovées pour pouvoir accueillir encore mieux les touristes, en fonction des nouveaux besoins du tourisme.

F. Laborde : Qu’est-ce que ça pourrait être ? Davantage de villages-vacances ? Des structures de cet ordre ?

M. Demessine : Peut-être une relance de ces structures, une rénovation et une modernisation, dont les structures ont vraiment beaucoup besoin.

F. Laborde : Je voudrais qu’on revienne sur un épisode malheureux sur lequel vous ne vous êtes pas exprimée sur le plan personnel : c’est le Top Resa à Deauville dont le directeur n’avait pas souhaité votre venue, avant de se faire remercier. Avez-vous été choquée, blessée, étonnée par cet épisode ?

M. Demessine : C’est regrettable, mais l’issue montre bien que c’était quand même un cas isolé. J’ai pu constater à travers cet épisode combien les professionnels du tourisme étaient attachés au secrétariat d’Etat au tourisme, à l’action des pouvoirs publics. Tout le travail qui a été engagé depuis ma nomination montre qu’on va de l’avant, qu’on peut travailler ensemble pour le bien de l’économie touristique française qui est quand même une des plus importantes au monde, et en fonction des développements futurs. Je crois qu’on a intérêt à travailler ensemble, quelles que soient nos sensibilités, parce que le tourisme est un facteur d’amitié, de tolérance, de solidarité entre les peuples. Il doit garder cette image. Dans cette affaire, j’ai surtout pensé à cela.